Danser pour oublier
Notre rencontre adviendra bientôt et il nous tarde de vous la narrer. Toutefois, avant d'arriver à ce merveilleux moment, il nous fallait tous nous retrouver à un même lieu. Il nous fallait recevoir le message de notre bonne étoile qui nous guidera jusqu'à cet endroit désormais béni par nous, et qui demeurera l'endroit le plus cher à nos cœurs.
Tandis que Kai recommandait un verre de son précieux Trou Noir, Lucas et Raphaël patientaient toujours dans le gymnase. De ce qu'ils avaient compris, le jury se fâchait à propos des récompensés. D'une part, ils n'étaient pas d'accord pour distribuer les médailles. Ils en avaient sélectionné trois, mais se battaient sur l'ordre. D'autre part, ils disputaient la place de la mention honorable, celui qui obtiendra le trophée, celui que tous souhaitaient être.
L'argenté et le châtain étaient sortis un moment dans les jardins pour prendre l'air, accompagnés de certains participants. Ils étouffaient tous dans le bâtiment, pas à cause de la chaleur, mais à cause de l'attente. Aucun ne réalisait pleinement qu'ils pouvaient être pris dans une des meilleures écoles de danse, si ce n'était la meilleure, de France. A n'importe quelle seconde, le jury ayant délibéré, leur carrière aurait assurément un futur. Ce concours se révélait bien plus important que simplement se rassurer dans ses compétences, ce concours représentait une chance d'un lendemain inespéré.
- C'est sûr et certain qu'ils vont te donner la médaille d'or, puis le participant numéro onze aura la médaille d'argent, et le numéro huit sera médaillé de bronze ! s'exclama Raphaël, se mordillant la lèvre supérieure rageusement -sa manie-.
- Non, je ne crois pas, répliqua plus calmement Lucas, bien que son cerveau soit en train de bouillir. Tu seras forcément dans le classement. Ou alors, ils t'offriront la mention honorable. Mais, quoi qu'il en soit, tu as été excellent ; ils sont obligés de le reconnaître.
Contre toute attente, le jeunot tomba sur l'épaule de son aîné, alors qu'ils étaient assis sur un muret. Et, encore plus surprenant, Lucas glissa son bras dans son dos et agrippa son épaule, la frottant vigoureusement pour lui transmettre un brin de son énergie. L'argenté n'appréciait pas du tout les contacts physiques, parfois il les détestait, se sentait mal à l'aise selon la personne. Il octroyait à ses parents des câlins de temps à autre, et se contentait d'une seule bise pour saluer ses rencontres. Seulement, l'inquiétude de son benjamin transpirait par tous ses pores et son être entier quémandait un appui moral. Il produisit donc cet effort, presque sur-humain pour lui, et l'étreignit.
- Messieurs les participants deux et trois, veuillez rentrer, je vous prie ! fit une voix provenant de derrière eux. Les résultats vont être annoncés.
Raphaël hoqueta d'appréhension et, ni un, ni deux, il se dressa sur ses jambes, sauta le muret et pénétra à la vitesse de l'éclair dans le gymnase. Lucas l'observa avec son éternel sourire en coin et ses yeux attristés. Au fond de lui, il se savait extrêmement angoissé, mais il ne réussissait jamais à exprimer ses émotions, peu importe lesquelles. Qu'il soit heureux, énervé, accablé, il demeurait de marbre. Cette distance l'enrageait, car il aimerait aussi prouver à son entourage qu'il les adorait, qu'il était capable de mots d'amour, ou bien qu'il pouvait se rebeller et se mettre dans un état de colère ultime. Or, les paroles se formaient dans son esprit, il prenait une respiration, amorçant un mouvement buccal pour prononcer les fameuses phrases que tous souhaitaient entendre, mais il se taisait. Pourquoi ? Il n'en savait rien. Il paraissait blasé de la vie, comme si plus rien ne l'atteindrait, mais ce n'était qu'une illusion. Au contraire, il se blessait très aisément.
- Pourquoi est-ce que je pense à ceci maintenant ?
Lucas souffla de lassitude envers sa propre attitude, il secoua ses mèches grises et se leva pour reprendre sa place au côté de son ami. Ce dernier trépignait, sautillant d'un pied à l'autre en un rythme imposé par son palpitant. Il passa sa main dans les cheveux souples bruns , ce qui étonna Raphaël, et il cessa immédiatement de bouger, pétrifié par ce geste d'attention. C'était une sensation tellement rare, qu'il ne pouvait que la savourer longuement.
