#Chapitre 40

Je ne dois ma survie qu'à un vif réflexe désespéré. Alors que son poing allait entrer en collision avec ma tempe, je me suis faufilée sous son bras d'une contorsion très approximative. La main sur son poignet, je tente de lui faire une ridicule clé de bras, mais Ambre se libère d'un geste sec, manquant de m'entraîner avec lui par la même. Nous nous éloignons l'un de l'autre pour nous observer en chien de faïence, ce qui me laisse le temps d'observer un peu plus en détail mon adversaire.

Terriblement grand, chacun de ses muscles semblent avoir été travaillés avec soin pour maximiser ses performances. Une seule de ses enjambées suffirait à avaler l'espace entre nous et ses mains sont proportionnelles au reste de sa taille : immenses. Il pourrait sûrement m'écraser le crâne d'une seule paluche tellement elles sont larges et puissantes.

Bien qu'il soit loin de la technique presque féline d'Adam, tout en vivacité et souplesse, Ambre se déplace rapidement même si sa stature l'encombre et le ralentit légèrement. Tandis qu'il me tourne autour, je remarque qu'il s'appuie davantage sur son pied droit alors qu'il est gaucher. En étudiant davantage sa démarche, je comprends qu'une blessure légère le gêne.

Avec une vitesse fulgurante, il repart à l'assaut, en visant mon ventre ce coup-ci. D'une torsion du bassin, j'évite in extremis son attaque, mais il enchaîne par une balayette. Par réflexe, je saute par-dessus sa jambe tendue, mais trop tard : je plonge mains en avant. Je me réceptionne d'une roulade bancale avant de me redresser. Sans me laisser le moindre répit, Ambre revient à la charge, visant une nouvelle fois ma tempe. J'esquive, me place derrière lui et frappe de toute mes forces son genou endolori. Il ploie légèrement, mais ne tombe pas. Au lieu de quoi, il me décoche un violent coup de coude que je reçois en pleine mâchoire. Mes dents claquent les unes contre les autres tandis qu'une vive douleur se répand jusqu'à l'arrière de ma nuque. Sonnée, je recule instinctivement hors de la portée de mon adversaire.

Ambre se remet à tourner autour du ring, guettant une ouverture. Derrière lui, je remarque Adam qui me fait discrètement signe qu'il est temps de le laisser gagner. A l'opposée, M.Schuman et le Directeur observe le combat avec avidité.

Ambre s'élance de nouveau vers moi, tentant pour la troisième fois son coup de poing vers le coin de mes yeux. Il persévère... Comme me l'a conseillé Adam, je fais mine d'esquiver pour cacher mon abandon, mais je ferme les yeux, prête à accueillir la douleur. Avec une violence inouïe, semblable à une explosion à l'intérieur de ma tête, son poing bandé cogne contre mon crâne. Une sensation de flottement, comme un tournis, me fait voir trente-six chandelles alors que je m'écrase sans douceur contre le sol à peine rembourré d'une fine couche de tapis de l'estrade. Le souffle coupé, la vision trouble, je mets un moment à recouvrer mes esprits. Un unique coup, qu'avait dit Adam, hein ?

Je me redresse difficilement sur mes bras. Au-dessus de moi, Ambre semble prêt à me donner le coup de grâce que je me prépare à recevoir. Pourtant il ne vient pas. A la place, la voix exécrable de M.Schuman interrompt le combat.

- Allons Willow, déclare-t-il avec condescendance. Personne n'est idiot ici alors cesse ton numéro et bats-toi pour de bon.

- J'y mettrais plus de bonne volonté si c'était vous que j'affrontais, murmuré-je pour moi-même.

- Qu'as-tu dit ? me nargue le prof de physique.

- Seulement que j'espérais que vous vous délectez convenablement de votre petit spectacle, cinglé-je. Ce serait dommage d'avoir monté votre propre arène personnelle pour faire se battre vos champions si vous n'en profitez pas pleinement. Vous avez encaissé les paris, au moins, j'espère ?

