Chapitre 35
Attends... Attends... Pas encore... Juste un instant... Maintenant !
Sans attendre, je me baisse au dernier moment, le bras de M.Hartmann frôlant ma tête de quelques cheveux seulement. Vive, je me redresse d'une impulsion brutale de la jambe. Ni une ni deux, je saisis le poignet de mon professeur avec la ferme intention de lui faire une clé de bras. Toutefois, ma tentative avorte presque immédiatement tandis qu'il ramène brusquement vers lui sa main, m'entrainant irrémédiablement avec lui. Le temps d'un battement de cil à peine, il pivote sur lui-même, tend sa jambe avant de faire pression sur ma cage thoracique pour me faire basculer. Je ne cherche même pas à résister, au contraire, j'accompagne son mouvement en prenant mon élan dans l'objectif de déposer mes mains au sol pour aussitôt me relever. M.Hartmann n'a pas le temps de changer de tactique ; comme je l'ai voulu, je plonge volontairement au sol quand il tente de me faire tomber. Mains devant moi, je parviens à rouler sur moi-même, me redresser et, en plus, me mettre hors de portée de mon agresseur. En prévision de sa prochaine attaque, je fléchis légèrement le genou en protégeant mon visage derrière mes bras.
- On va s'arrêter là pour ce matin, m'interrompt mon entraîneur.
Je relâche aussitôt mes muscles. Au repos, je frotte mon coude irrité et meurtri à force de rouler par terre. Des petits gravillons se déloge de ma peau et une vive sensation de brûlure m'apprend qu'une plaie superficielle s'étend désormais sur mon articulation. Je refoule un rictus de douleur.
- Tu as beau t'améliorer de jours en jours, commente mon professeur, tu es toujours aussi douillette.
Il me fixe avec un mélange de satisfaction et d'accablement. Quant à moi, je lui réponds d'un regard foudroyant :
- En même temps, répliqué-je les dents serrées, c'est pas franchement agréable...
Il hausse un sourcil sévère.
- Parce que tu crois que la prochaine fois qu'Octavius va tenter de s'en prendre à toi, il va te caresser gentiment ?
Incapable de soutenir ses yeux froids, je me prends d'un intérêt soudain pour mes baskets.
- Non, non, capitulé-je piteusement, bien sûr que non...
Prise d'une puissante envie de partir loin de lui, je rassemble rapidement mes affaires avec un soupire de frustration, un peu abattue par cette violente réalité qu'il vient de m'assener en pleine face. J'ai beau faire des efforts, encore et encore, inlassablement, je reste toujours aussi vulnérable, aussi fragile. En une semaine, j'ai renforcé mon corps, appris à tomber et à me relever dans un même temps, à éviter une attaque et parer au mieux les coups, cela n'enlève en rien que je dois me préparer à souffrir et encaisser toujours un peu plus dans les temps à venir...
Je m'apprête à abandonner mon professeur quand celui-ci dépose une main réconfortante sur mon épaule. Surprise, je cille un instant avant de relever la tête vers lui. Il m'offre un sourire rassurant.
- Ne perds pas confiance en toi, Will, me conseille-t-il avec douceur. Tu as encore beaucoup de choses à apprendre, certes, mais tu progresses vites et tu as des capacités. Dès le retour d'Adam, on passera aux choses sérieuses...
Je reste interdite devant sa soudaine gentillesse. Cela a beau faire cinq jours que mon professeur se montre bien plus agréable au cours de nos entraînements, je ne m'y fais toujours pas. Au début de nos séances en tête à tête, il se montrait dur, brutal, intransigeant. Il me crevait à la tâche, attendant souvent que je sois à bout de force, le corps meurtri et douloureux à force de valdinguer à tout va. Me rendant à l'évidence, j'avais pris l'initiative de m'entraîner encore plus durement pour m'améliorer. Ainsi, en plus de nos quatre heures journalières, je travaillais seule les exercices, reproduisais les enchaînements et développais toujours davantage ma condition physique.
Lorsque M.Hartmann s'était aperçu de mes entraînements clandestins, son attitude s'était peu à peu adoucie et j'avais gagné un semblant de respect et d'estime de sa part. Toutefois, je n'arrive pas à m'y faire, toujours aussi choqué qu'il puisse se montrer aimable et déférent avec une femme.
