Les nuances de ton être

Maintenant que nos vies ressemblaient à quelque chose de décent, nous devions les reconstruire pas à pas. Après la mort de Lucas, nous avions trop rapidement tenté de remonter la pente. Nous brûlions les étapes et nous nous plaignions par la suite d'être tombés plus bas encore, alors que nous nous étions pris une muraille de glace. Au bout de cinq ans, nous comprenions enfin la marche à suivre et nous adoptions donc des comportements qui nous aideraient à aller mieux. L'espoir gonflait notre impatience et nous insufflait la foi de prendre les meilleures décisions possibles. Bien que nous ne soyons plus des enfants à l'époque de notre amitié pure, nous nous révélions insoumis et têtes brûlées, alimentés par une férocité de vivre avec amusement, impétueux et orgueilleux surtout. Fiers coqs, nous présumions qu'il suffisait de rire pour avancer, mais nous avons appris à penser autrement. Nous nous sommes rendu compte de nos erreurs, nous les avons analysées et nous ne les avons plus jamais refaites. En d'autres termes, nous avons grandi, mûri, évolué. Pour notre plus grand confort personnel.

Antoine Klein tapait ses doigts en un rythme régulier et frénétique sur la table en bois récemment peinte et vernie. Encore enroulé dans son fin manteau de printemps, il s'était habillé élégamment, bien qu'il garde un style urbain. Pour une fois, il avait fourni un réel effort pour peigner ses cheveux vénitiens, il avait même brossé ses sourcils. Sa gorge se nouait et il déglutissait avec la plus grande des difficultés. Néanmoins, il n'était pas du genre à angoisser pour une quelconque occasion. Jamais il ne se préoccupait de quoi que ce soit. Mais, pas aujourd'hui. En cet instant précis, il pensait davantage à s'enfuir qu'à patienter sagement. Par ailleurs, il attendait son rendez-vous - et il était habitué aux rencards à cause de ses parents -, mais celui-ci le stressait particulièrement.

Le danseur aspirait distraitement son troisième café de la journée, il n'était que neuf heures du matin. Un bar ouvrait tout juste et il y avait donné rendez-vous à Lola. Ils devaient discuter, en particulier de ce qu'il s'était produit à la soirée, ainsi que de la déclaration de la jeune femme. Une attirance se développait entre les deux et il ne pouvait plus simplement ignorer. Désormais, il fallait identifier la nature de cette attirance. Physique ? Ou plus, bien plus ? Ils connaissaient la réponse, pourtant nul n'osait la prononcer.

Soudainement, une femme pénétra dans l'établissement. Antoine arbora un immense sourire tendre dès qu'il la perçut. Lola sourit en retour, puis elle sembla rougir instantanément. Et l'homme comprit quelque chose. La souple chevelure de Miss Violette avait perdu sa nuance de violet. Elle était redevenue noire, sombre, de jais, sa couleur d'origine, mais des mèches imbibées d'une teinte sanglante se parsemaient dans le décor ténébreux. Ses vêtements outrageux se remplaçaient par une jupe large et longue qui lui arrivait mi-mollet, une chemise blanche légère aux manches retroussées et à légères dentelles, entrée dans son bas, et des talons sobres, moins hauts que ceux habituels. Plus de maquillage extravagant, hormis un trait d'eye-liner, un peu de mascara, un discret rouge-à-lèvres et ses ongles se coloraient d'un rosé timide.

Lola piqua un fard sous le regard analyseur de son mentor, ou meilleur ami, ou autre. Antoine se cogna contre le pied de la table, avant de réussir à se lever et il se retrouva face à elle. Ils se fixèrent un moment, pratiquement en transe. Doucement, il lui baisa la joue et, une main dans son dos, il la guida, tira sa chaise et elle s'assit, lui aussi. Un bref silence s'instaura, qui fut supprimé par la jolie femme.

- M-Mes cheveux. C'est ma couleur naturelle. Sauf les mèches, bien sûr.

- J'aime bien. Cela te sied, mais te change aussi, affirma-t-il.

- Et ma tenue. Je m'habillais ainsi autrefois.

- Tu es très belle, se précipita-t-il d'assurer.

- Merci.

- De rien.

Le café où ils se situaient symbolisait la convivialité. Un peu en dehors de la ville, la nature les entourait. L'atmosphère semblait très épurée. Mis-à part, le marron du bois, tout était blanc. On dirait qu'ils se trouvaient dans le ciel, sur des nuages très loin de la terre. Quelques plantes se plaçaient ci et là. Ils se scrutaient, s'admiraient, et Antoine se stupéfia. Elle brillait. Autant que lui ? Ceci lui arracha un brutal sourire. Elle regardait un point noir, une punaise sur la fenêtre. Elle le regardait ensuite lui. Il tournait son regard dans sa boisson chaude. Son regard tournoyait ensuite dans les iris bleu vif de Lola .

- E-Est-ce que tu m'aimes ? s'enquit-elle, les joues embourbées de gêne, soumise à l'impatience. Parce qu'il faut que je t'avoue une chose : c'est quoi l'amour ? J'en ai aucune idée et je ne veux pas te décevoir.

