#Chapitre 6
Arrivés à l'aéroport de Brest, ce que l'on redoutait arriva. Logan fut obligé de garer sa voiture sur le parking ce qui déjà, l'inquiéta. Il aurait préféré se garer plus près du jet de mon père. Tous les deux plus prudents l'un que l'autre, nous avons traversé le bâtiment jusqu'aux portiques de sécurité où il y avait déjà une certaine queue. Mon compagnon a donc apostrophé un homme qui se tenait le dos droit, les bras croisés, dans une attitude très altière dans son costume sur mesure. Ce dernier l'a écouté un vague instant et dans un mouvement de bras révélant une magnifique montre de luxe, il a appelé deux agents de sécurité. Logan m'a alors fait signe d'avancer.
- Comme nous prenons un vol privé, on est exempté de faire la queue. Une simple fouille intégrale est requise. Tu vas partir avec Mlle.Samia. Je serai dans la pièce à côté, on se retrouve directement à la sortie, d'accord ?
J'acquiesce d'un geste de la tête avant d'emboîter le pas à ladite Samia. Je suis limite contrainte de courir pour la suivre tellement elle marche vite grâce à ses grandes jambes fines. Sa tignasse de boucles noirs sautille gaiement au rythme de sa démarche assurée. Malgré son uniforme de vigile et son gros pantalon, elle arrive à paraître sublime, mise en valeur par le contraste du blanc immaculé de son t-shirt et la couleur pain d'épice de sa peau. A plusieurs reprises, elle se retourne afin de s'assurer que je tiens l'allure et m'attendre si besoin, un sourire bienveillant sur le visage. Je sens pourtant son regard brun me détailler des pieds à la tête, sans doute pour évaluer déjà une première fois si je peux représenter un danger potentiel pour les clients de l'aéroport.
Après quelques mètres, nous arrivons enfin à une salle, tout de blanc et de gris peinte. Elle est dénuée de tout élément de décoration, seulement la froideur de l'utile : un bureau en fer vissé dans le sol, trois chaises dont une également ancré dans le béton sous nos pieds et un banc contre un mur duquel dépasse une longue barre de métal elle aussi.
Je secoue mes épaules pour détendre le nœud d'angoisse qui contracte chacun de mes muscles. Je n'aime pas trop me retrouver seule dans une pièce close – surtout quand ladite pièce à plus des airs de salle d'interrogatoire que de salon de thé – avec une inconnue. Cela dit, je m'enflamme probablement pour rien : Samia ne fait que son boulot et Logan ne m'aurait pas laissée s'il avait pensé que je courais le moindre danger...
- Je reconnais que cette pièce n'a rien d'accueillante et chaleureuse mais ne t'en fais pas, tu ne risques rien, me rassure Samia. Cette salle est destinée aux gros délits : trafique, objets suspects et potentiellement dangereux, menace... Rien qui ne te concerne.
