#Chapitre 48
- Vic, tu peux me passer le lait, s'il te plaît ? demande Louise en se servant un bol de céréales.
L'intéressée, plongée dans la rédaction de son nouvel article engagé, ne relève même pas la tête de son écran d'ordinateur. Charlotte et Charline, à proximité, tentent toutes les deux de s'en saisir en se foudroyant du regard, mais Sam, le meilleur ami de Louise, est plus rapide. Il se verse trois gouttes dans son café avant de tendre la brique à la plus jeune de la famille Lombardo. A côté d'elle, Logan se tartine un toast tandis que son petit frère est campé près du grille-pain pour fournir l'ensemble de l'îlot central de la cuisine autour duquel nous sommes tous entassés.
- Il reste des croissants ? questionné-je Adam, le plus proche du sachet de boulangerie ramené par Logan quelques minutes plus tôt.
Il tapote le sachet qui s'aplatit sous sa main. Vide. Il hausse les épaules, désolé, avant de pointer son précieux toaster duquel viennent de sauter quatre tranches de pain de mie.
- Tiens, prends le mien, m'offre gentiment Adrien, l'aîné de la famille.
Il dépose son assiette sur laquelle trône la viennoiserie devant moi, sans même me laisser le temps d'esquisser un geste. Surprise, mon premier réflexe est d'interroger Adam du regard. Ses yeux ronds traduisent tout son étonnement. Adam, Logan et Louise m'ont tous les trois tenu à peu de choses près le même discours quant à leur aîné : celui d'un grand frère mettant tout en œuvre pour faire de leur vie un enfer. Pourtant, depuis mon arrivée à Grasse, dans les Alpes Maritimes, Adrien se montre gentil et serviable avec moi. Si le reste de la fratrie ne m'avait pas donné la même mise en garde, j'aurais sûrement pensé qu'Adam avait noirci le tableau...
La surprise laisse place à la suspicion sur le visage de ce dernier. Malgré tout, il m'encourage d'un signe de la tête à accepter le croissant. Notre échange silencieux n'a pas duré plus de deux secondes. Je m'empresse de remercier l'aîné dont un large sourire étire les lèvres. Mal à l'aise, je détourne bien vite mon attention de lui pour me concentrer sur le décorticage de ma pâte feuilletée en forme de demi-lune.
Une fois tout ce beau petit monde servi, nous commençons enfin le petit déjeuner dans une animation joyeuse et très bruyante à cause de nombre de personnes agglutinées dans la cuisine.
- Oh là ! s'exclame une voix ensommeillée depuis l'entrée de la cuisine. Y a trop de jeunesse dans cette pièce, bonjour le coup de vieux ! Je vais retourner me coucher je crois...
- Bonjour papa, l'accueille Louise avec entrain.
Elle lui glisse un rapide bisou sur la joue puis se rassoit. Nous nous serrons tous un peu plus pour laisser de la place au couple de nouveau venus, la mère de famille sur les pas de son mari.
- Et on arrive encore à tous les loger ? s'étonne-t-elle avec humour.
- Difficilement, plaisante Adam sur le même ton. Y a beaucoup de partage de chambre, aussi.
- Et on n'a pas encore les petits enfants... souffle sa mère, faussement épuisée rien qu'à l'idée.
- On les mettra tous dans le grenier, ça fera de l'animation ! décide son mari. On n'a qu'à l'aménager en immense dortoir, on en entassera plus comme ça.
- Xavier ! s'insurge sa femme. Il est hors de question que nos petits enfants vivent ainsi lorsqu'ils seront ici !
- Pourquoi ? réplique, pince sans rire, l'intéressé. Comme en camp de vacances, mais à la maison ! Ils s'éclateront.
Elle lève les yeux au ciel en remplissant un bol de café.
- Au pire, on achètera l'hôtel particulier en haut de Grasse. Il est en vente depuis peu. Avec cinquante-neuf chambres, on pourra en avoir, des petits-enfants !
Elle part dans de longues divagations sur le comment organiser la maison pour que ses nombreux futurs petits-enfants puissent tous avoir une chambre, disposer d'une salle de jeu... Un malaise s'installe sur la génération intermédiaire, pas encore prête à penser « descendance ». Victoire est profondément concentrée sur son assiette, Logan boit de profondes gorgées de jus d'oranges. Louise et Sam, pourtant censés n'être que « meilleurs amis », s'échangent un bref regard avant de retourner chacun à la contemplation de leur petit-déjeuner, surpris d'avoir eu la même impulsion.
