Chapitre Neuf {4}

Morgan ne porte plus qu'un pantalon de toile rêche. Son torse et son dos sont recouverts de blessures et d'entailles qui commencent à s'infecter. On l'a torturé pour lui extorquer des informations sur la résistance. J'en suis sûre. J'ai aussi la certitude qu'il n'a rien dit, il est fort, c'est un Élémentaire mais la drogue a dû endormir ses pouvoirs.

Ses yeux sont fermés et cernés de bleu, l'un est noir après avoir reçu un coup. Sa lèvre est fendue et une méchante coupure lui barre le front, elle suinte un liquide jaunâtre derrière une croute noire. Ses joues sont mangées par une barbe naissante et piquées de griffures. Il est tellement mal en point, une autre raison pour quitter cet endroit au plus vite.

Je reprends son bras, qui est affreusement souple, aussitôt imité par Tom. Je me retiens de vomir et avance bien décidée à sortir de la base.

Nous nous arrêtons avant de sortir pour lui mettre les vêtements des soldats et cachons sa figure blessée avec le béret.

Les gardes ronflent toujours quand nous sortons. Nous tombons sur un soldat qui patrouille, deux couloirs plus loin. Il a le visage couvert de boutons et doit avoir une quinzaine d'années. Il a des cheveux noirs coupés court comme Tom, il nous repère et le reconnaît. L'adolescent lui fait signe et s'arrête en voyant l'homme inerte entre nos bras. Je supplie intérieurement Tom d'intervenir :

- Salut, Adam. On le ramène à ses quartiers, ce type a un peu forcé sur l'alcool.

- Ok, c'est gentil à vous de faire ça, bonne nuit.

J'inspire profondément. On l'a échappé belle. Nous continuons et arrivons devant l'aile médicale, il y a des civières posées sur rouelettes, nous en empruntons une et posons Morgan dessus. Il est pantelant mais sa respiration est régulière, ce qui me rassure quelque peu.

Nous passons sans peine et rejoignons une sortie à l'arrière d'une salle d'attente. Nous laissons le brancard et portons l'Élémentaire. Marchant le plus vite possible dans la nuit, nous traversons le chemin de graviers et montons dans un petit véhicule tiré par deux chevaux qui somnolent. Tom a tout prévu et je le remercie du regard. Il hoche la tête.
Une partie de mon cerveau se demande comment il a réussit à faire tout ça mais elle se tait alors que nous fermons les portes.

Je dépose Morgan le plus délicatement possible sur la banquette étriquée. Je réussis mais ses jambes sont trop grandes pour la cabine et reposent maintenant sur mes genoux. Je suis assise en face de Diane et Tom conduit la voiture. Elle cahote sur le chemin de gravier. L'angoisse qui m'assaille depuis le début de l'opération ne cesse de croître. J'ai tellement peur que l'on nous retrouve et qu'on nous tue.

Je suis un peu soulagé par la présence de Morgan. Il est vivant, c'est déjà une bonne chose. Mais quand je le regarde il a l'air plus mort que vivant. Son visage est tellement gonflé qu'on a du mal à le reconnaître.

La fine barbe qui recouvre son visage me surprend, je ne l'avais jamais vu comme ça. Il avait toujours été rasé de près et les poils lui donnent un air plus sage, plus âgé.

J'ai mal pour lui. Ses blessures sont profondes. Comment avons nous fait pour ne pas entendre ses cris de douleur. À moins qu'il n'ai rien dit. Mais j'en doute.

Mon poignet me chatouille, je le regarde. De mon bracelet en bois s'étire une fine tige d'un vert tendre. Je regrette de ne pas avoir crue Morgan. C'est lui qui avait raison, je suis capable de plus. Il était le seul à croire en moi au moment où j'étais sûre qu'il mentait. Cette pousse qui naît de cet anneau est bien la preuve qu'il avait raison.

Je suis tellement peu habitué aux conseils, à l'attention que les autres me portent que je la rejette presque en ne leur accordant aucune crédibilité.

"Enfin quelque chose de vrai!" me taquine une voix. J'ai envie de l'étrangler mais prend compte de l'erreur de mon idée. D'ailleurs d'où vient-elle ? Je regarde autour de nous et ne perçois personne d'autre rien que le silence. Qu'est que cette voix vient faire là. Cette femme, je crois que c'en est une, qui est-elle et pourquoi le parle-t-elle ? Je ne discerne plus rien et crois sombrer dans la folie. Mais ce n'est pas le cas. Je suis juste confuse à propos de tous ces événements, tous ces changements. Je suis vraiment une débutante dans ce monde qui vient de me recueillir dans ses bras, je suis aveugle et ne voie pas les ouvertures qu'il me propose. Toutes ces personnes qui me viennent en aide sans que la leur demande. Je suis une ingrate de premier choix. "Non, tu n'es qu'une débutante, comme tu dis." La voix est devenue sérieuse ce qui fait un sacré contraste avec le sarcasme de tout-à-l'heure. Je fais des découvertes et les issues sont multiples.

