#Chapitre 3

Au bout d'une heure environ, on vient toquer à ma porte. Avec un bâillement, je m'empresse d'aller ouvrir pour tomber nez à nez avec une femme de chambre. De petite taille, les cheveux relever en chignon avec le bandeau caractéristique des employés de chambre, elle me sourit en me tendant un étui à vêtement. Je me saisis de celui-ci en la remerciant. Je m'attends à ce qu'elle reparte au lieu de quoi elle se dirige vers une porte que je n'avais même pas remarquée tellement elle se fond dans le lambris du mur. Peu après, j'entends de l'eau couler.

- Votre père m'a demandé de m'occuper de vous, m'apprend-elle une fois de retour dans la chambre. Si vous voulez bien me suivre...

Avec un haussement de sourcil, je la suis dans la pièce d'à côté : un incroyable salle de bain dans l'esprit vieux château mais fonctionnelle tout de même. La baignoire sur pied se remplit d'eau alors que la femme de chambre commence à répartir des affaires autour du lavabo. A la lumière artificielle, je note que son uniforme n'est pourtant pas noir comme celui que portent habituellement les femmes de chambre. Elle surprend mon regard.

- La tenue signifie que je suis une employée de l'hôtel, m'explique-t-elle. La couleur donne ma fonction. Le mauve est réservé aux esthéticiennes.

Je repère enfin son badge. Annie. Je reste plantée là, ne sachant quoi faire. Annie finit donc par m'aiguiller.

- Vous comptez vous laver avec ses loques que vous portez, ma belle ?

- Et vous ? Vous comptez vous « occuper de moi » jusque dans mon bain ? répliqué-je, mal-à-l'aise.

- Faîtes-moi donc confiance, cela sera plus agréable pour vous.

Nous nous observons en chien de faïence pendant un moment. Mais je capitule en premier, ressentant pleinement le besoin de nettoyer ma crasse accumulée. Je me déshabille donc gauchement devant elle. Elle a tout de même la décence de s'affairer avec ses produits pour me laisser un peu d'intimité même si cela n'a pas grande utilité. Une fois nue, je m'empresse de pénétrer dans l'eau chaude. Sans lui demander son avis, je plonge jusqu'à ma tête sous l'eau.

- Voilà qui est fait, s'amuse-t-elle en me voyant ressortir la tête de l'eau.

Avec un peigne, elle entreprend de me démêler les cheveux. Je serre les dents alors qu'elle tire sans douceur, peu habituée en réalité à me brosser les cheveux. D'un naturel ondulés, ils sont toujours plein de nœuds et ce, même après les avoir brossés. Alors par habitude, je me contente de les relever et les attacher.

- Vous ne vous entretenez pas beaucoup, ma jolie, me reproche l'esthéticienne. C'est tellement dommage, vous pourriez être ravissante !

Comment dire que lorsqu'on passe sa vie sur un bateau, tout ce qui est cosmétique et coquetterie, on ne s'en préoccupe pas beaucoup... ?

Sans me demander la permission, elle entreprend de me couper les cheveux. Heureusement, elle ne fait que tailler les longueurs abîmées et restructurer ma coupe en un carré long qui ne demandera que peu d'entretient me précise-t-elle. Elle leur applique ensuite un soin avant de les relever afin de les maintenir hors de l'eau avec une pince. Ensuite, elle se munit d'une pince à épiler avant de s'attaquer à mes sourcils. Je grimace au chaque poil arraché. Voilà encore quelque chose que je ne faisais pas sur la Petit'Anick... Mue par un instinct féminin hors norme, elle se saisit de ma main pour observer mes ongles, eux aussi dans un état lamentable. Un sentiment de gêne important m'envahit alors qu'elle m'étudie attentivement. Elle soulève finalement mon bras et c'est avec un soupir de soulagement qu'elle ne découvre la moindre trace de poils sous mon aisselle. Peut-être indépendamment de sa volonté, elle me fait me sentir extrêmement négligée – ce qui a sans doute sa part de vrai cela dit... Je sens le rouge me monter aux joues.

