#Chapitre 29

La sonnerie retentit au moment même où je franchis la porte du cours d'italien. Le plus discrètement possible, je passe devant le bureau du professeur. Je soupire de soulagement à m'apercevant que M.Giovannoti, tout occupé qu'il est à farfouiller dans la paperasse qui s'étale sur son pupitre, ne remarque pas mon léger retard. Il faut dire qu'après la semaine éprouvante que je viens de passer, à assister à chacune de mes leçons puis retrouver Adam et M.Hartmann pour mon entraînement particulier à Eos deux heures matin et soir et passer le reste du temps à réviser pour remonter mes notes, je n'ai guère eu le temps de me reposer. Même mon violon s'est retrouvé quelque peu délaissé. Il était donc à prévoir que tôt ou tard, je manquerai mon réveil... L'envie de passer la matinée dans le confort de mon lit m'avait bien traversé l'esprit, mais je dois encore augmenter ma moyenne de trois points si je désire rester aux Neuf Muses et je doute que l'absentéisme soit vraiment favorable à mon entreprise...

Cherchant la première place vide que je croiserai, mon regard tombe alors sur l'habituelle chaise vacante à côté de Mathias. Après une brève réflexion, je prends mon courage à deux mains pour m'y installer. Depuis notre entrevue chez M.Le Directeur, l'italien ne m'a plus adressé la parole, fuyant mon regard à chaque fois que j'ai tenté d'attraper le sien. Mais il faudra bien que l'on discute à un moment donné pour éclaircir la situation et je suis décidée à crever l'abcès. Néanmoins, ma motivation fond comme neige au soleil alors qu'il ne m'adresse pas le moindre signe, son attention rivée droit devant lui.

Au début, je ne sais pas vraiment comment amorcer la conversation et la froideur de mon voisin de table n'est pas pour me faciliter les choses. Il m'ignore superbement, s'arrange pour éviter tout contact avec moi. Son comportement est compréhensible, mais il me blesse quand même.

Le cours est déjà bien avancé lorsqu'une occasion se présente à moi. Le professeur est en plein monologue, réalisant oralement l'analyse littéraire de I Promessi sposi. Il expose les éléments à une vitesse faramineuse, nous obligeant à adopter un rythme douloureux pour la prise de notes quand mon voisin peste brusquement en farfouillant frénétiquement dans sa trousse. Son stylo bleu violemment abandonné sur son cahier m'apporte la réponse que je cherchais. Sans qu'il ne me demande rien, je lui en tends un deuxième que j'avais d'avance dans mon sac. Avec résignation, il finit par s'en saisir avant de murmurer un bref « merci ». Puis le silence retombe, à peine moins lourd que précédemment, me laissant un maigre espoir ; il m'a tout de même lâché un mot ! c'est déjà ça...

Dégoutée par son attitude glaciale, je décide finalement de l'ignorer également. Me replongeant dans le cours, je m'affaisse inconsciemment sur ma chaise alors qu'une infime partie de moi se décourage.

- Je ne sais pas comment me comporter avec toi, Will, souffle-t-il finalement sans pour autant tourner la tête vers moi. Un coup, tu es super sympa, celui d'après j'apprends que tu m'as espionné... Je te croyais différente de ces manipulateurs à gogo qui pullulent dans l'Organisation. En tout cas, c'est la première impression que j'ai eu mais vraisemblablement, je me suis trompé.

Je devrais me sentir soulagée qu'il daigne enfin me parler, pourtant ses mots ont davantage l'effet d'une gifle. Je comprends tout à fait son ressentiment, et je le mérite cent fois, mais cela n'empêche en rien la douleur et la culpabilité d'enserrer mon cœur comme un étau depuis que j'ai, à tort, brisé sa confiance. Il a toutes les raisons du monde de m'en vouloir, ou même de me haïr. Je ne mérite que sa colère et ses reproches. C'est pourquoi je les accepte sans ciller.

- Je te demande pardon.

