#Chapitre 9
Ereintée, j'enfile en deux temps trois mouvements mon pyjama – j'ai réussi à échapper à la nuisette ultra « sexy » que me proposait Coralie – puis je m'avachis sur mon lit. J'observe tranquillement la pièce. Dorénavant, ça sera mon « chez moi ». Pendant un temps en tout cas... Je lorgne d'un œil hésitant mon armoire. Enfin, plus exactement ce qui se trouve caché par les portes du placard. Jouer un peu ce soir me détendrait après la pression accumulée tout au cours de la journée... Mais pas ce soir, je suis beaucoup trop fatiguée.
- Toc toc toc ? me parvient doucement la voix de Jaz dans mon dos.
Je lui fais signe qu'elle peut entrer et elle vient prendre place à mon côté. Un petit silence s'installe mais il ne me dérange pas. Finalement, elle me désigne la fenêtre.
- Tu ne fermes pas tes volets ? m'interroge-t-elle.
Je sais, c'est étrange, mais non, j'ai horreur que les volets soient clos. Je ne les ferme jamais et ce n'est pas près de changer. C'est ma seule vision sur l'extérieur et sans elle, je peux très vite me sentir oppressée et claustrophobe. J'ai besoin d'espace, où même seulement d'illusion d'espace, pour être bien. Et l'extérieur m'y aide souvent. Cependant, je me contente de lui répondre par la négative. Le silence retombe sur ma chambre. Fichue sociabilité à deux balles...
- J'espère que la soirée n'a pas été trop rude, déclare enfin ma coloc de chambre.
- Du tout, ne t'en fais pas ! la rassuré-je sans vraiment savoir que répondre à ça.
- Tu sais, Will, commence-t-elle, je ne suis pas très douée pour conseiller et réconforter les gens mais si tu as besoin de parler, je suis dans la chambre à côté.
Elle agrémente son invitation d'un clin d'œil auquel je réponds par un sourire.
- C'est gentil merci, accepté-je sa proposition même si je reste persuadée que je n'irais probablement pas lui parler avant très longtemps, je n'ai pas l'habitude de me confier à qui que ce soit.
Rassurée quant à mon état, elle me souhaite bonne nuit avant de retourner dans sa chambre, me laissant seule avec mes pensées. Bien que sachant pertinemment que je trouverai difficilement le sommeil, j'éteins les lumière, prête à dormir.
Je me réveille en sursaut. Une fois de plus... Je cherche fiévreusement du regard un élément familier dans mon environnement. Dans le noir, je devine à peine le mobilier. Rien ne m'apparaît familier. Où suis-je ? De la main, je tâtonne pour dénicher un interrupteur. Puis la mémoire me revient en même temps que la lumière éclaire la pièce : L'Ecole des Neuf Muses, ma chambre à l'internat. J'expire lentement pour recouvrer mon calme. Il ne faut pas que ces cauchemars deviennent une habitude ! Brûlante, j'ouvre avec brusquerie ma fenêtre. Sans la moindre hésitation, je me hisse sur le rebord. Celle-ci donne une vue directe sur la cime des arbres à peine en contrebas. Le bois, plongé dans la pénombre s'étend à perte de vue jusqu'à la roche dure de la montagne. Aucune étoile n'est visible, une couche de nuages doit les masquer, de même que la Lune est cachée. Pas la moindre source de lumière dehors. Un vent glacé s'engouffre dans ma chambre.
Je déteste ce rêve, toujours le même à quelques variantes près. Pourquoi faut-il que mon cerveau, ce traître, m'oblige chaque soir à revivre ça ? Ne pourrait-il pas plutôt me ficher la paix ? Un frisson me parcourt le dos. Non. Décidément, je veux oublier tout cela.
