#Chapitre 26

J'étais à quelques pas de Liam. Des bruits de lutte me parvenaient ; des gémissements, des grognements et des halètements. Je pressai un peu plus le pas quand mon pied se prit dans une racine et je m'étalai de tout mon long sur le sol. Ignorant la douleur, je frottai mes mains pour y déloger quelques graviers lorsqu'un détail sordide me donna l'envie de vomir : une substance poisseuse recouvrait mes doigts. Au même moment, je réalisai qu'il s'agissait de sang et que je n'avais pas trébuché sur une racine, mais sur un corps. Le visage tourné dans ma direction, la bouche ouverte dans un cri de stupeur, il me fixait de son regard vitreux et sans vie. Je retins un haut-le-cœur, mais l'urgence de la situation me donna le courage de me remettre sur mes pieds. Liam avait sans doute besoin d'aide ; il était hors de question que je le condamne au même sort.

J'atteignis enfin les lieux de la bagarre. Un frisson d'horreur me serra les entrailles. Devant moi, mon ami était aux prises avec deux agresseurs et il n'avait pas l'air en bonne posture. Il chancelait, comme en proie à un violent vertige, mais luttait pour ne pas s'écrouler. Face à lui, ses deux assaillants se tenaient droits et menaçants. Le regard de l'un deux brillait d'une lueur folle, se délectant de la résistance de Liam. Dans l'obscurité, je ne voyais pas grand-chose, mais son timbre de voix, rauque et glacial, monstrueux, suffit à ce que je le reconnaisse. Il s'agissait de l'homme aux rangers.

Liam tenta de porter un coup que l'homme aux rangers esquiva sans mal. Entrainé par son poids et souffrant de son vertige, l'anglais bascula sur le côté, mais réussit par un miracle surprenant à ne pas tomber. Néanmoins, le deuxième homme en profita pour le frapper violemment à la tête. Cette fois, Liam s'écroula. Il se pencha ensuite sur lui, une seringue à la main, prêt à lui injecter un produit quelconque.

Déterminée à ne pas le laisser faire, je cherchai désespérément une idée qui me permettraient de prendre le dessus. Malheureusement, je n'avais rien sous la main à part des pommes de pin, des branches et des cailloux. Bref, je n'avais que des armes bien dérisoires. Toutefois, je devais tenter le tout pour le tout alors je me munis d'une pomme de pin. Ma visée n'étant pas des plus extraordinaires, le risque de toucher Liam à la place de son agresseur était bien trop importante pour que je tente ma chance avec une pierre. Sans me précipiter, je me préparai à lancer mon arme de fortune. Le but était davantage de le déconcentrer que de le blesser véritablement. Par chance, le deuxième homme se reçut mon missile sur l'épaule. Surpris, il releva aussitôt la tête, cherchant sa source. Plaquée contre un arbre, je l'entendis ordonner à l'homme aux Rangers de fouiner dans ma direction. Jouant le tout pour le tout, j'attendis qu'il soit suffisamment proche pour passer à l'action.

J'avais appris, à force d'étape aux quatre coins du monde, à me battre ou à minima me défendre. Je manquais terriblement de pratique, certes, mais avec l'effet de surprise, j'espérai être assez rapide pour le mettre hors d'état de nuire facilement. Le souci, c'est que je bénéficierai plus de cet avantage avec son collègue.

Morte de peur, mais résolue, je ne passai à l'action qu'au dernier moment. Il se trouvait à quelques centimètres à peine de ma cachette lorsque mon poing s'abattit sur son oreille, déjà blessée par mon coup de pied sur son oreillette de la dernière fois. Désarçonné, je pus lui administrer un magnifique coup de genou dans l'estomac avant de violemment le frapper à l'arrière de la tête. Hélas, je n'eus pas assez de puissance pour que cela l'assomme vraiment. Cela n'eut pour seul effet que de le mettre dans une colère noire, amplifiée lorsqu'il me reconnut. Un sourire carnassier naquit sur ses lèvres. Avec une vitesse déconcertante, il m'attrapa par le bras pour me tirer hors de ma cachette. Avec brusquerie, il me relâcha et emportée par mon élan, je parcourus quelques mètres avant de m'arrêter. J'eus à peine le temps de me retourner qu'il était sur moi. D'instinct, je me baissai pour éviter son attaque. Je parai plusieurs coups avant qu'il ne m'atteigne aux côtes. Une vive douleur me freina, mais je ne perdis pas mon objectif de vue pour autant. Malheureusement, je ne vis pas le pied tendu de son collègue qui me fit tomber en arrière. Clairement en mauvaise posture, je tentai de me relever, mais l'homme aux rangers ne m'en laissa pas le temps ; il me faucha de nouveau les jambes afin que je reste à terre. Il me bloqua ensuite toute possibilité de bouger, se servant de tout son poids. Il enserra mon cou, bloquant ma respiration.