- Nous n'en sommes pas encore là, chérie, vole à leur secours Xavier, les mains sur les épaules de sa moitié pour la faire revenir parmi nous. Attendons que Adrien nous ramène une belle jeune femme et que Logan et Victoire soient enfin mariés avant de commencer à penser à notre avenir en tant que grands-parents !
- Oui, oui, bien sûr, s'apaise-t-elle. Nous ne sommes pas pressés.
Le petit-déjeuner se déroule dans la bonne humeur. Xavier et Diane semblent avoir l'habitude que leur maison soit surpeuplée et être heureux que cela soit le cas. « Ça donne de la vie à nos vieux os », comme le dit si bien M.Lombardo. Si sa femme paraît plus froide et distante vis-à-vis de tous ces intrus dans sa demeure, son mari agit avec nous comme si nous étions tous ses enfants, avec chaleur et bienveillance.
Le premier repas de la journée englouti, chacun quitte la table pour vaquer à ses occupations. Logan me fait signe de le suivre pour un entraînement physique, comme l'a demandé mon père. Adam s'apprête à partir de son côté quand son frère le rattrape d'une main sur l'épaule.
- Tu viens avec nous, exige-t-il.
- Mais pourquoi ? proteste Adam.
- Parce que ça ne te fera pas de mal... puis vous êtes un binôme ou pas ?
Bon gré, mal gré, Adam obtempère. Faute d'un terrain adéquat, nous nous installons sur la pelouse humide de givre. En parfaite reproduction de M.Hartmann, Logan nous lance dans un premier footing pour nous mettre en condition et nous réchauffer. Bien que son ton soit plus doux, le frère d'Adam est parfaitement intraitable, ne laisse place à aucune faiblesse. Sans qu'il ait à nous le demander, nous enchaînons, comme une routine inlassablement répétée, par nos pompes et abdominaux. Une fois prêts, nous nous campons face à lui, en attente des prochaines instructions. Une rapide évaluation pour déterminer mon niveau et notre nouvel entraîneur commence sa première leçon sur les meilleures parades pour bloquer des attaques à hauteur de la tête et du ventre.
Les avant-bras hyper sensibles à force et à force de bloquer les coups de pieds et de poings d'Adam, je me remets malgré tout en position une dernière fois, les bras devant moi en bouclier, prête à recevoir l'attaque de mon binôme, bien plus violente que les précédentes. Tous les muscles en tension, je pare le coup qui me provoque un douloureux élancement dans l'avant-bras. Je me mords l'intérieur de la joue pour ne pas crier. Néanmoins, ma tentative pour contenir l'expression de ma souffrance n'échappe pas à Adam qui abandonne aussitôt son masque de combattant pour retrouver son air jovial et plein de sollicitude.
- Désolé, s'excuse-t-il, j'y suis peut-être allé un peu fort... ça va ?
- Oui, oui, t'inquiète. Ça m'a juste un peu surprise, mais la douleur s'estompe déjà.
Pur mensonge. En vérité, mon membre supérieur continue de pulser douloureusement, mais je ne veux pas qu'il s'inquiète ou culpabilise. Pour appuyer mon bobard, je repositionne mes pieds et mes bras avec assurance. Un léger froncement de sourcils ne quitte pas le visage de mon partenaire, mais il se place de nouveau face à moi.
Moins d'une demi-heure plus tard, nous arrête pour de bon.
- Je voulais voir combien de temps tu mettrais avant de demander une pause, Will, mais à cette allure, tes avant-bras seront inutilisables bien avant...
- Ça va, ça va, affirmé-je.
Un brin sadique, il presse légèrement son doigt contre la peau d'un rouge violacé de mon bras, me provoquant une décharge de souffrance. Malgré ma volonté de l'intérioriser, un rictus m'échappe. Mon tortionnaire hausse un sourcil.
- Faire de ton corps une boule de douleur ne t'avancera à rien. Tu as intégré le mouvement, pas besoin de te torturer non plus. On en a assez fait pour ce matin, allons donc mettre de la glace sur tes blessures.
Sans appel, Adam récupère nos affaires avant de le suivre à l'intérieur de la cuisine, maintenant déserte. Logan sort du congélateur deux sacs de glace qu'il me plaque sans sommation contre ma peau brûlante. La fraîcheur m'arrache un frisson, mais déjà le froid apaise quelque peu l'irritation.
- C'est mieux, non ? me lance-t-il avec un clin d'œil.