C'est tout ce que je lui dis après qu'il s'est livré à moi. Il m'a ainsi avoué son sentiment de trahison et la blessure que lui avaient infligée mes actions. Il m'a aussi expliqué les raisons pour lesquelles il discutait avec Octavius Di Prospero. Cela était dans le seul but de découvrir quelque chose sur la disparition de sa sœur. La rumeur déclare qu'elle a trahi son camp pour rejoindre celui de Di Prospero. Par conséquent, se renseigner auprès de ce dernier paraît logique. Toutefois, je devine à ses silences qu'une partie de son histoire m'est toujours inconnue, mais je respecte ses secrets, me satisfaisant de ses quelques aveux.

- Karen m'a vaguement exposé le pourquoi tu as agi ainsi et je pense que... je pense que je comprends et que je t'excuse. Quand je vois ce que je suis prêt à faire pour retrouver ma sœur, je me dis que j'aurais sans doute fait la même chose.

En dépit de mon cœur qui s'emballe de bonheur à l'idée qu'il puisse me pardonner, j'affiche le plus grand calme. Je ne voudrais pas briser ce riche moment vers notre potentielle réconciliation.

- En outre, reprend-il, j'aimerais vraiment qu'on élucide nos mystères l'un comme l'autre. Et pour ça, il faudrait que l'on puisse se faire confiance. Je pense que tu as beaucoup à m'apprendre sur Octavius et ses partisans et j'ai la prétention de croire que je pourrais te rendre la pareille. Si l'on s'alliait, nous pourrions avancer bien plus vite dans nos recherches...

Il hésite un instant. Puis il poursuit, avec résolution :

- Je... je vais donc te faire confiance et te révéler tout ce que je sais. Je te propose de me rejoindre dans ma chambre, le lendemain du concert. Je comprendrai ta défiance, mais j'espère que tu viendras et que tu seras la plus sincère possible.

Comme s'il cherchait à jauger ma réaction, il fronce les sourcils dans l'attente de celle-ci. Je n'ai pas besoin de réfléchir longtemps avant de répondre :

- C'est laquelle ta chambre ? 

***

- Je ne sais pas... chuchote Valentin alors que je viens de leur exposer la proposition de Mathias.

Après le cours d'italien, je les ai retrouvés, Jaz, Ania, Adam, Liam, et lui, en salle d'économie. Quand je leur ai dit que j'avais à leur parler, nous nous sommes réunis au fond de la classe pour discuter tranquillement sans perturber la leçon.

- Mais pourquoi ? proteste ma colocataire à ma droite. J'ai bien envie de savoir ce qu'il a à nous apprendre, moi.

- Jaz, s'exaspère le blond, j'aimerais que tu te calmes avec ces histoires. Ce n'est pas un jeu, je te rappelle. Pour ma part, je suis d'avis à rester en dehors de tout ça. Karen est déjà au courant de ce que nous savons, nous avons largement apporté notre contribution. Maintenant, nous ne devrions plus nous impliquer.

- T'as peur de te faire punir ? s'emporte-t-elle un peu trop fort, attirant l'attention de notre professeur sur nous.

Elle s'excuse brièvement à l'attention de ce dernier avant d'affronter le regard froid de Valentin et d'Ania.

- Jaz ! s'énerve à son tour la journaliste. Grandis un peu ! On ne te parle pas de se faire renvoyer ! On risque bien plus que ça !

- J'ai peur pour nos vies, surtout, confirme Valentin froidement.

Mon amie en perd sa superbe face à l'autorité naturelle de Val. Néanmoins, elle reprend vite contenance et s'apprête à répliquer lorsque Ania la coupe avec brusquerie :

- Non Jasmine ! Cesse donc d'être aussi inconsciente ! Et si tu doutes des dangers que l'on court en nous impliquant, demande donc à Will et à Liam !

Cela suffit à enfin à faire taire ma colocataire tandis que Liam, gêné, baisse honteusement la tête. Prise de colère, je remballe la sœur de Leander à mon tour :

¾ Tu as raison, Ania, confirmé-je, nous courrons des risques à nous mêler de cette histoire. Cela dit, je te ferai remarquer que Liam et moi nous sommes retrouvés menacés indépendamment de notre implication dans cette histoire. Tout comme Reka, Guillermo, Rosario et Ryan. Ils ne se doutaient de rien, ils n'ont pris part à rien, et pourtant... A ce stade, je pense que le simple fait d'étudier aux Neuf Muses constitue un danger pour nous tous. En revanche, je pense que savoir pourrait nous aider à nous préparer et donc à nous protéger.

