Chapitre Quarante-huit
L'ombre s'avance, se précise et je reconnais soudain ce visage.
Je me recouvre aussitôt de mes bras mais elle me rassure :
- Attends on est pareilles, toi et moi, sois pas si pudique.
J'écoute Rebekah mais je reste tout de même immergée jusqu'au cou. On est peut-être des filles mais ce n'est pas dans mes habitudes de me promener en public dans mon plus simple appareil. Elle s'accroupit pour arriver à ma hauteur et me montre une serviette et, à ce que je vois, des vêtements de rechange, qu'elle pose un peu plus loin pour éviter de les mouiller.
- Comment tu savais que j'étais ici ?
- Je voulais te parler et Marc m'a dit où te trouver. Quand je t'ai vu dans l'eau, j'y suis retournée pour prendre ça. (Elle désigne l'amas de tissu à sa droite.)
- De quoi veux-tu me parler ?
La rousse s'assoit dans l'herbe et retire ses chaussures pour tremper ses pieds dans la rivière, comme moi un peu plus tôt.
- J'ai vraiment envie d'aller au manoir et vite. Apparemment ce n'est pas l'avis d'Hélène. Elle prétend qu'on a le temps. Que tout cela est trop dangereux et que seuls des renégats entraînés auront le droit de s'y rendre. Et tu te doutes bien que je ne suis pas du tout d'accord avec elle !
- Calme toi un peu, Rebekah.
- Tu as raison mais je ne peux pas la supporter cette vieille bique. Tu as vu ce qu'elle a fait a son neveu ! Quand Morgan me l'a dit, j'étais sur le point de vomir.
- Morgan t'a parlé de Tom ?
- Oui, pourquoi ?
- Rien, rétorqué-je.
Bien sûr c'est faux. Je ne veux juste pas parler de ça avec elle. Ça me surprend de savoir tout ça. Morgan qui parle de Tom, alors qu'il y a quelques semaines, il ne pouvait pas le supporter. J'en viens à une conclusion, un peu idéaliste c'est sûr mais je ne peux pas me l'enlever de la tête. Morgan a juste fait ce qu'il fallait. Il ne se concentre pas sur lui comme je le fais égoïstement. Il s'oublie, lui et ses sentiments, pour garder la tête froide et ne prêter attention qu'aux autres.
Pourtant j'étais certaine que Morgan resterait à tout prix sur ses gardes vis-à-vis de Tom même s'il ne posait aucun problème. Je croyais qu'il allait continuer à se sentir menacer. Je l'ai vu dans son regard, il ne déteste pas Tom, mais seulement la proximité qu'il y a entre nous deux. D'un côté je trouve ça complètement puéril et d'un autre... Non il ne faut pas penser à ça. Il n'y a que mon frère qui m'importe, je ne dois pas me perdre dans les yeux verts intenses de Morgan ou alors dans ce méli-mélo de sentiments qui me hantent. Non, je dois garder mon but en tête, et personne ne me retardera.
Je reprends la parole rapidement pour éviter d'insinuer d'autres idées déplacées dans l'esprit de Rebekah. Je sais déjà ce qu'elle a en tête et je n'ai pas envie de renforcer ses soupçons.
- Qu'est ce que tu veux que j'y fasse ? dis-je, d'un ton qui se veut détaché.
- Tu peux m'aider.
- À faire quoi ?
- Toi aussi tu as quelqu'un à aller chercher, non ? Alors je me disais qu'on pourrait y aller seules, sans qu'ils ne s'en rendent compte, me propose-t-elle.
- Mais c'est courir au suicide ! Tu ne sais pas que le Dirigeant a une armée ?!!
- Si mais tu as bien réussi à entrer dans le Palais de la Paix avec Diane et Morgan alors je me disais...
- On est rentré avec l'aide du Sous-Noyau, pas tout seul.
- Je sais mais ça ne doit pas être si difficile de se faire passer pour quelqu'un d'autre.
- Si c'est difficile. C'est une très mauvaise idée ! crié-je.
- Tu es comme les autres, moi qui croyais que tu voulais revoir ton frère.
Elle me lance un morceau de savon sans que je puisse répondre et ajoute :
- Lave toi bien, Kate. Je vais me débrouiller toute seule si ça peut me permettre de revoir mes amies.
Je comprends mon erreur bien trop tard et essaye de la retenir une dernière fois :
- Attends !
Elle fait la sourde oreille et part aussi vite qu'elle est venue. Je ne peux pas la rattraper.
Elle n'est pas dans son état normal et je préfère la laisser réfléchir un peu. Rebekah commence à perdre patience et je la comprends. Dans ces moments-là, il ne faut pas la déranger. Elle doit retrouver son calme par elle-même. Je le sais, j'en suis passée par là, bien trop de fois.
Je m'empare du savon et commence à me laver en profondeur. Je crois que je vais toujours être obligée de me décaper la peau à chaque passage à la douche avec toute la boue et la poussière que j'accumule pendant les voyages.
