#Chapitre 53
Aussitôt, le combat devant nous cesse, laissant un Adam essoufflé et confus ainsi que trois paires d'yeux se planter droit sur nous
- Alors moi, ma jolie, me souffle-t-il à l'oreille, c'est Monsieur ou coach Hartmann, je te prierai.
Mais il obtempère malgré tout. Il fait signe aux hommes cagoulés qui retirent leur vêtement noir. Les visages familiers d'autres étudiants de la section militaire d'Eos me sourient largement. Moi, je vais les buter et leur faire ravaler leurs satanées dents blanches ! Je bouillonne d'une fureur sans nom. Je rejoins le côté de mon coéquipier, pas plus calme que moi.
- Désolé mec, on y est allé un peu fort... s'excuse Ambre en désignant la côte de mon partenaire. Mais bon, tu n'es pas sans reste. Léopold va s'en souvenir longtemps de ce crochet que tu lui as mis...
- Un peu fort ?! s'emporte le frère de Logan. Vous plaisantez ?! C'était quoi ce délire ?! A quel moment vous vous êtes dit que ce serait une bonne idée de nous tendre cette embuscade par les temps qui courent ?! Vous êtes complètement tarés !
- Lombardo, tempère Hartmann sans douceur, baisse d'un ton, c'est moi qui le leur aie demandé.
Nous ne serions pas plus ahuris que s'il venait de nous apprendre qu'il allait épouser une fille. C'est lui qui a manigancé tout ça ? Mais dans quel but ? C'était complètement tordu, comme idée !
Sans se soucier de nos expressions scandalisées, il ordonne aux autres élèves de regagner le dortoir avant de nous inviter à le suivre sur le chemin, en direction de l'abri à bateaux. Mais bizarrement, après le coup qu'il vient de nous faire, je suis réticente à le suivre. Adam semble partager mon sentiment puisqu'il n'esquisse pas le moindre pas en direction de notre entraîneur. A la place, il me scrute attentivement, en quête d'une quelconque blessure sérieuse. Ce serait plutôt à moi de veiller à ce qu'il n'ait rien de casser... Satisfait de son inspection, son regard retombe dans le mien. Ses yeux bleu gris brillent d'une étrange lueur, parfait reflet des émotions qui l'habitent, mélange d'inquiétude, de colère noire et quelque part, au fond de ce puit de métal, d'une douce sollicitude. Nous restons ainsi un moment, sans émettre le moindre son en dehors du souffle haché de nos respirations, exprimant sans échanger un mot notre soulagement réciproque de savoir l'autre en sécurité et relative bonne santé. Un franc sourire finit par poindre sur mes lèvres, qu'il me rend aussitôt.
- Bon, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ? s'impatiente Hartmann.
Les mains sur les hanches, il nous fixe avec un faux air d'impatience, mais un léger tressaillement à la commissure de ses lèvres trahit son envie de sourire.
J'interroge mon partenaire d'un haussement de sourcil. Il hoche la tête d'assentiment puis nous emboîtons le pas de notre coach. Les dents serrées et le poing crispée sur sa côte, la douleur rend chacun de ses pas difficiles, mais cela ne le ralentit pas. Inquiète que le coup qu'il a reçu ne soit plus grave qu'il n'y paraît, je reste à sa hauteur, guettant le moindre signe d'une souffrance trop intense.
- Les jeunes n'y sont pas allés de mains mortes... regrette Hartmann en calant son rythme sur le nôtre. Mais vous vous en êtes plutôt bien tirés. Will, tu m'as agréablement surpris. J'ignore qui te l'a appris, mais joli coup de pied retourné. Adam, même s'ils n'y ont pas mis toutes leurs forces et leur énergie, sache qu'avoir résisté comme tu l'as fait devant quatre adversaires relève de l'exploit et pourtant, tu l'as fait. Tu peux être fier.
- S'il y avait réellement eu un danger, se reproche-t-il pourtant, la voix légèrement sifflante, j'aurais lamentablement échoué. Je serais sûrement mort et je n'aurais pas réussi à protéger Will.
Hartmann ne répond pas immédiatement, choisissant soigneusement chacun de ses mots.
- On croirait entendre ton frère et son besoin incessant de protéger tout le monde... Mais tu as raison. Tu es un excellent combattant, Adam. Sur ce plan-là, je pense que je n'ai plus grand-chose à t'apporter... Néanmoins, tu as encore commis quelques erreurs. Comme ne pas avoir écouté l'instinct de ta coéquipière, par exemple. Etonnamment, Will nous a senti presque immédiatement. Mais tu n'as rien vu alors tu as cru que la nuit lui jouer des tours. La prochaine fois, sois plus vigilant. Vous nous auriez remarqué avant, vous aviez une chance de vous enfuir et Will n'aurait pas couru le moindre risque.