- Ce coup-ci, ma jolie, t'es morte. Tu m'as eu deux fois, mais pas une troisième.

Je gigotai, mais cela ne suffit pas. Cependant, mes mouvements gagnèrent en ampleur alors pour se protéger, il positionna ses coudes sur mes bras, libérant dans une certaine mesure mes mains. Son regard brillait d'une lueur meurtrière ; je sus que si je n'agissais pas rapidement, mon sort était scellé. Alors je fis la chose la plus écœurante que j'eus à faire dans ma vie. J'enfonçai mon doigt dans son oreille de laquelle s'écoulait déjà un flot de sang. Mon geste lui provoqua un hurlement de douleur qui le fit lâcher prise. J'en profitai pour me libérer entièrement. Du coin de l'œil, je vis son collègue se raidir, s'apprêtant à m'attaquer à son tour, mais un poids lourd le percuta de toute sa force. Il chancela, emporté par l'élan. Surprise, je reconnus Mathias qui attaquait avec une précision effroyable son assaillant. Il ne lui laissait aucun répit, aucun moyen de riposter. Subjuguée par leur danse sanglante, je ne remarquai pas que l'homme aux rangers s'était relevé. Aussi, je sursautais lorsque son bras s'enroula autour de mon cou, me plaquant contre lui.

- Eh ! beau gosse ! si j'étais toi, je m'arrêterai là ou sinon ta jolie poupée risquerait de voir sa belle petite nuque brisée.

Presque instantanément, Mathias se figea. Son adversaire en profita pour le frapper à son tour, mais l'italien subissait sans broncher, inquiet qu'un de ces gestes provoque ma fin. Tout ça, c'était à cause de moi. Alors sans hésitation, je pris autant d'élan que possible pour lui administrer un puissant coup de boule. Son nez craqua dans un bruit sinistre et je sus qu'il était sévèrement cassé. Il me libéra une nouvelle fois. Aussitôt, Mathias reprit son combat avec encore plus d'ardeur tandis que je me préparai à la prochaine attaque de l'homme aux rangers qui pissait le sang lorsqu'il siffla bruyamment. Son collègue réagit à son signal et s'enfuit à toute jambe dans la forêt.

- Tu ne t'en sortiras pas aussi bien la prochaine fois que l'on se croisera, sale petite garce, lâcha l'homme aux rangers avant de suivre son comparse.

Soulagée de leur départ bien qu'inquiète par la dernière menace, je me laissai tomber dans l'herbe. Un professeur de physique s'était approché du corps de Liam qui avait visiblement repris conscience durant la bataille pour vérifier que sa vie n'était pas en danger. Il gémissait et se tordait de douleur, mais il était bien vivant. Je remarquai alors qu'un groupe d'élèves s'étaient amassé autour de nous. Quant à moi, la tête douloureuse de mon dernier coup porté, je me massais le cuir chevelu pendant que Mathias m'observait attentivement, en quête de blessure importante. Rassuré quant à mon état, il me tendit la main pour m'aider à me relever.

- M.Jensen, M.Gonzales, conduisez donc M.Collins à l'infirmerie de toute urgence. Vous êtes blessée ? me demande ensuite M.Schuman en me foudroyant du regard.

***

Un silence de plomb accueille la fin de mon récit. Bienveillante, la conseillère d'éducation m'offre un verre d'eau. Après l'avoir remercié, je bois le gobelet d'une traite, complètement assoiffée, heureuse d'avoir une distraction pour ne pas avoir à affronter le visage furieux du directeur. Sans me prêter attention, il demande à mes compagnons de confirmer ma version des faits, ce qu'ils ne manquent pas de faire.

