Scission
Nous étions repartis à zéro. Sauf que nos vies tombaient de plus en plus rapidement dans les méandres de l'univers, nous redevenions les Anges déchus qui nageaient vers l'enfer sans pouvoir résister ou répliquer. Avant Lucas, Raphaël maintenait un certain équilibre, il avait un meilleur ami et la danse qui lui apportaient un bonheur inestimable ; désormais, la musique ne suffisait plus et il ne souriait que par devoir. Avant Lucas, Antoine s'ennuyait, il riait pour se divertir lui-même, se convainquait que le monde était génial et que son sol méritait d'être foulé ; désormais, il souriait pour continuer à avancer, pour éviter de regarder en arrière. Avant Lucas, Liam effectuait des travaux à la chaîne, mais il suivait ce rythme infernal de bon cœur ; désormais, il haïssait son existence misérable et souhaitait tout abandonner, ne plus fournir d'efforts. Avant Lucas, Henri fuyait comme la peste ses parents, puis il avait trouvé une nouvelle religion, une nouvelle cause en laquelle croire, celle de ses amis ; désormais, il ne s'accrochait à plus rien. Avant Lucas, Kai agissait tel le débauché ivre d'alcool et de relations charnelles, mais cachait ses faiblesses sous cette façade ingrate ; désormais, il autorisait son masque à disparaître, il déraillait complètement. Nous étions repartis de zéro, mais en pire.
Raphaël éteignit son téléphone après plusieurs appels de ses parents. Ils le contactaient déjà, alors qu'ils avaient passé plus d'une heure à discuter tantôt. Ils s'inquiétaient pour leur fils chéri. Pour la première fois, il prenait le train, seul, pour une destination qu'il ne connaissait pas. Ils craignaient que, lorsqu'il serait arrivé, il ne sache trouver son chemin, qu'il se perde, s'attire des ennuis, ou qu'il panique. Il y a quelques semaines en arrière, il aurait effectivement été effrayé à l'idée de se retrouver dans une ville qu'il n'avait jamais visitée, entouré d'inconnus. Mais, il ne pensait à plus rien, pas même à l'anxiété. Il ne se posait plus de questions qu'il jugeait futiles et il se contentait d'agir. S'il se perdait, il trouverait un moyen de se tirer d'affaire.
- Le train en provenance de...
Il n'écouta pas la suite. Tandis que les autres passagers restaient docilement assis, assimilant les paroles de la voix des haut-parleurs, il se leva brusquement, attrapa à la volée son sac à dos et passa presque sur les jambes de son voisin pour sortir de son siège. La dame irritée qu'il ne lui ait pas fait la conversation de tout le trajet ronchonna, mais il n'en eut cure. Promptement, il prit sa valise et patienta devant les portes coulissantes. Les compartiments se mettaient à peine en mouvement, quand le train s'arrêta, et qu'il s'en éloigna à la vitesse de l'éclair. Il ralluma son portable, reçut les dizaines de notifications de ses parents, et lança son application de géolocalisation dans laquelle il avait déjà entré l'adresse.
Il suivit les indications, écouteurs enfoncés dans ses oreilles pour ne plus entendre le bruit parasite urbain. De la gare de Chantenay au lieu où il devait se rendre, le noiraud n'avait qu'à traverser quelques routes et il parviendrait à une rue où son rendez-vous l'attendait. En réalité, il s'agissait plus qu'un simple rendez-vous, puisqu'il s'apprêtait à rencontrer son colocataire. Ses parents n'ayant pas les moyens de lui payer une maison à Nantes, ils avaient cherché une location ou colocation près de l'école de danse afin qu'ils n'aient pas les transports à rajouter sur ses frais quotidiens. Le quartier où il résiderait contenait de quoi se nourrir avec un magasin grande surface, de quoi se divertir avec des compagnies de théâtre, des cinémas, il pourra même marcher au bord de la Loire. En résumé, Chantenay aspirait à être un quartier de rêve pour lui.
Le jeune homme aperçut peu de temps après le bâtiment qu'il avait repéré, plutôt esthétique, quelques étages, semblant avoir un bon voisinage. Cela lui changeait de sa maison située sur la rocade d'Avignon, où la tranquillité n'était pas souvent présente, et il sourit sincèrement à cette vue. Sa timidité le nouant de nouveau, il sonna furtivement à l'appartement, espérant ne pas s'être trompé. Deuxième étage, porte de droite, il y était.
