#Chapitre 24
La tête embrumée par ma courte nuit, je regarde fixement ma besace comme si elle allait me révéler le matériel qu'il me faudra pour la prochaine heure. Nous devons être à cinq heures du matin devant l'école, ils sont sérieux ? Cinq heures du matin ! Avec humeur, je me décide finalement à prendre mon bloc-notes et un stylo, ce qui suffira bien.
- Tu n'auras pas besoin de ça, là où nous allons, me fait sursauter la voix de ma colocataire derrière moi.
- A t'écouter, répliqué-je en levant les yeux au ciel, on dirait qu'on part pour Azkaban...
Elle adopte un comportement prémonitoire et un peu inquiétant avant d'annoncer mystérieusement :
- Crois-moi, ce qui nous attend est pire qu'Azkaban...
Je secoue la tête, amusée par son attitude exagérée. Notre heure de colles ne devrait tout de même pas être aussi terribles que ça. Jusqu'à preuve du contraire, les Neuf Muses n'ont pas plus le droit qu'une autre école à user de tortures ! ... si ? Néanmoins, Jaz connaît mieux que moi le fonctionnement de l'établissement, je me fie donc à son conseil et abandonne mon sac de cours sur mon bureau. Fin prêtes, nous quittons nos chambres pour rallier le point de rendez-vous.
Sur place, un groupe d'une cinquantaine d'élèves est déjà amassé devant le petit escalier qui permet d'entrer dans le bâtiment, bravant le froid de cette fin d'automne. Un épais brouillard pèse sur l'île, masquant chaque forme de son voile lugubre. Les adolescents eux-mêmes n'osent pas élever la voix, seuls quelques chuchotements sont à peine audibles, craignant de briser le silence angoissant de Dame Nature. Prise d'un frisson, je resserre les pans de mon manteau autour de moi, comme si cela me ferait échapper à l'air glacé et humide qui recouvre Les Neuf Muses.
Devant moi, Jaz s'avance presque timidement jusqu'à nos amis qui nous attendaient déjà. La mine renfrognée des jumeaux ne laisse nul doute sur leur mécontentement. Liam, les mains dans les poches semble simplement attendre que commence la retenue. Seul Adam semble ne pas regretter d'être ici. Ania et Leander nous lancent un regard noir, auquel je réponds par quelques excuses. Il est vrai qu'à l'origine, ils n'avaient aucune raison d'être impliqués avec nous, après tout. Toutefois, j'estime que cela en valait la peine. Certes, nous ne savons pas davantage ce que manigance l'Ecole, mais au moins, nous avons maintenant la certitude que quelque chose se trame en coulisse.
- T'embête pas, Will, intervient Liam tandis que les deux journalistes accueillent mes excuses d'un regard noir. Ce n'est pas le fait d'être collés qui les embête, mais celui de les empêcher de publier un article sur nos découvertes...
- On en a déjà parlé, souffle Jaz à côté de moi. On va pas revenir là-dessus tous les jours !
- C'est facile pour toi, s'énerve Ania, on ne te demande pas d'aller à l'opposer de ton boulot.
- Et si tu te servais plutôt de tes ressources pour tâcher d'en découvrir plus, rétorque ma colocataire sur le même ton.
- Eh oh ! tempère Adam qui observait la scène avant de s'adresser aux jumeaux : Réfléchissez donc, vous deux ! nous sommes sur le point de découvrir un très gros secret sur les Neuf Muses et vous voulez tout gâcher en révélant seulement la partie émergée de l'iceberg ? Si Karen et le directeur s'aperçoivent qu'on cherche des infos, ils nous rendront l'enquête impossible... On attend d'en savoir suffisamment long sur toute l'histoire avant de faire connaître la vérité, d'accord ?
Convaincus par le discours du frère de Logan, les deux principaux concernés hochent la tête même si leur gaieté habituelle n'est toujours pas au rendez-vous. Liam s'apprête à ajouter quelque chose quand une scène étrange l'interrompt brutalement. A plusieurs mètres de nous, au sommet des escaliers, Karen s'entretient avec une silhouette familière que je ne parviens pas à identifier. Hélas, la distance ne nous permet pas d'entendre leur conversation bien que leur attitude sérieuse et solennelle ne laisse aucun doute sur l'importance de leur entrevue. Ils échangent une poignée de mains pour clôturer leur discussion, ce qui me permet d'apercevoir un épais dossier sous le bras de la seconde personne. Celle-ci descend l'escalier et s'apprête à partir lorsque Adam s'exclame dans mon dos, levant le mystère sur l'identité de cet homme :
- Logan ?!