Je lui offre un sourire empli d'une confiance que je suis loin d'éprouver en réalité. Satisfait, il me donne un léger coup de l'index dans la joue avant de me rendre ma liberté. J'en profite pour retourner dans ma chambre, désireuse de prendre une bonne douche avant d'aller prendre mon petit-déjeuner.
Une fois propre et détendue, j'emprunte donc le chemin vers le Patio, impatiente de croquer dans un bon croissant chaud. Seulement, je n'ai pas le temps de l'atteindre qu'un boulet de canon hurlant me frappe de plein fouet. Je vacille sous l'impact de l'excès de joie de ma meilleure amie. Elle me canarde de questions en tout genre que je ne comprends pas pour la plupart. Un vif sentiment de bonheur m'envahit alors que je réalise que tout le monde est revenu.
- Jaz, la tempère une voix grave derrière elle, calme-toi.
Adrian apparaît derrière elle, ses valises ainsi que celle de sa copine dans les mains. Aucune chaleur émane de lui, son air aussi froid que renfrogné fait retomber presque instantanément la bonne humeur qui nous entourait Jaz et moi. Par ailleurs, son intervention à elle-seule suffit à ramener ma colocataire sur terre. Contrite, elle tente un timide sourire tandis que son petit-ami laisse pleinement s'exprimer son impatience.
- J'ai des tas de trucs à te raconter, m'apprend-elle. Je dépose mes bagages et on se rejoint au réfectoire ?
J'accepte son compromis avec plaisir. Elle reprend sa route au petit trop sans se soucier de son partenaire. Lorsque ce dernier passe à ma hauteur, il me lance un regard glacial, mais je refuse de baisser les yeux sur son passage. Une fois loin, je repars d'un pas sautillant vers mon somptueux festin, mon appétit comme ma bonne humeur peu entachés par l'espagnol.
A notre table habituelle, Ania et Leander semblent être dans le même état d'esprit que moi, empreints de la même fébrilité. Au compte-goutte, nos amis nous rejoignent pour le déjeuner. La tablée grouille d'une excitation et d'une bonne humeur évidente. A vrai dire, cette ambiance est généralisée à l'ensemble du réfectoire de nouveau animé de son brouhaha habituel.
Les questions fusent parmi notre petite assemblée, chacun prenant le temps de raconter cette semaine de répit aux quatre coins de l'Europe. Rien de bien extraordinaire, juste le plaisir de retrouver sa famille pour la plupart. Seuls Charline et Adrian ne sont pas rentrés chez eux, squattant respectivement chez Adam et Jaz. Comme un accord tacite, personne n'aborde les sujets fâcheux, désireux de profiter un peu de ce moment où nous nous comportons comme des adolescents normaux.
- Ça vous branche une balade aujourd'hui ? propose Valentin. On pourrait monter dans les hauteurs, manger là-haut et redescendre en fin de journée ? Qu'est-ce que vous en pensez ?
Non loin du sommet, nous dénichons une petite combe bercée d'un doux soleil. De doux rayons de lumière caressent l'herbe verte qui nous arrive presque aux genoux. Pour couronner le tout, l'endroit est relativement abrité du vent, rendant l'atmosphère plus léger et agréable. Ainsi, bien que nous avions en tête de manger au sommet, nous décidons finalement de nous arrêter ici.
Jaz sort de son sac une couverture sur laquelle elle s'installe avec Adrian, Ania et Leander. Quant aux autres, nous nous asseyons à même le sol, avec plus ou moins de grâce et de légèreté. Alors que je suis sur le point de m'asseoir à mon tour, une violente courbature dans la cuisse m'oblige à me laisser choir lourdement. Déséquilibrée, je bascule sur le côté, tout droit dans les bras d'un Liam surpris.
- Je t'ai tant manqué que ça, ma belle ? plaisante-t-il tandis que je me libère avec empressement de son emprise.
Face à lui, dans une position moins compromettante, je croise enfin son sourire aguicheur. Autour de nous, tout le monde nous observe avec suspicion. Contre mon gré, je sens mes joues se parer d'une légère couche rosée en dépit de ma tentative d'agir comme si de rien était. Une lueur espiègle illumine le regard de ma meilleure amie et de la jeune journaliste tandis qu'un fugace éclair traverse celui de Charline. Je m'abstiens de tout commentaire, espérant ainsi que l'incident n'incitera pas à davantage de réaction. Toutefois, Adam ne l'entend pas de cette oreille ; son sempiternel air espiègle vissé au visage, il commente moqueusement :
- C'est quoi Mini-Portion ? Une tentative de drague tordue ou c'est juste ton corps de petite mémé qui faiblit ?