Un silence religieux accueille ma réplique, chacun réalisant la mesure implicite de ma déclaration. Un vif sentiment de satisfaction me réchauffe le ventre tandis que M.Schuman et M.De Clermont deviennent rouges de colère.

- Votre comportement vous causera des problèmes, jeune fille, me menace le directeur. Mais nous règlerons ça en temps et en heure. En attendant, reprenez, et vraiment.

Avec un effort surhumain, je me relève pour de bon. Pantelante et instable, je me concentre de nouveau sur mon adversaire. Chacun à un bout de la zone de combat, nous attendons le signal de la reprise qui ne tarde pas à venir.

Ambre n'en attend pas davantage pour s'élancer. Je l'évite de justesse mais déséquilibrée par mon précédent coup à la tête, il parvient à m'atteindre à l'estomac. Le souffle coupé, je retiens difficilement un haut-le-corps en me pliant en deux. Mauvaise idée. Il en profite pour me frapper derrière la nuque en même temps qu'il me balaye de sa jambe droite, me faisant retourner au sol. Je passe sur le dos dans une vaine tentative de me mettre hors de sa portée, seulement Ambra change de tactique. Plutôt que de me cogner une nouvelle fois, il se met en travers de mon corps, son bras autour de mon cou pour m'immobiliser. Mue d'un réflexe acquis il y a longtemps lors d'un entraînement d'autodéfense avec mon grand-père, je pousse sur son épaule pour faire glisser ma tête sous lui avant d'à mon tour passer mon bras sous sa tête. On reste ainsi une dizaine de secondes avant qu'il m'administre un violent coup de tête sur le bord du visage.

Il se redresse en un claquement de doigt avant de me frapper de son pied aux côtes. Par chance, mon bras plié le long de mon corps amorti le choc. Un violent élancement remonte de mon coude jusqu'à mon épaule, m'arrachant un gémissement. Le voyant prêt à recommencer, je m'empresse de me remettre sur pied avec l'énergie du désespoir.

Il redouble d'agressivité, m'obligeant à adopter une posture purement défensive. Autant que je le peux, j'évite ses attaques, mais la plupart du temps, cela s'avère totalement inefficace. Il enchaîne les attaques sans me laisser le moindre répit, m'atteignant tantôt au visage, tantôt au ventre, tantôt sur les jambes. Très vite, je ne suis plus que douleur. Ma tête vrille violemment alors que je monopolise toute mon énergie pour rester debout en dépit des violents tournis qui me déséquilibrent. Mon bras irradie et chaque parcelle de ma peau me fait souffrir. Je n'agis plus qu'à l'instinct de survie, sans réfléchir à ce que je fais. C'est comme ça qu'à force de reculer, je me retrouve coincée au bord de l'estrade. Un sourire vainqueur aux lèvres, Ambre se jette alors sur moi. En tentant d'éviter son poing, mon pied dérape sur le rebord en bois et je bascule en arrière. La douleur est pire que toute la souffrance que j'ai pu éprouver depuis le début du combat. Elle se répercute tout le long de ma colonne vertébrale jusqu'à la naissance de mon crâne qui tape violemment contre le sol en béton. Mon coude déjà meurtri a absorbé toute la violence du choc. Ce coup-ci, j'ai crié.

Roulée en boule, au bord de l'évanouissement, je surprends tout de même, à travers le brouillard qui obstrue ma vision, M.Schuman adressait un signe de tête à Ambre qui saute à son tour de l'estrade, menaçant. Il me surplombe de toute sa hauteur, se prépare à me donner le coup de grâce quand un « stop » retentissant le coupe dans son élan. Je devine alors Adam apparaître dans mon champ de vision de plus en plus flou, les mains devant lui, prêt à intervenir au geste de trop de mon bourreau.

- Je crois que c'est bon, déclare-t-il sur un ton qui laisse transparaître sa fureur contenue, on est tous d'accord pour dire que Willow a largement perdu, sans l'ombre d'un doute.