- Merci...
Il regarde rapidement l'horloge avant de nous servir à tous un verre de soda. Pour ne pas briser le calme reposant, nous sirotons nos boissons dans un doux silence. Logan met un peu d'ordre sur le plan de travail, comme pour s'occuper les mains tandis qu'Adam, pile électrique, gigote sur son tabouret.
- Mon père t'a parlé d'une lettre qu'il a reçu à Noël ? demandé-je avant de réfléchir.
Logan se fige instantanément, le doute s'imprimant imperceptiblement sur ses traits, avant de retrouver son attitude en apparence détendue, comme s'il n'avait pas compris à quoi je faisais référence. A côté de moi, Adam, parfaitement concentré, a cessé de se tortiller sur son siège, très intéressé par la soudaine conversation.
- Il me parle pas trop de son courrier, tu sais Will ? élude son frère. Pourquoi voudrais-tu qu'il m'en parle ?
- Parce que je suis convaincue que ça concernait Octavius, affirmé-je, et qu'en tant que bras droit, il t'en a sûrement parlé...
Il hausse les épaules.
- Ton père est loin d'être aussi transparent que tu le crois avec nous vis-à-vis de toute cette histoire... m'avoue-t-il avec lassitude.
Le doute sert mes entrailles. Mon père a des secrets, ce n'est pas une surprise, mais qu'il cache des choses jusqu'à son bras droit ne fait que réconforter ma méfiance grandissante à son égard. Son comportement me paraît de plus en plus louche. Ça, ajouté à la conversation du bal de Noël, mes soupçons ne cessent de croître...
- Mais t'en as reçu une, toi aussi, intervient Adam, les sourcils froncés par la réflexion.
Logan le foudroie du regard, réaction qui ne fait qu'accroître ma curiosité – et celle de mon binôme.
- Et donc ? tente-t-il de s'esquiver.
- Et donc il est fort probable que la teneur du message soit plus ou moins la même.
- C'est une possibilité, mais si Jon n'a pas jugé bon de t'en parler, Will, c'est que c'est mieux ainsi...
Il secoue la tête, contrit avant de quitter la pièce. Mais Adam lui emboîte le pas.
- Peut-être, mais toi, tu peux me faire lire la tienne, rétorque-t-il avec entrain.
- Adam... le réprimande son frère.
- Sérieusement, s'apaise mon binôme, j'ai bien vu comment tu as réagi en lisant cette lettre.
Logan fronce les sourcils, en une question muette qu'Adam devine sans mal.
- Tu es peut-être un des meilleurs éléments du père de Will, mais tu n'arriveras jamais à tromper ton frangin préféré, te fatigue pas ! explique-t-il, content de lui.
Une moue dubitative tord le visage du bras droit de mon père.
- Pour en revenir au sujet, insiste mon partenaire, j'ai remarqué la rage et le mélange de peur qui t'habitaient. Et M.Santiago en reçoit une lui aussi, de la même façon que toi ? Alors oui, je rejoins l'idée de Will qu'Octavius doit y être mêlé... S'il te plaît, dis-moi ce que contenait cette fichue lettre.
Il plonge son regard de glace dans celui de son aîné, en un puissant échange silencieux que seuls deux frères extrêmement soudés sont capables de comprendre. Puis finalement, les épaules de Logan se relâchent.
- Des menaces. La lettre ne contenait que de banales menaces, rien de plus.
- Mais encore... ?
- Il menace de s'en prendre à la famille si je continue de travailler avec Jonathan, et tout particulièrement à Victoire et toi.
Mon binôme hoche la tête, grave, plein d'une rage partagée par son aîné.
- Tu comptes démissionner ? interviens-je, intimidée par la force que dégage les deux hommes.
- Certainement pas ! s'exclament-ils en chœur en se retournant d'un même mouvement – un peu flippant – vers moi.
- Ton père a besoin de moi, reprend Logan plus calme, mais déterminé. Par ailleurs, ce n'est pas faire profil bas qui va tous nous mettre en sécurité. S'il prend la tête de l'organisation, on va tous subir les conséquences de sa soif de pouvoir intarissable. Actuellement, il veut diriger l'Europe. Mais une fois que ce sera fait, qu'est-ce qui nous dit qu'il ne cherchera écraser les Américains et les Asiatiques ? Tu imagines la guerre mondiale que cela engendrerait ? Personne ne s'en sortirait à bon compte. Non, le seul moyen de mettre ma famille en sécurité, c'est de battre Octavius.