Je prends mon souffle un instant avant de poursuivre :

¾ Comme tu l'as souligné, Liam et moi connaissons très bien les dangers. Sans doute même mieux que vous. Mais je pense également pouvoir vous assurer que si l'on se contente d'ignorer le problème, nous serons encore moins en sécurité que ce que nous le sommes actuellement. Il nous faut des informations supplémentaires pour pouvoir faire face du mieux que nous le pouvons, sinon nous irons tous droit dans le mur.

Après mon discours, je me serais presque attendue à recevoir des applaudissements, mais seul un silence empreint de gravité accueille mes paroles. Ania et moi nous défions du regard un long moment. Je ressens toute sa colère face à mon intervention, mais je n'en démords pas, convaincue qu'il nous faut emmagasiner un maximum d'information sur nos ennemis afin de nous défendre.

¾ Je suis d'accord avec Will, annonce finalement Liam, en relevant la tête. Fermer les yeux ne nous avancera à rien.

Son intervention fait détourner la tête d'Ania, coupant notre joute silencieuse. Elle capitule. Toutefois, la tension dans ses mains ne me laisse aucun doute sur ce qu'elle pense de tout ça.

- Puis qu'on le veuille ou non, ajoute Jaz plus calmement, Willow et Liam sont déjà en danger à cause de leurs parents. La question reste donc de savoir si nous autres, qui pour le moment ne sommes concernés que d'assez loin par tout ça, allons décider de prendre part à la bataille pour aider nos amis. En ce qui me concerne, la décision est déjà prise

Son commentaire nous arrache à Liam et moi un faible sourire, à la fois touchés par son geste et inquiet de lui faire courir tous ces périls. Et l'attitude de Valentin et Adam semblent s'accorder à son choix bien qu'ils ne le clament pas à haute voix. Ils n'en ont même pas besoin, leur tête haute ainsi que leur regard fier et déterminé suffit à nous donner la réponse : oui, ils seront avec nous dans cette guerre.

- Pour en revenir au sujet principal, nous ramène à la conversation Valentin, je t'avoue que je me méfie un peu de Mathias. Entre sa sœur qui est potentiellement dans le camp adverse, ses capacités de Hackers et son intelligence à elle seule, Mathias peut s'avérer très dangereux s'il n'est pas véritablement de notre côté. OK, il a peut-être des choses à nous apprendre, mais n'oublie pas un détail Will : ce qu'il te propose, c'est un échange d'informations. Autrement dit, tu devras toi aussi lui révéler ce que tu sais. Et on ignore ce qu'il en fera...

L'argument est valable, je ne le nie pas. Pourtant, je persiste à croire que c'est la chose à faire. Pour une raison qui m'échappe, je suis entièrement convaincue que l'on peut faire confiance à Mathias. Puis, si nous nous allions dans cette enquête, je suis persuadée que ses facultés en informatique nous seront fort utiles en plus du savoir qu'il détient déjà. Alors certes, c'est un pari risqué, mais je pense que c'est en jouant gros que nous aurons le plus de résultats.

Je tourne la tête vers Liam et Adam dans l'attente de leur verdict. Liam contre argumente alors :

- C'est un risque en effet, s'accorde-t-il à dire. Toutefois, si Mathias s'allie à nous, tout ce qui le rend dangereux constituerait un avantage non négligeable. D'accord, ces capacités peuvent causer notre perte, mais si au contraire, il les exploite pour nous aider, c'est un atout considérable qu'il nous apporterait. Alors certes, c'est un pari à faire, mais on a autant à gagner qu'à perdre. En ce qui me concerne, la décision te revient Will. C'est à toi qu'il a proposé ce marché alors fais comme tu le sens. Sans nous, qu'aurais-tu fait ?

- Puis bon, on ne se fait pas trop d'illusions que quoi qu'on te dise, tu n'écouteras que toi, ajoute Adam avec moquerie.

En effet. Et quelque part, la décision est déjà prise...  

**********

Voilà pour la chapitre 29 ! Je vais changer ma fréquence de publication, enfin, plus exactement le jour seulement. Dorénavant, je publierai le mardi à la place du mercredi ! 

Et pour en revenir à notre chapitre... Qu'en pensez-vous ? Peut-on faire confiance à Mathias ? 

Léna Gem

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