Ce dernier se retourne brusquement avant d'apercevoir son frère, tout sourire. Il s'approche de nous, le regard blasé. Ils se saluent d'une accolade puis il lâche :
- Encore collé, à ce que je vois.
Adam se contente de répondre d'un haussement d'épaule fataliste. De toute évidence, oui, il était en retenue... Logan étudie notre petit groupe, visiblement étonné que nous soyons presque au complet, ne manquant que Valentin et Adrian encore à l'abri de tout soupçon. Ses yeux tombent sur moi et un rictus de surprise transparaît sur son visage.
- Will ! Ils t'ont embarqué avec eux contre ton gré ou t'es tout autant responsable que la crevette écervelée qui partage mon ADN ?
Le concerné administre un coup de poing vengeur dans son épaule, ce qui n'empêche pas Logan d'afficher un grand sourire. Je secoue la tête solennellement :
- Je mérite tout autant d'être ici...
- Tu me déçois, le glouton...
Je m'apprête à répliquer lorsque Adam me prend de vitesse en réalisant enfin :
- Mais... vous vous connaissez ?
- Mieux vaut tard que jamais... commente moqueusement son frère à mon adresse avant de répondre à la question. Je travaille pour son père, crétin. Forcément que l'on s'est déjà rencontré !
- Tu n'avais pas capté ? relevé-je. Je t'ai appelé par ton nom de famille sans même te connaître et tu n'avais pas fait le lien ?
Adam lève les mains devant lui comme pour se défendre :
- Non, non, je m'étais simplement dit que tu étais une psychopathe fanatique qui s'était renseignée sur moi toute la nuit !
Je plisse les yeux devant son commentaire.
- Haha, très drôle ! ironisé-je. Tu étais tellement remarquable le jour de notre rencontre que j'ai éprouvé le besoin irrésistible d'éplucher ta vie au peigne fin. J'ai tout de suite eu envie de savoir qui pouvait bien avoir un humour aussi... « whaou » pour m'appeler avec tant d'originalité « poils de carotte », pour sûr !
Nous allions partir dans une énième joute verbale, mais Logan est intervenu d'un sifflement tonitruant, nous coupant court dans notre échange de répliques bien senties.
- Et sinon ? demande-t-il alors. Pourquoi êtes-vous là ?
Adam et moi échangeons un regard complice avant de déclarer d'une seule et même voix :
- On s'est battu.
La tête que fait Logan face à notre aveu est à mourir de rire, mais nous nous maîtrisons tant bien que mal.
- Vous vous êtes battus... répète-t-il, choqué. Tu t'es battu avec elle ?
Il me pointe du doigt tout en disant cela tandis que son frère se contente d'un « oui » laconique pour toute réponse. Logan s'adresse à moi :
- Tu lui as mis la misère, rassure-moi !
- Bien comme il faut, approuvé-je en souriant fière de moi.
- Vachement, oui, rétorque Adam pour défendre son honneur. A part un verre d'eau en pleine tête, t'as pas fait grand-chose.
- Il était seulement pour te rappeler un certain incident plus... conséquent.
Il ne réplique plus rien, mais ma dernière remarque attise la curiosité de son frère.
- De quoi elle parle ? l'interroge ce dernier.
- De rien, oublie.
- Will l'a éjecté de leur catamaran, intervient Jaz que la conversation semble amuser au plus haut point.
Logan s'étouffe, pris entre l'envie de rire et la surprise.
- Tu as fait quoi ?
- Il était pénible alors que je l'ai mis à l'eau.
- Dis-moi Jaz, reprend-il. Tu as filmé, ça ?
- Hélas, non, je n'ai pas pu...
- Rah ! quel dommage...
- Bon et sinon, s'interpose Adam pour mettre fin aux moqueries qu'il subit, pourquoi tu es là ?
Un sourire entendu traverse le petit groupe, pas dupe pour de sous du but de la question. Néanmoins, tout le monde rentre dans son jeu, mettant un terme à la plaisanterie.
- Pour le boulot, répond évasivement Logan.
Adam fait des moulinets avec sa main pour le pousser à en dire plus, mais son frère garde le silence sous prétexte de « secret professionnel ».