Son sourire et son doux ton amical se veulent rassurant mais je ne parviens à totalement me détendre. Mon instinct de survie me pousse à m'enfuir mais cela risque d'éveiller les soupçons et nous créer des problèmes. Qui plus est, ça ne m'avancera pas à grand-chose... Alors je laisse Samia s'approchait de moi pour commencer sa fouille. Elle me demande d'abord d'enlever ma veste et mon gros pull. J'obéis bon gré mal gré. Elle procède alors par étape : d'abord mon buste, puis mon ventre, puis le long de mes jambes. Je sais que c'est le but mais je me sens particulièrement envahie dans mon espace vital. Elle passe ensuite derrière moi pour vérifier mon dos et ainsi de suite. Je me tends inconsciemment dans l'attente de la suite de sa fouille mais rien ne vient. Alors que je m'apprêtais à me retourner pour savoir ce qu'il se passait, je me retrouve avec un mouchoir sur la bouche et le nez, un bras autour du cou. Je me débats aussitôt. Samia presse encore davantage son tissu imbibé de je-ne-sais-quoi mais sans doute rien de bon, vu l'odeur piquante qui me bouche les sinus. Je ne m'attendais pas du tout à ce qu'elle ait autant de force. Des points noirs se mettent à danser devant mes yeux. Je comprends que si je ne réagis pas vite, je suis foutue. Alors dans un geste désespéré, j'assène simultanément un coup violent dans son genou avec mon pied – j'entends un léger « crack » mais tellement discret que je sais d'avance que la blessure n'est pas bien grave, juste gênante – et un coup de coude dans son torse. Sans attendre, je me libère de son bras pour m'éloigner. La tête me tourne et maintenant que je n'ai plus rien pour me tenir en équilibre, je me sens chanceler. J'ignore ce qu'il y avait sur son mouchoir, mais c'était violent. A travers mon regard brumeux, je m'aperçois que ce n'est plus Samia qui se tient dans la pièce mais l'homme aux rangers de la dernière fois. Je ne songe même pas un instant à me battre, je ne ferais jamais le poids, alors je tente immédiatement de prendre la poudre d'escampette. Pour le désarçonner quelque peu, je lui balance au visage mon manteau et m'élance à tout vitesse vers la porte. J'ouvre celle-ci à la volée, m'engouffre dans le couloir vide. Celui-ci est rempli d'autres portes, toutes semblables à la mienne mais cela me prendrait trop de temps que d'essayer de les ouvrir. Au lieu de quoi, je cours jusqu'à ce qui semble être l'accès aux pistes. J'entends derrière moi que M.Rangers me talonne. Je ne prends pas le temps de surveiller sa progression : je perdrais le peu de distance que j'ai d'avance sur lui et risquerais de me déséquilibrer. Suivant les conseils que mon grand-père m'a transmis à chaque fois que nous sommes descendus de la Petit'Anick, j'allonge ma foulée, calme ma respiration et me concentre sur ma course.
J'approche de la sortie du couloir, il me faut prendre une décision. Je calcule rapidement que je n'ai que deux options : droite ou gauche. A droite, je retourne au milieu de la foule mais la protection y serait moindre ; l'homme aux rangers étant déguisé en vigile, il lui suffirait de crier que je suis dangereuse pour que tout le monde lui laisse libre passage. A gauche... Une idée me vient. Je tourne donc, en direction de l'embarcadère en priant pour que mon plan soit le bon. Je me précipite droit sur la deuxième volée de portiques qui oblige les gens à passer au compte-goutte. Comme je l'espérais, plusieurs autres agents de sécurité se tiennent prêt à intervenir. J'enjambe la petite barrière de tissu qui sert à délimiter le chemin et franchit le portique le plus proche. Comme escompté, l'alarme se déclenche. Se servant de son déguisement de vigile, mon agresseur me suit. Prions, prions...
Je continue donc ma course effrénée, atteint l'embarcadère provoquant une seconde slave d'alarmes. C'est alors que je les aperçois avec soulagement : toute une équipe d'agents de sécurité. Ceux-ci s'interposent entre moi et mon chemin. Je m'arrête nette, soulagée, et fais mine de me rendre... On me passe une paire de menottes aux poignets.
- Je m'en occupe, assure l'homme aux rangers.
Je m'arrête de respirer. Non ! Il ne faut pas que ce soit lui ! Sinon tout mon plan tombe à l'eau ! Une idée, et vite !
Il avance vers moi comme pour m'attraper, mais je me dégage violemment, effrayée.
- Me touche pas, grondé-je puis m'adressant à un autre agent : s'il vous plaît, le laisser pas me toucher... Il... il...
Dans un geste de désespoir, je laisse les larmes couler pour appuyer mon futur mensonge.
- Il a voulu me... me toucher. Enfin, pas comme il... il aurait dû si... si vous voyez ce que je... je veux dire. J'vous suis, pro-promis mais pas lu-lui... S'il... S'il vous plaît.
Un demi-mensonge : il a effectivement voulu s'en prendre à moi même si ce n'est pas dans le sens que pense l'agent à qui je m'adresse. Une jeune agente se propose alors de s'occuper de moi avec une collègue à elle pour être sûre que je ne me dérobe pas à leur soin.