- Très bien, Will, commence-t-il alors. Au vu de tes révélations... je me vois contraint de te renvoyer dans les plus brefs délais. Les Neuf Muses ne peuvent tolérer une telle défiance du règlement et des adultes référents. Au cours de cet entretien, tu as avoué être sortie en douce hors de ton dortoir en dépit du couvre-feu et ce à deux reprises, être entrée par effraction avec Mlle.Tarwel dans le bureau de notre infirmière en chef afin de mettre la main sur des papiers confidentiels, avoir fomenté une rébellion auprès de tes camarades, et fait de Karen le dindon d'une farce de mauvais goût afin de récupérer ce dossier, tu as lu des documents interdits, pénétré un espace non-autorisé aux élèves de ton cursus et pris des risques inconsidérés au péril de ta vie.

Je ne peux qu'acquiescer devant sa longue énumération de chacune de mes fautes aux yeux de l'école même si je persiste à croire que j'ai fait ce qu'il fallait. Dans mon dos, je sens Adam et Jaz se raidir, mais ils connaissent assez bien le fonctionnement de l'école pour savoir qu'ils ne peuvent rien y changer. J'ai enfreint trop de règles pour pouvoir espérer une légère sanction.

M.De Clermont semble attendre un mot de ma part, mais je ne dis rien, acceptant la sentence. Face à mon silence, il se munit de son téléphone à fil, recherche dans mon dossier le numéro de mon père avant de le composer lorsque Karen prend la parole.

- Monsieur le directeur, plaide-t-elle, je comprends que l'administration puisse entretenir de nombreux griefs à l'égard de Willow, toutefois... je me dois de vous rappeler que sans ses agissements, nous ne pleurerions pas une, mais deux pertes, ce soir. En outre, nombre d'informations nous ont été révélées dans, je le pense, la plus grande sincérité, ce qui nous apporte des connaissances que nous-mêmes ignorions jusqu'à présent. Par conséquent, je me permets de vous demander de revoir votre jugement. Peut-être une punition sévère au sein de l'établissement suffirait-elle à ce que Willow comprenne la leçon ?

Le directeur lance un regard furibond à la conseillère, appréciant visiblement peu la remise en question de son autorité, mais Karen l'affronte ouvertement, la tête haute. Un pincement au cœur m'arrache un sourire, touchée qu'elle se donne la peine de prendre ma défense. Cependant, cela ne me garantit pas d'échapper à ma sanction et le visage fermé du père de Charline n'augure rien de bon. Tentant le tout pour le tout, Adam s'avance avant de déclarer :

- Sauf votre respect, Monsieur, je reconnais que Will a commis énormément d'impairs depuis son arrivée, mais qui n'en aurait pas fait à sa place ? Elle a toujours vécu au large de la société et encore plus de l'Organisation. Vous lui avez demandé de s'adapter à nos façons de faire sans même lui donner le bagage pour y parvenir, créant à chaque fois davantage de mystère. Nous aurions tous cherché des réponses par nous-mêmes.

- Elle a travaillé, progressé, s'est intégrée, ajoute ma meilleure amie. Au cours de ce dernier mois, Will a réussi à adopter notre fonctionnement alors qu'elle en ignorait tout.

Un silence glacial accueille leur interruption. Celui-ci s'éternise encore et encore, le directeur visiblement acculé par les avis de soutien de Karen et mes amis, prêt à céder, mais tout n'est pas encore joué. C'est alors qu'à la surprise générale, M.Hartmann intervient à son tour :

- Mme.Montgomery et ses jeunes ont raison, Monsieur. Par ailleurs, au-delà des aspects déjà cités, nous devons reconnaître d'autres qualités à Mlle.Santiago. Certes, ses motivations étaient douteuses, et cette demoiselle fait preuve de beaucoup de défiance pour atteindre ses objectifs, mais elle nous a aussi démontré qu'elle était dotée de courage, d'ingéniosité et de détermination afin d'obtenir les réponses qu'elle estimait nécessaires. Elle a su nous montrer sa ténacité, sa capacité au travail d'équipe, et aussi choquant trouverez-vous cela, elle a su agir lorsqu'elle a pensé qu'il le fallait. Nous avons bon nombre d'élèves qui suivent le règlement à la lettre, qui jamais ne penseraient à remettre en question l'autorité, quand bien même celle-ci a tort, qui jamais n'oseraient agir sans que nous ne le leur demandions... Bref, nous détenons dans nos rangs énormément de bons petits soldats dociles, mais nous manquons d'élèves plus téméraires et autonomes, capable de passer à l'action par leur propre jugement.