La voix de Karen nous rappelle à l'ordre. Logan nous salue avant de se diriger vers la piste d'aviation, tandis que la conseillère d'éducation entreprend de faire l'appel pour vérifier que tout le monde est bien venu faire son heure de colle. Elle répartit ensuite les élèves de façon aléatoire dans trois groupes selon les travaux à réaliser. Ania, Charline, Liam et moi tombons de corvée de cuisine tandis que l'autre moitié du groupe atterrit à l'entretien des chemins et une dernière équipe s'occupe de nettoyer la bibliothèque. Bien heureuse de passer la matinée à cuisiner, je m'attèle à ma tâche en chantonnant
***
Avachie sur la table de la bibliothèque à laquelle je suis installée, je laisse mes yeux se perdre dans le va et vient des élèves devant moi. Un profond soupire de lassitude s'échappe de mes lèvres. Décidément, rien à faire ! un mois que j'étudie aux Neuf Muses et mes notes sont toujours catastrophiques. Au début, je m'étais cachée derrière la nouveauté et le temps qu'il me fallait pour rattraper mon retard pour me justifier, mais je dois me rendre à l'évidence : je n'ai simplement pas le niveau pour dépasser la moyenne ! Et la note écrite juste sous mon nez au feutre rouge sur mon dernier devoir de français me le rappelle bien. Découragée, je souffle brutalement sur ma copie qui s'envole sur la table avant de basculer par terre quand une main la rattrape au dernier moment avant d'y jeter un œil.
- Bah dis donc, tu en tires une sale tronche, commente Adam d'en toute sa sympathie. Qu'est-ce qui t'arrive ?
- J'suis nulle, marmonné-je pour toute réponse.
Un peu brutalement, il me fait tourner sur ma chaise jusqu'à ce qu'il puisse plonger son regard bleu acier dans le mien avec sérieux, les mains sur mes épaules. Surprise, je ne pipe mot lorsque finalement, il lâche bêtement :
- Tu sais, Will, je suis fier de toi. Sincèrement. Tu auras mis le temps, mais tu as fini par t'en rendre compte. Bravo.
- Crétin... soufflé-je, un brin déçue, en me libérant de son emprise pour retrouver ma position initiale. C'est-à-dire, la tête dans mes bras.
Je l'entends tirer une chaise face à moi, mais je ne relève pas la tête, peu encline à supporter ses moqueries maintenant. Le silence s'éternise avant qu'il ne se décide à le briser :
- Plus sérieusement, qu'est-ce qui te met dans cet état ?
Avec un haussement d'épaule, j'entreprends de lui expliquer la source de ma démotivation. Etonnamment, il m'écoute attentivement, sans ni me couper, ni se moquer. Déstabilisée par sa soudaine gentillesse, je m'interromps un moment, ce qui me vaut un haussement de sourcil interrogateur de sa part. Je me reprends aussitôt pour poursuivre mon récit tandis qu'il se met à triturer la moitié d'une feuille blanche qui trainait dans mon sac.
- Tu ne peux pas comparer tes notes d'avant avec celles que tu as maintenant. Le niveau est beaucoup plus élevé ici que dans n'importe quel établissement européen. Ils nous préparent à devenir les maîtres d'une partie d'échec à l'échelle du continent, ils nous demandent forcément bien plus de travail que les autres écoles. Crois-moi, un douze, ici, c'est loin d'être mauvais !
- Peut-être, mais en dehors du sport et de la musique, c'est ma meilleure note depuis le début ! Rien qu'en maths, je suis une calamitée... J'ai pas réussi à dépasser les quatre sur vingt depuis que je suis arrivée.
- Alors demande de l'aide ! me conseille-t-il avant de piocher un stylo bille dans ma trousse pour griffonner sur son papier. On peut critiquer les Neuf Muses autant qu'on veut, on peut au moins lui reconnaître une chose : c'est qu'ici, tu trouveras toujours quelqu'un pour t'aider.
Devant mon absence de réaction, il s'empresse d'ajouter :
- Je l'aurais bien fait, mais je ne suis pas une perle non plus dans cette matière. Je stagne autour de huit ou neuf en général... Demande à Mathias ! lui, il est calé. Les profs de maths passent leur temps à chanter ses louanges, ils le considèrent comme leur meilleur élève. Sans doute à raison, tu me diras...
A la mention de Mathias, une nouvelle vague de désespoir s'abat sur mes épaules. Après que je l'ai jeté si sèchement à la soirée de l'autre fois, je doute que m'aider fasse partie de ses priorités... En même temps, je ne peux pas le lui reprocher ; je n'ai pas été particulièrement agréable avec lui depuis notre entrevue dans la bibliothèque. Je suis fichue...