Adam hausse les épaules, piteux, ce qui lui arrache un léger grognement de douleur.
- Par ailleurs, connaissant les capacités de combat de Will et le danger qu'elle court, poursuit l'entraîneur, ton premier réflexe aurait dû être la fuite, et non la confrontation.
- Je lui ai dit de s'enfuir, rappelle l'intéressé.
- Et tu croyais vraiment qu'elle allait le faire ? Qu'elle allait te laisser seul face à cinq adversaires, alors que tu étais déjà en mauvaise posture et advienne que pourra ? Tu l'aurais fait à sa place ?
- Non... confesse le frère de Logan.
- Et vous vous ressemblez plus que vous le pensez, les jeunes, croyez-moi.
Nous poursuivons notre chemin en silence, chacun repensant à ce qu'il vient d'avoir lieu. Même si l'idée était tordue, nous avons appris pas mal de chose grâce à cette mise en scène.
- Quant à toi, Will, reprend notre prof de voile, tu as largement progressé. Tu manques parfois de précisions et de forces, mais tu es rapide et tes réflexes ont été très bons. Comment tu nous as remarqués ?
Je réfléchis un instant à sa question, me replongeant dans mes souvenirs. Le bruit du vent, la chouette, le bruissement des feuilles mortes...
- Je vous ai entendus sans vraiment vous entendre, réponds-je finalement. Il y avait comme... comme une fausse note dans les sons qui me parvenaient. Rien de vraiment anormal, juste le bruissement des feuilles mortes qui sonnaient faux.
Mon explication plonge les deux hommes dans une profonde perplexité, mais je serais bien incapable de mieux leur décrire ma sensation. Hartmann finit par capituler et accepter mon étrange réponse.
- En tout cas, conclut-il, tu es très observatrice et ça, c'est un très bon point. Ça va être très utile pour le projet que je nourris.
Son commentaire éveille en un instant ma curiosité.
- Si j'ai organisé toute cette mise en scène, nous explique-t-il finalement, c'est parce que j'avais besoin de vous tester, ou plus exactement, de tester le fonctionnement de votre binôme et je suis plutôt satisfait. Vous avez l'un comme l'autre eu le réflexe d'assurer les arrières de l'autre, vous êtes restés ensemble même lorsque vous auriez pu vous séparer et j'ai l'impression que vous parvenez à communiquer sans échanger la moindre phrase... bref, vous formez une véritable équipe et c'est tant mieux.
- C'est pour ça que vous vouliez nous voir ? l'interrogé-je.
Enfin arrivés à l'abri à bateaux, qui en réalité, n'en compte aucun, Adam se laisse tomber sur un banc de bois. Notre prof de voile farfouille dans une énorme caisse, en bois elle aussi, pour en sortir un linge blanc qu'il passe sous le robinet avant de me le tendre. Comprenant ce qu'il attend de moi, je sens mon visage chauffer. Par chance, le peu de lumière qui éclaire la pièce masque la rougeur de mes joues.
- Oui et non, m'apprend-il dans un même temps. Will, j'ai entendu quelques bribes dans le bureau du directeur ce matin. Tu as atteint l'objectif fixé par M.De Clermont quant à tes notes et tes performances à Eos, bien qu'encore un peu faibles, sont plus que correctes au vu de ta situation. Il semblerait donc que le directeur ait l'intention de mettre un terme à votre collaboration pour que vous travailliez chacun de votre côté.
- Ce qui signifie plus de cours particuliers, plus de notes conjointes et de travail d'équipe ? relève Adam.
Terriblement mal à l'aise, je m'installe à côté de lui. Timidement, je tends la main vers la fermeture éclair de son manteau sans oser m'en saisir. Plongé dans leur conversation que j'écoute d'une oreille distraite, Adam ouvre son blouson par automatisme.
- En théorie, oui, confirme l'entraîneur. Le projet, ce que l'épreuve de la semaine prochaine serve de transition. Vous ferrez équipe, mais vos résultats ne seront pas communs, l'objectif étant que tu aides Will à obtenir la meilleure note possible pour qu'elle puisse, par la suite, se lancer dans le grand bain d'Eos seule avec le moins de retard possible.