Coincée, ne sachant pas quelle réponse est préférable, je me contente de hausser un sourcil dédaigneux à son encontre. Pas du tout impressionné, le frère de Logan ricane devant mon piètre essai de rester digne.
Enfin installée convenablement, nous commençons à savourer nos sandwichs maisons dans un esprit bon enfant. Bien que chacun ait prévu son repas, au final, tout est mis en commun. Après un léger accident entre Jaz et Adrian, celle-ci ayant renversé sa bouteille d'eau sur le pantalon de son amoureux, l'ambiance retrouve sa bonne humeur. Au-dessus de nous, le soleil s'élève encore, nous réchauffant agréablement. A tel point que je finis par enlever mon manteau et mon pull, jusqu'à me retrouver en manche courte pour savourer cette douce chaleur sur ma peau. Un hoquet de stupeur traverse le groupe tandis que mes bras nus se retrouvent exposés.
- Il t'est arrivé quoi, Will ? s'exclame Jaz.
Ne comprenant pas tout de suite, je m'observe rapidement à la recherche de ce qui a provoqué cet élan d'étonnement. Puis je réalise l'état de mes bras ; presque totalement recouvert de tâches bleu violacé, des plaies ouvertes au niveau des coudes et des paumes, ils font triste mine. Je souris nerveusement.
- C'est rien, le fruit de mes séances avec Hartmann, expliqué-je.
- Tu es si nulle que ça ? s'étonne Adam avec moquerie. Même les pires de la section militaire n'ont jamais été dans cet état.
Je hausse les épaules.
- Mon père a demandé à Hartmann de durcir mon entraînement...
- En effet, confirme Leander, Will a passé facilement six heures par jour à travailler avec lui pendant les vacances.
- Il n'y est pas allé de mains mortes... commente Adam, en intense réflexion.
- Mais ça va ? s'assure ma meilleure amie, visiblement inquiète.
Je lui réponds d'un hochement de tête, désireuse que la conversation se close.
- Dites-vous qu'elle boîte plus, déjà, ajoute Ania. Jeudi, c'était bien pire.
- Ça frise la maltraitance, Will... proteste Jaz. C'est pas normal que tu finisses dans cet état.
- N'exagère pas, tempéré-je. C'est normal, au contraire ; il faut que j'apprenne et en accéléré. Pour Eos, mais surtout pour pouvoir me défendre contre Octavius. Donc oui, c'est rude, mais nécessaire. Et je suis d'accord avec ça.
Ma tirade plonge l'assemblée dans un profond silence, plombant largement l'ambiance. Adam, Ania, Jaz et Liam affichent une mine renfrognée, inquiète. Finalement, mécontente de ce froid qui plane sur le groupe, Jaz se dynamise dans le but d'inverser cette tendance ; elle se redresse avec entrain vers moi, son visage s'illuminant au souvenir d'une chose à me dire. Ce qu'elle s'empresse de faire :
- Au fait ! s'enthousiasme-t-elle. J'ai une grande nouvelle pour toi, Will !
Elle respire un coup pour instaurer un léger suspense, avant de reprendre :
- Ma mère t'invite à passer tes prochaines vacances à la maison en Suisse ! Bon, bien sûr, ce sera Noël alors on comprendra que tu les passes chez toi avec ta famille, mais sache que tu es la bienvenue chez moi !
Touchée par cette invitation, je souris à pleine dents à ma meilleure amie. En vérité, j'ignore totalement ce que mon père a prévu pour ces vacances, mais s'il compte me laisser encore aux Neuf Muses, je me démènerai pour qu'il accepte que je séjourne chez elle. Alors je lui promets de faire mon possible sans pour autant lui garantir de résultat. Satisfaite, ma meilleure amie m'adresse un clin d'œil.
Nous finissons de manger rapidement, mais décidons de profiter encore un peu du soleil, avant de redescendre, quitte à rebrousser chemin à la frontale.
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