Ainsi se poursuit la séance de torture. Je reçois avec bonheur le rinçage final. J'enfile les vêtements qu'elle m'avait apporté – un simple jean, un fin chemisier blanc cassé et un gilet en coton bordeaux. Ceci fait, elle me sèche les cheveux, applique un dernier soin sur mes pointes puis relève une petite mèche de cheveux au moyen d'une barrette. Quand je me regarde dans le miroir, j'ai l'impression de voir quelque d'autre. Fini la fille peu entretenue et pas du tout féminine. Mes cheveux, bien que pas particulièrement sophistiqués, tombent joliment en cascade de feu sur mes épaules. Mes sourcils sont bien dessinés ce qui fait ressortir le vert de mes yeux. Ma peau nettoyée paraît plus lisse et plus douce et mon teint clair en dépit des années passées sur le pont du bateau sous un soleil brûlant est souligné par l'éclat roux de mes cheveux.

- J'ai fait le strict minimum, me renseigne Annie. Avec une touche de maquillage, le résultat serait splendide... Tu as l'air de t'en moquer mais tu sais, dans un monde comme le tien, ton apparence et l'aura que tu dégages sont aussi importants que ton rang social, ton argent et ton nom.

Un monde comme le mien... Le problème, c'est que ce n'est plus mon monde depuis mes onze ans. Cependant, je m'abstiens de toute remarque et la laisse même allée à un petit coup de maquillage, dispensé tel un cours de beauté, se résumant à une touche de rose à lèvre très discret, d'un peu de fard à paupière et de mascara.

J'observe mon reflet une deuxième fois dans le miroir. En effet, ce n'est plus la même que je regarde. Non pas à cause de tous ses cosmétiques dont je viens d'être la victime mais bel et bien à cause de ces trois derniers jours... et si je veux m'intégrer à L'Ecole des Neuf Muses, il va me falloir réapprendre bien des choses assurément. Et l'entretien de l'apparence physique n'en est qu'un petit échantillon...

Une fois Annie repartie, j'erre un court laps de temps dans ma chambre, en quête d'une occupation. J'ignore réellement pourquoi mais je n'ose pas sortir dans le salon commun de la suite louée par mon père. Puis je n'ai aucune envie de parler aux autres. Au lieu de quoi, je me faufile de nouveau dans le lit, en espérant que le sommeil viendra. Roulée en boule sous les draps, mon regard tombe sur le papier déposé par mon père sur ma table de nuit. Je me redresse légèrement pour pouvoir lire son entête rédigé en anglais : « l'Ecole des Neuf Muses ; un institut où règne la victoire ». Rien que ça... J'hésite un instant à l'étudier avant de décider que ça attendra que je me sois reposée. Cela fait déjà trop d'éléments à digérer pour ces derniers jours. Afin de me vider l'esprit, je visualise dans ma tête le morceau de violon que j'étais en train de composer quand... quand cette suite interminable d'événements s'est déclenchée, me faisant paraître le pantin désarticulé de cette mauvaise farce... Je sens petit à petit mon corps se détendre et mon souffle ralentir. Au bout d'un moment qui me paraît interminable, je finis par sombrer dans un sommeil sans rêve.

Enfin, je le croyais. Et je l'ai cru jusqu'au moment où je me suis réveillée en hurlant. Je me suis redressée aussi brusquement que l'a été mon réveil. Ma porte s'ouvre à la volée, et le jeune homme de la gare pénètre dans ma chambre, arme en main. Ce détail me ramène aussitôt à la réalité, chassant en un instant les dernières images de mon cauchemar. Le jeune homme, que je suppose être Logan étudie la chambre attentivement avant de finalement rengainer son pistolet. Quant à moi, je reste éberluée encore un moment. Je ne sentirais pas avec une conscience accrue l'eau couler sur mes joues, je me croirais encore dans mon cauchemar tellement toute cette situation me paraît invraisemblable...

- Euh, hésite Logan, mademoiselle ? Tout va bien ?

Je me secoue pour recouvrer mes esprits et essuie mes larmes avant de lui répondre d'un hochement de tête :

- Oui, oui. Juste un mauvais rêve. Trois fois rien...

- Si vous en êtes sûre...