Adam acquiesce. Il tend son bras droit difficilement, les muscles de son visage contracté par la douleur. Avec douceur, je lui retire la dernière manche. Il rabaisse aussitôt son bras. La main tremblante, je me saisis de son T-shirt que je relève lentement afin de ne pas lui faire mal. Mes joues s'enflamment alors que son torse musclé se dévoile peu à peu sous mes yeux.
Will, reste concentrée, ce n'est pas le moment de perdre tes moyens, me fustigé-je mentalement. Prête donc attention à la conversation, elle te concerne !
- On parle de l'épreuve de survie dans la nature ? m'assuré-je pour détourner mon attention de l'immense hématome qui noircit la peau claire de mon coéquipier en-dessous des pectoraux.
Merde, il doit souffrir le martyre ! pensé-je.
- Et donc, reprend Adam, pourquoi le « en théorie » ?
Et re, merde ! je n'ai même pas écouté la réponse à ma question ! Mais j'imagine que oui, on parle de cette épreuve, il n'y a qu'elle de prévue dans l'immédiat... Allez Will, reprends-toi !
- Parce que si vos notes ne seront plus conjointes, sourit Hartmann, rien ne m'interdit pour autant de continuer à vous donner des cours particuliers ! Ou vous, de continuer à travailler en équipe. Je ne vais pas vous mentir ; quand je vous ai mis ensemble pour la semaine de raid, je ne pensais même pas que vous trouveriez un chemin d'entente. Et pourtant, maintenant, vous agissez comme de vrais partenaires. Vous faites partis du même cercle et je sais que vous travaillez avec ses autres membres pour tenter d'en savoir plus sur Octavius et la situation. Au vu de tout ça, je pense qu'il serait vraiment dommage de mettre un terme à votre collaboration.
Prenant mon courage à deux mains, je place délicatement la compresse contre le bleu d'Adam. Il tressaille. Pour la première fois depuis que nous sommes installés dans l'abri à bateaux, ses yeux se posent sur moi, grands ouverts, comme s'il se rendait seulement compte de ma présence et de ce que je suis en train de faire. Horriblement gênée, je cache mes joues sûrement devenues rouge pivoine sous une mèches de cheveux échappées de ma queue de cheval. Il approche sa main des miennes pour récupérer la compresse humide et la maintenir lui-même contre sa peau. N'y tenant plus, je crache avec agressivité :
- Bas les pattes !
Il stoppe son geste en plein mouvement, un sourire amusé au coin des lèvres. Conciliant, il repose sa main sur le banc.
- Par ailleurs, poursuit Hartmann, indifférent à nos chamailleries, si vous acceptez, notre entraînement sera modifié. Nous continuerons partiellement à développer votre condition physique et le combat à mains nues, mais j'aimerais surtout vous apprendre le maniement de certaines armes.
A cette phrase, Adam et moi relevons la tête d'un même mouvement vers notre entraîneur. Le maniement des armes ?! Même les élèves les plus avancés d'Eos n'apprennent pas ce genre de chose. Qu'est-ce qui pourrait pousser notre prof de voile à nous proposer un tel enseignement ?
- Des armes ? répète le frère de Logan.
Nouvel assentiment de notre coach.
- Je n'ai normalement pas le droit, j'en ai bien conscience, concède-t-il. Toutefois, je vous rappelle que nous sommes en guerre et que vous êtes en première ligne. Ne pas vous apprendre à utiliser les mêmes armes que nos adversaires sous prétextes qu'il faut vous préserver ne rime à rien. Si Reka, Guillermo et Ryan avait su comment désarmer quelqu'un muni d'un couteau, les choses se seraient peut-être passées autrement.
Nous acquiesçons d'un commun mouvement. Oui, cela aurait peut-être changé la donne... Mais pour maintenant, il est trop tard.
Hartmann pose sur nous un lourd regard empli de gravité. Une fois sûr d'avoir toute notre attention, il conclut notre entrevue :
- Mais je veux que vous y réfléchissiez grandement avant de prendre une décision. Si vous vous engagez, sachez que ça signifiera aussi que si quelqu'un le découvre, on risque tous les trois de se faire expulsés, que votre entraînement sera long et douloureux et surtout, que je vais vous poussez dans vos pires retranchements, vous poussez à bout jusqu'à ce que vous vous teniez debout sans jamais ciller. Réfléchissez-y sérieusement. On en reparlera après votre épreuve.
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Nous y voilà, on approche du bouquet final ! Prochain chapitre ; le début de la fin ! Impatient ?
Léna Gem
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