- Avant d'annoncer les gagnants, déclara la danseuse étoile qui s'était mise debout au préalable, vous devez savoir que la remise officielle des prix avec vos familles, amis si vous voulez, et - nous vous prévenons - des journalistes, s'effectuera mercredi de la semaine prochaine. Vous aurez donc les médailles et le trophée ce jour-là.
Ses deux collègues opinèrent du chef et le danseur urbain se saisit d'un bout de papier, un brouillon si on en jugeait par les gribouillis dessus. Il fit racler sa chaise et prit la place de la femme. Tous les compétiteurs blêmirent, sauf Lucas, dont le cœur réalisa un demi-tour bâbord tribord dans sa cage thoracique sans que personne ne le remarque.
- Bien ! Je suppose que vous devez être plus que stressés à cette heure, alors nous n'allons pas faire durer le suspense plus longtemps. S'il vous plaît, participants onze, huit et deux, avancez-vous.
Comme prédit, le onzième et le huitième se trouvaient dans le classement final, mais Raphaël rougit violemment à l'entente de son chiffre. Depuis quand dansait-il si bien pour être un des trois finalistes ? Est-ce qu'il le valait réellement ? Cela signifiait-il qu'il avait obtenu sa place à l'école de Nantes ? À cette pensée, tout son visage se teinta de rouge. Il ne bougeait pas, figé dans son ravissement. Lucas ricana à cette vision adorable et il poussa gentiment son ami pour qu'ils joignent les deux autres.
- Eh bien, Monsieur Leclerc, ressaisissez-vous ! plaisanta le représentant du conservatoire. Vous vous déchaînez sur un air latino sensuel, et puis vous vous transformez soudainement en un petit enfant timide ! Vous cachez bien votre nature.
Il essaya d'enfouir son visage dans son cou, ce qui détendit l'atmosphère. Nonobstant, tous désiraient connaître les résultats et le spécialiste de danse urbaine reprit donc la parole. Il regarda vivement sa feuille pour ne pas annoncer d'erreur, et il libéra l'angoisse de tous en une phrase :
- Participant numéro deux, nous vous donnons la médaille de bronze, mes félicitations ; participant numéro huit, vous obtenez la médaille d'argent, mes félicitations ; et participant numéro onze, vous êtes le gagnant de ce concours et acquérez la médaille d'or, mes félicitations. Bravo à tous et sachez que nous avons été confrontés à une dure délibération. Votre attente en témoigne.
- Et comme promis, rajouta l'homme du conservatoire, nous vous proposons de rejoindre la prestigieuse école de Nantes avec laquelle nous sommes en partenariat pour ce concours.
Et Raphaël pleura. Les larmes semblèrent couler de sa poitrine, tant elles étaient sincères. Il sanglota bruyamment, attirant les regards de tous. Subito-presto, Lucas s'élança et l'enlaça brusquement, le tournant vers lui et guidant son visage sur son torse. Les jurés arborèrent une mine attendrie et les participants durent avouer être touchés par son authenticité. Au travers de ses perles d'eau salée, tous ces mois d'entraînements, de régimes stricts, de nuits agitées par ses peurs d'échouer, tout s'écoula.
- En ce qui concerne la mention honorable, nous avons choisi celui qui aurait dû obtenir la médaille d'or.
La danseuse étoile se hâta de parler pour que Raphaël soit libre de sangloter dehors, à l'abri des regards curieux, mais également parce qu'elle s'apprêtait à clamer une nouvelle décevante. Pour elle, comme pour la personne concernée.
- Participant numéro trois..., hésita-t-elle en soupirant. Lucas Duchamps, je tiens à vous assurer que vous avez été magique, vous m'avez complètement conquise et je suis convaincue de votre talent qui est sans nul doute inné chez vous... Vous auriez dû obtenir la première place, je l'ai exigé... Seulement, nous avons lu votre dossier e-et...et vous avez des problèmes de santé, me semble-t-il. C'est pourquoi j'ai le regret d'être dans l'obligation de ne pas vous proposer une place à Nantes, l'école ne vous acceptera pas avec vos soucis. Ainsi, nous vous offrons la mention honorable pour appuyer ce que nous avons tous pensé de vous : vous êtes un des danseurs les plus épatants et formidables que mes yeux aient été dotés de voir. J'espère que...
Luca n'écouta plus. En fait, il avait décroché à la seconde où il perdit tout espoir d'un futur extraordinaire. Il le savait, il le présageait. Il avait déjà demandé à entrer dans une école de danse et aucun directeur n'avait pris le risque de l'accueillir, lui et sa santé déficiente. Il ne pleura évidemment pas, mais son cœur s'effrita en un milliard de regrets.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top