#Chapitre 21
A peine a-t-elle pris sa décision que Jaz retourne dans sa chambre pour se rhabiller chaudement. Sa détermination contagieuse me pousse à enfiler un jean sombre et un pull de la même teinte. Je relève mes cheveux en une queue de cheval serrée pour ne pas être gênée quand elle revient vers moi, une paire de mitaines dans les mains.
- Ça pourrait t'être utile, assure-t-elle en les posant sur le bureau devant moi.
Vêtue d'un épais colle-roulé noir et d'un survêtement moulant, elle remplit un sac à dos d'un appareil photo automatique classique, de deux lampes de poche et de ce qui ressemble à un couteau suisse. Sur ses conseils, j'enfile les gants. Je m'apprête à sortir par la porte lorsqu'elle me retient. Son doigt pointe ma fenêtre. Sérieusement ?
- Mme.Lagrange doit déjà être en train de lire pour la millième fois Les Fleurs du Mal pendant qu'une dizaine d'autres professeurs doivent patrouiller à chaque étage, ce qui nous coupe toute sortie par les couloirs. Il nous reste le toit. Mais ne t'en fais pas, la façade est encore plus facile à escalader qu'une 5A.
Sans hésitation, elle ouvre ma fenêtre avant de passer son pied de l'autre côté puis me fait signe d'éteindre la lumière avant de la suivre. J'enclenche l'interrupteur alors que mon amie disparaît dans l'obscurité de la nuit. Heureusement, la nuit est suffisamment claire pour que nous y voyions assez pour gravir la façade.
Sur son exemple, je me mets debout sur mon rebord de fenêtre. Un vent frais m'accueille. En contrebas, le sol me paraît à plusieurs centaines de mètres de moi. Heureusement, je ne suis pas particulièrement sensible au vertige. Après une inspiration pour me donner confiance, je me retourne vers le mur en suivant les indications de Jaz. Prudemment, je fais glisser mon pied sur la fine corniche jusqu'à la gouttière. Comme elle me l'avait annoncé, le mur en pierre offre moults prises pour se tenir, rendant ma progression plus facile. Plus vite que je ne l'aurais pensé, j'atteins la gouttière sur laquelle mon amie est déjà en train de s'élever avec aisance jusqu'à la toiture, un étage plus haut.
Une fois qu'elle est en haut, je m'accroche à mon tour à l'épais tuyau de zinc. Je cale mes pieds dans les anneaux qui le maintienne contre la façade du dortoir afin de me hisser comme sur une échelle. Au sommet, Jaz me donne un coup de main pour basculer sur le toit d'ardoise. Nous nous redressons sur nos deux pieds puis elle prend la direction du bout opposé de la toiture. Sur place, une échelle nous permet de redescendre sur le toit plus bas du foyer. De là, elle prend de l'élan avant de sauter sur le grand pin qui orne la devanture du cottage. Cette fille est cinglée...
Néanmoins, n'ayant pas trop le choix, je l'imite. Pendant que je me prépare à sauter, je m'interdis de penser au vide qui me sépare du conifère. Après une dernière hésitation, je m'élance du toit, les mains tendues vers les branches censées m'empêcher de tomber. Le choc brutal contre le tronc de l'arbre me coupe le souffle. Cela dit, je préfère ça à ne plus respirer du tout, mon corps disloqué trois mètres plus bas... Rassénérée par ce petit succès, j'entreprends de désescalader le pin.
A son pied, Jaz m'attend les mains sur les hanches et un grand sourire aux lèvres. Enervée, je peste contre elle :
- Je peux savoir pourquoi tu nous as fait passer par un chemin aussi compliqué alors qu'on pouvait très bien descendre directement par la gouttière ?!
- Tu veux la vérité ? me lance-t-elle avec un air espiègle. Je voulais te jauger, savoir jusqu'où tu étais capable d'aller. Je dois dire que je ne suis pas déçue... Et ne t'en fais pas, pour le retour, on passera directement par la gouttière.
Sur ce, elle prend le chemin du bâtiment scolaire dans le silence le plus complet. Malgré la couverture des bois, nous y voyions assez clair pour ne pas chuter sur le chemin. De toute façon, la piste est tellement bien entretenue que même en le voulant, je pense qu'on aurait du mal à trébucher...
