#Chapitre 8

N'ayant que peu de temps devant moi pour faire tout ce que j'ai à faire, je m'extirpe difficilement de mon lit si confortable, qui semble vouloir me retenir pour un délicieux repos. Je soupire de fatigue. Il est dix-sept heures trente-six ; le repas est dans une heure et vingt-quatre minutes. Ce sera limite si je veux m'installer ce soir. Sans perdre de temps, je m'attèle à la tâche. En premier lieu, je revoie la disposition des meubles – le lit central mange toute la place. Ainsi, je le repousse donc dans un coin. A l'opposée, je place le fauteuil club de façon qu'il soit près de la fenêtre. Pour le reste, ça ira bien. Comme me l'avait annoncé Ellie, je découvre dans mon placard des éléments de décoration offerts par l'Ecole. Je déniche des draps, des rideaux, un tapis et quelques coussins tous bleu mer. J'installe donc le tout à travers ma chambre : le tapis entre le lit et le fauteuil, un coussin sur ce dernier pendant que les trois autres atterrissent tous sur mon matelas, les rideaux à la fenêtre et le plus important : je prépare mon lit pour cette nuit, comme ça ce sera fait. Ensuite, je dispose mes maigres affaires, pour l'essentiel des vêtements qui rejoignent un blaser et une écharpe à l'effigie de l'école dans le placard. Pour éviter qu'il soit endommagé, je range mon violon dans le fond, mes deux seules et uniques paires de chaussures à côté. Mes affaires de cours dans les casiers sous mon bureau, et mes babioles dans ma table de nuit, je m'autorise enfin à souffler. Je regarde attentivement la pièce ; bon, ce n'est pas encore la chambre de mes rêves mais on se rapproche déjà plus de mes goûts. La décoration approuvée, je pioche dans ma penderie une tenue correcte, désireuse de faire bonne impression pour mon premier repas avec tous les autres élèves du lycée, et file dans la salle de bain.

Celle-ci est nettement plus modeste que le reste de la chambre. Elle comporte en tout et pour tout une vasque, un placard suspendu au-dessus du lavabo, des toilettes, un porte serviette et une douche assez spacieuse quand même. Une seconde porte se tient exactement en face de la mienne et une petite fenêtre éclaire la pièce bien que vraiment très légèrement vu l'heure avancée de la journée. Je trouve un interrupteur. Je dépose mes affaires sur les WC, couvercle baissé, et retourne dans ma chambre chercher la serviette que j'ai oublié ainsi que ma trousse de toilette. Je repousse à plus tard le rangement de mes affaires de beauté et me contente d'y piocher gel douche et shampooing.

J'accueille avec plaisir le jet d'eau brûlante qui ruisselle contre ma peau. Je me passe les mains sur le visage dans le but de me détendre un peu. Non pas que j'angoisse mais... En fait si, un peu, je le reconnais : j'angoisse. J'ignore totalement avec qui je vais bien pouvoir manger tout à l'heure. Peut-être Elinore m'acceptera-t-elle à sa table ? Elle a l'air assez gentille derrière ses maladresses ; sans doute comprendra-t-elle ma réserve vis-à-vis de tous ces inconnus et m'intégrera à son groupe d'ami ? Je savoure cette douche chaude tout en me perdant dans mes pensées.

- AAAHHH ! crie une voix derrière moi. J'ai rien vu ! J'suis désolée !

Je sursaute si violemment que je dérape sur le sol glissant de la douche. Dans une chute sans doute des plus gracieuses, je m'écrase contre la porcelaine mouillée du bac et me cogne la tête contre le carrelage murale. Pour couronner le tout, mon flacon de gel douche m'assomme sur le sommet du crâne. Vous voyez les personnages de cartoons quand ils tombent ? Bah je devais avoir exactement la même tête, là, nue comme un vers dans ma cabine de douche devant les yeux sombres mais hilares de celle que je suppose être ma colocataire... Moi qui voulais faire bonne impression, je pense que cette avant-première restera longtemps dans les annales. Je sens le rouge monter à mes joues.

Entre deux hoquets de rire, Jasmine Tarwel me tend la main pour m'aider à me relever. Aussi dignement que la situation me le permet, je me remets sur pied et me saisis aussitôt d'une serviette que j'enroule autour de mon corps. Cette situation est vraiment malaisante...

- Dé-dé-désolée de ta-t'avoir fait-fait peur, s'excuse ma coloc toujours aussi morte de rire au point que des larmes perlent aux coins de ses yeux. On m'avait bien prévenue que tu devais arriver aujourd'hui mais ça m'est complètement sorti de la tête.