Je suis capable de tant de chose mais je suis une coquille fermée. J'essaye pourtant de m'ouvrir. De m'accepter, ce que je suis, une Élémentaire. Je croyais déjà l'avoir fait. Mais je nie toujours ce dont je suis capable. Me dévalorisant sans cesse.

Je regarde Morgan, il est toujours inconscient. Mais pourtant c'est en ce moment que j'ai le plus besoin de lui. J'ai besoin qu'on m'éclaire, lui seul en est capable. Il connait tellement de choses sur moi, sur mon potentiel. J'ai envie de lui demander ce que je dois faire, ce que je suis capable de faire mais c'est peut-être trop tard. Et tout cela est à cause de moi, je n'ai pas su le protéger au bon moment.

Le cercle libère une pousse qui donne naissance à d'autres, celles-ci se posent sur la poitrine blessée de Morgan pendant que je suis prise avec mes pensées. Une lueur fluorescente grandit dans le végétal, comme si je lui insufflais un courant de vie. Et là, à ce moment là.

Je ressens.
Je sens la vie, le cœur, la sève dans les nervures, de la plante. Je sens ses branches qui s'étirent et grandissent sous mes iris. Elles revivent... La lumière verte se transmet dans toute la plante. Je sens son passage dans tout mon corps comme si une connexion nous reliait. J'ai peur, je suis heureuse et surprise en même temps. Je tourne et retourne mes mains, les serrent et les déserrent comme pour m'appuyer sur une réalité. J'ai des mains, je suis humaine. Mais le flux d'énergie qui en jaillit, lui, n'est pas réel. J'ai l'impression d'être perdue entre deux mondes. Je ne fait que penser à ce que j'ai fait à Morgan mais pas complètement puisque qu'une autre partie de moi contrôle ce phénomène, cette plante. Je ne sais pas quoi faire et la croissance de ce végétal ne s'arrête pas. Est-ce vraiment moi qui fais ça ? C'est peut-être une illusion ? Je rêve ? Je regarde, toujours incrédule cette tige qui plie et déplie ses feuilles. Je ne fais rien. Alors pourquoi cette chose verte bouge ? Cette dernière finit sa course sur le flanc droit de Morgan où repose une de ses feuilles, aussi grande q'une main. La lumière qui l'anime éclaire son torse et je sens des vibrations à travers la plante, celles-ci me traversent. Elles s'infiltrent au plus profond de moi rependant un écho chaleureux de mes mains jusqu'à ma tête et se déversant lentement dans tous mes membres. Comme un fleuve, oui, c'est cela. Un fleuve de vie. Le courant s'accentue et soudain la lueur s'éteint subitement et replonge le véhicule dans l'obscurité, comme si elle n'avait jamais exister...

J'ai l'impression que cette lueur verte m'a vidé de toute énergie. Le flux qui courait dans mes veines quelques secondes plus tôt a disparu sans laisser aucune preuve dans sa présence antérieure. J'ai enfin sentis ce que j'attendais. Ce sentiment de puissance. Le temps d'un instant, j'ai su que je pouvais tout faire mais je ne sais pas ce que j'ai accomplis.

Je regarde les tiges se rétracter et redevenir du bois mort sur mon poignet. Mes yeux rencontrent ceux de Diane, qui est bouché-bée.

J'ignore toujours ce qui vient de se produire. Des questions fusent dans mon esprit. Qu'est ce qui vient de se produire ? Comment ai-je fait ? Qu'est ce que c'était ? Et une ultime interrogation auquel je ne veux pas obtenir de réponse : Ai-je blessé Morgan ? Je n'ai pas la force ni l'envie de vérifier, je m'en voudrais tellement après si je découvre que je lui ai porté préjudice. Qu'est ce que je pourrais découvrir en y regardant de plus près. Une nouvelle entaille, une brûlure, autre chose d'encore plus terrible ? La peur me retient de l'examiner.

Nous continuons le voyage dans le silence. Diane n'a pas arrêté d'ouvrir et de fermer la bouche, ne sachant quoi dire, comme un poisson qui chercherait à survivre hors de l'eau.

Je n'ai pas envie de l'encourager à parler. Je me sens déjà assez mal pour n'avoir rien fait pour empêcher toutes les blessures qu'on fait la Garde à Morgan. Alors si j'apprends que je lui en ai fait, je ne saurais le supporter. En ce moment l'ignorance est ma meilleure amie et me laisse un peu de répit.

Je suis fatiguée après cette démonstration végétale. Mes paupières se ferment presque toutes seules mais je reste éveillée le plus longtemps possible, ne voulant pas laisser Morgan seul. En tout ça ce qui l'en reste.

Nous roulons le reste de la nuit, Diane et Tom se relayant, puisque je ne sais pas conduire. Je somnole quand nous nous arrêtons. Tom dort face à moi. Diane doit avoir trouver l'entrée du camp du Sous-Noyau dont elle nous parlait. C'est dans cet endroit, apparemment, où elle a été accueillie après la manifestation de ses pouvoirs.

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