Chapitre Dix-huit
Le bruit assourdissant des voix me vrillent les tympans. Je presse immédiatement mes mains sur mes oreilles en poussant un geignement. La souffrance est insupportable pourtant ce ne sont que des voix. Je voie flou quand mes paupières se lèvent. Je ne me souviens plus de rien puis d'un coup, comme un film en avance rapide, tout me revient en tête : Kristal, le camp avec les tentes colorées, Hélène qui n'est pas morte et Morgan. Morgan qui m'a pris dans ses bras parce que je ne pouvais plus bouger. Une douleur lancinante à ma jambe me fait gémir quand je me redresse dans un lit inconnu. Le tissu de la tente rouge me renvoie à hier soir, enfin si je n'ai dormi qu'une nuit. Mais je ne sais pas vraiment pourquoi je suis ici. Les voix continuent mais il n'y a personne. Une fois ma vision rétablie, je remarque tout le matériel posé sur une table en bois : des ciseaux luisant à la lumière d'une lampe de bureau, des pansements, des bandages, des compresses et ces dernières sont couvertes de sang séché. Que s'est-il passé ? À qui appartient tout ce sang ? Il y en a une quantité impressionnante accompagnées de flacons d'un liquide transparent pour quelques uns et colorés pour d'autres.
Je crois que je suis dans une espèce d'infirmerie mais pourquoi ? Je me lève ou tout du moins j'essaie. Car mon pied se ratatine sous mon poids mais j'arrive à me rattraper au lit à temps. Je pousse un cri horrifié en découvrant ma jambe. Elle est entouré de gaze qui se colore déjà d'une vilaine tâche rouge. Quand je recule, je percute le lit ce qui me fait encore crier de douleur. Des pas précipités et des voix tonitruantes se rapprochent. Mes mains ont retrouvé leurs places et je les presse jusqu'à en avoir encore plus mal aux oreilles.
Morgan et Kristal entrent en compagnie de la femme rousse que j'ai vu avant de sombrer. Ils parlent mais je ne comprends pas un traître mot tellement le son bruyant me heurte.
Le silence tombe. Ils me fixent tous différemment, Kristal est inquiète comme la rousse mais Morgan est apeuré. Je ne l'ai jamais vu dans un état pareil. Pourquoi est-il comme ça ? Quelqu'un est mort ? Oh, non, par pitié pas encore ! Je ne pourrais pas le supporter, même si je ne connais pas la victime, rien que le fait d'entendre le mot "mort" j'ai envie de pleurer.
Ils remarquent tous mes mains sur mes oreilles mais n'esquissent pas un seul geste. Je les retire lentement, le silence est presque pire que le bruit. Mais je le préfère. La rousse que je pense être l'infirmière s'agenouille près de ma jambe et claque de la langue, contrariée. Mon ouïe s'est stabilisée et je l'en remercie. La voix douce de l'infirmière me demande :
- Tu peux t'asseoir ? Il faut refaire ton bandage.
- Pourquoi je saigne tant ? Est la première parole qui franchit mes lèvres.
Morgan se rapproche et explique doucement :
- Pendant ta crise, tu as perdu le contrôle et quand tu es tombé tu as dû toucher quelque chose qui a rouvert ta blessure qui s'est aggravée.
- Je n'arrive pas à stopper l'hémorragie, m'informe la femme.
Ses doigts experts déroulent la fine bande blanche et l'entaille se découvre. Elle paraît plus profonde mais j'espère que ce n'est qu'une illusion. Elle applique un nouveau tissu imprégné de ce qui me semble être un liquide antiseptique qui me brûle la peau. Je me mords la lèvre pour ne pas crier.
Une fois le pansement mis en place, je la questionne :
- Depuis combien de temps suis-je là ? Et qu'est ce qui s'est passé ? Je ne comprends plus rien...
Je baisse la tête, désorientée. Puis Morgan leur demande de quitter la tente. Les deux femmes sortent quelques instants plus tard.