- Elle est plus dangereuse qu'elle n'en a l'air, s'oppose l'homme aux rangers. Elle vous manipule, je n'ai rien fait et vous le savez !
C'est alors que celui qui semble être le capitaine de la brigade intervient :
- Votre nom, Monsieur ?
- Jack Merin, Monsieur.
- Très bien Agent Merin, je vais donc m'occuper moi-même de cette jeune fille, n'ayez crainte. J'éluciderai ce mystère quant à ses accusations.
« L'agent Merin » serre la mâchoire imperceptiblement mais s'obstiner éveillerait les soupçons, et il le sait. Il capitule. Le capitaine m'entraîne donc à sa suite, c'est alors l'estomac noué mais un peu soulagée que je me dirige de nouveau vers les salles d'interrogatoire. Sur le chemin, nous croisons Logan qui ouvre de grands yeux à notre passage.
- Will ? C'est toi qui as foutu ce bazar ? Qu'est-ce qui t'as pris ?
- Ah, bonjour M.Lombardo, répond le capitaine à ma place. Vous connaissez donc cette jeune demoiselle ?
- Oui, je suis chargée de sa protection jusqu'au Jet de M.Santiago. Il s'agit de sa fille.
- Très bien, accompagnez-nous alors.
***
Menottée à la chaise de fer ancrée dans le sol de tout à l'heure, je n'en mène pas large. Je ne cesse de gigoter sur mon siège inconfortable, tandis que le métal des menottes me scie les poignets. Le capitaine discute tranquillement avec Logan à propos des derniers événements et de ceux à venir. Finalement, il me détache de ma chaise mais m'oblige à rester assise. Après qu'il me l'a demandé et un regard interrogateur à mon compagnon, je lui raconte donc ce qu'il s'est passé. Il m'écoute attentivement, Logan aussi. Ses yeux s'écarquillent légèrement quand j'en arrive à ma stratégie de défense bien qu'il n'émette pas le moindre commentaire.
- Cet homme n'était pas celui qu'il prétendait, affirmé-je. J'ignore s'il s'appelle vraiment Jack Merin ou non mais je suis certaine qu'il ne fait pas partie de votre équipe.
- Je l'avais deviné, jeune fille. Ne vous en faîtes pas pour lui, je suis certain qu'après votre petit manège, lui et son amie ont dû quitter l'aéroport fissa. Votre vol aura pris un peu de retard mais tout rentre dans l'ordre. Un peu de paperasse encore et vous pourrez décoller, m'assure-t-il.
Reconnaissante, je soupire de soulagement. Logan s'occupe donc de remplir les papiers requis et de récupérer mon manteau, encore abandonné dans la précédente salle où je me trouvais. Après une salutation rapide, nous sortons finalement pour aller prendre le Jet. Nous nous engageons sur le terre-plein où nous attend un avion de taille ni vraiment grande ni vraiment petite, d'un blanc impeccable comme s'il était lavé tous les jours – cela dit, ce n'est pas impossible... Un escalier aux marches recouvertes d'une moquette d'un effet proche du velours permet de monter à son bord. A son côté, une jeune femme en tenu de pilote se tient droite. Je suis des plus surprise par son jeune âge, elle doit avoir, quoi, dix-huit ans tout au plus ? Et elle pilote déjà ? Moi qui pensais qu'il fallait minimum cinq ans d'études pour piloter... Je tais cependant mes interrogations. Quand j'arrive à sa hauteur, elle me salue d'un geste de la tête en me lançant un solennel « à votre service, Mlle.Santiago. C'est un honneur. » assez gênant. Je la remercie d'un timide signe de la tête. Avant de monter dans la carlingue, je me fige un moment, hésitante. Il me reste une chose à éclaircir avant de partir.
- Tout va bien, Will ? me demande Logan, inquiet.
Je hoche la tête distraitement, à la recherche de mon courage. J'inspire un coup avant de finalement me retourner vers lui.
