Sibyllin
Henri était né dans une famille qui ne lui appartenait pas, foncièrement différente de lui, il ne s'y sentirait jamais à l'aise ; alors, il s'en retrouvait solitaire. Antoine ne possédait tout simplement pas de 'parents' au sens strict du terme, sauf quand ceux-ci voulaient interférer dans sa vie, il se qualifierait d'étranger pour eux ; alors, il était devenu indépendant, bien que l'amour d'une mère et d'un père lui manque cruellement. Raphaël changeait radicalement de vie, le destin l'avait obligé à ne plus avoir de meilleur ami, de pilier, il partait de sa maison, ne parlait que peu à ses proches ; alors, il sombrait dans la mélancolie. Liam peinait à s'imposer une place dans ce monde, étant à la fois un barman, un mécanicien, un serveur, un homme de ménage, il représentait n'importe qui et personne ; alors, il passait inaperçu sur terre, et pourtant désespérait d'obtenir un regard chaleureux. Kai aimait les hommes, ses parents se révélaient à la limite de l'homophobie, il adorait la musique et ils la détestaient ; alors, il regrettait d'exister car, sans lui et ses choix de vie, sa famille s'en porterait mieux. En réalité, il s'agissait là d'une évidence : ils se vouaient au malheur et ne pouvaient y faire autrement.
- Bonjour, jeune homme. Je suis la mère de Lucas. Vous allez sûrement trouver cela étrange, mais mon mari et moi apprécierions que vous passiez à la maison. Nous travaillons à domicile, donc vous pouvez venir à n'importe quelle heure. Cordialement. Maryse Duchamps.
Antoine posa bruyamment son téléphone sur la table. Les quelques clients du café silencieux se retournèrent, curieux d'un tel son sourd, et se concentrèrent bien vite à leurs affaires. Le blond vénitien soupira lourdement. Ses épaules s'affaissèrent, et son regard se fixa dans un coin de la pièce, perdu dans ses pensées. L'homme assis en face de lui tendit son bras pour relire le message, et haussa un sourcil. Il rendit ensuite le portable à son possesseur et ne retint pas sa curiosité.
- Qu'est-ce qu'ils te veulent ? s'enquit-il, une moue aux lèvres.
- Je ne sais pas, Ju', mais j'ai pas du tout envie d'aller les voir.
Ledit Ju' n'était autre que Julien, le patient au sourire rectangulaire de Henri. Antoine et lui étaient amis depuis quelques années, s'étant rencontrés au collège. L'aîné quittait la troisième, tandis que le jeunot entrait en sixième. Le blond lui avait toujours servi de mentor. Mais, il s'était aperçu de ses idées sombres, de son dégoût pour la vie. Maintenant qu'il connaissait le deuil et la tristesse, il constatait le désarroi du grisé face au monde et il l'avait donc dirigé vers le psychiatre.
- Je pensais que je n'entendrais plus jamais le nom des Duchamps, ou même de mes...mes amis. Ils ne veulent tous plus se parler, et j'ai respecté leur choix.
- Mais, tu aurais voulu rester en contact, présuma Julien, très justement. Tu aurais aimé obtenir leur soutien et donner le tien. Sauf qu'ils se fuient tous comme la peste, ou du moins ils fuient le souvenir de Lucas.
- J'hésite à rencontrer cette Maryse, parce que j'ai peur moi aussi, comme eux. J'ai peur que Lucas ne cesse de me hanter. Je parvenais, jusqu'à présent, à ne pas trop songer à lui, à nos souvenirs en commun. Maryse Duchamps a tout détruit en un message.
- Et sais-tu comment elle a eu ton numéro ? interrogea subitement le benjamin.
Antoine hocha négativement la tête. Il ignorait tout de cette rencontre. D'un côté, il se refusait d'y aller, pour se protéger, pour ne pas souffrir davantage. D'un autre côté, pour Lucas, il devait supporter sa mémoire douloureuse. Il devait s'y rendre. Peu importe dans quel état il en ressortirait. C'est pourquoi il termina d'une traite son cappuccino goût noisette, suivi de Julien.
- En tout cas, bonne chance ! souhaita le plus jeune. Ne manque pas de m'appeler ce soir. Ou passe à la maison, si tu ne te sens pas bien. Mais, ne reste pas seul. D'accord, mon p'tit soleil ?
Le surnommé opina du chef et ils se levèrent d'un même mouvement, payèrent et partirent chacun de leur côté. Antoine avait cherché au préalable l'adresse des Duchamps et ils résidaient à quelques rues du café, dans le quartier St-Jean. Il sifflota dans l'espoir de se détendre, mais il en augmentait son anxiété. L'inconnu l'angoissait. Il adressa un regard à son étoile semblable et s'en appropria les qualités.