Encore plus découragée qu'avant, je replonge ma tête dans mes bras quand Adam me tape doucement le coude.
- Allez ! Arrête de faire la tête ! Si tu tiens tant que ça à avoir de meilleures notes, il te suffit de travailler plus dur encore ! En attendant, je crois que nous sommes face à un cas de force majeure, la Mini-Portion à le moral à zéro et il faut changer ça ! Un muffin au chocolat, supplément crème anglaise et quelques framboises ?
Un sourire apparaît enfin sur mes lèvres alors que je reste interdite devant sa proposition, étonnée qu'il ait noté ce détail... Heureuse de profiter d'un Adam gentil, je récupère en vitesse mes affaires avant de le suivre jusqu'au Patio.
- Au fait, tiens, cadeau, me tend-il la main tandis que nous nous engageons sur le chemin de terre.
J'y découvre un minuscule bateau en papier, pas plus grand qu'une carte vitale. Sur la proue, Adam a inscrit au stylo noir « Mini-Portion » de son écriture gracieuse : un mini bateau pour une mini fille, en somme. Néanmoins, touchée par son geste, je souris à pleine dent. Quant à Adam, il semble désespéré par ma réaction au point qu'il cherche à me reprendre mon cadeau :
- Détends-toi, c'est un bateau à deux balles, niveau CE2, que j'ai fait en cinq minutes, pas de quoi sourire comme une idiote !
Je ne prête aucune attention à sa remarque ; ce simple origami a déjà beaucoup plus de valeur pour moi que ce qu'il ne le pense bien que je ne sache pas pourquoi. Il continue d'essayer de me l'arracher des mains. Je le repousse d'une tape :
- Eh ! Donner, c'est donner, reprendre c'est voler ! répliqué-je avec enfantillage. Maintenant, c'est mon bateau donc bas les pattes !
- Tu me désespères la minus...
- Dommage parce que j'attends toujours mon muffin, moi ! Alors en route !
Je l'entends soupirer, mais j'ai l'intime conviction qu'en réalité, la situation l'amuse bien plus qu'il ne le laisse paraître. Alors dans un esprit bon enfant, nous atteignons enfin le réfectoire. Sur place, quelques élèves sont déjà installés ici et là, formant de petits groupes entre eux. Dans le fond, le buffet est recouvert de gourmandises en tout genre ; gâteaux, fruits, bonbons... Un profond sentiment de bonheur m'emplit alors que je m'aperçois qu'un plat de pancakes a été proposé, complété par une bouteille de sirop d'érable. Décidément, aujourd'hui, les gens sont pleins de bonnes intentions à mon égard ! Avec un peu de gloutonnerie, je le reconnais, je me prépare un petit bol de sirop et une assiette. Même si cela ne sert à rien puisqu'il ne l'entendra jamais, je murmure un vague « merci » à l'adresse du chef cuisinier.
- Tu remercies les bons esprits qui veillent sur toi, là ? me chambre mon camarade en se servant à son tour en pancakes bien qu'il opte pour de la pâte à tartiner en garniture.
- Non, c'était pour Maurice.
Je lui raconte ensuite mon heure de colle avec l'adorable chef cuisinier, un véritable régale qui, à mes yeux n'avait pas grand-chose de la punition... A la fin de mon récit, il me souffle un « privilégiée, va... ». Je lui tire la langue pour le narguer puis nous nous installons à une table, légèrement en retrait afin de savourer nos collations avec un peu d'intimité. Je sens qu'une question brûle les lèvres de mon ami quand finalement, il se décide à la poser :
- Vous êtes proches avec Logan ?
Sa demande me surprend, je ne m'attendais pas à ce qu'il se préoccupe particulièrement de ça. Néanmoins, je lui réponds avec le plus de sincérité possible sans pour autant lui révéler les vraies raisons de mon arrivée ici :
- Difficile à dire... Avant que j'atterrisse aux Neuf Muses, mon père a voulu que l'on règle quelques soucis que nous avions. Par conséquent, j'ai passé quasiment deux semaines dans un hôtel de Marseille à le côtoyer ainsi que l'assistante de mon père et lui-même.
Il hoche la tête, acceptant mes explications. Nous dérivons peu à peu vers une conversation plus légère lorsque Jaz se précipite à notre table. Essoufflée et excitée au plus haut point, elle se sert dans mon verre de sirop pour se désaltérer avant d'enfin nous apprendre ce qui la met dans un tel degré d'agitation.
