Chapitre Cinquante et un

Je n'y crois pas ! Comment ont-ils fait pour remarquer notre absence si tôt ? À moins que ce ne soit des soldats de la Garde. Oh non... Nous n'avions pas prévus ça avec Rebekah. C'est vrai que le manoir est loin mais ce n'était pas impossible qu'on les croise.

Je souffle de soulagement en reconnaissant Marc s'avancer vers nous en compagnie de Morgan et des trois garçons. Je crois que nous allons passer un mauvais quart d'heure. Je voulais qu'ils l'apprennent bien plus tard, quand nous serions déjà introuvables pour ne pas avoir à voir leur réaction. Malheureusement rien ne se passe comme je le veux. Et j'ai maintenant devant moi, cinq expressions qui ne dévoilent qu'une colère et un mépris intenses. Ils doivent se sentir trahis et ils ont le droit. Ce que nous avons fait est juste impensable, je le sais. Mais j'ai eu l'espoir de retrouver mon frère plus vite à travers la proposition de Rebekah. Tout cela m'a embrouillé l'esprit et j'ai fini par accepter. Ma dispute avec Morgan n'a rien arrangé. Avec cette décision, je pensais le blesser, me venger en un sens, juste par esprit de contradiction. Mais je me rends compte que je n'ai fait que m'enfoncer bien profondément dans un plus gros problème. J'ai fait ça sur un cou de tête qui me convenait au départ. Mais la présence des cinq hommes ne fait qu'accentuer le fait que je me trompais. Je ne veux pas voir la mine de Morgan et pourtant mes yeux se posent instinctivement sur lui. Ces cernes se voient un peu plus et je remarque le léger creux de ses joues. Il n'est vraiment pas en forme, tout comme moi mais je préférais en faire abstraction. Ses yeux ne sont plus éclatants de couleur, ils sont beaucoup plus sombres comme s'ils s'accordaient à son humeur.

La colère n'est pas présente dans ses iris. Elle est remplacée par une immense déception. J'ai envie d'effacer tout ça. J'ai peur quand je le vois dans cet état. Est-ce moi qui ai fait ça ? Sûrement. Je ne peux m'empêcher d'avoir les yeux humides. Je rage contre ma stupidité.

Je suis frustrée de ne pas pouvoir le prendre dans mes bras à cet instant. Je sais que ce n'est pas le bon moment pour faire ça, qu'on vient de se disputer, que je lui ai menti mais je n'arrête pas d'y penser. Pourtant j'ai assez de retenue pour ne pas me jeter sur lui. Je baisse la tête pour rencontrer mes pieds. Ce sont eux qui m'ont amené ici mais ils étaient contrôlés par un cerveau qui ne sait plus ce qu'il veut. J'ai l'impression que chacune des décisions que je prends sont mauvaises. Que je ne peux pas échapper à des drames ou des conséquences que je n'ai jamais souhaité. Je pourrai rejeter toute la faute sur Rebekah parce qu'elle m'a convaincu de la suivre mais non. J'étais la seule qui pouvait choisir, elle n'a rien à voir dans mes décisions. De plus, je suis persuadée que même sans l'aide de la grande rousse, j'aurais quand même eu l'idée d'aller chercher Jules, seule.

Je ne suis pas folle. J'ai juste vu une opportunité dans un champ de désespoir, c'est comme une goutte d'eau en pleine sécheresse. On ne peut pas refuser même si l'eau est toxique.

À chaque seconde, j'ai pensé à Morgan et à ce que je lui faisais en partant chercher mon frère sans lui. Mais je n'avais pas envie que ce soit lui qui me fasse reculer. C'est ridicule, je sais. Mais Morgan commence à prendre bien trop de place dans ma vie et ça me fait peur plus que ça ne me dérange. Je n'ai jamais vécu une chose similaire, je n'ai aucune expérience et je ne sais pas comment agir.

Pourquoi tout doit être aussi tordu et complexe ! J'ai envie de sentir son parfum de nature et en même temps de m'éloigner le plus possible pour que la distance m'aide enfin à l'oublier lui et tout ce qu'il a fait... Je suis nulle. Lui aussi dans un sens. Mais on y peut rien...

Marc reprend la parole :

- Mesdemoiselles, je suis très déçu. Je ne vous pensais pas comme ça. Veuillez nous suivre jusqu'au camp, s'il vous plaît.

L'air à la fois lassé et coléreux de Marc me serre le cœur. Je ne voulais pas leur faire autant de mal. Maintenant ils nous renvoient l'ascenseur. Mais je ne peux pas les laisser m'éloigner de mon frère, je suis catégorique.

Rebekah répond avant moi :

- Non.

- Non ? reprend Marc.

- Nous ne vous suivrons pas. On a assez perdu de temps comme ça. Nous n'allons pas utilisé les prochaines heures pour rentrer mais pour avancer. Vous ne pouvez pas nous empêcher de retrouver ceux qu'on aime, lance-t-elle.

- Je comprends que vous vouliez revoir vos proches mais ce n'est pas le moment !