J'acquiesce une deuxième fois. Mon cauchemar n'est rien en comparaison du reste, je m'en remettrai bien plus vite. Je remonte la couette contre moi afin de faire disparaître mes frissons, même s'ils ne sont pas vraiment dus au froid de la pièce. Logan reste planté là. Vêtu tout de noir – bien qu'il aie quitté son costume pour le remplacer par un simple jean et t-shirt – la mâchoire carrée recouverte d'une fine barbe et les cheveux coupés très courts, son allure lui confère une aura froide et menaçante qui est pourtant démentie par la lueur préoccupée et amicale de ses yeux clairs. A priori, il doit avoir à peine plus de la vingtaine.

- Ça vous va nettement mieux comme ça, commente-t-il en désignant la totalité de mon visage.

- Ah, euh, merci ?

Je ne sais pas si c'est une vaine tentative d'alléger l'atmosphère ou s'il a vraiment pensé que c'était le moment opportun à un compliment mais cela me le rend tout de suite plus sympathique.

- Non pas que vous étiez repoussante ou quoi avant, se défend-il mal-à-l'aise sans s'apercevoir qu'il s'enfonce d'autant plus. Cela voulait juste dire que c'est... mieux maintenant.

- J'ai compris, pas besoin de vous justifier, le rassuré-je avec amusement.

- Ah. Tant mieux. Je vais vous laisser.

D'un mouvement de tête, je lui fais part de mon accord. La porte est à peine refermée qu'elle se rouvre sur Coralie, toujours aussi dynamique. Elle s'assoie sans préambule sur le côté de mon lit, lissant vaguement le tissu des draps avant de plonger ses yeux inquiets dans les miens. Le silence se prolonge lorsqu'elle finit par le briser :

- Je me rends bien compte que ces trois derniers jours ont été... rudes, pour toi. Alors si tu as besoin de parler, je suis dans la chambre d'à côté. D'ailleurs ton père est dans celle d'en face et Logan dans la quatrième.

- D'accord, déclaré-je sans vraiment savoir que lui répondre.

Un nouveau silence s'installe. Je sens son regard se poser sur moi alors que je laisse courir le mien dans la pièce.

- As-tu commencé à étudier la brochure ? s'enquiert-elle.

Je secoue la tête négativement.

- Si tu ne veux pas la lire, tu peux toujours nous questionner sur l'école, tu sais ? Des témoignages te seront peut-être plus bénéfiques que de simples mots anonymes sur un bout de papier...

- Merci.

La gentillesse et la sollicitude de Coralie me mettent mal-à-l'aise. Non pas qu'on ne l'ait jamais été avec moi, bien au contraire, c'est seulement que la sienne est... trop. Presque trop envahissante. Comme si elle cherchait à équilibrer la froideur de mon père. De plus, j'ai beau l'avoir déjà vue à plusieurs reprises dans ma vie, je ne la connais pas vraiment.

Après une longue négociation, on me traîne de force au centre commercial afin d'acheter les affaires nécessaires à ma future scolarité aux Neuf Muses.

Le bâtiment est très moderne et lumineux. Coralie prend la tête de notre petite expédition. Elle m'emmène d'abord vers des boutiques aux prix exorbitants et aux vêtements immondes, plein de fioritures, de volants, de perles et autres. Sans surprise, je n'y trouve rien à mon goût. Nous avons passé encore deux enseignes sur l'exemple de la première quand je finis par expliquer le problème à Coralie.

- Trop customisés ? répète-t-elle.

- Oui, je préfère des vêtements plus... simples, plus pratiques et plus confortables.

- D'accord...

Bon gré mal gré, elle m'entraîne dans des magasins nettement moins chics. J'y déniche quelques vêtements plus plaisants mais très vite, je commence à trouver le temps vraiment long entre les essayages et les commentaires de Coralie du type « pas très féminin quand même »... Au bout de l'énième boutique, j'en ai franchement marre. Alors qu'elle serpente entre les portiques, je mets à chantonner sarcastiquement :

« Pretty woman, walkin' down the street
Pretty woman the kind I like to meet
Pretty woman I don't believe you, you're not the truth
No one could look as good as you, mercy »

Pour bien appuyer mon sarcasme, je me mets à battre la mesure avec ma tête tout en marchand. J'entrevois Logan se mordre la lèvre pour ne pas rire pendant que l'ironie de mon comportement échappe totalement à Coralie :

- Qu'est-ce que tu chantes ?

