#Chapitre 20
Je zyeute avec tristesse le plat qui contenait le fondant au chocolat il y a encore quelques minutes seulement. Malheureusement, j'ai eu la mauvaise idée de m'asseoir à cette table de morfales et le gâteau a été englouti en trois bouchées et demie... Je pousse un soupir ; j'aurais vraiment dû faire durer le plaisir en mangeant plus lentement.
- Ça vous tente un mini-golf ce soir ? propose Adrían, indifférent à mes états d'âme.
La réponse est un « oui » unanime, mais je n'en ai cure, trop occupée à observer la fourchette de Liam qui torture son dessert sans vraiment y toucher. Surprenant mon regard, ce dernier me lance :
- Tu la veux ?
Ces mots sonnent pour moi comme la plus douce des mélodies, plus envoutante encore que le chant des sirènes. Je me redresse aussitôt, retrouvant un peu de ma vitalité. Devant mon sourire jusqu'aux oreilles, l'anglais me tend son assiette avec un air faussement blasé. J'accepte avec gratitude le cadeau et commence à le déguster, bouchée par bouchée.
- T'es vraiment pas croyable... commente-t-il avec humour.
Depuis notre balade jusqu'à l'arche de pierre, notre relation a pris un nouveau tournant. Bien que nous nous soyons beaucoup rapprochés, il a arrêté de flirter avec moi pour laisser place à un début d'amitié moins ambigu. J'en suis d'ailleurs bien heureuse, ses attentions me rendaient vraiment mal à l'aise.
En fait, énormément de choses ont changé depuis la semaine dernière. Rosario a décidé un départ définitif des Neuf Muses ce qui a engendré une atmosphère maussade dans toute l'école. Pourtant, chacun essaie de donner le change, de se comporter comme si rien de tout ça ne s'était produit, acceptant la voie de la facilité qu'a proposée Karen lorsqu'elle a menti sur les événements. Même la soirée qu'il devait y avoir à la fin des épreuves a simplement été repoussé au weekend suivant. Seuls quelques-uns refusent d'y croire, mais ils gardent le silence. En outre, le départ de Rosario, le seul capable de rétablir la vérité, les a conduits à plus ou moins laisser tomber.
Adam et Valentin cherchent toujours des réponses. Ils me font part de leurs avancées par moment même s'ils refusent que je m'implique, mais leur enquête est pour le moment infructueuse. Jaz, que j'ai mise au courant des recherches des deux garçons m'a conseillé de leur raconter ce que je savais déjà. Hélas, je n'ai pas réussi à leur en parler.
Jaz. Elle est vraiment devenue une amie pour moi. C'est pour cela que j'ai fini par lui révéler mon passé et ainsi nous permettre d'analyser ensemble la situation dans son intégralité, toutes clés en main. De toutes les personnes que je fréquente, elle est la seule à ne pas me traiter comme si j'étais une idiote incapable de comprendre. Bien au contraire, elle partage avec moi tout ce que lui apprend Adrían au sujet de la course d'orientation. C'est comme ça que l'on a découvert que les autorités ne s'occuperaient pas de l'affaire, laissant l'école s'en charger. Comme nous l'a expliqué son petit-ami « ce qui se passe sur l'île reste sur l'île ».
Un bruit de chaise me ramène à la réalité. Autour de moi, chacun enfile son manteau, prêts à sortir. Je décide de suivre le mouvement mais incapable d'abandonner ce dernier morceau de gâteau si durement acquis, je prends avec moi mon assiette. Je suis le groupe jusqu'au dortoir où nous nous fixons rendez-vous dans une demi-heure avant de nous séparer.
Arrivée dans ma chambre, je m'installe confortablement sur mon fauteuil en cuir, désireuse de terminer ma dégustation. Je savoure cuillère après cuillère le fondant au chocolat. J'ignore qui est le cuisinier des Neuf Muses, mais si j'étais critique culinaire, je lui donnerai quand même cinq étoiles ! Ses plats sont tout simplement délicieux.
Alors que je m'éternise, Jaz se poste devant mon siège, le dos droit et les mains sur les hanches. Elle tente d'adopter un air réprobateur, mais elle-même s'amuse de la situation ce qui lui fait perdre toute crédibilité. Indifférente à son manège, j'avale l'ultime morceau.
- C'est bon ? T'as fini ? s'impatiente-t-elle en retenant un sourire.
Pour l'embêter, je lèche tranquillement le bout de mes doigts. Décidant de prendre les choses en main, elle m'arrache mon assiette et ma cuillère qu'elle pose sur mon bureau avant de m'enfoncer de force un bonnet sur la tête et enrouler une écharpe autour de mon cou. Elle me tend ensuite mon manteau que j'enfile sans protester.