- M.Lombardo ? s'étonne hypocritement M.Schuman. Autrefois, il était interdit aux élèves qui ne combattaient pas d'intervenir. C'est toujours vrai.

Mon bras serré contre moi, je tente de suivre l'échange, mais ma conscience s'étiole peu à peu, un voile obscur prêt à m'emporter dans l'inconscience.

- Non, mais vous m'expliquez à quoi ça rime ?! la voix emplit de rage d'Adam me ramène vaguement dans cette salle, auprès de lui et de mes tortionnaires. Vous faut-il que Will tombe dans le coma pour mettre un terme à cette mascarade ?! D'abord vous la faites chanter pour l'obliger à monter sur le ring, ensuite vous la regardez recevoir coup sur coup sans qu'elle puisse rien faire et pour couronner le tout, vous prolongez le supplice inutilement ?! C'est quoi ce délire ?!

- Changez de ton, M.Lombardo, le rabroue le directeur.

- Non, j'en ferai rien ! Pas tant que vous continuerez de vous acharner sur elle ! Mettez. Un. Terme. Au. Combat. Maintenant.

- Très bien.

Sur ces mots, M.Schuman adresse un nouveau signe de la tête à Ambre, en proie au doute, les paroles d'Adam s'insinuant doucement dans son crâne. Mais après une hésitation, il semble avoir conclu que mieux vaut affronter les foudres du français que des adultes. Il s'apprête à frapper, mais il n'en a pas le temps : à travers la confusion de mon esprit, je vois Adam abattre son poing sur la tempe de mon adversaire qui part s'écraser au pied de l'estrade sous la surprise. Une fois debout, il interroge silencieusement les entraîneurs qui secouent négativement la tête.

Perdant doucement mon deuxième combat contre ce noir qui n'attend qu'un instant de faiblesse pour m'emporter, je m'abandonne à fermer les yeux.

- Qu'il en soit ainsi, M.Lombardo, me parvient encore la voix froide du prof de physique. Puisque vous semblez tant tenir à vous battre, sachez que vendredi prochain, ce sera votre tour. Et selon les mêmes règles que vos camarades.

- Par ailleurs, complète M.De Clermont, vous venez de gagner un mois de retenue et de faire perdre cent points à votre cercle, félicitations.

Un bruit de chaise qui racle contre le sol, le frottement du tissu, l'écho de sa voix alors qu'il tonne à travers la pièce :

- Eh oui, jeunes gens, ce n'est pas un jeu. Là dehors, vous risquez la mort. Maintenant, merci de reprendre votre leçon là où vous vous étiez arrêtés hier.

Le brouhaha d'une foule en mouvement puis mon prénom, appelé tout bas. Le contact chaud d'une main sur mon épaule. Au prix d'un effort surhumain, je réussis à entrouvrir les yeux pour apercevoir le sourire rassurant d'Adam penché sur moi et au loin, la silhouette imposante de M.Hartmann.

- C'est ça, m'encourage le frère de Logan, garde les yeux ouverts, reste avec nous. Focalise-toi sur ma voix.

Je tente d'appliquer ses conseils, mais c'est difficile. Le cœur serré, je sens des larmes poindre sous mes cils, mélange de frustration et du violant contre-coup après cet horrible quart d'heure.

- Elle va bien ? demande la voix piteuse d'Ambre.

- Ça aurait pu être pire, rétorque sèchement mon camarade puis il reprend la litanie de ses conseils plus doucement.

- Je voulais pas, tu sais ? poursuit mon bourreau. J'ai pas eu le choix, Adam, comprends-moi ! Si j'avais pu, je me serais arrêté bien avant, je te le jure !

- Emmène-la à l'infirmerie avant qu'elle ne perde totalement conscience, le coupe M.Hartmann à l'adresse de mon coéquipier.

- Tu peux te lever, Mini-Portion ?

