#Chapitre 23

Gênée, je toque timidement à la porte de ma coloc de chambre bien que la porte soit ouverte. Jaz, penchée devant son lit, relève les yeux des deux tenues qui sont posées sur sa couette pour les tourner vers moi. Prenant mon courage à deux mains, je me lance maladroitement.

- Jaz, j'ai besoin de ton aide...

En réponse, mon amie hausse un sourcil interrogateur.

- Je ne sais pas quoi mettre pour ce soir, expliqué-je, honteuse.

Elle éclate de rire devant mon désarroi, mais je ne me vexe pas. J'ai appris à connaître cette fille volcanique et je sais qu'elle n'a nullement en tête l'idée de me juger.

- Aide-moi d'abord à choisir entre les deux et je viens t'aider, m'assure-t-elle.

A ces mots, elle me tire par la main pour que je puisse détailler les deux tenues, d'un style radicalement opposé, l'une étant très élégante et classique tandis que la seconde est davantage excentrique.

- J'aime bien les deux, affirmé-je.

Jaz lève les yeux au ciel.

- Ça m'aide, ça...

- La robe, déclaré-je finalement.

Satisfaite de mon choix, elle range les vêtements qu'elle ne portera pas ce soir dans son placard. L'ensemble que je lui ai conseillé consiste en une simple robe moulante mauve, un tour de cou en argent, et une veste en cuir noir.

- Bon, lâche-t-elle. Maintenant, à ton tour !

Ses yeux brillent d'une lueur d'excitation qui ne m'inspire par confiance. Regrettant déjà de lui avoir demandé de l'aide, je la suis jusqu'à mon armoire dans laquelle elle se met à fouiller. Elle étudie vêtement par vêtement avec attention, assemble et désassemble certaines pièces, en accorde d'autre... Au bout de dix longues minutes, elle semble avoir dénicher une tenue qui lui plaît, provenant à part égale de mon armoire comme de la sienne. Fière d'elle, elle brandit devant moi une blouse bleu-vert, un blazer marine et un jean noir élimé. Pour accompagner le tout, elle me propose des escarpins en daim clair que je décline aussitôt. Je tiens à mes pieds, moi... Je lui pointe mes converses, mais mon amie refuse. A la place, elle sort de la chambre pour aller toquer à une porte non-loin de la nôtre. Perplexe, je l'attends sans bouger quand elle revient, brandissant devant moi des bottes plates marron.

- Elles sont à qui ? demandé-je suspicieuse.

- A Lucy, m'apprend-elle.

Je secoue la tête, dépitée. Je n'ai aucune idée de qui est cette fille, mais elle me prête ses chaussures ? On va dire que c'est normal...

Peu à l'aise à l'idée de porter des bottes qui ont connu des pieds inconnus, je remonte tout de même la fermeture éclair sous le regard impatient de ma colocataire. Elle entreprend ensuite de me coiffer assez sobrement d'une demi-queue, laissant mes boucles naturelles cascader librement sur mes épaules. Elle relève, quant à elle, ses cheveux en une queue de cheval élaborée avant de m'entraîner dehors.

Nous nous dirigeons jusqu'au bâtiment scolaire où aura lieu la soirée. Sur place, Jaz m'entraîne jusqu'à la grande salle de réception depuis laquelle un morceau de musique jazz se déverse jusque dans les couloirs. Plus nous approchons et plus la musique devient audible, un air gai et entraînant. Nous rejoignons enfin la soirée. Pour l'occasion, des spots verts, bleus et rouges ont été installés, créant une atmosphère festive sans que cela soit oppressant. Quelques tables ont été disposées dans le fond de la pièce afin de libérer une piste de danse.

Mon amie se crée un passage entre plusieurs danseurs jusqu'à la table qu'occupent nos amis. La tablée rit et discute déjà avec enthousiasme. A notre arrivée, Adrían nous donne un verre à chacune, qui, à l'odeur, semble être du punch. D'accord donc les Neuf Muses fournissent même l'alcool... Devant ma mine effarée, le Président me précise :

- T'inquiète pas, il est très peu alcoolisé.