Bien couvertes, nous descendons dans la pièce de vie où tout le monde est déjà réuni à l'exception d'Ania et Charline. Une fois que celles-ci nous rejoignent, nous sortons du cottage. Nous marchons une bonne dizaine de minutes avant d'enfin atteindre une clairière dans laquelle transparaissent malgré l'obscurité quelques installations de mini-golf. Adam va récupérer les clubs pendant que Valentin s'occupe d'allumer les éclairages. Soudain, la clairière baigne dans une douce lumière tamisée, juste assez pour nous permettre de jouer malgré la nuit.
- On se répartit en trois équipes de trois ? demande Adam chargé de neuf clubs de golf dans les mains.
- Je me mets avec Will et Adrían ! s'exclame aussitôt ma colocataire.
Devant son enthousiasme, son copain et moi sommes obligés d'abdiquer. Ainsi commence notre partie de mini-golf. Jaz s'avère être une joueuse d'une redoutable précision alors qu'Adrían tape la balle comme un bourrin. Mais celui qui détient la meilleure dextérité est sans contexte Leander qui parvient à finir les parcours en un ou deux coups à chaque fois.
Alors qu'Ania s'apprête à mettre la balle dans le trou, Jaz s'approche discrètement de moi. Une fois assez proche, elle chuchote à mon oreille :
- Adrían a découvert de nouvelles choses. Il veut nous en parler à toutes les deux.
Je hoche la tête avant de suivre la jeune indienne. Nous rejoignons son copain qui sourit en nous voyant. Il enlace ma colocataire pendant que celle-ci dépose un chaste baiser sur sa joue. Elle lui souffle quelques mots à l'oreille auquel Adrían répond par un hochement de tête. Il fixe ses yeux sur moi, comme pour me jauger. Il finit par pousser un long soupir avant de me lancer avec tout son sérieux :
- Will, j'ai besoin de savoir tout ce que tu sais.
Je fronce les sourcils. Je croyais qu'il avait des choses à nous apprendre, pas que ce serait l'inverse ? Je guette dans l'expression de Jaz la marche à suivre. Bien qu'elle paraisse surprise par la question de l'espagnol, elle m'encourage d'un signe de tête.
- Je lui ai parlé de tes doutes, tu peux lui faire confiance, m'affirme-t-elle.
D'abord un peu hésitante, je finis par me fier au jugement de ma nouvelle amie. Elle ne m'a pas l'air le genre de fille à facilement se faire berner. Or, elle sort avec lui depuis quatre ans. S'il n'était pas digne de confiance, je suppose qu'elle aurait mis un terme à leur relation rapidement. Ainsi, je lui raconte tout ce que je sais sur les hommes en noir, de l'identité présumé de l'homme aux rangers, son physique, la peau brûlée de sa main et les doutes que je cultive... Adrían m'écoute attentivement sans me couper.
- Je comprends ce que tu ressens, approuve-t-il après que j'aie fini mon récit. C'est vrai que la situation est plus ambigüe que ce que je ne l'aurais pensé. Si tu as raison, nous sommes dans de beaux draps.
- Pourquoi ? ne pouvons-nous nous empêcher de demander Jaz et moi.
- Je ne peux pas encore vous répondre...
- T'es sérieux ? s'emporte ma colocataire. Tu m'as demandé de t'amener Will parce que tu avais des infos sur Guillermo et Reka à nous donner, mais en fait, c'était juste pour l'interroger ?!
Adrían adopte une attitude défensive pour calmer sa petite-amie, les mains devant lui en signe d'apaisement.
- Doucement Jaz, je sais ce que j'ai dit et je n'ai pas menti.
Il plonge ses yeux bruns dans ceux de sa petite amie d'un air solennel. Il inspire un grand coup avant de déclarer :
- L'école et la famille des victimes ne souhaitent pas ouvrir d'enquête. Ils ne feront appel à aucune autorité compétente pour s'occuper de l'affaire et tenter d'élucider le mystère qui plane. Ils n'ont fait que l'autopsie qui semble s'accorder à l'histoire de Karen. Visiblement, tout le monde est d'accord pour noyer le poisson.
- Si l'autopsie a confirmé la thèse du suicide passionnel, ce n'est pas si étonnant que ça, réfléchit à voix haute mon amie. Je veux dire, quel intérêt y aurait-il à ouvrir une enquête si à priori il n'y a pas eu de meurtre ?
- Néanmoins, protesté-je, je sais ce que j'ai vu et je me souviens encore nettement de ce que m'a dit Rosario. Le rapport annonce peut-être bien un suicide, mais s'il est dans l'intérêt de l'école d'enterrer l'affaire, ils peuvent tout à fait avoir triché sur ce qu'il y a d'indiqué. Adam et Valentin vous l'ont dit comme moi, ça ne ressemblait en rien à un suicide...