- Mathias Dorreletto vient d'avoir une sacrée accroche avec Karen juste à l'instant ! Par chance, Adrían et moi n'étions pas loin et on a tout entendu. Il semblerait que notre petit geek préféré ait découvert deux trois trucs intéressants au sujet de Guillermo et Reka. On ignore de quoi il en retourne mais à priori, il a piraté le système de l'école pour en savoir plus et il a effectivement dû tomber sur une info capitale pour que Karen soit aussi furieuse après lui. Elle menaçait carrément de le renvoyer ! Renvoyer Mathias !
Ne comprenant pas en quoi le fait qu'il s'agisse de l'italien plutôt qu'une autre personne rendait l'événement encore plus extraordinaire, j'interroge Adam du regard.
- Elle l'a pris tout particulièrement en affection depuis que sa sœur a trahi l'Organisation, me révèle-t-il.
- Après ça, poursuit mon amie, Mathias a été la cible de nombre de rumeurs, il était rejeté, insulté, à plusieurs reprises, il a été pris dans des bagarres... Bref, c'était pas la joie, mais Karen a tout fait pour renverser la situation.
Je m'arrête un instant, surprise par ces secrets.
- Sa sœur a trahi l'Organisation ? répété-je, interloquée.
Jaz hoche la tête avant de prendre le ton de celle qui s'apprête à me faire la révélation du siècle :
- Pour être tout à fait sincère, on n'en sait trop rien. Il y a deux ans, Vittoria Dorreletto a brusquement disparu de nos radars alors que l'Organisation l'avait chargée de pirater le système informatique de leurs ennemis. Malheureusement, nous ne sommes pas au courant de tous les détails, mais les rumeurs disent qu'elle aurait découvert quelque chose qui l'aurait poussé à rallier leur camp. Après, rien n'a été prouvé, ce ne sont que des bruits de couloir. Toujours est-il que Mathias n'en sait pas davantage sur sa disparition, ou alors il se cache bien de le dire à qui que ce soit.
En pleine réflexion sur ce que peut impliquer cette histoire, un frisson me parcourt l'échine.
- Tu crois que... commencé-je, mais ne trouvant pas mes mots, elle termine ma phrase à ma place :
- Qu'il est peut-être en relation avec sa sœur et qu'il joue les taupes parmi nous ? que c'est pour ça qu'il a autant cherché à jauger les connaissances que tu avais sur ces hommes en noir ? Qu'il peut être l'assassin que l'on recherche... ? Disons que je n'exclue rien, conclue-t-elle.
- Oh oh, les filles ! tempère Adam. Vous partez beaucoup trop loin dans les spéculations, là. S'il était vraiment une taupe au service de sa sœur, quel intérêt aurait-il eu à révéler à Karen qu'il avait percé leur protection, découvert des secrets assez graves pour qu'elle envisage de le renvoyer ? S'il est une taupe, il n'est vraiment pas subtil. D'autant plus qu'avec les histoires sur sa sœur, il aurait tout intérêt à la jouer discret.
- Sauf s'il s'est fait attraper, rétorque Jaz. Rien ne nous dit que Karen devait savoir pour le piratage...
Adam secoue la tête et je le comprends. Les accusations de mon amie ne sont pas anodines. Déclarer Mathias coupable alors que nous n'avons aucune certitude serait purement injuste. Néanmoins, ce qui est vrai dans un sens l'est aussi dans l'autre : comment être sûr que notre théorie n'est pas avérée ? Maintenant que le doute est présent, faire semblant sera difficile. Mais comment savoir ? Nous n'avons finalement que peu de ressources pour enquêter...
- Il a raison, me rangé-je du côté du frère de Logan. Tant que rien ne prouve la culpabilité de Mathias, on ne peut pas l'accuser de quoi que ce soit.
- Mais tant que nous n'avons pas la preuve de son innocence, nous devons nous méfier, s'incruste Adrían. Reste à trouver des éléments confortant une thèse, ou l'autre.
- Plus facile à dire qu'à faire, rétorque Adam.
La relation entre eux deux m'apparaît de plus en plus tendue à mesure que je les connais. Le Président semble régulièrement prendre Adam de haut, ce qui lui déplaît fortement. Fidèle à lui-même, l'espagnol darde un regard supérieur sur lui avant de le narguer :
- Ne te décourage pas pour un truc qu'on ne t'a même pas demandé, Lombardo.
- Pourtant, je suis le plus à même de le faire et tu le sais, contre attaque le concerné. C'est mon domaine.
