Chapitre 9 : L'École des étoiles.


« L'omniscience s'acquiert par l'apprentissage, l'omnipotence par la pratique, et l'ubiquité grâce à un bon jogging tous les matins » Devise de l'École Céleste

On pourrait penser qu'une classe d'apprentis dieux se révèlerait plus disciplinée qu'une bande d'humains boutonneux en pleine crise d'adolescence. Et pourtant... L'un fait clignoter nerveusement son auréole, l'autre pense à une chanson sans contrôler sa télépathie, et le petit-fils de Ganesh s'amuse à plonger sa trompe dans son voisin aquamorphe pour arroser ensuite les plumes et les poils des élèves du premier rang. La divine professeure, dépitée, ne sait plus si elle est dans sa salle de cours ou à une soirée mousse ; elle envoie le farceur perturbateur faire quelque tour de galaxie dans l'espoir qu'il retrouve une once de sérénité.

Si ses élèves sont particulièrement agités, ce n'est pas sans raison : ils présentent à tour de rôle les mondes qu'ils ont créés en binôme. Ézophel et Rajah ont fait une très forte impression avec leur planète bouteille peuplée d'humichons et éclairée par des spores-lumières, entraînant de bruyants débats et d'éclatantes controverses. Au milieu de toute cette effervescence, la professeure attend patiemment le retour au calme. Quand le brouhaha est devenu assez faible pour être qualifié de silence relatif, elle annonce les déités suivantes à passer au tableau :

—Allez, au travail, on n'a que toute l'éternité devant nous. Écoutons maintenant l'exposé de Nataraja et Chronos-Junior

—C'est Chro-J, madame.

L'élève dieu, vexé que la professeure refuse de l'appeler par son blaze, s'avance en roulant exagérément des épaules. Il porte une casquette, à l'envers bien sûr, couverte de motifs de sabliers, de montres, de cadrans solaires, d'horloges, de bougies et de clepsydres. Même ses épaisses lunettes noires sont en forme du temps, et sa lourde chaîne en or évolue sur un spectre à la fois discret et continu.

—Vous êtes prêts ? soupire, la professeure.

Nataraja rejoint son binôme d'une pirouette — chose aisée quand on a des jambes à la place des bras — faisant tinter les milles clochettes accrochées tout le long de sa robe rouge orangée. La douce mélodie explose d'un ré final quand la déesse de la danse réalise un spectaculaire salto arrière juste pour épater la galerie, telle une flamme de passion venue tuer le silence et l'obscurité.

Contents de leur entrée en scène, les deux dieux se tiennent quelques instants face à leurs petits camarades avant d'installer un projecteur multi-sensoriel.

—Nous sommes plus que prêts. Contrairement à un certain môssieur-premier-de-la-classe qui s'est contenté d'une présentation orale, nous avons pris le temps de réaliser un film pour vous faire vivre notre projet.

Chro-J allume le projecteur qui remplit la salle de ses sons, ses images, ses odeurs, comme si les spectateurs se trouvaient réellement au cœur de l'action.

—Madame, on peut éteindre les étoiles ? Elles font des reflets.

D'un claquement de doigt, la professeure fige toute la galaxie qui devient aussi sombre que le néant; au désarroi du dieu à tête d'éléphant qui, toujours puni, ne sait plus où il doit courir.

Le film débute sur un homme plutôt petit, l'air nerveux, les épaules voûtées. Il se tient immobile au milieu d'une immense salle pavée de carreaux noirs et blancs, et porte dans ses bras une pile d'habits. Suivant son regard, un zoom avant se focalise sur le centre de la salle, sur le trône où dort un vieux monsieur avec de grosses bottes en or.

Quelques rires traversent l'assistance à l'apparition grotesque du baron de la péninsule, ainsi que des chuchotements indignés quand il discute avec sa femme de comment se débarasser de leur fille. Puis le grand dadais transporte Hortense au galop sur sa jument; lorsqu'un mystérieux nuage de papillon le ramène sur le chemin qu'il venait de quitter, Chro-J, contrarié, murmure à l'oreille de sa binôme :

—Tu devais couper cette partie au montage !

—Chut ! on en parlera plus tard.

Après quelques flash-backs sur la jeunesse d'un vieillard qui parle à sa mule, une musique épique installe une tension alors qu'une jument leur fonce dessus à toute vitesse ! Par un heureux hasard de circonstance, la jument freine à temps, et le vieillard s'en va avec Hortense lors d'un plan fixe un peu longuet.

Une ellipse montre le grand dadais de retour chez lui, pile à temps pour écouter le sermon d'un prêtre. Il remet ensuite un bout de papier au baron, qui grimace plusieurs fois, avant de regarder derrière, devant et à ses pieds.

Chro-J interrompt alors la projection, redonnant à la salle de cours son aspect d'origine, ramenant les élèves dieux dans leur familière École Céleste. Quand il est certain d'avoir les trois quart de leur attention, il prend la parole :

—J'ai mis le film en pause afin de vous donner quelques précisions. Voyez-vous, Nataraja et moi-même, nous avons décidé de nous répartir le monde en deux continents.

—Quoique mon royaume relève plus de l'île que du continent.

—En tout cas, j'avais carte blanche pour ma partie du monde. J'ai bidouillé des chronotrions, composants essentiels du micro-onde temporel, puis je les ai disséminés sur toute la surface de la terre.

—Toute la surface de sa terre, précise Nataraja.

—Comme j'allais le dire avant d'être interrompu, ces chronotrions modifiés déterminent le vieillissement des êtres vivants en fonction de leurs déplacements. La formule précise est :

Chro-J laisse un peu de temps à ses camarades pour étudier la formule, même si elle est plutôt simple. Puis il enchaîne sans leur laisser l'opportunité de se mettre à bavarder.

— Vous aurez évidemment constaté l'importance de la vitesse : la variation d'âge, ou d'êdâge comme disent les locaux, est, pour une distance fixée, proportionnelle au carré de la vitesse. Parlons désormais du facteur le plus intéressant, la sigmoïde...

Chro-J s'arrête de parler; il n'en peut plus de voir Ézophel agiter son bras en l'air depuis que le film a été mis en pause.

Môssieur-je-veux-parler-même-quand-c'est-pas-mon-tour lève la main bien haut, la secouant frénétiquement de crainte d'être ignoré; hélas, qui pourrait ignorer un tel m'as-tu-vu ? Soupirant plus bruyamment que nécessaire, Chro-J décide d'éviter une crampe à son camarade :

—Oui, Ézophel, tu as une question ?

—Plusieurs, même. Tout d'abord, je n'ai pas pu m'empêcher de constater une intervention divine quand la baronne a prié tes conseils sur le destin de ta fille. Même si ce n'était qu'un tout petit «oui» murmuré à son esprit, je me dois de rappeler qu'une telle ingérence est passible de malus pour la note du projet.

—Les notes, les notes, comme s'il n'y avait que ça dans l'univers... Je suis effectivement très légèrement intervenu, de manière très raisonnable, afin d'aider le film à suivre un scénario intéressant.

—Et le nuage de papillons, c'était aussi très léger et très raisonnable ?

Chro-J, embarrassé, implore Nataraja du regard; mais elle fixe résolument ses pieds. Il est obligé de donner un coup de coude à sa camarade pour qu'elle l'aide à se sortir de ce guet-apens.

—Merci Ézophel pour tes remarques pertinentes, dit-elle d'un ton acide. Nous verrons à la fin pour tes questions : relançons plutôt le film maintenant. En plus, nous allons voyager sur ma tortîle.

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