- Et quand est-ce que ce sera le moment ? Tu ne nous laisses pas agir. On est obligé d'attendre que tu t'entendes avec Hélène pour qu'on puisse faire quoi que ce soit ! Ce ne sont pas de vulgaires problèmes entre vous qui vont nous empêcher de partir sauver les filles et mon frère. Tu n'as aucun droit sur Rebekah ou moi !

Sous la colère, je n'ai même pas fait attention et au final, je l'ai tutoyé, ce qui ne va pas arranger notre cas...

- Tu n'as pas à me parler sur ce ton ! Tu crois que je ne fais pas mon possible ! Et j'ai tous les droits sur toi en tant que père !

Je suis pétrifiée. Le temps s'est arrêté le temps d'une seconde. J'évolue dans un autre monde, tout n'est que flou et blancheur.
Je rêve. Il n'a pas dit ces mots... Non, c'est impossible. J'ai dû mal entendre. Je suis stupéfaite par la violence de ces propos et surtout par sa dernière phrase. Pitié, faites que ce soit mon imagination qui m'ait joué un tour !

Je le fixe, les yeux dans le vide. Lui, mon... Non. Je fais tourner ce mot dans ma tête des centaines de fois mais je n'arrive pas à comprendre sa signification.

Comme réveillée d'un cauchemar, j'ai peur et suis essoufflée par ce qui vient de se produire mais ce n'est pas un mirage. Marc m'a bien dit qu'il est... Je n'arrive même pas à prononcer ce mot...

C'est définitif, je pleure. Je suis devenue un pantin sans vie. Je ne bouge plus et ne vois plus devant moi. Tout n'est qu'imprécision et brouillard. Dans toute cette confusion, je me mets en tête que ce qu'il a dit peut être faux. C'est sûrement une mauvaise blague. Mais non, Marc ne rigole jamais. Il était très sérieux. Depuis combien de temps le sait-il ? C'est pour ça qu'il connaissait tout de moi à mon arrivée au Sous-Noyau ? Me suivait-il ? Pourquoi n'est-il pas revenu à la maison ? Si maman était en vie, elle aurait été détruite en l'apprenant. Ces questions commencent à me donner la migraine alors que le mal avait disparu un peu avant.

Je reste silencieuse et la nature à l'air d'en faire autant. Aucun son ne se fait entendre. J'ai l'impression d'être dans une bulle qui atténue tout les sons mais pas les blessures. Je me sens mal. Je crois que mon estomac est en train de remonter dans ma gorge. Je suis dégoûtée par Marc. Il a mentit pendant plus de quinze ans ! Il a disparu de nos vies en laissant un vide énorme et il n'a pas pensé une seconde à le remplir. J'ai grandit sans père tout comme Jules. Nous ne savons pas ce que c'est qu'avoir deux parents et je n'ai pas envie de le savoir. Notre mère est morte, sa femme, et il n'est peut-être pas au courant mais je vais le lui révéler ainsi que tous les dégâts qu'il a causé pour qu'il voie l'étendue de ses erreurs !

- Tu es parti. Maman ne s'en est jamais remise. Je croyais avoir eu un père honorable qui était mort dans une mine alors qu'il travaillait pour pouvoir nourrir sa famille. Mais non. Tu n'es qu'un lâche et menteur en plus ! Tu n'es pas mon père ! Mon père est mort quand tu nous as abandonné.

Je vais fuir encore une fois mais seulement pour ne plus voir ce montre qu'est mon géniteur ! Mais il me coupe dans mon élan :

- Katelynn, attends, ma chérie.            

Son ton si doux tromperait n'importe qui, mais je ne suis pas n'importe qui, je suis sa fille.

- Appèle moi encore une fois comme ça et...

Je ne préfère pas continuer de peur de ne pas pouvoir tenir mes menaces. Je n'aurai jamais cru que j'aurai une pensée aussi malsaine que celle-ci. Mais les événements de ces dernières semaines m'ont sacrément changée. Je décide enfin de partir. La sacoche claque contre ma jambe alors que j'essaye de trouver une issue. Les environs ne sont qu'arbres et fougères, parfait pour disparaître.

Mais j'ai encore quelque chose à faire. J'y ai trop pensé pour ne pas le faire. Je reviens de suite en arrière et fonce sur lui.

J'agrippe ses cheveux encore une dernière fois et dépose ma bouche juste après sur la sienne. Je l'embrasse comme jamais auparavant. Au moins, j'aurai réussi à le rejoindre avant qu'il ne le fasse comme après toutes mes précédentes fuites. Ce baiser, si bref soit-il, lui montre à quel point je n'ai pas réussi à l'oublier. Je voudrai rester plus longtemps mais ce ne serait pas crédible.

Même seule, je retrouverai mon frère.

Je cours le plus vite possible. Je m'enfonce dans la végétation pour devenir invisible et pouvoir enfin accomplir mon but. Mon cœur se détruit petit à petit, à chaque nouveau pas un morceau s'effondre. À chaque mètres franchis, je m'éloigne un peu plus de Morgan et j'en pleure.

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