#Chapitre 17
Une fois sortie du bureau de Karen, je tombe sur Adam et Valentin qui m'attendaient. Je hausse un sourcil dans une question muette. Mal-à-l'aise, le blond me répond tout de même :
- On voulait juste savoir comment tu allais, m'explique-t-il. Et aussi ce que t'avais dit Karen.
Sans surprise, il n'avait pas fallu longtemps avant que nous soyons convoqués dans son bureau. Elle nous a alors interrogés sur les derniers événements. Hélas pour elle, nous ne savions pas grand-chose en réalité. Malgré tout, nous lui avons raconté le plus précisément possible comment nous avions découvert le massacre. Elle nous a écoutés avec attention et beaucoup de compréhension. Toutefois, elle n'a pas hésité à nous faire revenir sur certains détails de temps à autres ou à nous interrompre lorsqu'une question la taraudait. Finalement peu avancée par nos piètres révélations, Karen nous a fait signe de disposer. Au dernier moment, elle m'a retenue :
- Willow ? Je peux te parler, s'il te plaît ? En privé, ajouta-t-elle à l'attention des garçons.
Ceux-ci sortirent à contre gré. En tête à tête avec la conseillère d'éducation des Neuf Muses, un silence presque religieux s'instaura entre nous. Elle m'invita à me rasseoir sur un fauteuil. Ensuite, elle me remit un cadre dans lequel était affiché un diplôme de psychologie à son nom.
- Je ne doute pas de ta force, Willow, commença-t-elle, mais je pense que chacun a ses limites et qu'après toutes les épreuves que tu viens de traverser, d'abord ton grand-père, puis ton arrivée aux Neuf Muses et maintenant... ça, peut-être devrais-tu en parler à quelqu'un. Tu ne pourras pas tout garder pour toi indéfiniment, tu vas finir par imploser. Alors je comprends tout à fait que pour le moment, tu viens d'arriver, tu ne connais encore personne véritablement et que de tels secrets demandent une confiance importante que tu n'as pas encore envers nous. Mais si un jour tu as besoin de parler, il te suffira de m'envoyer un texto et je te recevrai dans la journée.
- Je vais déjà remettre un peu d'ordre dans mes pensées, mentis-je, puis je viendrai peut-être vous voir.
Elle accepta ma réponse avant de me laisser filer.
Je raconte donc ma petite entrevue aux garçons, en omettant certains détails sur mon passé. Rassurés, un nouveau silence s'installe alors que nous échangeons un regard indécis. Sommes-nous censés reprendre notre petite vie d'étudiants comme si rien de tout cela ne s'était passé ? Valentin ouvre la bouche avant de la refermer aussitôt, sans un mot. Devant ce moment de gêne qui s'éternise, Adam prend finalement la parole :
- Et si nous retrouvions les autres au réfectoire ?
Son ami hausse les épaules. Ils m'observent alors tous deux avec attention dans l'attente de ma réponse.
- Je... je crois que je vais plutôt aller prendre une douche, décliné-je, peu enthousiaste à l'idée d'avaler quoi que soit maintenant.
Le blondinet fronce les sourcils, inquiet.
- D'accord mais rejoins-nous après, me demande-t-il, t'as besoin de manger.
Je hoche la tête avant de récupérer mon sac de randonnée et de m'enfuir vers les dortoirs. Dehors, malgré l'air frais vivifiant, je me sens au bord du précipice, au point de rupture. J'accélère le pas, dans l'espoir d'atteindre la sécurité de ma chambre. Je me bats avec ma serrure, essayant de faire rentrer ma clé à l'intérieur malgré mes tremblements. Aussitôt le déclic de l'ouverture retenti, je me précipite à l'intérieur avant de m'appuyer contre la porte. Maintenant à l'abri des regards, je me laisse glisser au sol. Je lutte contre moi-même pour garder mon calme et recouvrer mon souffle mais aucun millimètre cube d'oxygène ne veut pénétrer dans mes poumons. Des fourmis envahissent chacun de mes membres alors que je sens ma tête partir. Dans mon esprit des milliers d'images de mon grand-père, de l'homme aux rangers, des cadavres de Guillermo et Reka et le corps blessé de Rosario se succèdent sans que je ne puisse contrôler quoi que ce soit. Mais c'est un souvenir de mon père qui m'offre le salut dont j'avais besoin pour me calmer.