Bientôt, l'école nous apparaît, telle une stature obscure et menaçante avec ses tours pointues et ses arcs sévères. Accroupies derrières des fourrés, nous guettons la moindre trace de vie susceptible de représenter un danger pour notre entreprise. Toutefois, il ne semble pas y avoir âme qui vive. Ainsi, pliées en deux pour être moins visibles, nous courons pour traverser la pelouse à découvert, avant de nous cacher derrière un angle de mur.
- Si je ne dis pas bêtises, chuchote Jaz, il doit seulement y avoir une équipe de surveillance dans la partie administrative et dans la section maintenance. Pour le reste, nous devrions être tranquille.
- Tu es vachement bien au courant pour un casse imprévu, dis-moi, ne puis-je m'empêcher de relever.
- Je sors avec le Président, se justifie-t-elle. Si tu savais le nombre de choses que je sais alors que je ne devrais pas grâce à lui...
Elle m'explique ensuite le contenu de son plan, à savoir passer par une sortie de secours directement dans l'aile médicale, monter jusqu'au deuxième étage, pénétrer dans le bureau, retrouver le dossier, le photographier, le reposer et repartir comme on est venu. Sur le papier, c'est relativement simple, toutefois je m'inquiète davantage sur le comment allons-nous passer les portes. Néanmoins ma colocataire paraît sûre d'elle alors je la suis sans trop me poser de questions.
Arrivées devant notre premier obstacle, la porte fermée à clé de la sortie de secours, elle s'agenouille avant de sortir de son sac ce que j'ai pris pour un couteau suisse.
- C'est un passe-partout, explique-t-elle devant mon regard interrogateur. Ça sert à forcer les serrures.
- Comment ça se fait que tu aies ça ? demandé-je encore de plus en plus perdue face son comportement tout à fait confiant, comme si elle faisait ça régulièrement alors qu'elle insère son outil dans la porte.
- Cadeau de mon frère préféré pour nous permettre à Adrían et moi de nous isoler dans des pièces normalement inaccessibles et donc d'être tranquille. Il a quitté l'école l'année dernière pour aller à Oxford et m'a offert son passe-partout en partant. Je dois reconnaître que j'aime bien le cadeau, me confie-t-elle avec un clin d'œil complice.
Le clic caractéristique de la serrure qui cède nous interrompt. Un sourire vainqueur aux lèvres, elle ouvre lentement la porte de verre pour éviter de la faire grincer. Nous marquons une pause pour étudier les bruits alentours mais seuls les ronrons des machines nous répondent. Rassurées, nous avançons discrètement dans le couloir, gravissons l'escalier avant d'atteindre le bureau de l'infirmière en chef. Mon amie force une seconde fois la porte.
A l'intérieur, un massif bureau de bois occupe le centre de la pièce. Des armoires métalliques recouvrent chaque mur. Malheureusement pour nous, d'immenses fenêtres ne laissent aucune intimité à la pièce, réduisant aussi sec nos espoirs d'allumer la lumière.
Ma colocataire sort de son sac les deux lampes de poche et nous commençons nos recherches. Nous nous répartissons les armoires, épluchons chaque dossier en quête de ceux de Reka et Guillermo sans rien trouver.
- Whaou, j'ai jamais vu quelqu'un avoir autant de vaccins sur son dossier médical, commente mon amie dans mon dos. T'as fait des crises de panique quand tu étais petite ?
Je m'arrête un instant, le temps de comprendre l'implicite de ses remarques, puis furibonde, je lui arrache la chemise à mon nom des mains.
- C'est pas pour étudier mon carnet de santé qu'on est là, je te rappelle !
- Oui, oui, désolée, je suis trop curieuse. Je te demande pardon, Will.
Je lui fais signe de la main que l'incident est clos et qu'il faut qu'on se remette au travail. Nous passons un bon quart d'heure dans le bureau de l'infirmière en chef avant de nous rendre à l'évidence ; les dossiers de Guillermo et Reka ne sont pas ici. Même celui de Rosario a déjà été retirés des dossiers élèves...