Le couple échange un regard mal à l'aise. Finalement, Adrían reprend la parole :
- Je veux bien dire que l'école a largement les moyens de se permettre de falsifier des papiers importants, mais cela me paraît un peu trop gros en l'occurrence. On parle de meurtre avec tout ce que ça implique : des victimes, des meurtriers, une menace et un danger pour les Neuf Muses dans son intégralité. S'il s'agissait bien d'un assassinat comme tu t'obstines à le croire, l'Organisation n'aurait aucun intérêt à ne pas ouvrir d'enquête sur le sujet. L'Organisation plus que tout autre sait pertinemment que fermer les yeux sur un problème ne le règle en rien. Il ne resterait pas les bras ballants alors que tous les élèves et professeurs présents sur cette île courent un si gros risque.
Alors que Jaz semble s'accorder au discours du Président, une idée beaucoup plus perverse me traverse l'esprit : et si l'école ne fermait pas les yeux sur cette affaire, mais plutôt qu'elle essayait simplement de le faire croire aux étudiants ? Peut-être ne cherche-t-elle qu'à leur cacher qu'il y a bien un danger quelque part ? Il ne me paraît pas impossible que cette Organisation agisse dans l'ombre pendant que l'école masque leurs manigances pour ne pas alerter ses élèves. Auquel cas, le seul papier dont nous connaissons l'existence susceptible de nos renseigner davantage sur le sujet serait bel et bien le rapport d'autopsie... Mais comment y jeter un œil sans que personne ne s'en rende compte ?
Toute à mes réflexions lugubres, j'emboîte le pas aux deux amoureux pendant qu'ils retournent vers le reste du groupe. Sur place, Leander se concentre pour réussir en un minimum de coups le dernier parcours. L'atmosphère est toujours à la rigolade, mais je ne suis plus dedans, trop occupée à me creuser les méninges pour monter un plan potable pour dénicher le document.
Les vingt-trois heures du couvre-feu bientôt atteintes, nous nous pressons de rentrer au dortoir avant que celui-ci ne soit fermé. Nous atteignons la pièce de vie pile sur le gong, accueilli par le regard réprobateur de Mme.Lagrange, chargée de faire respecter l'ordre pour la nuit.
- Vous avez cinq minutes pour rejoindre vos chambres SANS FAIRE DE BRUIT, nous menace-t-elle en criant presque les derniers mots ce qui nous arrache un sourire ironique, ou vous serez tous collés demain matin à cinq heure trente précise. Est-ce clair ?
Nous hochons rapidement la tête et déguerpissons sans nous faire prier. Arrivées dans nos chambres, Jaz et moi réalisons une toilette expéditive avant d'aller nous coucher en silence.
Je suis sur le point de m'endormir lorsque ma colocataire ouvre de nouveau ma porte de chambre. Je me redresse aussitôt, surprise par cette brusque interruption. Sans une once de gêne, elle rallume ma lampe de chevet que je venais d'éteindre à peine cinq minutes plus tôt, avant de s'asseoir sur mon lit.
Son attitude fébrile suffit à évaporer les dernières traces de sommeil de mon cerveau. Elle me fixe de ses yeux sombres comme à la recherche d'une invitation muette. Hésitante sur la façon de commencer, je finis par la presser :
- Qu'est-ce qu'il y a Jaz ? Tu es bizarre, là...
- Rien de grave, rassure-toi. Désolée si je te fais peur. C'est juste que je n'arrive pas à me sortir de la tête ce que nous a révélé Adrían...
Elle s'interrompt un instant, instaurant un suspens inquiétant.
- Il nous faut le rapport d'autopsie ! clame-t-elle finalement.
Rassurée qu'elle en soit arrivée à la même conclusion que moi, je me redresse pour lui faire part de mes réflexions :
- Adrían a dit que l'école et les familles de Reka et Guillermo ne souhaitaient pas faire intervenir les autorités compétentes, pourtant l'autopsie a eu lieu. Donc s'il n'a pas menti, c'est qu'ils ont réalisé l'examen des corps ici même, au Neuf Muses et donc que le dossier doit encore être quelque part dans le coin.
- Je ne serais pas étonnée que l'infirmière en chef de l'école ait les compétences requises pour faire cela, confirme-t-elle mon hypothèse. Partant de là, je suppose que le rapport doit encore trainer dans son bureau qui se trouve au deuxième étage de l'infirmerie, sauf que cette partie-là est normalement interdite d'accès aux élèves...
Elle s'arrête un instant, comme pour réfléchir.
- Le seul moyen que je vois serait d'y aller par infraction... Si on y va de nuit, on minimise les chances de se faire prendre. Elle peut travailler pendant des heures sans jamais quitter son bureau de la journée. Notre meilleur atout serait d'y aller de nuit. On trouve le dossier, on le photographie, on le repose et on ressort. Ni vues ni connues.
Elle se relève, résolue, avant de déclarer :
- On y va ce soir.
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Nos deux comparses d'apprêtent à commettre un cambriolage ! Comment pensez-vous que cela va se passer ? A mercredi pour la réponse...
Léna Gem
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