Chapitre Dix {2}

   Je passe tout l'après-midi à ruminer mes pensées et surtout à réfléchir à ma discussion avec Morgan. Je me rends compte qu'il était étrange, comme mal à l'aise alors qu'il avait ôté sa combinaison sans aucun problème devant une fille. Il était gêné mais pas par se qui s'était passé, par autre chose, c'est beaucoup plus profond. La solution n'appartient qu'à Morgan et je le respecte. Moi aussi, je protège mes secrets.

    Le soir arrive lentement, ce qui me laisse le temps de monter une petite stratégie. Une fois arrivé à l'autre base qui se trouve un peu plus à l'est du Noyau, d'après Daphné. Il faudrait prévenir tout le monde des dégâts suite aux attaques de la Garde mais aussi monter une offensive, on ne doit pas rester les bras croisés.

    Je refuse que ma génération et les futures vivent ainsi. Je repense à toutes ces filles à la rue ou celles qui sont des objets pour leur mari. Je ne peux pas laisser faire. Mais je dois aussi sauver la résistance. Je ne veux plus que les attaques tuent les seules personnes que j'ai eu la chance de rencontrer en rejoignant le Sous-Noyau. Je me revois, laissant mes pauvres compagnes de chambres foncées dans ce piège qu'était le bois. Je ne veux plus que cela se reproduise.

    Une alarme retentit. Le première pensée qui franchit mon esprit est :
quelqu'un s'est introduit dans nos murs.

J'agis automatiquement. Je me lève et sors pour rejoindre le réfectoire où se trouve normalement tout le monde à cette heure pour dîner. La mince foule des résistants se dirigent vers une porte, que je n'avais pas remarqué avant et qui mène à un couloir. Une sortie de secours ? Pourquoi un si petit site en possède une alors que la base principale n'en avait pas ? Ma question reste en suspens.

    L'alarme s'arrête net. Une silhouette fend la foule, je ne la reconnais pas tout de suite.

Un homme se perche sur une table pour dominer le groupe, puis à sa voix forte d'orateur, je l'identifie enfin, Marc.

-    Ce n'est rien, annulation de l'opération de secours ! Il se répète plusieurs fois.

    Je me rapproche de lui et demande :

-    Qu'est qui s'est passé ?

-    Juliette est là, répond-t-il simplement.

    J'ai dû mal à comprendre mais me souviens maintenant de cette fille longiligne aux cheveux clairs. C'est celle qui ne m'adressait presque jamais la parole à la base. J'ai honte d'admettre que je l'avais oublié.

    Je lui emboite le pas. Il m'emmène à l'aile médicale. Un deuxième lit est occupé. Un médecin est penché au-dessus. Une fille d'environ dix-huit ans, aux joues creusées par la fatigue et la faim, avec des cheveux presque aussi blancs que sa peau, y est allongée.

    Elle fait peur à voir. Son visage est sale, une énorme entaille part de sa tempe droite en passant par sa bouche et rejoint son menton anguleux. Ses ongles sont rongés jusqu'au sang et ses bras couverts de bleus. Et dire que je l'avais oublié, je ne serai pas capable d'effacer cette image de ma mémoire, cette fois.

    Le médecin recoud sa blessure au visage mais demande aux infirmières de la laver avant ça.    

    Elle est ressortie de la salle de bains avec une chemise qui lui arrive aux genoux et fermée dans le haut du dos.

Elle ne parle pas ni ne crie quand le chirurgien passe le fil dans sa peau. Elle est étrangement calme. Comme si elle était absente, hors de son corps...

On me laisse seule avec Juliette. Je m'assois en douceur près d'elle, sur le lit. Elle me regarde et je murmure :

-    Ça va ?

-    Tu ne peux pas savoir ce que j'ai vu, Katelynn... C'était horrible.

    C'est comme ça que commence le récit de l'attaque. Elle était partie vers le bois avec les autres, elles ont été séparés. Elle n'en a revu aucune, morte ou vive.

Elle me décrit tous les corps ensanglantés à l'extérieur. Tous embrochés par un soldat ou tués par l'explosion de la bombe.