- La chanson dans Pretty Woman. Le moment où Vivian fait les boutiques chez les riches alors que c'est pas du tout son monde.

Elle secoue la tête, ne comprenant sans doute pas la référence.

- Tu es douée en tout cas.

Je la remercie, hésitant entre le fou-rire et le dépit. Toujours concentrée dans sa recherche d'habits plus « féminins », elle reprend sa quête l'air de rien.

- Belle reprise, me glisse à l'oreille Logan qui se retient toujours de rire.

- Dommage qu'elle n'ait pas compris, soupiré-je avec humour. Ne pas connaître ce culte cinématographique, quand même, faut le faire !

- C'est un vieux film... dit-il en haussant les épaules. Je l'ai vu car c'est le film préféré de ma mère mais sinon...

- Oui mais vous, vous êtes un homme alors on peut comprendre que vous n'ayez pas été davantage curieux de le regarder mais Coralie n'a pas d'excuse ! C'est comme Titanic : c'est nul et niais, mais il faut l'avoir vu dans sa vie !

Il ricane enfin devant ma remarque.

Nous sortons finalement de la boutique, de moins en moins chargés à cause de ma lassitude. Très généreusement, mon garde du corps s'est proposé de porter nos achats. Il est allé jusqu'à récupérer un caddie pour tout mettre dedans. Nous nous posons un instant à la terrasse d'un café. Le serveur dépose nos commandes : un café et un croissant pour l'assistante de mon père, un coca pour Logan et moi accompagné pour ma part d'une crêpe au sirop d'érable.

- On reconnaît bien les gènes bretons, là, commente ce dernier.

- Comment savez-vous que j'ai du sang breton ?

- Votre père m'a officiellement embauché cette année mais je suis son stagiaire depuis maintenant deux ans. A force et à force de presque vivre ensemble en permanence...

Je hoche la tête. Sans doute que tout ce temps passé ensemble les avait beaucoup rapprochés. Peut-être même qu'ils ont noué une relation presque paternelle... ? Cette idée me provoque un coup au cœur, mais je ne laisse rien paraître. Pour cacher ma gêne, je chantonne discrètement la chanson déversée dans le petit bistrot.

- Tu as même l'air d'avoir hérité de la fibre musicale de ta mère, ajoute Coralie.

Je relève la tête de mon assiette.

- Son talent, je ne sais pas mais son goût pour la musique, oui certainement, acquiescé-je.

- Elle chantait aussi ? me demande-t-elle encore. Je l'ai entendu jouée du violon de nombreuses fois mais j'ignorais qu'elle chantait...

- Seulement en privée, expliqué-je. Pour m'endormir ou simplement pour me calmer. Pour cuisiner aussi. Et j'ai souvenir qu'elle chantait souvent pour mon père quand il rentrait complétement éreinté.

Elle aborde ensuite la question affaires de toilettes et fournitures scolaires. Etant donné qu'il est dix-sept heures passées, je suis personnellement d'avis à rentrer quitte à revenir demain mais je n'en peux vraiment plus des magasins. Je fais part de ma proposition à Coralie qui accepte ce compromis, ravie d'y retourner demain à condition que je l'autorise à me faire acheter quelques vêtements plus sophistiqués. Trop fatiguée pour lutter, j'accepte et ferme les yeux, déjà totalement découragée en croisant les doigts pour trouver une alternative à cette nouvelle séance de torture qui s'annonce...

Nous remontons donc en voiture en direction l'hôtel avec dans nos bagages une dizaine de pulls, trois jeans et un survêt de sport, une paire de baskets, un nouveau manteau car le mien fait « trop pêcheur », une veste en jean et une grosse écharpe en laine. La journée nous est revenue à un total d'un peu moins de mille euros, somme que je n'aurais jamais dépensée en une fois - sauf pour un violon – en temps normal... A la descente de la voiture, un bagagiste nous décharge de nos affaires qu'il monte jusqu'à notre chambre en un rien de temps grâce à l'ascenseur. Dans la chambre, mon père m'attend. Sans un salut, sans préambule, il m'annonce telle une gifle en pleine tête :

- Le corps de ton grand-père arrivera à Dinard dans moins d'une semaine. Son enterrement aura donc lieu mardi prochain.

Sur ce, il quitte lapièce me plantant là comme une cruche abasourdie.

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