- Je ne pensais pas que l'école nous autoriserait des fêtes avec alcool.

Valentin sourit face à ma naïveté.

- L'école nous forme à être des hommes du monde et cela passe également par les mondanités. Or, il y en a très peu sans champagne, vin et autres alcools. Ils considèrent qu'en procédant ainsi, ils nous préparent à être raisonnables vis-à-vis de la boisson et donc bien nous tenir. Quelle image renverrait-on de nous-mêmes et des Neuf Muses si l'un de nous se trouver ivre lors d'un gala humanitaire ?

- Mais ne crois pas pour autant qu'ils ne surveillent pas notre consommation ! intervient Charline au comportement déjà très euphorique. Sois un peu trop pompette et tu auras droit à une jolie sanction dont tu te souviendras longtemps ! Il ne faut surtout pas gâcher leur si belle image ! Quelle réputation auraient-ils alors ? Damne à celui qui oserait les ridiculiser !

Je ne peux m'empêcher de froncer les sourcils devant son état. Elle me dit qu'il ne faut pas abuser de l'alcool alors qu'elle-même semble bien entamée. Et la soirée vient de commencer... Surprenant mon regard, Adam me fait signe de laisser tomber.

- Elle a fumé un joint avant de venir, m'explique-t-il avec une certaine fatigue dans la voix.

Il lance un regard en coin à la jeune femme qui ricane en regardant son doigt déformé par l'eau de son verre avant d'ajouter :

- Peut-être même plus d'un...

Ania s'approche de moi pour me souffler à l'oreille :

- C'est toujours comme ça. Charline ne supporte pas ces soirées.

- Mais alors pourquoi elle vient ?

- Pour faire chier son père. En venant dans cet état, elle s'affiche clairement ce qui le ridiculise lui indirectement. Le directeur de l'école la plus réputée d'Europe qui n'arrive pas à cadrer sa propre fille ? Beau tableau...

La journaliste dépose dans mon assiette quelques amuse-gueules. Ceci fait, elle me désigne des yeux le frère de Logan qui accompagne en trainant des pieds la fille aux cheveux bleus qui sautillent jusqu'à la piste de danse où elle manque de renverser un pauvre couple qui n'avait rien demandé.

- Le seul problème c'est que du coup, Adam passe presque toutes ses soirées à la surveiller pour s'assurer qu'elle ne fasse rien de grave plutôt que de s'amuser.

- Pourquoi lui ? ne puis-je refouler ma curiosité.

La sœur de Leander m'offre le sourire assuré de celle qui connaît son sujet.

- Ils sont amis d'enfance, m'explique-t-elle, ils se connaissent depuis la couche culotte. De ce que j'ai compris, ils sont quasiment voisins en France et comme Charline déteste son père, elle passait le plus clair de son temps chez les Lombardo. Dans leur tête, ils sont presque frère et sœur en fait.

On observe les deux français qui dansent un slow. Le grand brun regarde le vide, souffrant d'une fatigue évidente de ce petit manège pendant que son amie d'enfance paraît plus calme dans ses bras.

- Seulement, Adam en a ras-le-bol de jouer les baby-sitter... continue la petite blonde.

- Pourquoi il ne le lui dit pas, tout simplement ?

- Il a essayé, mais elle est déterminée à ne pas rater une occasion de créer des problèmes à son père alors elle continue. Je sais qu'elle est désolée pour lui, elle ne l'oblige même pas à la surveiller en réalité, mais elle a besoin de se venger de son père et il la comprend.

- Mais s'il n'est pas contraint de le faire, pourquoi il continue de jouer les chaperons ?

La journaliste soupire en haussant les sourcils :

- C'est dans sa nature, tout simplement. Il est plutôt protecteur comme garçon. Alors il se sent le devoir de veiller sur elle... Quelques fois, Valentin essaie de prendre la relève pour un peu le soulager seulement Charline n'a pas la même attache avec lui qu'avec Adam alors c'est très compliqué.