-    Leurs yeux étaient grands ouverts et on y voyait encore toute leur souffrance, comme si on avait fait une pause dans le temps, c'était affreux. Ohhh... Katelynn. J'ai cru que je m'en sortirai pas !

    Elle sanglote. Je suis pris d'un instinct maternel et la prends dans mes bras. Ses pleurs sont les seuls sons que l'on entend dans la chambre. Nous restons dans les bras l'une de l'autre pendant plus d'une heure jusqu'à qu'elle s'endorme. Je la lâche et reste toute la nuit sur une chaise inconfortable.

    Je ne sais pas combien de fois je vais devoir veillé sur les gens que je connais, ou pas, alors qu'ils sont sur un lit d'hôpital. "Ça ne fait que commencer" m'annonce la voix dans ma tête. Et je prie pour qu'elle ai tort.

    Je m'endors aussi et rêve de tout ce que m'a raconté Juliette. Je marche près de l'ancienne entrée de la base et des morts s'empilent devant moi, tous avec un couteau dans le cœur. Un soldat de la Garde approche, je ne vois pas son visage mais reconnais son uniforme. Il ne dit rien et plante son arme dans mon abdomen. Je ne crie pas et tombe comme une mouche...

    Je me réveille en sursaut, de la sueur macule mon front. Ce cauchemar était tellement réel ! Je met quelques minutes à calmer ma respiration et mon pouls.

    Juliette me regarde. Elle est debout, c'est déjà une bonne nouvelle. J'éprouve une certaine sympathie envers cette fille. Comme si elle était une petite sœur à protéger même si elle est plus vieille que moi d'un an.

    Nous passons la journée à discuter et j'apprends qu'elle me connait déjà :

-    La première fois que je t'ai vue, tu revenais de la Grande Bibliothèque, tu devais être fatiguée, tu avais des cernes.
–elle dessine deux cercles en bas de ses propres yeux déjà noirs de cernes– C'était à l'époque où je mendiais et tu m'as donné un crayon et un bouton. Je les ai gardé tous les deux mais je les ai laissé au Noyau.

    Elle est malheureuse apparemment de les avoir oublié.

-    Ce n'est pas grave. De toutes façons c'étaient des choses inutiles.

-    Non. Ce n'est pas pour leur usage mais pour leur symbole que je les gardai. Tu étais bien la seule qui avait fait attention à moi. Et même si tu n'avais pas d'argent, tu m'as tout de même donner tout ce que tu possédais. Et ça, je ne l'oublierai jamais. J'ai toujours voulu te remercier.

    Je savais bien que son visage me disait quelque chose... Le Sous-Noyau l'a sauvée elle aussi...

    Juliette m'explique qu'elle avait tout perdu à la mort de ses parents à cause d'un accident de voiture. Elle s'était ensuite retrouvée à la rue et a été recrutée à seize ans par la résistance.

    Je lui fait part de mon début de plan une fois que l'on aura rejoint la base et elle ajoute :

-    Ce sont des bonnes idées, mais tu crois qu'on t'écouteras ? Préparer une contre-attaque est difficile et si en plus on ne te prend pas au sérieux ce sera compliqué de l'organiser.

-    Je suis sûre que Marc validera ma proposition.

Je le pense vraiment. Il est digne de confiance et compréhensif.

    La journée s'égraine doucement. On nous apporte notre dîner. Nous mangeons en silence et je me laisse ma conscience prendre le dessus.

    Chaque minute qui passe nous rapproche un peu plus de la menace. Nous sommes tous résistants et recherchés. Je me demande comment le Dirigeant à su pour nous... Et les paroles de Morgan me reviennent en mémoire: "Nous sommes en danger, la base est compromise ! Je savais qu'il y allait avoir quelque chose de ce genre, je savais que la taupe allait agir..." ; "Quelqu'un nous a dénoncé au Dirigeant et cette personne est dans nos rangs..."

    Depuis le début, j'étais au courant mais j'y ai fait abstraction. Il faut que je trouve cet espion et le supprime, nous gagnerons peut-être plus de temps... Je m'étonne encore avec mes propres pensées. Quand ai-je commencé à planifier les meurtres de gens que je ne connais pas. Pourquoi, aussi ? Surtout pourquoi Moi je veux le faire ?
Aucune réponse possible.