- Ces hommes qui en veulent à mon père, commencé-je maladroitement, ils sont sacrément dangereux, hein ? Ils ont des ressources bien trop développées pour un simple groupuscule mal-organisé. Ils sont puissants, n'est-ce pas ? Ils ont réussi à nous trouver mon grand-père et moi alors que nous avions passé plus de six mois en mer. Ils savaient exactement où nous accosterions et ils l'ont tué en plein jour et mis le feu au bateau sans sourciller. Voilà qu'ils arrivent même à infiltrer un aéroport et à passer inaperçu auprès de Damien et Géraldine qui devaient contrôler qu'il n'y avait aucun danger...
Pour la première fois depuis que j'ai rejoint mon père et son équipe, on fait preuve d'honnêteté avec moi ; le visage grave, Logan acquiesce.
- Tu sais qui ils étaient ? tenté-je ma chance.
Mon père a refusé de me répondre mais peut-être que son bras droit n'est pas au courant et qu'il me dira la vérité. Mais l'expression contrite de ce dernier me détrompe immédiatement.
- J'ai ordre de ne pas te révéler certaines informations... Je ne suis pas forcément d'accord avec ça mais je n'ai pas le choix. Désolé, Will.
Je soupire.
- Tu peux au moins me dire qui sont « Samia » et ce soi-disant « Jack Merin » et comment ils ont réussi à m'approcher ?
- Là tout de suite, je ne sais pas encore mais je vais jeter un œil au caméra de surveillance, me promet-t-il.
Faute de mieux, j'accepte sa promesse. Après un bref au revoir, je monte dans le Jet paternel.
A l'intérieur, j'hallucine face au luxe de ce Jet. J'ai l'impression de remettre les pieds dans l'hôtel. Pourquoi les gens mettent toujours des trucs moches pour témoigner de leur richesse ? Je ne comprendrai sans doute jamais... L'espace à droite est occupé par une longue banquette de cuir rembourrée en forme de U, une table pour travailler en orne le centre. Un comptoir esprit petit bar se tient dans le coin à gauche et une porte à son opposé, à l'arrière de l'avion, me laisse à supposer qu'il s'agit d'une petite salle d'eau. Je suppose que l'autre mène au cockpit.
D'un geste de la main, la pilote m'invite à m'asseoir. Elle me propose ensuite à boire – uniquement des noms d'alcool ; à croire que mon père n'est pas un adepte du soda... Résignée, j'accepte un panaché – le moins alcoolisé parmi la liste. Elle m'ouvre donc ma petite bouteille à l'aide de la table, avant de me tendre un verre. Je la remercie puis commence les longues règles de sécurités. Enfin je pensais qu'elles seraient longues mais en vérité elles se sont résumées à « rester dans cette partie du Jet, et en cas de problème, appeler l'hôtesse ». Assez simple à mémoriser, ça devrait aller... Sur ces mots, elle s'enferme dans la cabine des commandes pendant que la fameuse hôtesse que je n'avais pas encore remarquée jusque-là – honte à moi... – s'avance pour se présenter. Celle-ci, visiblement un peu plus âgée que la pilote me met déjà plus en confiance. Elle me demande alors d'attacher ma ceinture, ce que je m'empresse de faire.
A mon grand étonnement, le décollage est plus doux que ce que je l'aurais pensé. Moi qui m'attendais à être secouée dans tous les sens, à me sentir nauséeuse à l'envol voire peut-être même tourner de l'œil, j'ai été soulagée de plutôt bien y résister. En dehors d'une légère sensation très brève d'écrasement et d'avoir eu l'impression que mon cœur ne voulait pas suivre le mouvement, tout s'est bien passé. J'ai observé par la fenêtre la piste se dérouler, l'avion accélérer puis se soulever après une annonce très rapide du pilote. J'ai à peine senti le Jet se mettre en branle. Mon hôtesse se contente quant à elle de se tenir à l'aide d'une barre fixée à la paroi de l'avion.
Le décollage derrière nous, je soumets enfin mes questions à mon hôtesse de l'air.
- Oui, Cléo est jeune mais c'est... compliqué dirons-nous, m'apprend-elle, faisant planer le mystère.