Je regarde la mousse conquérir un peu plus de peau sale à chaque seconde. Plus j'y réfléchis, plus je me dis que ce savon et moi on veut faire la même chose : nettoyer et faire disparaître la saleté. Dans mon cas, ce serait plutôt nettoyer toutes les horreurs du Dirigeant, pour qu'elles s'évanouissent dans l'air comme une bulle de savon. J'ai envie que tout le monde soit décrasser de son contrôle mais ce n'est pas aussi simple que de prendre une douche.
Des petits poissons semblent me regarder sous la surface, ils ne s'approchent pas et préfèrent s'éloigner. Je leur fait peur. Ils ne sont pas les seuls. Certaines de mes réactions m'effraient et mon comportement est vraiment horrible par moment mais je ne peux rien y changer, on ne retourne pas dans le passé.
Je sors de l'eau et attrape la serviette pour m'en draper. Après m'être séchée, j'enfile le pantalon fluide et le vieux t-shirt à ma disposition.
Je laisse le petit bout de savon sur la rive, qui sait quelqu'un en aurait peut-être besoin s'il fait comme moi, plonger sans penser à rien.
Je reprends la route de l'aller pour découvrir le camp qui me paraît beaucoup plus morne que le précédent. Les couleurs des abris sont des dérivés des teintes de la vase. Les gens n'ont pas l'air si heureux en y regardant de plus près, tous sont amincis et certains ne se sont pas lavés depuis plusieurs jours. On sens une certaine tension mais chacun se convainc pour la considérer comme absente.
Personne ne me remarque et tant mieux. Je repère une crinière rousse au loin, c'est sûrement Rebekah. Je cours pour ne pas la perdre de vue. Je pose ma main sur son épaule, elle me paraît soudain plus petite. Quand elle se retourne, je constate que ce n'est pas elle. Une femme un peu rondelette me sourit avec des cheveux beaucoup plus frisés que mon amie et des yeux plus clairs, un marron presque orangé.
Son visage envahit de tâches de rousseurs et ses joues rebondies me rappellent quelqu'un mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Où l'ai-je déjà vu ?
- Bonjour Katelynn, comment allez vous depuis le dernière fois ? Marc vous a demandé de venir me voir ? me questionne-t-elle.
Je me souviens alors à qui je fais face. Cette femme est l'infirmière qui m'a fait les points de suture sur ma blessure. Comment l'a appelé Marc, déjà ? Constance, c'est vrai ! Je me donnerai des coups pour oublier une personne comme elle. J'opine et elle me demande ensuite de la suivre jusqu'à sa tente qui comme dans l'autre camp est rouge, sur quelques coins la toile est rapiécée, elle n'a pas due apprécier le voyage.
Nous y rentrons et elle me suggère de m'installer sur sa table d'examens. Je ne discute pas et patiente pendant qu'elle enfile des gants. Sans attendre, elle soulève la jambe de mon pantalon pour observer l'évolution de ma blessure. La femme souffle de mécontentement :
- Tu aurais dû les retirer avant, je vais avoir un peu de mal à les enlever maintenant.
Elle s'empare d'une pince à l'allure étrange et commence à couper les fils. Son travail délicat ne se fait presque pas sentir, juste quelques petits pincements par moment. Quelques minutes plus tard ma jambe est délesté du fil et je peux admirer une cicatrice longue de quinze bons centimètres.
- Je suis désolée pour la trace qu'elle laisse, je croyais que le fil l'atténuerait mais ce n'est pas le cas.
- Ce n'est pas grave. Tant que ça ne saigne plus.
Elle me sourit de toutes ses belles dents et m'inspecte tout le corps à la recherche d'autres entailles. Elle découvre mes mains abîmées.
- Qu'est ce que tu as fait pour te faire de telles marques ? me demande-t-elle.
- J'ai boxé un arbre.
Constance me jette un coup d'œil lourd de sens mais laisse tomber en baissant la tête. Elle y applique une crème verte sûrement en guise d'agent antiseptique.
Concernant ma cicatrice, je m'en fiche un peu. Tout ce que je veux c'est qu'elle arrête de me déranger. Lors de lourds efforts, je ressens toujours un tiraillement au niveau de mon membre et ce n'est pas une sensation des plus agréables, je dois dire. Après un dernier regard méfiant, Constance me congédie. Je ne sais pas ce que je lui ai fait. Apparemment elle doit être très attachée aux arbres pour réagir aussi mal.
Je sens un regard planer sur ma nuque, en me retournant j'aperçois Morgan qui s'approche. Je n'ai vraiment pas envie de lui parler pour l'instant. Une gène se créée et mon estomac se serre. Je tourne à l'angle d'une tente verte poisseuse pour le semer mais je sais qu'il m'a vu le distancer. Je sens la vibration de ces pas sur le sol. Il est juste derrière moi et je n'ai plus de solutions pour lui échapper. Monter dans un arbre ne me procurerait aucune sécurité puisqu'il est capable de m'y rejoindre. Je marche de plus en plus vite. Soudain mon poignet est attiré en arrière et enserré par un corps chaud. Je respire fort mais ne veux toujours pas m'avouer vaincue. Il va me lâcher quoi qu'il en coûte.
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