***
« Will, calme-toi, me parvient sa voix calme de très loin par-dessus ces images qui m'assaillent. »
Je ne devais pas avoir plus de douze ans. Le cancer avait emmené maman et cela avait entrainé des crises de panique de plus en plus régulières. De la mort de ma mère et de la peur de mon père que j'avais étant gamine, j'avais conçu une espèce de stress permanent de vivre. Mon père m'avait emmené voir bien des spécialistes mais rien n'y faisait, elles ne disparaissaient jamais. Au mieux, elles s'espaçaient un peu. Pendant toute cette période, mon père était toujours plus fatigué. Il avait pris des congés pour travailler à la maison et veiller sur moi le temps que je fasse mon deuil.
Mais ce jour-là, il m'avait violemment grondée parce que j'avais mis le bazar dans son bureau en voulant mettre la main sur l'album de famille. J'ignore ce qu'il s'est passé exactement dans ma tête mais j'ai eu terriblement peur, il était dans une telle colère noire. Alors j'étais partie en courant pour me réfugier au sommet du phare. Il n'avait pas mis bien longtemps avant de me retrouver, recroquevillée dans un coin de la salle des lumières. Cette crise-là était particulièrement violente comparée aux autres. Il s'était agenouillé devant moi, calmement et sans plus aucune trace de sa colère.
« Ecoute-moi, il faut que tu te concentres sur autre chose. Respire doucement. Comme ça »
Il s'était mis à me montrer comment faire mais cela n'avait aucun résultat. Il avait alors tenté de me prendre dans ses bras, ce qui avait encore aggravé les choses. Il s'était donc reculé, désemparé. Puis timidement, il s'était mis à siffloter l'air du Saule, un morceau qu'avait composé maman. Cela avait retenu toute mon attention. Captivée d'entendre à nouveau cette musique, j'en avais oublié ma crise et ma respiration s'était apaisée d'elle-même.
Le soir même, mon père avait préparé ma valise, rassemblé quelques-uns de mes jouets préférés ainsi que mon violon même si je n'y avais plus touché depuis des mois. Il avait passé un coup de fil puis m'avait installé en voiture. Nous avions roulé toute la nuit jusqu'à Bordeaux où mon grand-père séjournait. Puis il était reparti sans moi... Etonnamment, depuis lors, mes crises d'angoisse s'étaient largement rarifiées jusqu'à totalement disparaître. Mais voilà qu'elles revenaient...
***
Forte de ce souvenir, je me joue mentalement la partition du Saule. J'exécute les positions avec mes doigts sur un violon invisible. J'y consacre toute ma concentration jusqu'à en oublier temporairement mes affreux souvenirs. Je sens peu à peu mes tremblements se calmer, ma respiration s'apaiser. Toute ankylosée, je récupère dans mon placard des affaires propres et m'avance gauchement vers la cabine de douche. Le jet d'eau brûlant achève de me faire revenir à moi.
Devant le miroir, je prends un instant de réflexion. Dois-je aller retrouver les autres ? Là tout de suite, je me sens incapable d'avaler quoi que ce soit. Une bonne nuit de sommeil m'attire beaucoup, mais je sais que je ne parviendrai pas davantage à dormir. Mon estomac me donne finalement la réponse d'un gargouillis puissant. Je relève alors mes cheveux dans un chignon approximatif avant de descendre rejoindre le Patio.
A peine ai-je franchis le seuil de la cantine que l'Ambassadrice du dortoir des filles me tombe dessus, le regard fuyant.
- Will ! Salut... Je... Je tenais à m'excuser pour ce que je t'ai dit l'autrefois sur la piste de course. Je voulais le faire depuis un moment mais je n'en ai pas encore eu l'occasion... Bref, voilà, je suis désolée.
Prise de court, je reste un moment sans voix. La vérité, c'est que j'avais complètement oublié cet incident. Elle me fixe de ses yeux noisette enjôleurs, comme implorant mon pardon.
- Merci Ellie, accepté-je ses excuses. C'est gentil. Toutefois, on m'attend donc si tu veux bien me laisser passer...
Ses yeux s'écarquillent de surprise puis, gênée, elle se recule pour me libérer le passage. Tout autour de moi, les élèves bavardent avec légèreté, personne ne semble m'accorder d'attention particulière non plus, ce qui me laissent à penser qu'aucune annonce n'a encore été faite quant à l'assassinat de Guillermo et Reka. Comme s'ils doutaient de ma venue, Adam et Valentin scrutent attentivement le mouvement quasi incessant présent dans le réfectoire dans l'attente du diner. Dès qu'il m'aperçoit, le blondinet me fait signe de m'installer à leur table. J'obtempère avec un faible sourire qui se veut rassurant.