Pour chasser mes pensées, je me saisis de mon téléphone. L'horloge dessus signale : 4:38. Je bâille à m'en décrocher la mâchoire. J'aurais aimé pouvoir dormir plus longtemps... Cependant l'annonce d'un texto reçu il y a déjà plusieurs heures éveille ma curiosité. L'émetteur indique « Logan ». C'est vrai qu'il m'avait prévenu qu'il avait enregistré son numéro sur mon portable... Je l'ouvre :
« Alors ? Cette première journée a-t-elle déjà fait de toi une horrible gorgone ou penses-tu y devenir une vénérable nymphe ? »
Comment compliquer une question pourtant simple : ajouter des métaphores incompréhensibles ! Je monopolise toutes mes connaissances pour me rappeler des Gorgones. Grâce à un très vieux souvenirs du mythe de Méduse et ses deux sœurs, je parviens à retrouver les créatures : trois êtres malfaisants et envoûtants capables de pétrifier par leur simple regard. Quelle appréciable comparaison...
Je tape rapidement la réponse :
« Mais quel humour Momos ! A mourir de rire ! »
A mon grand étonnement, malgré l'heure tardive, je reçois un nouveau message presque aussitôt :
« Momos ? »
« Dieu du sarcasme et de la raillerie. Et ça veut se la péter avec la mythologie grecque ? »
« Ils avaient vraiment un dieu pour tout, les grecs... »
La conversation retombe doucement. Je pensais même qu'elle s'arrêterait là quand un nouveau texto illumine mon écran.
« J'ai fait des recherches sur l'aéroport comme je te l'avais promis mais cela n'a pas donné grand-chose au final. Sur les caméras de surveillance, seul le visage de « Samia » apparaît suffisamment nettement pour une reconnaissance faciale. Elle s'appelle en réalité Athanase Montlouis, originaire de la Martinique. En dehors de ses notes de bac, son acte de naissance et son attestation de recensement, je n'ai rien trouvé. Un fantôme. Quant à « Jack Merin » alias « Rangers », je n'ai rien pu tirer des images vidéo, il a pris soin de toujours bien dissimulé son visage, et le nom n'a rien donné. Quant à la façon dont ils ont infiltré l'aéroport, c'est du simpliste : un uniforme, un faux badge et le tour est joué. Damien et Géraldine ne les ont même pas croisés, et les images de surveillance ne montraient rien de particulièrement suspect. »
Je le remercie brièvement. Finalement, cela ne m'apprend pas grand-chose en dehors de ce que je savais déjà : les ennemis de mon père ont d'incroyables ressources et ne font pas dans l'amateurisme... Abattue, je laisse tomber mon téléphone sur le lit pour me replonger dans l'observation sombre du paysage qui s'ouvre devant mes yeux.
J'ignore combien de temps je reste là, sur mon rebord de fenêtre mais Jaz finit par toquer à ma porte de nouveau, qu'elle entrouvre avant d'entrer franchement.
- Will ! tout va bien ? s'exclame-t-elle. Il gèle dans ta chambre ! Tu vas tomber malade ! Rentre vite !
Je ne lutte pas, me contentant d'obéir. Ma colocataire s'empresse de fermer ma fenêtre, toujours grande ouverte avant de me regarder bizarrement, mélange d'incompréhension et d'inquiétude. Elle pose alors sa main sur mon front pour prendre ma température. Légèrement excédée, je m'écarte assez violemment.
- Tu es glacée, Will... commente Jaz, toujours aussi perdue. Faut être malade pour rester dehors par cette température ! Qu'est-ce qui t'a pris ?
- Rien, me contenté-je de lui expliquer. J'avais juste besoin de m'aérer
Jaz me paraît peu convaincue mais je préfère l'ignorer. Elle retourne alors dans sa chambre pour se préparer selon sa routine qui semble bien rodée. Je suis son exemple ; je m'habille en vitesse d'une salopette en jean et de mes sempiternelles Converses. Je relève mes cheveux en une queue de cheval assez floue, me munis de mon manteau et de mon sac puis je descends vers le réfectoire, sur les talons de Jaz.
Dans le Patio, nous rejoignons sans surprise la même table qu'hier, et y retrouvons les mêmes gens. Leander est plongé avec sa sœur dans le visionnage d'un appareil photo reflex, la tignasse bleue de Charline est penchée vers Adam avec qui elle discute, Valentin, Liam et Adrian quant à eux nous accueillent avec chaleur. Jaz embrasse son copain avant de s'installer sur la chaise à son côté.
- Alors, Will, m'interroge Liam, par quoi commences-tu aujourd'hui ?