Elle déclarait sa tirade mi-pressée, mi-bouleversée. Cette situation ne lui paraissait pas normale. Personne ne s'intéressait jamais à elle, puisqu'elle feignait une indifférence maladive. En revanche, Antoine lui saisit la main et il caressa sa paume avec son pouce. Il la rassura immédiatement, et son caractère flamboyant s'envola. Le danseur la calma, tout comme on apaisait un animal effrayé. Il hésita à prendre la parole, mais il se jeta à l'eau. Après tout, il l'avait faite venir pour une raison.

- Je me suis longtemps posé la question, ou plutôt les questions. Est-ce que tu as réussi à me faire tomber pour toi ? Mais, comment le saurais-je puisque je n'ai pas aimé par le passé ? clama-t-il, intimidé, puis se racla la gorge. En fait, ce qui m'a perturbé, c'est que tu incarnes la plus sombre des créatures terriennes et je n'ai jamais autant ébloui qu'à tes côtés... Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Je brille toujours, mais toi également. Est-ce grâce à moi ? Je l'espère.

- Et quand nous dansons ensemble, lui indiqua-t-elle, buvant nerveusement son café.

- Quand on danse, nos mouvements se confondent, ils se parfont, destinés... Ces instants entre toi et moi...valent de l'or inestimable.

Lola comptait finalement pour quelqu'un. Elle se pressentait capable de tout avec lui, parce qu'il serait toujours là, dans son dos, une main la poussant en avant, à l'encourager. Elle y priait de tous ses rêves de jeune femme découvrant les passions brulantes de l'amour. Plus besoin de le dire. Ils s'aimaient bien sûr. Mais, ils ne le confesseraient guère, pas pour l'instant et pas dans quelque temps. Pas utile. Ils s'aimaient, et cette vérité n'était-elle pas suffisante ? Et ils sourirent allégrement. Toutefois, Lola devait encore abandonner quelque chose, elle devait laisser derrière elle une partie de son être, pour qu'ils puissent se baser sur une nouvelle et saine relation.

C'est pourquoi elle bondit sur ses jambes et se rua sur la porte, alertant les autres clients par le claquement de ses talons ; elle sortit. Sans en informer Antoine qui ne sut comment interpréter sa fuite, alors il se figea simplement. Les inconnus autour de lui pivotèrent. Ils le jugeaient d'yeux hypocritement concernés, présumant probablement qu'il venait de briser le cœur d'une pure fille innocente, il passait pour le méchant. Le blond leva un sourcil, défiant quiconque de lui adresser un seul mot. Ils finirent par se retourner gentiment. Le blond en profita pour chercher Lola.

Il ne l'aperçut pas tout de suite. Mais, elle sautillait dehors, sûre de ce qu'elle s'apprêtait à faire, mordillant sa lèvre. Antoine se leva et rejoignit une fenêtre sur laquelle il posa un bras et il la contempla. Bouche-bée, il l'observa se diriger derrière un petit garçon blessé, des graviers ancrés dans son genou éraflé. Tandis qu'elle l'aurait ignoré et passé à côté autrefois, elle lui prit la main, essuya ses larmes et le consola. Elle essaya de soulager sa douleur et souffla sur sa fraiche blessure. De loin, le danseur entendit les rires de l'enfant, il reçut une sensation de béatitude, une bourrasque inhabituellement joyeuse. La mère de l'enfant s'inséra dans ce tableau neuf et elles parlèrent ensemble durant une poignée de minutes, où Antoine distingua le sourire enjôleur de sa noiraude. Lola sembla amorcer un mouvement pour revenir au café, après avoir déposé un délicat baiser sur le front de l'enfant, mais elle croisa le regard de son professeur de danse. Elle lui fit signe de sortir à son tour.

Le temps qu'il paye pour ses commandes et qu'il joigne l'extérieur, Lola avait disparu. Il examina les alentours, mais il ne savait pas où elle se cachait. Peut-être était-elle toujours avec le garçon et sa mère, il se mit donc à les guetter tous deux. Toutefois, Antoine sentit un parfum de bonbon surgir de sa droite, il virevolta dans cette direction. Elle lui tendait une barbe-à-papa, qu'il saisit précautionneusement. Ils se sourirent pour sceller la promesse engagée par Lola ; elle promettait de fournir les efforts nécessaires pour enfin ôter sa veste d'indifférence et redevenir un brin plus chaleureuse.

- Nous n'avons tous deux pas connus ce genre de relation... Une relation entretenue par un véritable couple, ajouta-t-elle.

- Je ne serai pas ton prince charmant, je n'ai nullement l'ambition de prétendre à ce titre ! railla Antoine, d'un sourire éclatant, bien que confus. Je ne te présenterai pas à mes parents, ou j'attendrai le plus tard possible. Je ne te chérirai peut-être pas autant que tu l'attendrais, j'ignore si je serai à la hauteur. Mais... J'ai juste l'envie d'essayer. Je crois que nous méritons de nous y risquer... Non ! en fait, j'en suis persuadé. Nous devons tenter !

- Tu en as mis du temps ; cinq ans, c'est long ! se renfrogna la nouvellement noiraude, avant de l'embrasser chastement et de s'enfuir vers sa voiture, sous le regard attendri de son...petit ami. 

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