- Oui ? s'enquit une voix masculine de l'intérieur. C'est pourquoi ?
- Euh...B-Bonjour, je suis ici pour la colocation. Je-Je m'appelle Leclerc, Raphaël Leclerc.
Un son de verrou résonna dans le couloir et une tête blonde se glissa dans la petite ouverture, avant de l'élargir avec un immense sourire. Le benjamin reconnut immédiatement son partenaire d'habitat, puisqu'ils s'étaient envoyés des photographies la veille.
- Pardon pour la méfiance, rassura l'homme devant la mine stressée du brun. Nous sommes dans un quartier de nature tranquille, où il ne se produit aucune action palpitante à raconter aux journaux, mais je n'arrive simplement pas à nettoyer le judas. Je ne comprends pas ce qu'il y a de coller dessus. À cause de la saleté, on ne peut plus voir à travers.
À la suite de ce petit discours, le blondinet lui tendit sa main, que Raphaël attrapa et serra fermement. Nul besoin de se présenter, ils l'avaient déjà fait par messages. Son colocataire se nommait Marco et paraissait surexcité par sa venue. Apparemment, son ancien 'coéquipier' - comme il aimait l'appeler - était retourné dans sa ville natale à la fin de ses études et il se languissait de sa solitude. Subitement, il lui enleva la valise des mains et l'invita gaiement à rentrer. Il lui fit le tour, présenta toutes les pièces en développant les particularités de chacune, puis il lui introduisit sa chambre pour qu'il s'installe.
Seul, le danseur put ranger ses affaires, tel qu'il le souhaita, réinventa une décoration plus personnelle, envoya un texto à ses parents pour qu'ils ne s'angoissent pas, et promit de les contacter ce soir. Il s'allongea un peu, peut-être deux heures défilèrent, mais il regarda inlassablement le plafond. Puis, décidant qu'il devait être un minimum sociable, il rejoignit Marco. Celui-ci préparait à dîner et il se surprit en voyant deux assiettes. Cette attention aimable et banale - ils vivront ensemble les jours à venir, alors ils se feraient souvent à manger l'un pour l'autre - le remplit de tristesse. Elle lui remémora les moments de bienveillance et chaleureux avec sa bande, avec Lucas.
- T'es-tu bien installé ? N'hésite pas à m'indiquer si quelque chose ne te convient pas. Je pense avoir laissé suffisamment de place dans la salle de bain, mais tu peux pousser mes affaires davantage.
- Merci, répliqua-t-il, la gorge soudainement sèche. Il redoutait une énième crise de panique. O-Où sont les verres ?
Le blond pointa un placard et Raphaël se jeta dessus. Il se versa vivement un verre d'eau et le but d'une traite, se calmant peu à peu, respirant correctement. Son colocataire haussa un sourcil, mais choisit de ne pas le questionner. Il ne le connaissait peut-être pas assez pour qu'il lui dévoile sa vie, mais il constatait les ravages du chagrin dans ses yeux. Marco se doutait aisément du passage difficile dans lequel le noiraud était piégé.
- Aussi, rajouta-t-il pour changer de sujet et l'extraire de ses tourments, j'ai listé certains points, ou règles, à respecter afin d'obtenir une cohabitation saine. J'ai inclus les jours de ménage, les courses, les fêtes - j'espère que tu n'es pas un hyperactif qui ramène toujours plein de potes, parce que je tiens à te prévenir qu'il n'existe pas plus casanier que moi ! -, et même les petites amies. Tu devras supporter la mienne longtemps, parce que je ne suis pas prêt à la laisser partir ! railla-t-il, riant de sa propre phrase. Sinon, tu peux venir avec la tienne, si tu en as ou quand tu en auras, dès que tu le souhaites. Par contre, pas de...coïts à la maison !
Raphaël éclata d'un fin rire, qu'il avait voulu retenir, mais qui s'échappa d'entre ses lèvres naturellement. Les mots employés par son aîné l'amusaient beaucoup, mais il se sentit coupable d'apprécier cet instant, alors qu'il aurait dû le passer avec Lucas. Au final, il n'avancerait pas si facilement.
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