Je sors de ma besace mon emploi du temps.
- Italien avec Monsieur Giovannoti, lis-je.
- Eh, les gars ? hausse-t-il la voix afin de se faire entendre par tout le monde. Y a quelqu'un qui a Giovannoti en première heure ?
Comme un seul et même homme, ils secouent tous la tête négativement.
- Bon, j'ai bien peur que tu sois toute seule pour ta première heure.
- Je crois qu'Elinore est inscrite en italien également mais j'ignore si elle est en même temps que toi, m'apprend Jaz.
Plus qu'à espérer que je ne me perdrai pas et que j'arriverai à l'heure à mon premier cours. Ce serait gênant d'encore me faire remarquer...
Presque autant à l'instinct qu'à la lecture de carte, je finis par trouver ma salle de cours pour mon premier jour, ma première heure. La classe est encore vide, seules deux étudiantes sont déjà installées, penchées sur un magazine. Elles ne se gênent pourtant pas pour ricaner sur mon passage. Malgré le nombre de chaises libres, mon choix se porte sur une table contre la fenêtre au troisième rang. Histoire de patienter jusqu'à la sonnerie, je prépare mon bloc-notes et ma trousse.
Quand celle-ci retentit, un flot d'élèves s'empressent de pénétrer dans la salle. Parmi eux, je ne reconnais qu'Elinore. Elle sourit en m'apercevant. J'espère secrètement qu'elle prenne place à côté de moi. Elle s'avance dans ma direction mais s'installe au bureau devant moi. C'est déjà ça...
- Alors Will, quelles sont tes premières impressions sur les Neuf Muses ?
- Le réfectoire est super cool, complimenté-je. Et je suis plutôt contente que les chambres soient aussi intimes. Je m'attendais davantage à des chambres véritablement partagées.
- Tant mieux ! s'exclame-t-elle gaiement. Tu veux manger avec nous ce midi ?
- Nous ? interrogé-je en réponse.
Elle s'apprête à me répondre quand elle est brusquement interrompue :
- Dis donc, Mérida, t'as pas un peu l'impression de me voler ma place ? proteste une voix bougonne.
- Allons Mat, laisse-la tranquille, intervient Ellie d'un ton réprobateur.
Ledit Mat me surplombe de toute sa hauteur qui avoisine facilement deux mètres. Son T-shirt en dit juste assez sur sa musculature développée. En soit... il est plutôt intimidant. Surtout qu'il me lance un regard noir – au sens propre comme au figuré – attendant que je me déplace.
Je suis partagée : une part de moi se dit que c'est la bonne excuse pour m'installer à côté d'Ellie, l'autre s'oppose formellement à une quelconque capitulation. J'interroge silencieusement ma nouvelle amie qui me répond d'un haussement d'épaules puis tapote la chaise encore vide à côté d'elle. Je rassemble donc mes affaires quand Mat se met à rire.
- Te fatigue pas, tu peux rester là, se moque-t-il de moi. Je ne vais pas te manger pour ça.
Gênée, je relâche mes affaires sur la table. Il s'assoit sur la table voisine en souriant. Bon, visiblement, il se payait juste ma tête et je suis tombée dans le panneau comme une andouille...
- T'occupes pas de lui, me glisse avec un clin d'œil Ellie, il se croit drôle à jouer les armoires à glace mais en réalité, il est pire qu'une maman ourse. Faut juste choisir où tu te places : chez les oursons ou chez les chasseurs ?
- Je suppose qu'il vaut mieux être un bébé ours... ? répliqué-je sur le même ton.
La conversation prend fin aussitôt que le professeur apparaît devant le tableau. Contrairement à ce à quoi je m'attendais, il adopte une allure assez décontractée, vêtu d'un banal jean délavé et d'un t-shirt blanc. Il nous salue brièvement avant de faire l'appel tout aussi vite. Arrivé à mon nom, fraîchement ajouté à la liste, il s'arrête un instant. Je me signale d'un timide geste de la main. Sans plus de formalité, il retourne à son appel. Au moment de commencer le cours, une des deux filles qui ricanaient quand je suis arrivée lève la main.