Je hoche la tête en réponse, ce qui me provoque un nouvel élan de douleur. Avec délicatesse, Adam essaie de me relever pourtant, un gémissement plaintif m'échappe tandis qu'il effleure mon bras blessé. J'entends le prof de voile pousser un juron.

- Je vais chercher Amanda, décide-t-il finalement. Je reviens.

J'ai à peine le temps dele voir s'éloigner que, prise d'un violent tournis, je retombe sur le sol,difficilement retenu par mon partenaire. Le froid de béton contre ma peaudécouverte me glace alors que je sombre une bonne fois pour toute... 

***

La tête cotonneuse, j'émerge doucement. Une migraine coriace s'est logée dans mon crâne et mon corps me donne l'impression d'avoir été piétiné par une horde de chevaux au triple galop. Autour de moi, la douce lumière tamisée d'une lampe de chevet éclaire faiblement mon environnement. Des ombres dansent délicatement sur les rideaux blancs qui segmentent l'infirmerie en petites chambres intimistes. Un courant d'air frais balaye la pièce, me faisant frissonner de froid. Sur un fauteuil placé dans un coin, Jaz s'est assoupie, les pieds sur l'accoudoir.

Assoiffée, je m'assois péniblement dans mon lit avec le plus de discrétion possible. Hélas, un gémissement franchit mes lèvres alors qu'un élancement pulse entre mes côtes, ce qui réveille aussitôt ma meilleure amie. Elle se redresse vivement, discipline vaguement ses cheveux de jais avant de me sourire, gênée, honteuse d'avoir été prise dans une posture compromettante.

- Comment tu te sens ? me demande-t-elle, inquiète.

La gorge pâteuse, je la rassure d'une voix rauque. Elle s'empresse de me servir un verre d'eau que je vide en quelques gorgées. Elle m'abandonne une petite minute le temps d'aller chercher l'infirmière en chef qui nous rejoint en une fraction de seconde.

- Willow ! s'exclame-t-elle gaiement. Contente de te voir réveiller !

Elle me pose une multitude de questions pour vérifier mon état, s'assurer qu'il n'y a rien d'anormal. Elle tâte mon ventre, puis délicatement mon bras en écharpe.

- Tu as une fracture du coude ainsi qu'une côte vilainement amochée, mais rien de très grave. Je veux que tu te reposes pendant les trois prochaines semaines au minimum. Tu peux continuer à aller à Eos, mais je t'interdis de te battre de nouveau tant que tu n'es pas pleinement rétablie. Et pour finir, je veux que tu manges des aliments assez mous pendant quelques jours ; de la purée, des soupes... évite la viande en dehors de steaks hachés. Ta mâchoire sera sensible encore un moment.

Elle hésite un instant avant de poursuivre :

- Et je vais te prescrire des somnifères. Il faut à tout prix que tu dormes alors je compte sur toi pour les prendre. Entendu ?

Faute de mieux, je me contente d'un hochement de tête douloureux.

Satisfaite, elle donne quelques consignes à Jaz avant de quitter la chambre. Après son départ, un silence empreint d'un certain malaise s'installe. Ma meilleure amie, d'habitude si enjouée, semble abattue. Ses yeux dorés m'évitent ostensiblement. N'y tenant plus, je lui demande la première chose qui me passe par la tête :

- Quelle heure est-il ?

Elle saute sur le cadran de sa montre, soulagée d'avoir quelque chose à faire.

- 6 heures 38, m'apprend-elle.

Je calcule rapidement.

- Donc ça va, je ne suis pas restée dans les vapes plus d'une heure.

Elle se gratte la tête.

- Euhhh... disons plutôt qu'on n'est pas loin des vingt-cinq heures... Mais ce n'est pas de ta faute, Karen a insisté pour qu'on te mette sous somnifère.

- On est dimanche matin ?! m'insurgé-je, ahurie.

Elle acquiesce, un sourire amusé sur les lèvres.

Merde. J'ai perdu toute une journée. Alors que j'ai quatre gros devoirs à rendre cette semaine... Je n'aurais jamais le temps.

