#Chapitre 27

- Hey ! Salut toi, m'accueille Liam tandis que je pénètre dans l'infirmerie.

Une violente odeur d'aseptisant me prend au nez à peine en ai-je franchi le seuil. Mon ami, assis dans son fin lit blanc, me sourit gentiment. J'éprouve un pincement au cœur en remarquant les points de suture sur son arcade sourcilière gauche et sa posture légèrement prostrée témoigne de sa douleur, derrière son sourire de façade. Néanmoins, je suis profondément soulagée en retrouvant son air goguenard. Il est certes blessé, mais cela aurait pu être bien pire. Je réprime un frisson alors que des images de ce qu'il aurait pu se produire s'imposent à moi.

- Allons, ne fais pas cette tête, petite Willow, tente-t-il de me distraire. Je trouve personnellement que mon entaille au sourcil me donne un côté plus viril, plus sauvage ! Maintenant, toutes les filles vont tomber à mes pieds, c'est certain.

Je souris malgré moi en levant les yeux au ciel. Malgré les récents événements, la principale préoccupation de Liam reste inchangée : les filles avant tout.

- J'ignorais que tu te voulais un genre mauvais garçon, répliqué-je sur le même ton.

- Que veux-tu ? les filles adorent les Bad Boys... affirme-t-il avec un clin d'œil complice.

Peu convaincue par sa théorie, je me contente de lâcher :

- Si tu le dis...

Le silence retombe doucement sans que ni l'un ni l'autre ne sache réellement quoi dire. La matinée a été longue et difficile pour tout le monde et cela ne fait que commencer. Bientôt, Karen fera une annonce et j'espère sincèrement qu'elle sera sincère. Garder le secret plus longtemps n'aura que des effets néfastes sur les Neuf Muses et Karen comme M.De Clermont doivent le comprendre.

- Tu as eu beaucoup de visites ? brisé-je finalement le silence.

- Valentin, Charline, Ania et Leander étaient déjà là à mon réveil, m'apprend-il. Adrían et Jaz sont passés en coup de vent. A priori, cette histoire monopolise tous les responsables de l'école et Adrían n'y échappe pas. Quant à Adam, il vient de partir me chercher une tasse de thé. J'ai réussi à négocier avec Amanda pour boire autre chose que leur eau insipide, quelle chance ! Mais sinon, ils ont tous prévus de repasser vers quinze heures. Même Mathias est venu prendre de mes nouvelles.

Je hoche la tête. Cela ne me surprend pas vraiment. En dépit de leurs bisbilles permanentes, ils sont tous extrêmement soudés les uns avec les autres alors savoir que l'un d'entre eux a été grièvement blessé a dû les secouer.

- Mathias m'a raconté ce qu'il s'était passé, après que cet homme m'a injecté son sédatif, reprend-il ensuite après une brève hésitation. Merci Will. Vraiment.

Je lui offre un sourire rassurant :

- Ce n'est rien, Liam, affirmé-je. J'ai juste fait ce qu'il y avait à faire. Et je le referais si je le devais.

- Je te dois tout de même une fière chandelle. Alors s'il y a quelque chose que je peux faire pour toi, fais-moi signe.

- Tu ne me dois rien du tout. Je suis persuadée que tu l'aurais fait aussi si la situation avait été inversée.

Avant qu'il n'ait le temps de répondre, Adam réapparaît dans l'embrasure de la porte, une tasse de thé fumante dans les mains. Les cheveux encore mouillés d'une récente douche, aucune trace des récents événements n'est visible sur son visage. Pourtant, je ressens une sorte de gêne mélangée à une profonde gratitude à son égard. Depuis notre entrevue dans le bureau du directeur, nous n'avons pas eu l'occasion de discuter des nouvelles responsabilités qui lui incombent par ma faute et j'ignore comment réagir. Comment devrais-je le remercier d'avoir accepté d'endosser ce rôle que lui a imposé M.De Clermont ?

Toutefois, indifférent à mes questions existentielles, Adam s'avance vers nous pour remettre sa boisson au convalescent puis m'accordant un regard moqueur, il me lance :

- Tu devrais peut-être envisager un bain, Mini-Portion. Tu as encore des traces de terres sur l'épaule...

- Toujours aussi agréable... soufflé-je.