Comme s'ils n'attendaient que ça, les deux concernés par notre conversation reviennent à table. Le frère de Logan verse un peu d'eau dans le verre de son amie qui l'avale en quelques gorgées.

- Mais trêve de sujet déprimant ! s'exclame alors Jaz qui apparemment écoutait notre conversation depuis le début. Nous sommes là pour nous amuser et nous détendre. Vous venez danser ?

A ces mots, elle se lève de sa chaise, vite suivie par Ania et moi. Nous nous regroupons dans un coin de la piste pour former un triangle avant de nous trémousser au rythme de la musique. Nous enchainons ainsi plusieurs morceaux. Jaz se déhanche avec une grâce féline tandis que Adrían s'avance vers nous avec la ferme intention de danser avec elle. A côté d'elle, Ania se dandine plus gauchement, quelque peu gênée par ses rondeurs bien que cela ne semble pas lui poser le moindre problème. Au contraire, elle enchaîne les chorégraphies improvisées avec l'assurance de celle qui s'assume. Avec humour, elle se lance dans un disco déchainé. Face à son spectacle, j'éclate de rire avant de m'aligner avec elle pour l'imiter. Ridicules à souhait, nous nous amusons comme des folles sans nous soucier de ce que peuvent bien penser les autres.

Je pense que nous avions tous besoin d'une soirée comme celle-ci pour, au moins momentanément, oublier les récents événements.

Finalement, exténuées, nous retournons à table où sont encore installés Liam et Charline qui paraît maintenant planer à des kilomètres de là. Je me jette sur mon verre de punch tout en interrogeant du regard l'anglais.

- Adam avait besoin de prendre l'air, m'apprend-il. Je lui ai proposé de prendre la relève un moment.

- La vérité, intervient la jeune fille avec un air très concentré vissé sur le visage, c'est surtout qu'il me veut dans son lit et espère profiter de mon état pour pouvoir y arriver !

- C'est ça, confirme faussement le concerné en levant les yeux au ciel.

Amusée par leur jeu habituel, j'essaie de contenir mon sourire en avalant un petit-four à base de saucisse. Nous échangeons humoristiquement sur notre danse inimitable un bon moment, ce qui laisse le temps à Adam de revenir parmi nous. Un sourire reconnaissant envers Liam, il s'ajoute à la conversation :

- Sérieusement ? J'ai raté Will se ridiculiser volontairement ? Zut alors !

Au même moment, une main glacée se pose sur mon épaule ce qui me fait sursauter. Je relève la tête en arrière vers l'instigateur du geste pour croiser les yeux bruns presque noirs de Mathias.

- Accepterais-tu cette danse ? m'invite-t-il tandis que je sens mes joues piquer un fard.

Ses yeux sombres vissés dans les miens, il penche la tête de façon à dissimuler son visage aux autres. Il a l'air hésitant et... stressé, comme s'il était impératif que j'accepte. La même angoisse que lors de notre conversation d'il y a quelques jours s'abat sur mes épaules. Gênée, je décline son invitation sous son regard surpris. Après son cinéma de la dernière fois, cela l'étonne que je refuse de le suivre ? Avec un dédain certain, je retourne à la discussion que l'on partageait avec mes amis. Je sens la présence de l'italien rester dans mon dos un court lapse de temps avant qu'il ne s'éloigne finalement d'un pas furieux. Malgré moi, je l'observe du coin de l'œil rejoindre la table d'Elinore.

- Ça va, Will ? me sort de mes récriminations Liam, ses sourcils montrant clairement sa sollicitude.

Je hoche la tête pour le rassurer. Néanmoins, cela ne semble pas fonctionner car il me tend la main avec un clin d'œil.

- T'as besoin d'un bon disco pour retrouver le sourire, je suis sûr !