- Je vais prévenir les autres que t'es réveillée, me prévient-elle en pianotant sur son téléphone. Ils seront soulagés.

- Ils vont bien ?

- Oui, me répond-elle avec tendresse. On s'est relayé toute la journée pour qu'il y ait quelqu'un à ton réveil. Charline s'est violemment accrochée avec son père à cause de cette histoire. Ils ont l'habitude de se disputer, mais jamais Cha' n'était allée jusqu'à l'insulter et le menacer. Même Ambre est passé te voir, jusqu'à ce qu'Adam le vire sans ménagement. Il vit assez mal de te savoir à l'infirmerie. Tu le connais maintenant... il doit se sentir responsable, ou bien culpabiliser de n'avoir rien pu faire.

Elle inspire un coup avant de continuer :

- Mais je crois que la plus énervée a été Karen. Elle était hors d'elle. C'est déjà arrivé qu'elle s'oppose à De Clermont, mais jamais ouvertement. Là, je crois bien que toute l'école l'a entendu crier sur le directeur. Elle a même menacé de démissionner... Et elle a appelé ton père aussi.

- Quoi ?! Il va venir ?

Elle hésite, un profond malaise transparaît sur son visage.

- Non, désolée, secoue-t-elle la tête finalement. Je crois qu'il a plus ou moins dit que c'était à toi de mieux faire à l'avenir et qu'il espérait que tu te remettrais vite pour reprendre rapidement l'entraînement.

- Oufff... soupiré-je de soulagement.

Si elle est surprise par ma réaction, elle n'en laisse rien paraître. Je lui ai bien expliqué que ma relation avec mon géniteur est on-ne-peut-plus compliqué mais je sais qu'elle est tout de même choquée par la réaction de mon père. Moi non.

Le « salut » timide d'Adam coupe court à mes pensées. En m'apercevant, une grimace involontaire déforme ses traits et je devine que je dois avoir une sale tête. Cependant, il se reprend vite même si une lueur sombre continue d'habiter son regard. Les paroles de Jasmine me reviennent en mémoire : « il vit assez mal de te savoir à l'infirmerie, il se tient pour responsable »... Je comprends ce qu'elle voulait dire. Je tente un large sourire, mais ma joue meurtrie proteste d'un léger tiraillement, qui n'échappe pas au frère de Logan. Pourtant, il agit comme s'il n'avait rien remarqué : il prend brièvement de mes nouvelles avant de tenter de me faire penser à autre chose, mais cela ne fonctionne pas. Malgré la confusion qui avait pris possession de ma conscience, je me souviens encore nettement de la sanction donnée par Schuman.

- Tu vas vraiment devoir combattre à ton tour vendredi prochain ? demandé-je.

Il balaye ma question d'un geste désinvolte.

- C'est un détail, t'en fais pas, me rassure-t-il. Contrairement à toi, le combat ne sera pas totalement déséquilibré. Puis ça me donnera l'occasion de nous remonter dans le classement de la section.

En dépit de sa confiance, je ne me peux m'empêcher de ressentir un mélange de révolte, d'inquiétude et... et de honte. Il accepte le combat qui l'attend sans se poser de question, déterminé à rattraper mon fiasco, la tête haute, alors que j'étais tétanisée, à un cheveu de me résigner à quitter l'école plutôt que de me battre. Sans oublier que même s'il fait son possible pour me le cacher, je n'oublie pas que je suis un boulet pour lui.

- Ça n'empêche en rien que c'est injuste, sifflé-je avec rage.

Sans Schuman et De Clermont, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne serais pas coincée sur ce lit et Adam n'aurait pas à se battre jusqu'au K.O. non plus. Je sens la haine monter en moi, mais je la masque derrière un sourire de façade. Adam s'est déjà mis en porte à faux vis-à-vis de nos entraîneurs à cause de moi sans que je l'incite davantage à se révolter. De même que Charline n'aurait pas dû se disputer avec son père et Karen jouait son poste dans l'école à cause de moi.