Je hoche la tête gênée. Je n'ose pas lui demander mais j'aimerais bien qu'elle libère la pièce pour que je puisse me rhabiller. Devant mon silence, elle comprend d'elle-même.

- Tu voudrais peut-être que je te laisse finir, non ? m'interroge-t-elle compréhensive.

Sans attendre ma réponse, elle retourne dans sa chambre par la seconde porte. Ainsi on se partage seulement la salle de bain et non carrément la même chambre comme je le pensais. C'est plutôt cool, ça laisse un peu d'intimité. Je m'empresse d'enfiler mes fringues, une simple chemise à carreaux vert kaki, beige et blanc sur un jean noir classique. Je me passe un coup de brosse dans les cheveux avant de les relever en queue de cheval approximative. Rien de bien exceptionnel, mais c'est largement suffisant. J'hésite : est-ce que je retourne dans ma chambre ou est-ce que je toque à celle de Jasmine ? Ma décision prise, je retourne finalement dans ma chambre pour me chausser. Si elle veut venir, libre à elle, personnellement je préfère juste oublier cet incident malaisant.

Comme je m'y attendais, Jasmine ne tarde pas à venir toquer. Je lui crie qu'elle peut rentrer et elle apparaît doucement dans l'encadrement de ma porte. Je l'observe plus attentivement : elle est grande et athlétique, la peau couleur pain d'épices. Ses yeux sont d'un doré clair aussi rares que beaux, et ses cheveux longs et ondulés, presque noirs. Elle porte une simple chemise rouge ouverte sur un t-shirt lâche gris et un jean elle aussi. Sa tenue me rassure ; à priori, pas besoin de porter du Jean-Paul Gauthier pour aller manger ! Elle me sourit gentiment mais ne s'approche pas outre mesure.

- Au fait, me dit-elle, j'ai oublié de me présenter... Mes mauvaises manières me perdront ! Bref, je m'appelle Jasmine mais je préfère Jaz personnellement. Ça fait moins... « Ce rêve Bleu... ».

Je ricane à sa plaisanterie. Elle se détend légèrement et je comprends qu'elle craignait presque autant que moi cette rencontre.

- Toi c'est bien Willow, c'est ça ?

Je hoche la tête avant d'ajouter sur son exemple :

- Mais je préfère Will, personnellement.

- Alors bienvenue à l'Ecole des Neuf Muses, Will !

Je la remercie gentiment, ne sachant guère faire quoi de plus. Elle brise alors le silence :

- Et ne t'en fais pas pour l'incident de tout à l'heure, me rassure-t-elle. Je le garderai seulement ancré dans ma mémoire pour plus tard raconter à nos enfants comment Tata Jaz a rencontré Tata Will !

Elle agrémente sa pique d'un clin d'œil.

Wow. On en est déjà au « tata » ? Ça va un peu vite, là...

- Cette anecdote les fera bien rire à mon avis, acquiescé-je avec réserve. Rares sont les premières impressions aussi... mouvementées !

- Ça c'est sûr !

Nouveau silence. Décidément, la sociabilité et moi, ça fait deux... Comment ils font les autres pour faire la connaissance et tisser des liens ? C'est pour moi un mystère... Mystère très pénalisant. Avec une originalité hors du commun, je lui demande très banalement :

- Tu es ici depuis longtemps ?

Whaou Will ! Mais quelle conversation super intéressante !

- Depuis ma sixième année en effet, m'apprend cependant ma coloc sans paraître gênée par la discussion. Je connais l'école et ses habitants par cœur, de chaque élève aux professeurs en passant par les personnes chargées de l'entretien.

Elle observe ma chambre quels instants. Elle donne l'impression de remarquer chaque détail, même infime de la pièce. Après un rapide compliment sur la décoration, elle s'aperçoit de l'heure affichée sur le cadran de mon réveil : 18:52.

- Oh là ! se presse-t-elle. On a intérêt à ne pas tarder si on ne veut pas arriver en retard.

Sur ce, elle retourne dans sa chambre en deux temps trois mouvement, se munie d'un manteau et revient. Elle m'attrape alors par la main pour m'entraîner à sa suite après m'avoir lancé ma propre veste. Elle ferme à clé sa chambre et la mienne avant de courir à toute vitesse dans le couloir. Nous descendons les escaliers quatre à quatre. Une fois dehors, un froid glacial nous accueille. Sans hésitation, Jaz prend la direction du réfectoire. Nous retraversons donc en sens inverse et de nuit le petit chemin de tout à l'heure. Eclairé par les lampadaires, il a presque des airs de conte de fée. Si on ne court plus, nous avançons toujours d'un bon pas.