- Alors ? Vous avez trouvé l'énigme ? m'accueille avec excitation Jaz.
Sa question m'arrête net. Comme aucune annonce n'a été faite, je me vois mal lâcher de but en blanc l'information pour lui expliquer la situation.
- Euhhhh...
- On a déclaré forfait, vole Adam à ma rescousse. J'ai fait une mauvaise chute dans un ravin en voulant faire le mariole ce qui nous a contraint à abandonner.
Il hoche discrètement la tête dans ma direction ; je peux respirer, il prend la relève.
- Et ça va ? questionne Charline avec un ton suspicieux. Tu t'es fait mal où ?
- A la cheville, explique-t-il. Mais ça va, y a eu plus de peur que de mal. C'est juste que la pente était vachement raide et ma cheville me faisait trop mal pour remonter...
Je surprends un échange de regard muet entre eux deux. La jeune fille aux cheveux bleues paraît largement sceptique face aux explications de son ami mais elle ne proteste pas. A la place, Valentin saute sur l'occasion pour détourner la conversation de nous :
- Et donc, qui est-ce qui a gagné ?
- Si tout va bien, c'est nous, affirme Adrían. Ils ne devraient plus tarder à déclarer les vainqueurs.
A tour de rôle, Jaz et son copain entreprennent de nous raconter la course, les difficultés pour dénicher leurs objets puis pour résoudre l'énigme. Eux aussi avait d'abord pensé à quelque chose en lien avec la mode ancienne mais ce n'avait pas du tout été le cas. L'intitulé de l'énigme était : « Les Parques pouvaient me couper et alors la vie s'arrêter ; Grâce à moi Ariane a pu se sauver ; du rasoir, je désigne une situation délicate ; Mais sur le Web, je fais défiler les actualités ». La réponse n'était donc pas bien difficile à trouver...
Un tintement met fin aux conversation et Karen s'avance sur la petite estrade, visiblement stressée par le contenu de son discours. Ignorant encore le vrai sujet de cette déclaration, Jaz et Adrían se serrent la main, dans l'attente du verdict. Quant à moi, j'échange un regard entendu avec Adam et Valentin, redoutant les réactions que va susciter la prise de parole de la conseillère.
- Jeunes gens, j'ai une annonce importante à vous faire. Lors de cette semaine de raid... deux de vos camarades ont trouvé la mort alors qu'ils participaient à la course d'orientation. Selon le témoignage du dernier membre de leur équipe, seul encore en vie bien que blessé, il semblerait que Guillermo Achenza, dans un élan de folie, ait tué sa petite amie, Reka Davidoff, avant d'essayer de s'en prendre à son frère qui heureusement pour nous s'en est sorti, et de lui-même se donner la mort. De fait, Rosario nous a rapporté que son frère souffrait depuis quelques temps d'une importante dépression, qu'il avait plusieurs fois mentionner le suicide mais qu'il n'avait jamais osé passer à l'acte par amour pour Reka. Sans doute son désespoir est-il devenu trop gros pour lui et cela lui a paru la seule issue.
Je me fige à ses mots, sous le choc. Ils veulent nous faire croire à un crime passionnel, là ? Je sais ce que j'ai vu et je sais ce que j'ai entendu. « Les hommes en noirs »... Rosario n'a pas pu dire ça simplement dans un délire post-traumatique, ça ne peut pas être qu'une pure coïncidence, c'est beaucoup trop gros ! Tandis que je sers les poings de colère face à tous les secrets et manigances de cette école, Valentin dépose une main rassurante sur mon bras. Je me retourne alors vers lui et il secoue la tête sans un mot, pour me dissuader d'intervenir.
- Nous adressons toute notre sympathie aux familles des victimes, poursuit ses calomnies Karen. Un livre d'or vous sera accessible dans le hall d'entrée pour adresser quelques mots à la mémoire de vos camarades disparus. Et surtout, sachez vous montrer indulgent et compréhensif envers ce pauvre Guillermo, il était désespéré et nous n'avons pas su le voir, voilà tout. Nous sommes autant responsables que lui. Je compte sur vous.
Un silence de mort accueille la fin de son discours pendant qu'elle descend de scène pour retourner à son bureau. Prise d'un élan de colère, je me lève à mon tour dans l'idée de la rattraper mais le blondinet me retient toujours par le bras.
- C'est pas le moment Will, déclare-t-il d'une voix sourde, presque menaçante.