Un échange silencieux se poursuit entre eux, levant un énième mystère sur le pourquoi le français sera plus apte d'enquêter que nous autres. Au bout d'un instant, le copain de Jasmine reprend :
- C'est pour ça que tu fais chou blanc depuis le début de l'enquête ? Jusqu'à présent, les infos qu'on a, c'est grâce à Will, Jaz et moi.
Blasée par le combat de coq, je décroche de la conversation. Gourmande, je décide de retourner me servir une assiette en espérant qu'à mon retour, la joute sera terminée. Hélas, ce n'est pas le cas... Je me rassoie sur les yeux scrutateurs de ma colocataire qui ignore tout autant que moi leurs histoires puériles. Sans leur prêter attention, je m'attèle à la dure tâche de manger mon second plat.
- Will, déclare Jaz d'une voix forte ce qui me fait relever la tête.
- Hein ? s'étonnent les deux garçons.
Quant à moi, tout autant surprise qu'eux, j'attends l'explication qui ne tarde pas à venir.
- C'est Will la plus susceptible d'espionner Mathias, annonce-t-elle. On ne peut pas dire qu'il nous apprécie des masses alors qu'il aime bien notre rouquine préférée. Deviens proche de lui, soyez amis. Plus tu auras sa confiance et plus tu le côtoieras de près, plus simple se sera.
- T'es pas sérieuse, là ? m'insurgé-je bêtement.
Mais son regard noir de jais ne laisse aucune place au doute. Aussi stupide est son plan, elle est à fond dedans ! Abattue, je soupire d'avance : jamais je n'arriverai à la convaincre de changer d'avis. Quand Jaz a une idée en tête, dur de la faire décrocher. Pire encore, Adrían paraît apprécier la proposition ! C'est bien ma vaine...
- Pour info, tenté-je de les dissuader, je vous rappelle qu'on ne s'adresse plus la parole depuis un moment maintenant et je doute que mon refus de danser avec lui d'il y a quelques jours ait beaucoup amélioré les choses...
- Allons, Will, insiste le Président, tu es pleine de ressources. Excuse-toi de ton comportement, invente un bobard pour le justifier et le tour est joué !
Je jette un coup d'œil à Adam, imperturbable. Rien n'indique s'il est pour ou contre. Je le questionne silencieusement. Il hausse les épaules avant de répondre :
- L'idée me paraît un peu trop... facile, dite comme ça. En vérité, je pense plutôt que Mathias ne va pas révéler des choses aussi simplement. S'il est espion, il doit savoir un minimum ce qu'il fait, il doit savoir se comporter normalement afin de ne pas éveiller les soupçons donc pour le coincer, ce sera dur. S'il est innocent, il aura un comportement normal quand même. Conclusion, coupable ou pas, je ne crois pas vraiment en ce plan, mais après tout, pour le moment, on a que ça...
Ne voulant pas prendre de décision hâtive, je me plonge dans une profonde réflexion. Je comprends leurs arguments, mais l'idée me déplaît. Je ne suis pas vraiment la reine des relations sociales. J'ai déjà du mal à être appréciable avec les gens que j'aime bien, qu'en sera-t-il un celui dont je me méfie le plus parmi les élèves ? Faire semblant ne me paraît pas une mince affaire. Alors l'espionner par-dessus le marché ?
- Mais rassure-toi, ajoute Jaz d'un ton qu'elle veut apaisant, tu ne courras aucun danger. Il y aura toujours l'un de nous non loin.
Si je ne m'inquiétais pas trop de cet aspect-là du problème, maintenant, je ne suis plus tant confiante que ça... Merci Jaz. Finalement, mes pensées me ramènent aux corps sans vie de Reka et Guillermo, la décision se prend d'elle-même : oui, je tenterai le coup. Je le dois bien, ne serait-ce que pour éviter que quelqu'un d'autre soit blessé.
Comme un signe de bon augure, Mathias franchit les portes du Patio. Il s'avance d'un pas furieux vers le buffet. Tandis qu'il s'apprête à repartir, je l'arrête dans son élan avant de le rejoindre sur le seuil du réfectoire :
- Eh ! Mathias ? On m'a raconté que tu avais eu une violente altercation avec Karen... ça va ?
**********
Une petite note d'auteur pour vous poser une question. J'aimerais savoir si ce rythme de publication vous convient ou si vous préféreriez que je publie d'autres jours ? Plus souvent ?
Et sinon, que pensez-vous de l'histoire jusqu'à présent ?
Léna Gem
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