Très vite, nous nous retrouvons devant le Patio, comme j'aime l'appeler. De nuit, la lumière émane de l'intérieur par de petites guirlandes murales qui confère au réfectoire un esprit estival. A l'intérieur, plusieurs centaines d'autres élèves occupent déjà la plus grande partie. Les tables, d'un esprit « pique-nique luxueux », sont recouvertes de nappe légère et unie, chacune d'une couleur différente. De la belle vaisselle en porcelaine les recouvre. Les tables comportent entre cinq et dix assiettes, ainsi que deux ou quatre plats selon le nombre de couverts. Un lustre géant occupe le centre de la pièce. Je crois que le réfectoire devrait compter parmi mes endroits préférés sur cette île.

- Tu manges avec nous, Will ? me propose Jaz.

J'accepte avec soulagement sa proposition : voilà un problème de réglé ! Je la suis donc à travers le dédale de tables et de gens. Je me sentirais presque comme dans la Tour Babel tellement les nationalités en tout genre se mélangent ; pourtant tout le monde parle anglais mais les accents trahissent les origines de chacun. Jaz se dirige avec aisance jusqu'à une table de dix personnes, déjà presque totalement occupée. Seule trois places sont encore libres. Ma colocataire s'y installe, se lovant presque immédiatement dans les bras de son copain, pendant que je reste bêtement plantée debout devant eux.

- Salut beauté, tu viens te joindre à nous ?

Mon seul réflexe est de papillonner des paupières, dépitée par cette question. Je fixe l'instigateur de la remarque. Les cheveux bruns coupés courts bien qu'on devine qu'ils ont tendance à boucler, les yeux sombres, il m'offre un sourire qui se veut charmeur. Il agrémente sa mimique d'un clin d'œil avant de se lever pour me tirer une chaise. Il m'invite d'un geste du bras ; je reste plantée là. Est-ce que je prends la place qu'il me propose à côté de lui ou je prends le risque de le vexer dès notre première rencontre en allant m'asseoir à côté de Jaz et son copain ? Les deux tourtereaux en train de se câliner m'offrent la réponse que je cherchais : mieux vaut ce dragueur que tenir la chandelle. Les yeux au ciel, je m'installe donc sur la chaise que me désigne le garçon brun. Je m'aperçois qu'une fille aux cheveux bleus lui sourit moqueusement.

- Et bah alors Liam ! plaisante-t-elle. Il faut croire que ton charme ravageur n'a aucun effet sur Willow...Pas trop déçu, j'espère.

Bon, visiblement tout le monde sait déjà qui je suis. Je commence à croire que cette école ne rime pas avec intimité et vie privée... Je ne fais cependant aucune remarque, trop gênée pour oser parler à autant d'inconnus d'un coup, maudite insociabilité !

- T'es jalouse, chaton ? rétorque le prétendu Liam.

- Mupp ! le rabroue la fille aux cheveux bleus. Pour toi et juste pour toi, c'est Charline, ok ?

- Tu diras plus ça le jour où tu finiras dans mon lit, affirme Liam en retour.

Je manque m'étouffer avec mon verre. Comment peut-il parler ainsi ? Charline, donc, ne semble pas le moins du monde choquée par sa remarque.

- Ainsi tu espères que je sois ta première fois, Liaminou ? C'est trop mignon !

- Oh non, chaton ! Moi je veux que ma première fois se fasse avec une fille que j'aime et qui m'aime, pas une fille d'un soir comme toi !

Je veux rentrer chez moi... Trop d'information que je ne devrais pas savoir aussi tôt fuitent déjà. C'est gênant.

- J'assume complètement ma notoriété de mangeuse d'hommes, t'inquiète !

- Charline, intervient un garçon à l'allure sérieuse mais sympathique, épargne-nous les détails de ta vie sexuelle, s'il te plaît. Liam et toi devriez changer de sujet parce que notre pauvre nouvelle amie ne sait plus où se mettre...

Aussitôt sa remarque sortie, je sens le sang me monter aux joues. Décidément, aujourd'hui est une journée rythmée de gêne et de honte !

- Laisse-les, rétorque le copain de Jaz. Je trouve que leur bisbille fait une bonne entrée en matière pour faire connaissance.

Il me sourit gentiment et Jaz m'offre un clin d'œil rassurant.