    Juliette ne peut pas être cette taupe alors je lui fait part de mon idée.

-    Si tu trouves cette personne, tu la tueras ? De tes propres mains ?

    Je n'ai encore jamais tué personne et je ne veux pas commencer... Mais si c'est nécessaire... Le Dirigeant nous veut, il veut nous voir mourrir et étendre son emprise sur le monde. Il est déjà celui qui gouverne le pays mais il veut être le seul, le tout puissant et je ne peux pas le laisser faire. Ce système a assez duré ! Je ne veux pas que les filles continuent à vivre dans la peur. Je veux qu'elle ai la chance, comme moi, de servir, de travailler pour quelque chose. Elles doivent être libres.

    J'ai envie de me réprimandé. J'ai de très belles pensées mais je reste là, bien au chaud dans une base avec nourriture et eau chaude ! Je ne fais rien, là ! Rien ! "Enfin, tu le remarques ! Alors maintenant tu vas faire quoi, ma belle ?" m'interroge la petite voix.

    Je vais agir et ce soir je vais commencé à me préparer à partir.

-    Juliette, allons voir Marc.

    Elle hoche la tête et je voie quand elle étire un sourire de satisfaction que ces points de suture la font souffrir. Une autre raison pour se battre, je veux éviter les blessés et surtout les morts... Je pourrais bien la guérir mais je n'ai plus aucune force, déjà que j'ai dû puiser dans celles qui me restaient avec Morgan. Maintenant, je suis à peine capable de rester debout tellement je suis éreintée par tout ça !

    Marc s'est installé dans la salle de réunion qui jouxte celle d'entraînement, mais ici la paroi est en brique et non en verre. Ce qui nous laisse un peu d'intimité. Alors que je veux que tout le monde nous entendent pour nous rejoindre.

L'occupant du bureau improvisé est dos à l'entrée assis près d'un pupitre où il doit être en train d'écrire. Nous entrons dans la pièce.

-    Il faut faire quelque chose, lancé-je sans perdre de temps.

Il se tourne et affiche un visage surpris puis s'illumine :

-    Qu'entendez-vous par là ?

    Il ne laisse rien paraître et garde son calme. Je lui réponds avec plus d'assurance, même si ma voix tremble un peu :

-    Je veux aller sur le terrain et arrêter la Garde.

-    Oui, moi aussi ! entonne Juliette.

    Je savais bien qu'elle me suivrait. C'est une battante malgré les apparences.

-    Vous êtes bien ambitieuse et exigeante... Mademoiselle Wilson.

-     Qui le ferrait sinon ?

-    Vous êtes capricieuse.

-    Ce n'est pas un caprice, m'énervé-je. Je veux arrêter les attaques de la Garde, ainsi que le nombre de morts.

-    C'est très beau ce que vous dites mais impossible à réaliser. Que voulez vous faire ?

    C'est la bonne occasion pour lui soumettre mes idées, il est près à m'écouter :

-    Il faut faire évacuer toutes les bases ou du moins les prévenir des attaques.

-    Mais ne croyez vous pas qu'elles le sachent déjà ? Nous ne vous avons pas attendu pour faire notre boulot, mademoiselle.

    Je reste muette, bien sûr, ils y étaient préparés. Je suis une pauvre débutante !

Je bredouille :

-    Je...

-    Ne vous inquiétez pas. Je sais que ce n'est pas intentionnel de votre part. Je suis heureux que vous vouliez entreprendre de telles choses. C'est admirable et si c'est là votre souhait vous pouvez toujours faire partie des infiltrés.

    "Tant pis pour la gueguerre!! Il faut se rabattre sur de l'infiltration... Dommage...", susurre la petite voix. J'ai envie de lui mètre un bâillon pour ne plus l'entendre même si je dois avoué qu'elle dit la vérité.

    Je regarde Juliette, elle acquiesce comme pour me donner son accord.

-    Oui, c'est une très bonne idée.

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