Je sens son regard peser sur ma nuque. Il s'approche silencieusement et s'assoit sur le lit à mon côté. Son chuchotement est tellement bas que je dois me pencher pour l'entendre :
- Ça va ?
Mon poing me démange dangereusement. Pourquoi me poser une telle question ? Il voit bien que je ne suis pas au meilleur de ma forme ! Ou alors c'est moi qui divague ? Même dans les moments les plus graves, il arrive à m'horripiler ! Il n'est pas croyable. Je lui réponds d'un regard lourd de sous-entendus. Il ne cille même pas face à ça et pose sa main chaude sur mon bras en signe de réconfort. Je n'ai pas besoin de lui et de sa pitié ! Je m'écarte mais il l'a reposé tout de suite après. Je n'ai plus la force de lutter. J'ai encore la tête brumeuse. La douleur s'atténue de minutes en minutes mais ne cesse pas. L'Élémentaire prend la parole :
- Kate, arrête un peu et laisse moi t'aider. (Sa voix est étonnement douce.) Il faut que tu m'écoutes.
Je hoche la tête pour lui montrer toute mon attention.
- Le retour d'Hélène t'a troublée. Je comprends tout à fait, moi aussi je ne m'y attendais pas, mais tu as fait une crise. Les plantes à l'extérieur se sont mises à bouger violemment et la forêt entière a doublé de volume. Certains arbres ont déchirés plusieurs tentes, heureusement il n'y a eu aucun blessé. Mais quand tu seras remise sur pied il ne faudra pas que tu recommences.
- Pourquoi je recommencerai ?
- J'y viens, ne t'inquiètes pas. Ta crise a effrayé beaucoup de monde. Ils sont désormais tous au courant pour toi, pour tes pouvoirs et ils ont peur. Tu ne devras pas te focaliser là dessus quand tu sortiras. Tu m'as compris ?
- Oui, j'aurai fichu la frousse à toute la Garde entière avec ce que tu me racontes. Je comprends qu'ils aient peur mais on doit leur expliquer qu'ils ne doivent pas. N'est ce pas ?
- Non. Ils ne comprendrons pas. Il faut que tu te fasses à cette idée.
- Pourquoi seulement moi ? Et toi alors ?
- On ne leur dira pas, seule Hélène le sait et c'est mieux ainsi.
- Mais..., commencé-je à protester mais il me coupe en plein élan :
- Ne discute pas, Kate.
Son ton dur provoque un fort contraste avec la douceur qu'il avait mis dans ses explications. C'est incroyable ! Je ne l'en aurais jamais cru capable. Je préfère ce Morgan là, gentil, compréhensif et tendre. Mais les meilleures choses sont les plus courtes.
Je n'arrive pas à me faire à l'idée que de l'autre côté de cette toile écarlate, tout le monde me craint. Comme si j'étais un monstre. Le suis-je ? Je n'ai plus aucune certitude. Je suis perdue et je tombe de plus en plus dans un gouffre dont je ne pourrais bientôt plus jamais ressortir, celui de la solitude.