- T'inquiète Adrían, Valentin a raison, ce n'est pas une façon de se comporter devant une nouvelle venue, concède Liam. Excuse-moi Willow. Tu veux peut-être un peu d'eau dans ton verre ?

Je regarde bêtement mon verre. Je m'aperçois qu'il est vide alors que je le sirote depuis maintenant cinq bonnes minutes pour garder la face. Ah bah bravo, Will ! Tu peux officiellement de caractériser de... crétine ? ridicule ? crétine ridicule ? Je secoue vigoureusement la tête pour redevenir un peu moi-même.

- Quoi ? s'étonne Liam. Tu ne veux pas d'eau ? Ou tu refuses mes excuses ?

Merde. J'ai l'air encore plus bête maintenant...

- Non, non, dis-je enfin. Tu es pardonné et je veux bien un peu d'eau.

Il me regarde perplexe mais prend mon verre pour le remplir de nouveau, peu convaincu par ma réponse. Ne sachant que faire, je décide de l'ignorer. Tous les gens à cette table me fixent quand une voix m'appelle :

- Willow ! clame Ellie en se dirigeant vers moi. Je vois que tu as rencontré ta camarade de chambre ! Et que tu as réussi à te faire des amis ! C'est super ! Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu me le dis, d'accord ?

J'acquiesce malgré la honte suprême qu'elle vient de me provoquer. Je veux disparaître... Rassurée, elle retourne s'asseoir avec ses amis. Le silence s'installe de nouveau quand Jaz décide de l'interrompre :

- Au fait, Will ! que je te présente peut-être tout ce petit monde !

Elle commence ainsi à me faire la liste des gens présents : Ania, Leander, Adam, Valentin, Liam, Charline et Adrian. J'incruste leur prénom dans ma tête dans l'espoir de m'en souvenir demain.

- D'ailleurs, Willow, commence ladite Ania. Mon frère et moi tenons le journal du lycée et on aimerait bien faire un article sur ton arrivée pour un peu te présenter auprès de tout le monde. Tu seras libre de dire ce qui peut et ne peut apparaître dans le journal, on ne fera rien sans ton accord mais ton arrivée relève un peu du scoop. C'est rare qu'il y ait de nouvelles têtes ici en dehors des sixièmes années. Ce serait sympa de pouvoir t'interviewer, si tu le veux bien.

Euhhhhh... Je ne m'attendais pas à ça. J'y réfléchis un moment. L'idée ne me plaît pas des masses mais cela aurait peut-être une influence sur ma popularité au sein de l'école. Si c'est d'usage... Pourquoi pas. Alors bon gré mal gré, j'accepte. Satisfaite, Ania m'offre un large sourire amical.

- Ce sera quel genre de questions ? interrogé-je malgré tout.

- Sur toi, qui tu es, ce que tu fais, ce que tu aimes, ton passé sans trop rentrer dans les détails... m'explique Leander, le frère d'Ania comprends-je.

- Mais peut-être aurons-nous droit à une avant-première, me taquine Charline. Alors dis-nous tout, Willow. On veut tout savoir sur toi !

Trouve un truc à dire, trouve un truc à dire ! Vite !

- Je préfère qu'on m'appelle Will.

Incroyable... Info capital, bravo Will. Je m'aime...

- D'accord, acquiesce-t-elle.

- C'est vrai que Willow fait très nom pour chien, commente Adam.

- Bah au moins mes parents ont eu de l'imagination, Mister Biblique, répliqué-je énervée.

Il est d'une affabilité redoutable, celui-là...

- Mais c'est que poils de carotte s'énerve, en rajoute-t-il.

- Ah ! bah à priori, l'imagination ne manquait pas qu'à tes parents, non ?

- Tu verras bien au fil du temps, affirme-t-il en quittant la table.

Les autres personnes présentes s'échangent des regards choqués. J'aurais peut-être dû me taire... Cependant, je ne regrette rien. Etre sociable, oui. Etre une serpillère, non. Jaz m'offre un sourire rassurant pendant que Charline se lève à son tour pour rattraper Adam. Valentin me regarde avec gentillesse.

- Ne te le prends pas pour toi, Will, me dit-il. Adam est énervé mais ça n'a rien à voir avec toi.

Je hoche la tête. Non pas que ça me préoccupe grandement mais si ça peut m'éviter des problèmes, autant faire fi de l'incident.

Je n'aurais jamais imaginé ma première soirée d'intégration ainsi... 

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Petit tour de table - assez bordélique, j'en conviens ! - pour les présentations. Vos avis ?

Léna Gem

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