La conseillère d'éducation paraît soulagée qu'un autre membre de l'équipe pédagogique intervienne en ma faveur. Quant à moi, je reste sans voix. M.Hartmann ? lui qui m'a si souvent envoyé promener, qui ne rate pas une occasion de me faire savoir qu'il ne m'aime pas ? Il prend ma défense ? J'hallucine, ce n'est pas possible... Mon coup de boule a dû faire plus de dégâts que je ne l'aurais pensé...

- Fermez donc cette bouche d'ahurie, sombre idiote, me souffle-t-il alors.

Ah ! là, je retrouve mon prof de voile préféré ! Bizarrement, son geste me touche plus que je ne l'aurais imaginé. Mis dos au mur par les deux adultes qui lui font face, M.De Clermont abdique d'une expiration bruyante avant de relever froidement les yeux vers M.Hartmann.

- Très bien, devant votre fervent soutien à l'égard de Mlle.Santiago, j'accepte qu'elle reste entre nos murs à quelques conditions près.

Une traînée de sueur glacée me provoque un frisson tandis qu'il commence à lister ses clauses :

- D'abord, je te laisse deux mois pour gagner au moins trois points sur ta moyenne générale. Si aux vacances d'hiver, tu n'as pas au moins douze de moyenne, tu seras renvoyée.

J'acquiesce une première fois.

- Ensuite, tu seras collée chaque samedi matin et ce, jusqu'à ce que j'en décide autrement.

Second hochement de tête.

- En outre, je n'accepterai plus aucune incartade de ta part, comme de celles de tes camarades au sein de cet établissement. Au prochain manquement au règlement ou même refus d'obtempérer, je t'expulserai immédiatement sans préavis. Vois cela comme une période probatoire. Il serait temps que l'on t'inculque la discipline et que tu apprennes à te conformer aux ordres, jeune fille. Et cela commencera par ta coopération pour remplir ces fameux questionnaires auxquels tu as refusé de te prêter lors de notre première rencontre.

Nouveau signe de tête.

- Pour finir, comme M.Hartmann a l'air de trouver que nous manquons d'étudiants... disons innovants. Tu intègreras donc dès demain Eos, en section militaire.

- Eos ? répété-je, curieuse.

- Il s'agit de notre cursus spécial destiné à nos meilleurs élèves. Seuls les plus méritants d'entre eux sont répartis en plusieurs sections ; militaire, recherches et développement, diplomatie, médecine, journalismes, économie... On y développe des compétences bien plus approfondies, plus techniques que dans la formation basique. Tu vas devoir travailler très dur, mais grâce à cette formation, tu es assurée d'intégrer toutes les écoles de ton choix ou même trouver un emploi exceptionnel immédiatement après ton diplôme. Enfin, si tu parviens à tenir le rythme...

Je déglutis. Il a beau prétendre que c'est un honneur, je doute que son objectif soit véritablement de me récompenser. Quoi qu'il ait prévu, je vais en prendre pour mon grade, j'en suis certaine. 

Satisfait de mon air surpris et méfiant, il reprend après un court laps de temps pour que je digère le flot d'information.

- Je te ferai parvenir tes uniformes dans la journée, reprend-il, tu les trouveras dans ta chambre. En outre, tu as un an de retard encore à rattraper, je te nomme donc Adam comme tuteur, si ce dernier est d'accord, évidemment...

Il le fixe d'un œil autoritaire, avant de nous offrir un sourire sadique :

- De toute façon, si tu refuses, Mlle.Santiago se verra renvoyée... Alors, tu acceptes tes nouvelles responsabilités, Adam ?

Un clin d'œil à mon adresse puis il hoche la tête.  

**********

Et voilà pour ce long chapitre en deux parties ! Qu'en avez-vous pensé ? Personnellement, j'ai adoré l'écrire ! Et quels sont vos suppositions pour Eos ? Bonne ou mauvaise nouvelle ? Dites-moi tout en commentaire ! 

Léna Gem

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