Cependant, je ne peux m'empêcher de frotter mon épaule pour tenter de faire disparaître la tâche brunâtre qui recouvre ma peau. Satisfait par ma réaction, Adam sourit fièrement pendant que j'attrape le coussin coincé entre l'accoudoir de mon siège et moi pour le lui lancer au visage, mais il l'intercepte sans difficulté. Amusé par notre petit manège, Liam sirote son thé sans un mot lorsque le reste du groupe pénètre sans aucune discrétion dans l'infirmerie.

- Comment tu te sens ? l'interroge Charline en s'installant à même son lit en toute décontraction.

- Je vais bien, lui répond l'intéressé, arrête donc de t'inquiéter.

- Moi ? s'insurge la fille aux cheveux bleus, m'inquiéter ? Tu plaisantes ?

L'anglais lui offre un regard qui en dit long ; il ne la croit pas un instant.

- C'est vrai, quoi ? poursuit-elle comme pour le convaincre, les cartes m'ont dit que tu n'aurais rien de grave alors je n'avais aucune raison d'être préoccupée. Et les cartes ne mentent jamais.

- Peut-être, lui rétorque-t-il avec son sempiternel sourire de tombeur, mais si tu as interrogé tes cartes, c'est parce que quelque part, tu te faisais du souci pour moi, je me trompe ?

- Ouais, bon, si ça te fait du bien de le croire...

Pas dupes pour deux sous, personne n'émet néanmoins de remarque. La conversation adopte un ton plus sérieux, Adrían nous transmet les dernières nouvelles que nous avons ratées : Karen a demandé que tous les élèves se regroupent au Patio pour passer une annonce de la plus grande importance. Les bruits de couloir vont bon train à propos de ce qu'il s'est passé ce matin bien que pour le moment, rares soient ceux qui détiennent de vraies informations sur le sujet.

- Personne, en dehors de nous, nous explique le Président, ne sait véritablement ce qu'il s'est produit, Karen est d'avis à dire la vérité, mais M.De Clermont pense plus prudent de ne pas mettre les élèves dans la confidence. Du coup, il a été décidé de couper la poire en deux : comme seuls les élèves participant à Eos ont vu certains éléments gênants et qu'ils ont tous eu un entraînement propice à affronter cette situation, seuls les membres d'Eos vont être mis au courant. Pour les autres, une deuxième version leur sera donnée.

- C'est une tactique risquée, commente Charline en remontant sa grosse monture ronde sur son nez. Il suffit qu'un seul élève fuite l'info et l'administration va se mettre à dos tous les autres... Je comprends pas mon père parfois.

- Il veut éviter un mouvement de panique, raisonne Valentin. Les membres d'Eos ont tous suivi un entraînement rude qui les a plus ou moins préparés à ce genre de situation, M.De Clermont doit les croire capable d'y faire face, mais pour les autres, c'est courir le risque de les effrayer et de rendre les choses encore plus difficiles à gérer.

Charline semble accepter l'argument, mais Ania n'est sans doute pas de cet avis car elle remarque :

- Oui, mais le mouvement de panique sera le même, voire pire, si l'information parvient à un non-membre. Charline, Willow, Leander et moi savons déjà la vérité alors que nous ne faisons pas partie de votre... secte. Qu'est-ce qui nous assure que personne d'autre n'en parlera à quelqu'un qu'il ne faut pas.

- Nous sommes entrainés à ce genre de secret, rétorque Adam. Nous prenons un énorme risque en vous révélant tout ça et nombreux sont ceux qui ne s'y tenteraient pas. Puis si nous vous avons mis dans le jus, c'est parce qu'on sait qu'on peut vous faire confiance.

-   On ne peut qu'espérer que la stratégie de mon père soit la bonne alors... commente avec fatalité Charline.

- Puis c'est faux, intervient Jaz avec un immense sourire, Will a rejoint nos rangs ce matin même !

Un murmure de stupeur emplit notre petit cercle tandis que tous les regards se braquent sur moi. Gênée, je hausse les épaules comme si ce n'était qu'un détail.

- Bah dis donc, souffle Valentin avec admiration. Je crois bien que c'est un record ; être admise au bout d'un mois, sacrée performance !