Comprenant la situation, Adam se met debout à son tour et tous deux m'entraînent dehors après avoir donné une vague excuse à la tablée. Une fois dehors, ils se décident enfin à me lâcher. Je me frictionne les bras endoloris par leur poigne en laissant ma frustration s'exprimer :
- Vous acceptez ça, vous ? Il est clair que Guillermo n'a pas tué Reka pour qu'ils puissent vivre leur amour éternellement dans l'au-delà, soyons sérieux ! Vous les avez vues comme moi, leur cou tranché d'une coupure parfaite. Si c'était vraiment un acte désespéré, croyez-vous que cela aurait été si propre ?!
Je lance un regard noir à Adam, froide et accusatrice.
- Tu as entendu comme moi ce qu'a dit Rosario quand on l'a trouvé. Ce qu'il a dit ne prêtait pas à confusion ; il y avait d'autres personnes avec eux ce soir-là ! Mais tu acceptes cette histoire à dormir debout que nous a pondu Karen ?! Tu ne crois pas qu'ils mériteraient un peu plus que passer pour un pauvre fou désespéré et une victime un peu trop naïve ?
- Tu ne les connaissais même pas, Will ! s'emporte-t-il face à mes accusations. Comment peux-tu savoir que Guillermo n'était pas dépressif, hein ? Tu n'en sais rien ! Alors, oui, je suis d'accord, cette version me laisse... perplexe mais tant qu'on n'en sait pas plus, on ne peut rien dire !
- Alors on fait quoi ? On reste là bras ballant sans chercher à savoir pourquoi Karen a raconté ces conneries ?!
Je papillonne des paupières, doublement choquée. Une vive douleur sur la joue et les yeux ronds comme une soucoupe de Valentin me confirment que je n'ai pas rêvé. Il m'a giflée ?!
- Mais t'es complètement malade, ma parole ! hurlé-je.
Saisissant parfaitement l'action que je me prépare à faire, Valentin s'empresse de s'interposer avec calme :
- Ecoute Will, je ne crois pas du tout à ce qu'a dit Karen, tout comme toi et je comprends tout à fait ce que tu ressens ; je suis tout autant frustré que toi que leur mémoire soit ainsi salie et que l'on ne puisse rien faire. Néanmoins, je pense que si la version officielle est celle-ci et que Rosario est d'accord avec ça, pour le moment on doit abdiquer aussi. Si Rosario accepte le mensonge de Karen, c'est qu'il doit y avoir une bonne raison à cela.
Il m'offre un sourire avant de retourner son attention sur Adam à qui il adresse un air réprobateur.
- Je peux savoir à quel moment tu t'es dit qu'une gifle était la chose de la situation ?
- Elle s'emballait, se justifie le frère de Logan. Fallait la calmer, c'est tout ce que j'ai trouvé...
- Et maintenant ?
Il appuie sa question d'un regard lourd de sens. Adam lève les yeux au ciel mais obtempère. Ses excuses durement obtenues, Valentin nous fait signe de retourner à l'intérieur. Même si je boue toujours intérieurement autant à l'encontre de son ami que de Karen, je me mets en mouvement mais il me retient une dernière fois avant de poser ses mains sur mes épaules, avec solennité :
- J'ignore ce que tu sais que nous ne savons pas mais sache que la vérité sur leur... assassinat finira par être découverte. Ce n'est qu'une question de temps. Pour le moment, on ne dit rien, on se fait discret afin d'éviter de créer des rumeurs même involontairement qui n'auraient pour résultat que de mettre le bazar entre les adultes et les élèves. Ce qui importe c'est que ceux qui aimaient Guillermo gardent un bon souvenir de lui. Et je suis certain qu'ils se doutent déjà tous que tout ce qui a été dit ce soir n'était que pur mensonge...
Il s'arrête un instant avant de hausser les sourcils avec autorité.
- Très bien, cédé-je sans vraiment y croire.
Les hommes en noir représentent une menace et ce ne sont pas les secrets que nous cache l'administration des Neuf Muses qui va nous aider à l'éradiquer. Or, je ne compte pas simplement attendre mon tour comme pour Guillermo et Reka. Je sais qu'ils existent, et si je leur ai échappé plusieurs fois, je doute que ma chance soit illimitée.
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Hey petits wattpadiens ! Voilà, comme promis, la première publication hebdomadaire. Je compte prendre le rythme d'un chapitre le mercredi et un, le vendredi. Je vous retrouve donc après demain !
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