Déçue, nous remettons tout en ordre avant de quitter la pièce sur la pointe des pieds. Nous parcourons le chemin inverse jusqu'à la sortie de secours que Jaz prend soin de refermer à clé. Avec la même prudence qu'à l'allée, nous traversons la pelouse jusqu'à l'orée du bois puis remontons le chemin jusqu'au cottage. A mi-chemin, le craquement d'une brindille nous arrête net. Inquiète, nous échangeons un regard avant de chercher l'origine du bruit. Nous nous faufilons à l'abris des arbres, loin de la piste principale, quand deux silhouettes apparaissent non loin de nous. Courbées, elles avancent discrètement entre les ombres.
Alors qu'elles approchent encore, mon amie et moi nous tendons imperceptiblement. Je la sens prête à en découdre. Avant même que je n'ai le temps d'esquisser le moindre geste, elle quitte notre cachette pour décocher un puissant coup de poing dans la tête de l'homme le plus proche qui chancèle sous la force du coup pendant que son camarade s'apprête à riposter. Seulement, il n'a pas le temps de préparer son attaque que la jambe de Jaz le fauche ce qui le fait tomber à la renverse. Elle est sur le point d'en rajouter une couche auprès du premier qu'elle a frappé quand ce dernier lève les mains en signe de reddition.
- Putain Jaz ! Modère ta force, merde ! ça fait mal, nom d'un chien ! peste-t-il ce qui lève le voile sur son identité.
Aussitôt, ma colocataire se détend pour adopter une attitude confuse.
- J'suis désolée Val... s'excuse-t-elle. Je pensais que vous étiez de ces hommes en noir qui s'en sont pris à Rosario, Guillermo et Reka.
- Et à quoi pensais-tu, bon sang ?! s'emporte Adam à son tour en se relevant. Ils les ont tués et tu n'as rien trouvé de mieux que de te faire remarquer ?! T'es complètement suicidaire, ma parole ! Tu espérais quoi ? Avoir le dessus sur eux à toi seule ?
- Adrían nous tuerait tous les trois s'il apprenait ça ! poursuit Valentin en se frottant la tempe.
- Tous les quatre en fait, tente-t-elle de plaisanter pour faire passer la tempête.
- Tous les quatre ? répètent en cœur les garçons.
Je profite de ce moment pour sortir à mon tour des fourrés. Leur regard se braque sur moi en apercevant le mouvement.
- Parce qu'en plus t'as embarqué Will avec toi ?! fulmine le frère de Logan. Mais qu'est-ce qui t'as pris ?! Primo tu te jettes dans la gueule du loup sans mesurer les risques, mais en plus tu entraines Will avec toi ?! Imagine qu'il lui soit arrivé un truc à cause de toi ! T'es totalement inconsciente, c'est pas possible !
Mise devant le fait accompli, Jaz devient toute penaude. Dans l'obscurité, je perçois de légers tremblements parcourir son corps. Je comprends alors qu'elle pleure et décide d'intervenir.
- C'est bon les garçons, je crois qu'elle a saisi. L'essentiel c'est que personne ne soit blessé...
- Non, Will, intervient-elle en retenant ses sanglots. Ils ont raison. Je t'ai mise en danger inutilement. J'étais tellement obnubilée par ma colère et ma soif d'en savoir plus que j'ai agis stupidement. Tu aurais pu payer les frais de mon erreur égoïste. Je te demande pardon, à toi aussi.
- Ne t'inquiète pas pour moi, répliqué-je avec humour, je suis moins vulnérable qu'il n'y paraît. Demande donc à Adam qui a fini à l'eau pour m'avoir contrariée...
L'intéressé me foudroie du regard.
- Merci de me le rappeler, j'avais oublié que je devais me venger...
- Si j'étais toi, je le noterais sur un papier, répliqué-je.
- J'y manquerai pas, t'inquiète.
Notre petit échange a au moins le mérite de calmer les esprits. Jaz recouvre peu à peu son état normal, pas encore tout à fait sa gaieté permanente, mais au moins, elle a arrêté de pleurer. Un silence gêné s'installe entre nous quatre alors que chacun a la même question en tête qu'il n'ose pas poser : qu'est-ce qu'ils faisaient dehors, à une heure pareille ?