- Vous l'auriez vue devant M.De Clermont ! s'enthousiasme ma colocataire. Quand il a découvert tout ce que Will a déjà accompli depuis qu'elle est là, j'ai bien cru qu'il allait nous faire un AVC ! C'était à mourir de rire !

- Mathias m'avait bien dit que tu t'en étais très bien sortie face à ces types, continue Liam, mais à ce point... Chapeau.

- En parlant de ça, m'empressé-je de changer de conversation, j'ai beaucoup réfléchi à ton agression et... certains détails me chiffonnent.

A peine ai-je déclaré cela que toute l'assemblée m'écoute attentivement. Moi qui espérais ne plus être le centre de cette attention si gênante, c'est raté. Néanmoins, devant l'importance de ma théorie, je prends sur moi pour l'énoncer jusqu'au bout :

- Dans le cas de Reka et Guillermo, leurs agresseurs leur ont tranché la gorge et je peux affirmer que c'est également ce qu'a subi Ryan... Pourtant, pour Liam, ils lui ont injecté un sédatif ce qui me laisse à penser que leur but n'était pas de le tuer, mais plutôt... de l'enlever. Et après ce que j'ai appris sur la haine que se voue M.Collins et ce Octavius Di Prospero, cela me semble assez logique en fait.

- Tu penses que leur objectif était d'enlever Liam pour faire pression sur son père ? poursuit mon raisonnement Adam.

- Oui, affirmé-je. S'il n'était question que d'un élève au hasard, pourquoi auraient-ils changé leur mode opératoire ? Or, je mettrais ma main à couper que Liam représente un pion très particulier pour Octavius. Qu'il s'agisse d'une simple vengeance ou d'une stratégie plus élaborer pour faire tomber M.Collins, Liam serait une arme de choix...

Devant leur regard plein de doutes, je ne peux m'empêcher d'ajouter :

- Bon écoutez, vous ne connaissez pas encore toute l'histoire dans son ensemble...

Une nouvelle fois, leurs yeux se braquent sur moi dans l'expectative de ma révélation. Quant à moi, je sens déjà mon cœur qui s'emballe rien qu'aux souvenirs que je vais aborder. Toutefois, je n'ai pas d'autre choix, il faut qu'ils sachent. Alors je coince mes mains sous mes cuisses pour masquer leur tremblement, je détourne le regard pour trouver du courage avant de me lancer :

- Comme vous le savez déjà, mon arrivée ici n'est pas vraiment de mon choix. Quelques jours avant que je débarque au Neuf Muses, plusieurs hommes vêtus de costumes noirs nous sont tombés dessus alors que mon grand-père et moi venions de mouiller à Piombino. Nous n'étions pas ensemble lorsqu'ils s'en sont pris à nous. Je revenais de la capitainerie, mon grand-père était... déjà mort quand ils m'ont vu approcher du bateau. Ils m'ont couru après jusqu'à ce que je parvienne à me cacher.

Un silence quasi religieux règne sur notre groupe tandis que chacun m'écoute sans m'interrompre. Je lis dans leurs yeux un mélange d'étonnement, de compassion et de compréhension alors que je m'efforce de rester maitresse de moi-même, refusant de laisser entrevoir la détresse dans laquelle mes souvenirs me plongent. Cependant, je lutte contre ce flot d'émotions puis je reprends mon récit. Ainsi, je leur raconte la deuxième tentative d'enlèvement à l'aéroport de Brest, le secours du chef de la sécurité et l'intervention de Logan pour me tirer d'affaires. A ma plus grande surprise, je parviens à garder une voix relativement stable, loin des déraillements auxquels je m'attendais quand j'ai commencé à parler.

- Tout ça pour vous dire que mon père pensait que si Rangers et ses hommes ont tué mon grand-père et s'en sont pris à moi à Piombino, puis à Brest, c'était pour avoir une monnaie d'échange contre lui. Pour faire une sorte de chantage ; en échange de ma libération, mon père leur aurait donné quelque chose. Dans son hypothèse, il s'agissait de la garanti que mon père se retirerait de ce conflit. Par conséquent, je me demande si la stratégie d'Octavius n'était pas la même pour Liam et son père : si M.Collins lui laissait le pouvoir, il lui rendait son fils... Ce qui expliquerait pourquoi Rangers et son collègue lui ont fait cette injection plutôt que de simplement le tuer comme avec les autres.