Je médite un instant ses paroles. Il semble accorder une foi inébranlable en mon père et en l'Organisation d'Athéna. Mais peut-être ignore-t-il le secret que cachait la conversation du bal ? Comment savoir ?
- Puis ce n'est pas comme si Adam et Victoire étaient des victimes faciles, loin s'en faut, reprend-il plus léger. Je refuse de céder à ce pitoyable chantage, c'est hors de question. Et si ton père a reçu le même message, je doute qu'il en soit autrement pour lui.
Effectivement, j'en suis également persuadée. Même sans le scénario catastrophe dépeint par Logan, mon père est bien trop fier pour se laisser intimider par de simples menaces et encore moins pour ployer devant Octavius... Non, il refuserait catégoriquement de céder, il serait même prêt à tout pour avoir le dessus sur son ancien filleul. Et c'est justement ça qui m'inquiète : jusqu'où irait-il pour l'emporter sur lui ?
Néanmoins, je me vois mal aborder le sujet avec Logan qui semble avoir une confiance absolue en mon père. Alors à la place, je me contente d'un banal hochement de tête qui signe la fin de la conversation. Notre entraîneur temporaire nous salue avant de partir rejoindre sa fiancée, en train de lire sur le canapé. Avec une douceur insoupçonnée, il passe son bras autour d'elle avant de gentiment l'embêter à coup de légers baisers afin de l'extraire de sa lecture. Bien qu'elle râle, Victoire s'illumine instantanément à son approche et répond vigoureusement à l'appel de ses lèvres.
Devant ce spectacle plein d'ardeur que nous offrent les deux tourtereaux, Adam et moi échangeons un regard gêné avant d'éclater de rire.
- Je te propose de laisser ces deux animaux à leur petite affaire... commence-t-il.
- T'as un problème la crevette ? l'interrompt son frère, un sourire dans la voix, sans pour autant interrompre leur échange de baisers passionnés.
L'intéressé lève les deux mains devant lui, faussement défensif :
- Non, non ! affirme-t-il sur le même ton. Je me faisais juste la remarque que vous pouviez faire ça ailleurs que dans le salon...
- Il a raison, approuve Victoire, moqueuse, on est en train de choquer les gamins, là ! On ne devrait pas faire ça devant eux avant leur majorité, ça pourrait les traumatiser de voir des adultes s'embrasser... C'est notre rôle à nous de préserver leur innocence, chéri.
- C'est vrai. Allons faire ça dans l'intimité de notre chambre... l'invite ce dernier d'une voix pleine de promesse.
A ce mot, il lui tend sensuellement la main pour l'entraîner vers la destination promise.
- Oh ! avec joie, mon amour... minaude Victoire à son tour. Je m'impatiente déjà...
Leur regard empli de désir se croisent tandis qu'ils se lèvent tous deux du canapé, main dans la main et mus d'un enthousiasme mutuel certain. Devant la tension commune qu'ils dégagent l'un envers l'autre, je sens mes joues rosir de gêne. Alors qu'ils passent devant nous, je ne peux m'empêcher de baisser la tête pour cacher mon embarras.
- Oh mon dieu, Logan ! s'écrie alors Victoire, on a vraiment choqué Will !
Elle peine à cacher son amusement alors qu'Adam, lui, ne se prive pas d'éclater de rire. Quant à Logan, il semble soudain penaud.
- Désolé Will, s'excuse-t-il maladroit. On ne voulait pas te mettre mal à l'aise, c'était pour plaisanter...
Honteuse de mon propre trouble et de l'attention qu'il suscite, je m'empresse d'assurer que tout va bien avant de les pousser à « poursuivre leur petites affaires » à mon plus grand étonnement. D'ailleurs, leur regard déconfit laisse à supposer qu'ils sont aussi surpris que moi de mon invitation.
- D'accord, approuve le bras droit de mon père maintenant aussi embarrassé que moi.
Le jeune couple grimpe les escaliers rapidement avant de disparaître au coin du couloir. A côté de moi, Adam se marre toujours.
- C'est bon, t'as fini ? attaqué-je pour détourner son attention de mon malaise.
- J'adore traîner avec toi ! s'exclame-t-il un immense sourire aux lèvres. T'as toujours des réactions improbables, c'est à mourir de rire !
Fidèle à notre petit jeu habituel, je lui lance un léger coup de poing dans l'épaule.
- Le prends pas comme ça, s'amuse-t-il encore. C'était sincère !
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