Elle se mort les lèvres un instant, comme si elle ne devait pas me raconter mais que c'était plus fort qu'elle. Finalement, sans surprise, elle cède bien vite.
- Je suppose que si l'on va à Sligo, ce n'est pas pour le paysage irlandais alors tu dois connaître l'existence de l'Ecole.
Son insistance sur le mot « école » ne laisse aucun doute sur le sujet de notre conversation. Je hoche la tête.
- Cléo est également allée là-bas. Sauf qu'elle n'a pas réussi à suivre. Dès ses premiers jours, ses résultats se sont mis à chuter inexorablement. Dans cette école, le redoublement est impossible. Alors malgré tout, elle a passé les niveaux. Seulement, lors de ses examens, elle a tout raté.
Elle inspire un grand coup comme si cela était dure pour elle alors que c'est la pilote qui a vécu tout ça.
- Quand on intègre l'île, on découvre des... choses, des secrets que le commun des mortels ignore totalement. Certains ont bien des théories là-dessus mais peu sont ceux qui savent vraiment ce qui se trame dans l'ombre. Alors ceux qui savent... sont obligés de rester dans le cercle des initiés. Impossible d'en sortir mais sans diplôme, on ne peut pas non plus faire partie des élitistes. On se retrouve dans l'entre-deux. C'est ce qui s'est passé avec Cléo. Sans ses examens, elle a été contrainte de trouver un patron membre de l'Organisation et de travailler pour lui, même si elle aspirait à mieux. Heureusement pour elle, ses talents de pilote lui ont permis d'avoir un job bien plus intéressant que ce qu'elle aurait dû avoir. La plupart des non-diplômés deviennent des majordomes, des chauffeurs, des gouvernantes, des cuisiniers, des jardiniers... mais toujours pour un membre de l'Organisation.
- Donc si je comprends bien, une fois qu'on a un pied dedans, on en sort plus ?
- C'est ça.
Je sais que c'est grotesque mais j'aurais juré qu'un vent glacial venait de s'abattre dans l'habitacle en même temps que sa sentence. Si je comprends bien, je me retrouve soumise à deux options : ou je suis capable de tenir la cadence et je m'en sors à bon compte ou alors je ne suis pas assez forte pour cela et je ploie devant l'autorité de ce « cercle ». Cela dit, mon instinct me pousse à croire que dans un cas comme dans l'autre, il me sera impossible de me dépêtrer de cette organisation si secrète. Voilà qui n'augure rien de bon... Décidément, cette Ecole ne présente pas le moindre attrait pour moi. Merci Papa pour cette décision prise sans me prendre en compte...
Blasée par ces informations de plus en plus déprimantes, je lui demande un véritable vers d'alcool. Après une petite hésitation, elle me sert donc un verre de Whisky qui doit sans doute valoir une petite fortune. Je n'en bois même pas une grosse gorgée, j'y trempe à peine les lèvres tellement l'alcool m'arrache la gorge. L'hôtesse me lance un regard désapprobateur, l'air de dire « tu fais pitié pauvre fille ». Mais je m'en moque superbement. Je n'aurais que le réconfort de savoir que mon père vient de perdre bêtement un verre de son Whisky hors de prix... Maigre réconfort.
A peine moins de quatre heures plus tard, une demi-douzaine de panaché engloutie et un ennui profond, j'arrive enfin à destination : la petite ville côtière de Sligo en Irlande. Je me souviens y avoir passé une longue semaine avec mon grand-père lors de notre tour du Royaume-Uni. Nous avions justement commencé par Sligo afin de visiter l'Abbaye essentiellement. Nous avions aussi découvert de nombreux forts, promener dans les grandes étendues verdoyantes surplombants les eaux de l'Atlantique. J'avais adoré les paysages sauvages de la région. Hélas, cette fois-ci, la raison de ma venue est totalement différente à ce voyage. Et son aspect touristique se résume à se balader dans l'aéroport jusqu'à la piste de l'héliport. A la première horloge que je croise, je pense à régler l'heure de ma montre sur le bon fuseau horaire : il est 14h37 à Paris ; 13h37 à Sligo. Mon téléphone s'est quant à lui callé automatiquement sur la bonne heure.