- Attends une minute, relève ma meilleure amie, t'es en train de nous dire que l'agresseur de Liam est le même que le tien ?

- On s'en fiche, Jaz, assuré-je pour ne pas laisser transparaître mon trouble.

Mais Liam ne l'entend pas de cette oreille...

- Non, ça change tout, Will ! Tu n'es pas intervenue auprès d'un inconnu quand tu t'es interférée ! Tu savais parfaitement les risques que tu courrais sans parler de la peur que tu as dû éprouver en te retrouvant face à lui et pourtant, tu l'as quand même fait !

- Tu aurais voulu que je fasse quoi ? riposté-je sur la défensive. Que je le laisse faire ? Après qu'il est tué mon grand-père, certainement Reka, Guillermo et Ryan ? Evidemment que c'était la chose à faire, suis-je bête !

Devant mes arguments, l'anglais se mure dans un silence glacial. Je devine qu'il est en intense réflexion à propos de ce que je viens de dire ; sans doute pris entre la colère et la frustration que je me sois retrouvée dans une telle posture, mais aussi la gratitude et la compréhension que je l'ai fait.

- Désolé, Will, s'excuse-t-il finalement. Je n'aurais pas dû élever la voix contre toi... Au contraire, je devrais te remercier de m'avoir sauvé.

- N'en parlons plus.

- Y a quand même un détail qui me dérange, intervient Adrían froidement. Pourquoi tu ne nous en as pas parlé plus tôt ? Ce ne sont pas des éléments anodins dans cette histoire. Visiblement, tu es la plus au courant de nous tous à leur propos alors pourquoi nous l'avoir caché ?

Ses accusations, à peine voilées, me laissent sans voix. Alors que je reste bêtement figée, choquée, ma meilleure amie vole à mon secours.

- Adrían, baisse le ton s'il te plaît. Will n'avait aucun compte à nous rendre...

- Merde Jaz ! elle nous a cachées des informations capitales ! Liam aurait sûrement fait preuve de plus de prudence s'il avait su que ce type aux rangers était susceptible de tenter un enlèvement !

- Elle vient de tout nous dire alors pas besoin d'en faire un fromage.

- Tu es parfois trop naïve, chérie. Comment peux-tu lui faire pleinement confiance alors qu'elle nous a menti ? En outre, je trouve surprenant que comme par hasard, elle se retrouve toujours mêlée de près ou de loin quand un truc grave se produit ? Vous ne trouvez pas étrange qu'elle soit toujours la première sur place ?

- Adrían, menace sa petite amie, tu dépasses les bornes là.

Néanmoins, personne d'autre n'ose piper mot. Chacun réfléchit à la déclaration du Président, en proie au doute. Quant à moi, je retiens difficilement mes larmes, blessée par l'hésitation que je lis en chacun d'eux. Etonnamment, je commençais à me sentir à ma place parmi eux et voilà qu'en un rien de temps, ils se méfient de moi ? Me rejettent ? J'ai bien conscience que je suis encore la « nouvelle », mais tout de même, je pensais avoir gagné leur confiance et être pleinement intégrée. Visiblement, je me suis amèrement trompée...

C'est alors que Liam prend la parole.

- Oui, moi, je lui fais confiance. Sans elle, Dieu seul sait où je me trouverais et ce que je serais en train d'endurer. Alors Will n'a peut-être pas été des plus sincères avec nous, mais je comprends aussi qu'elle ait préféré garder le secret sur son passé. Ce ne sont pas le genre de choses que l'on raconte à n'importe qui et jusqu'à y a quelques jours, elle ne nous connaissait pas. Qui, à sa place, nous aurait racontés tout ça dès le départ ? Pas moi, personnellement.

- Moi non plus, souffle Charline

Et chacun leur tour, ils donnent raison à Liam. D'abord Jaz, puis Adam, Valentin, Leander et Ania. Tout le monde, hormis Adrían, m'offre un pâle sourire contrit, mais cela me laisse indifférente, cela ne suffit pas à apaiser ma colère. J'ai même envie de leur rire au nez, amère. Alors d'un mouvement brusque, je me relève de mon siège avant de quitter précipitamment l'infirmerie. Dans mon dos, j'entends Jaz m'appeler, mais je l'ignore, accélérant le pas pour me retrouver plus rapidement toute seule. 


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