Il arriva promptement en face d'une résidence pour personnes âgées et devant une succession de petites maisons, qui devaient être à un prix abordable. Il s'imagina instantanément Lucas vivre ici et ses yeux s'embuèrent. Il garda néanmoins une mine chaleureuse et sonna au portail. Il s'obligea à maintenir son sourire éblouissant de joie. Ses hallucinations de l'argenté le guidèrent jusqu'à le visualiser en train de danser dans son jardin, heureux comme quand ils étaient ensemble. Son cœur se réchauffa à ces pensées. Puis le portail s'ouvrit, ainsi qu'une porte qu'il rejoignit. Une femme l'y attendait, des cernes sous les yeux, ses lèvres étirées dans un mouvement nerveux, une gestuelle brisée. Une femme qui reflétait tout de la détresse d'une mère endeuillée. Sans réfléchir, Antoine l'enlaça dans une étreinte qui aspirait à apaiser son âme lourde de chagrin.
- Vous devez être Antoine Klein, souffla-t-elle.
Il acquiesça et, se séparant, elle l'invita à entrer. Il s'exécuta et prit place dans le salon, alors qu'elle cherchait de quoi boire. Le père, s'il en jugeait par sa carrure imposante et son aura peinée, vint le saluer et s'assit sur le canapé opposé. La mère ne tarda pas à revenir, accompagnée d'un minuscule canidé excité qu'Antoine caressa distraitement. Elle lui servit un verre de limonade, dans un silence pesant.
- C-Comment avez-vous eu mon numéro ? questionna-t-il, n'empêchant plus sa curiosité.
- Eh bien, tout d'abord, nous souhaitions demander l'aide de notre cher Raphaël, le plus proche ami de Lucas que nous connaissions, mais nous avons appris, après coup, qu'il partait à Nantes. Il nous a transmis de quoi vous joindre, puisque - je cite - vous êtes le soleil des ténèbres.
Antoine, amusé, sourit tendrement à ce surnom. Le départ du benjamin était en fait le dernier message qu'il avait reçu de lui. 'Je pars'. Rien de plus, et il n'avait pas essayé d'en savoir plus. Il se doutait bien que le châtain aurait du mal à rester dans la même ville que celle où son meilleur ami était mort. Toutefois, cette réponse mystérieuse l'intéressa plus encore.
- Pourquoi suis-je ici ?
Le père et la mère se jetèrent un regard, se disputant la place de celui qui devrait parler en premier. Ils semblaient gênés. Ils gigotaient sur leur siège, baissaient la tête et ne regardaient jamais le jeune homme dans les yeux. Ceci eut le don de briser le calme légendaire d'Antoine. Il sentait l'anguille sous roche arriver et ses mains tremblèrent légèrement, signe qu'il perdait sa retenue.
- Il-Il s'agit de notre fille, avoua finalement Maryse. Lola. Nous avons noté un comportement étrange de sa part, depuis longtemps déjà, mais nous pensions qu'elle traversait sa crise d'adolescence, et nous n'avons pas réagi. Elle n'a que dix-neuf ans et... Nous.... Elle...
- Nous croyons qu'elle se drogue. Ou qu'elle boit à outrance. Quoique son problème soit, reprit le père, elle rentre tard la nuit et se lève très tôt pour qu'on ne remarque pas ses états d'ébriété, elle fait partie d'un groupe d'amis suspects, de mauvaises fréquentations. Elle participe de plus en plus à des fêtes. Et elle rentre souvent sans avoir pris un seul de ses cours sur papier. Apparemment, elle aurait tout en tête, mais elle ne réussira jamais avec ces méthodes.
- Nous pensons qu'elle se fait entraîner dans de sombres chemins, continua la mère. Cela a empiré avec la mort de Lucas. Je crains qu'elle ne finisse très mal, si nous ne la sortons pas de ces histoires louches.
Antoine hocha vigoureusement la tête au fil des explications, mais il ne comprenait pas sa présence ici. La décadence de cette jeune fille se révélait bien triste et il reconnaissait là le destin de centaines de jeunes, perdus dans leur vie, qui se laissaient tenter par le mal. Que pouvait-il y faire ? Il ne saisissait vraiment pas la situation et il sentait que les parents tournaient autour du pot. Maryse respira profondément et admit enfin.
- D'après Raphaël, vous travaillez depuis peu au sein d'un studio de danse. Nous pensions à y inscrire Lola. Peut-être que la danse, la passion de son frère, pourrait l'aider à s'en sortir... Et...Et vous seriez un ange, si vous vous occupiez personnellement d'elle. Lui montrer que sa vie ne se résume pas à la souffrance... Est-ce que..? Est-ce que vous accepteriez de la sauver ?
- Je n'ai jamais eu d'amis, Madame, répliqua sobrement Antoine, préservant son fameux sourire. Uniquement des personnes intéressées par mon argent, et celui de ma famille. À Lucas et aux autres, j'ai mis un certain temps pour leur avouer mon ascendant, et leurs regards n'ont pas une seule fois changé. Même lorsque Liam se plaignait de ne pas pouvoir finir la fin du mois, il ne demandait pas mon aide ; ou quand je lui proposais de le dépanner un peu, il me repoussait systématiquement... Je n'ai jamais eu d'amis, Madame, qui n'aient été aussi vrais qu'eux. Voilà tout... Pour Lucas, et pour cette amitié que je déplore grandement, vous pouvez m'envoyer votre fille. Je m'arrangerais pour qu'elle entre dans mon cours.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top