Nous déboulons finalement devant un hélicoptère relativement petit mais à la carrosserie noire rutilante. Les hélices sont à l'arrêt, ce qui m'évite de devoir traverser le champ d'air qu'il y aurait eu si elles étaient en marche. Je m'attendais à un homme en costard cravate pour le piloter mais je tombe des nues (et de soulagement un peu, il faut l'avouer) en découvrant un homme en salopette sous sa doudoune. Les cheveux grisonnants et un large sourire bienveillant, il me salue chaleureusement avant d'aider un employé de l'aéroport à charger mes valises dans l'engin. Sans un « au revoir », Cléo et sa collègue repartent tranquillement vers le Jet de mon père, me laissant seule ici. Une fois mes affaires dans l'hélico, le pilote s'adresse à moi en anglais – maintenant la langue que je vais devoir employer en permanence – pour me donner les consignes de sécurité « ne pas s'attacher avant que le moteur tourne », « brancher le casque correctement aux prises sans le mettre tout de suite sur ma tête », et tralala... Il m'aide ensuite à me hisser dedans. Je me glisse tel un verre de terre tout sauf gracieux sur mon siège et il prend place à mon côté. Il exécute les dernières vérifications nécessaires au départ, met le moteur en route, me fait signe de m'attacher et de mettre mon casque. Une dernière annonce dans son micro pour la tour de contrôle et l'hélicoptère décolle de quelques centimètres, puis d'un mètre et ainsi de suite. Une fois à hauteur suffisante, l'habitacle s'incline légèrement vers l'avant et nous quittons l'héliport.
- Je m'appelle Harold Tellerman, m'apprend-il à travers nos micros et nos casques. Je suis à la fois le concierge et le pilote des Neuf Muses. Nous en avons pour un peu moins de trois heures avant d'arriver à l'Ecole.
Je peux vous dire qu'un trajet en hélicoptère est cent fois plus cool qu'en avion. On avance certes plus lentement et volons plus bas mais la perception est tellement différente ! Tellement plus vivante ! A l'inverse des Jets, l'hélico nous permet de regarder tout autour de nous ou presque. Nous avons d'abord survolé quelques plaines avant d'atteindre les falaises surplombant l'Atlantique. C'est tellement différent de voir un même paysage depuis la Terre que depuis le ciel. A terre, on perçoit davantage les petites choses, la nature avec ses petits détails, ses variétés, ses chemins et ses animaux. Du ciel, on ne voit que la majesté de l'ensemble, la dureté sauvage mais magnifique du relief. J'aurais aimé avoir un appareil photo pour immortaliser ça mais je n'ai que ma mémoire... Alors j'étudie avec attention le paysage qui défile sous mes yeux pour en garder l'image indéfiniment. Abruptement, les plaines sauvages laissent place aux vagues vigoureuses de l'Atlantique qui viennent se fracasser contre la roche des falaises, puis vient l'océan. Bleu vif. Vaste. Majestueux. Infini. J'étais déjà amoureuse de l'océan depuis ma plus tendre enfance mais là, face à cette vision qui s'offre à moi, je me sens immensément petite, encore plus que sur la Petit'Anick et cette sensation me donne de nouveau l'impression d'exister par moi-même. Je redécouvre cette adoration que je cultive envers l'océan et je me sens revivre, comme si un changement immense s'opérait en moi en ce moment même. La tristesse ? La dureté de ces derniers jours ? La pression ? Ma nouvelle école ? Ma nouvelle vie ? Simplement cette nouvelle perception de l'océan ? Je serais bien incapable de vous expliquer la raison exacte de cet état d'esprit qui m'empreint en cet instant mais je me sens d'attaque à affronter ces changements qui ont et vont bouleverser mon existence.
**********
Nous y voilà, dernière ligne droit jusqu'aux Neuf Muses ! Et vous, que pensez-vous de cette mystérieuse école ? Quels secrets cache-t-elle à votre avis ?
Léna Gem
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