A cette constatation, la haine disparaît aussitôt pour de nouveau laisser place à la honte. Voilà qu'ils retrouvent en situation délicate par ma faute alors que je ne suis même pas fichue de me tirer d'affaires, d'affronter Schuman et De Clermont, seule...

- Certes, mais s'il fallait le refaire, je n'hésiterai pas. Mon seul regret, c'est d'avoir mis autant de temps à intervenir. J'espère sincèrement que les autres réagiront face à cette nouvelle mesure, mais je doute qu'on puisse faire grand-chose. Au moins Karen est intervenue pour que De Clermont et Schuman te laissent tranquille.

Le silence retombe alors que je suis en pleine réflexion. Certes, cela devrait refroidir les deux hommes, mais il va falloir que je me prépare à la colère et à la rancœur des étudiants. Maintenant que le prof de physique a clamé haut et fort que j'étais soumise à un traitement particulier, je suis à peu près certaine de devenir la cible de commentaires désagréables au mieux, voire de potentielles violences au pire. Toutefois, je tais mes craintes afin de ne pas inquiéter mes amis.

- Voyons le bon côté des choses, essaie de réchauffer l'atmosphère Adam, M.Hartmann était malgré tout très satisfait de toi. Au vu de la situation, il a trouvé que tu t'en étais plutôt bien tirée. Par ailleurs... t'as déjà quelques notions d'autodéfense, non ?

- Quelques-unes, acquiescé-je, mais ça remonte à loin et je les ai très peu mises en pratique donc c'est très brouillon.

- En effet, mais ça nous facilitera la tâche pour t'entraîner. On ne commence pas de zéro, au final.

Le reste du groupe s'introduit dans l'infirmerie dans un joyau brouhaha. Leur bonne humeur me décharge d'un poids sur le cœur. Leur seule présence suffit à me réconforter. Ils plaisantent gaiement sur mon inquiétante apparence, mais je devine à leur malaise que la situation les dépasse tout autant que moi. Mon regard accroche celui de Charline, fuyant.

- On m'a dit que tu t'étais disputé avec ton père à cause de moi... commencé-je tristement. Il ne fallait pas, ça n'en valait pas la peine.

- Oh ! tu sais, tente-t-elle sur le ton de la plaisanterie, toutes les occasions de m'engueuler avec lui sont bonnes à prendre ! La vérité, c'est que tu n'étais qu'une excuse...

Elle appuie sa moquerie d'un clin d'œil, mais je sais qu'il n'en est rien. Bien que notre relation soit difficilement qualifiable de « amitié », je suis touchée qu'elle ait éprouvée le besoin de prendre ma défense même si l'idée qu'elle se soit confrontée au directeur me déplaît fortement. Je devrais être assez forte pour me débrouiller toute seule sans que quiconque n'ait à intervenir en ma faveur, merde !

- Tu n'as même pas touché au cadeau de Maurice, s'insurge-t-elle, faussement scandalisée, la main devant sa bouche grande ouverte. Lui qui était tellement déçu de ne pas te trouver dans sa cuisine pour ton heure de colle de ce matin ! Il va être vexé, il s'est donné tant de mal quand je lui ai expliqué ce qu'il s'était passé...

Ne comprenant pas à quoi elle fait référence, elle récupère un tupperware posé sur ma table de chevet qu'elle ouvre avant de me le donner. Dedans, une petite pile de pancakes s'est écroulée, mais ils ont toujours l'air tout à fait mangeable. Cachés sous les petits cercles de farine, je trouve un pot de sirop d'érable, une cuillère ainsi qu'un petit mot rédigé d'une écriture ronde et délicate.

« Rien de tel qu'un peu de gourmandise pour se rétablir promptement ! Régale-toi bien,
M. »

Je souris devant l'attention tandis que Liam se met à râler avec enfantillage :

- Ce favoritisme ! s'indigne-t-il. Moi aussi je vais me mettre à la cuisine si ça me permet d'avoir des desserts VIP !  

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