- Monsieur, peut-être que Windows voudrait se présenter devant la classe ? propose-t-elle en écorchant mon nom, volontairement si vous vous voulez mon avis.
- En italien, Opale, se contente de lui rétorquer le prof.
J'espérais que l'intervention d'« Opale » s'arrêterait là mais visiblement, elle en a décidé autrement :
- Signore, forse Windows vorrebbe presentarsi prima della classe ?
- Opale, interviens-je moqueusement, ripete dopo di me : Willow, W-I-L-L-O-W. Me chiamo Willow, no "Windows". (Opale, répète après moi : Willow. W-I-L-L-O-W. Je m'appelle Willow, pas "Windows")
Elle se tourne vers moi en faisant voler sa queue de cheval derrière elle.
- Ce n'est pas de ma faute si tu as un nom de chien, me nargue-t-elle avec hauteur en repassant en anglais.
- Dixit la fille qui porte le nom d'un caillou, répliqué-je tout sourire.
Elle ouvre la bouche comme choquée par mon audace. Sans doute ne s'attendait-elle pas à ce que je riposte.
- Sale Poissonnière, marmonne-t-elle en se penchant de nouveau sur son bureau.
Je fais mine de ne pas avoir entendu.
- Voilà, déclare le professeur d'une voix forte pour mettre fin au débat. Les présentations sont faites. Nous pouvons donc enfin commencer notre cours. Willow, demande donc à ton voisin de t'expliquer ce que nous sommes en train de travailler.
A côté de moi Mat se retient de rire.
- Y a pas à dire, « Mérida » te va comme un gant, Windows, me taquine-t-il en insistant bien sur mon prénom massacré.
- Euhhh... C'est qui Mérida ? l'interrogé-je, le nom m'évoquant vaguement quelque chose sans que je parvienne à retrouver quoi.
- Mais enfin ! s'emporte-t-il amusé. C'est la princesse dans Rebelle, le Disney ! Sale inculte, va !
Je lui adresse un regard faussement hautain :
- Je ne veux pas être méchante mais tu viens de casser ton image de gros caïd... C'est pas pour dire mais un baraqué qui est fan de princesses Disney, ça fait pas très crédible en fait.
Il penche la tête comme pour accepter la remarque. Il me tend la main :
- Moi c'est Mathias.
- Will, me présenté-je à mon tour même s'il connaît déjà mon nom.
- Mérida te va mieux.
- Soit, si tu veux, capitulé-je en soupirant, un brin amusé malgré tout.
Les présentations faîtes, il entreprend de m'expliquer le thème du chapitre : étude de l'œuvre I Promessi sposi d'Allessandro Manzoni. Heureusement, c'est un livre que mon grand-père m'avait forcé à lire il y a quelques temps. Malgré un souvenir confus, j'arrive sans mal à me retrouver dans les explications du prof et me remémorer l'histoire générale. Mathias, pour qui l'italien est la langue natale, et quelques autres élèvent ont un niveau nettement supérieur au mien mais je ne suis pas non plus dépassée ni à l'oral ni à l'écrit. Mon camarade de table me propose même de me faire rattraper ce que j'ai raté depuis le début de l'année. J'accepte son aide avec plaisir.
Pendant tout le cours, Ellie et sa voisine, une certaine Kaitlynn, passent leur temps à se retourner et plaisanter avec nous. Je pourrais me sentir gênée et légèrement exclue face à leur complicité évidente mais ce n'est nullement le cas. Tous les trois m'intègrent au sein de leur petit groupe à travers des questions, des taquineries et des sujets accessibles à tout le monde comme le cinéma et la musique. Rassurée quant à ce premier cours et ces premiers liens d'amitié qui se créent, je sors de la salle de classe dès que la fin de l'heure a sonné tout sourire. Je m'avance dans le couloir en direction de mon prochain cours. Mais alors que je circule entre les élèves amassés dans les couloirs, mon téléphone m'annonce l'arrivée d'un nouveau message prioritaire :
« Vous êtes demandée au secrétariat immédiatement.»
***
Je vous présente un de mes personnages préférés mais aussi un des plus complexes... Et vous ? vos a priori ?
Léna Gem
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