Une bourrasque glacée nous frappe de plein fouet, nous faisant tous frissonner.
- Et si nous allions discuter au dortoir ? propose finalement le blondinet.
Nous acquiesçons puis nous mettons en route. Sur le chemin, Adam me rejoint, mais ne dit rien. Son comportement étant des plus étranges, je finis par le pousser à cracher le morceau.
- Ecoute Will, commence-t-il. Je sais que tu vas t'énerver pour ce que je vais dire, mais je me sens dans l'obligation de le faire.
Je hausse un sourcil dubitatif. Je le sens bien, son discours... Cependant, je le laisse poursuivre.
- Je peux comprendre que tu veuilles obtenir des réponses à tes questions, mais ne te laisse pas entraîner par Jaz, s'il te plaît. Jasmine connaît parfaitement l'école, elle sait se débrouiller ou se défendre, comme tu as pu le voir...
- Ah oui, ça, j'ai vu, ne puis-je m'empêcher de le couper moqueusement. Vous vous êtes pris une sacrée dérouillée, c'est le cas de le dire...
- Bref, élude-t-il. Tout ça pour dire que Jaz peut très bien s'en sortir s'il lui arrive un pépin. Toi... c'est moins sûr. Alors fais preuve de plus de prudence à l'avenir.
- Je ne suis pas non plus une potiche écervelée incapable de me tirer d'affaire, tu sais ? rétorqué-je plus sèchement que je l'aurais souhaité.
Au même moment, je me tords la cheville sur un léger trou que je n'avais pas vu dans le chemin – ce même chemin pour lequel j'avais affirmé qu'il était impossible de trébucher tellement il était lisse et bien entretenu. Ça m'apprendra... – et manque de tomber. Heureusement – ou malheureusement – Adam a le réflexe de me rattraper par le bras. A demi suspendue par sa poigne de fer, je me redresse avec toute la dignité dont je suis capable dans le cas présent. Autant dire que je sens largement le rouge me monter aux joues aussi bien que le regard moqueur du frère de Logan me détailler des pieds à la tête.
- Tu disais, rappelle-moi ? ironise-t-il alors que je vire au cramoisi. Pour être sincère, je suis même étonnée que la sélection naturelle t'ait encore épargné... Selon toute probabilité, elle aurait déjà dû t'éliminer...
Vexée, mais ne lui donnant pas totalement tort, je me contente de garder le silence. Une violente prise de conscience s'opère en moi : il a raison, je ne m'en suis sortie jusque-là seulement grâce à la chance ou parce que j'ai eu de l'aide. J'aurais été toute seule d'un bout à l'autre, les choses se seraient finies autrement...
- Will ? me sort-il encore de mes sombres pensées. Je ne voulais pas te blesser, je suis désolée. C'est juste que deux victimes suffisent ainsi, je n'ai pas envie que d'autres personnes, et encore moins des personnes que j'apprécie, ne périssent à leur tour bêtement.
Un sourire triste nait sur mes lèvres. Il ressemble beaucoup à son frère, en fin de compte. Lui aussi s'inquiète énormément pour les autres et semble avoir du mal à supporter de n'avoir rien pu faire pour changer la donne. C'en est presque mignon. Presque. Adam reste Adam et même s'il se fait du souci pour ses proches, sa façon de le leur témoigner est toujours assez médiocre !
Toutefois, un détail et non des moindres, a fait tilt dans ma tête. Alors, narquoise, je ne peux m'empêcher de le lui faire remarquer :
- Alors, c'est vrai ? tu m'apprécies vraiment ? Toi qui passes ton temps à me rabaisser, te moquer, m'embêter, tu m'aimes bien ?
Pour appuyer ma remarque, je pose la main sur mon cœur avec exagération comme si j'étais la fille la plus émue du monde. En retour, il affiche une mine blasée, mais son regard est équivoque. Aussi souris-je lorsqu'il me rétorque :
- C'est de bonne guerre, non ?
Niveau de difficulté relativement bas pour un mur d'escalade.
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Fin du chapitre ! J'espère qu'il vous a plu ! n'hésitez pas à me faire part de vos avis !
Léna Gem
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