J'accepte la main qu'il m'offre avant de le suivre pour revenir sur la piste de danse. Nous dansons ainsi pendant un long moment, enchainant les morceaux sans même nous laisser le temps de reprendre notre souffle. Par moment, le regard noir empli de fureur de Mathias croise le mien, mais je fais mon possible pour l'ignorer. Peu à peu, je parviens à oublier l'incident, emportée par l'enthousiasme de mon partenaire qui m'entraîne dans une énième danse endiablée, me faisant virevolter encore et encore jusqu'à ce que j'en ai le tournis. 

***

Sur le chemin du retour en compagnie de Jaz et Ania, nous discutons gaiement, peu pressées de mettre un terme à cette soirée en allant nous coucher. Alors, d'un pas lent, nous parcourons le petit chemin de terre qui mène jusqu'au dortoir.

- Vous étiez mignons avec Liam, commente Jaz avec espièglerie.

N'étant pas dupe du message sous-jacent de sa remarque, je lève les yeux au ciel.

- Tu m'en vois ravie, répliqué-je.

Ma coloc passe son bras sur mes épaules avant de me lancer un regard équivoque.

- Oh, allez ! Ne joue pas les indifférentes ! Le charme fou de Liam aurait-il finalement opéré sur toi ?

- C'est quelqu'un de sympa, mais non, il ne m'attire pas.

Je me libère de son emprise pour frapper son épaule de mon poing. Elle s'arrête au milieu du chemin en croisant ses bras devant elle comme une enfant qui ferait un caprice.

- Quoi ? m'impatienté-je. Je ne vais quand même te dire qu'il me plaît alors que c'est faux juste pour te faire plaisir !

- Non, mais tu pourrais être sincère.

Elle me tire la langue pour appuyer son commentaire.

- Mais je le suis, affirmé-je avec véhémence.

- Alors Liam ne t'intéresse pas du tout ? insiste à son tour Ania avec complicité.

Je prends un instant pour répondre à sa question de la façon la plus convaincante possible. Liam est certes charmant, sympathique et il est vrai qu'il est loin d'être moche, mais sa manie de flirter avec tout ce qui bouge me gêne. De ce que j'ai pu en entendre, sa réputation de brise cœur n'est plus à faire et je n'ai aucune envie de devenir un énième trophée à son tableau de chasse. J'éprouve une certaine facilité à lui parler, il a un don pour me mettre en confiance, mais tout cela me pousse davantage à le voir comme un ami que comme un potentiel petit-ami.

- Non, assuré-je finalement. Je n'arrive pas à l'imaginer autrement que comme un ami.

- Bon d'accord, disent-elles en chœur, une profonde déception transparaissant clairement dans leur voix.

Elles affichent toutes deux des mines tristes, les épaules voutées et marchant d'un pas trainant. Nous avançons de quelques mètres quand brusquement Ania s'éveille, le doigt en avant.

- T'as été touchée par une illumination divine ? ironisé-je en haussant un sourcil.

- Exactement ! s'exclame-t-elle avec un entrain excessif.

Jaz et moi échangeons un regard perplexe avant de l'inviter à poursuivre. Mon petit doigt me souffle que sa réflexion spirituelle va nous toucher jusqu'au tréfond de nos âmes...

- Je te crois quand tu dis que Liam ne te plaît pas, commence-t-elle.

- T'es encore là-dessus ? relevé-je avec exaspération.

La grande blonde secoue innocemment sa tête, faisant danser les cheveux qui lui caresse le visage. A côté d'elle, Jaz se retient de rire, cachant vainement de sa main un sourire hilare.

- Accouche ! la presse-t-elle tandis que je soupire déjà d'anticipation.

- C'est parce qu'elle a le béguin pour Adam ! déclare enfin Ania après avoir instauré un court suspens.

Blasée, je secoue la tête devant leur joie évidente d'avoir « élucidé le mystère ».

- C'est ça, oui... soufflé-je, fatiguée par leur jeu de devinette sur ma vie sentimentale. Vous devriez me poser la question avec Valentin, puis pourquoi pas Leander... Et n'oubliez surtout pas Mathias, sait-on jamais ! 


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