Je n'ai plus personne. J'ai quitté ma famille, mes amis et me retrouve avec la personne que j'aime le moins dans un camp d'inconnus qui ne m'accepterons jamais en leur sein. Je ne reconnais plus rien. Toutes mes pensées, mes actions, mes paroles ont été chamboulées par ma nature. Si seulement je n'étais pas une Élémentaire... Aurais-je eu une vie normale ? Oui, mais meilleure ? Non, je ne crois pas. Tout cela est tellement proche mais aussi loin de moi. Tout est abstrait et complexe dans ma tête sans dessus-dessous. Des larmes brûlantes inondent mon visage sale. Leur goût salée se répand sur mes lèvres. Ça n'arrête pas. Des bras puissants m'entourent affectueusement et je m'y accroche de toutes mes forces pour ne pas sombrer. Je me fiche de leur propriétaire tout ce que je veux c'est du réconfort. Et pour le moment il est le seul à m'en fournir. Personne ne m'a jamais enlacé de cette façon. Ma mère n'a jamais vraiment fait attention à moi et je n'ai jamais été très proche des gens qui m'entouraient et quand cela arrivait ils disparaissaient. Je pense à Juliette qui n'a pas voulu rester avec moi et a préféré la mort. Je ne crois pas m'arrêter de pleurer un jour. J'ai tellement eu envie d'oublier toute la douleur ces derniers temps que je n'ai pas sentie qu'elle grandissait chaque jour un peu plus pour déborder. Aujourd'hui, je ne plus la contenir et c'est en un sens assez agréable de s'oublier dans une étreinte. Je me vide peu à peu cette souffrance remplacée par une simple tristesse. Je me nettoie de toutes ces épreuves qui m'ont bousculée pendant ce long, trop long mois. Je me suis fais des illusions en croyant avoir la carrure pour porter tous ces événements sur mes frêles épaules. Je me serre un peu plus contre le corps chaud de Morgan, qui maintenant que j'y pense m'a toujours accompagné. Il a dû vivre des choses encore plus horribles et pourtant il ne se plaint jamais. Cela m'est impossible de concevoir l'étendue de son malheur tant il doit être grand. J'ouvre les yeux, mes larmes taries me permettent de le regarder. Il a les paupières fermés et la tête reposant sur mon épaule. Des sillons de larmes recouvrent ses joues roses. Un immense poids disparaît face à cette vision. Je ne suis pas la seule à me débarrasser de tous ces événements. Mes lèvres s'étirent pour sourire. Le seul vrai sourire que je n'ai jamais affiché. Il est triste mais sincère. Nos deux respirations sont les seuls bruits alentours comme si nous étions seuls.
Sentant sûrement sur lui mon regard, Morgan relève la tête vers moi. À ce moment, je sens ses défenses tombées. Il est nu. Je le vois enfin sous son véritable jour. Je me rends compte que c'est un enfant qui a grandit trop vite comme moi. Nous n'avons pas eu la vie que nous voulions mais sommes capables maintenant d'en choisir la suite. Nous pouvons choisir de nous battre ou de tout laisser tomber. En le dévisageant, je vois la détermination mêlée à la peur dans son regard et je dois être dans le même état que lui. Je veux que tout se modifie. Et pour le faire nous devons choisir les armes. Le changement s'enclenche et nous en sommes les bourreaux.
Cela doit faire des minutes ou des heures que nous nous fixons. Ses yeux si sombres se sont éclairés et j'y voie aussi toute l'envie, la même que la mienne. Nous nous sommes trouvés dans l'adversité pour nous relever ensemble.
Je ne sais pas ce qui se passe ensuite mais nos bouches se trouvent. Son baiser est une caresse qui me réchauffe. Ses lèvres sont chaudes et me rassurent.
La première fois que j'embrasserai quelqu'un ne m'a jamais préoccupée mais j'avais toujours pensé que ce serai le jour de mon mariage forcé avec un inconnu et pas avec lui. Pas avec Morgan. Pourtant je sais que je n'aurais jamais autant apprécié les lèvres d'un autre. Un doux picotement m'envahit au niveau de l'abdomen pour remonter jusqu'à mon cerveau : le plaisir.
Je ne veux pas me détacher de lui et ce doit être son avis puisque nous continuons toujours aussi tendrement comme pour nous consoler de tous nos pleurs. Mes mains se baladent dans ses boucles foncées. C'est agréable de sentir les siennes parcourir ma taille. Nous nous laissons emportés par ces sensations et le baiser se fait bientôt plus appuyé, plus dévorant. Je ne m'inquiète pas du plus tard tout ce qui m'importe c'est l'instant présent. Je sens la tristesse faire place à la passion. Nous oublions tous. Le temps n'est plus défini et je ne sais même plus quand nous nous détachons. Tout ce que je me souviens c'est d'avoir fermé les yeux, un sourire épanoui sur les lèvres.
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