#Chapitre 16
- Bon, t'avances Carapuce ?
Je ne peux retenir le soupir de lassitude qui s'échappe de mes lèvres. Malgré tout, je m'efforce d'accélérer le pas pour rattraper mes deux coéquipiers qui m'attendent patiemment quelques mètres plus haut. A la hauteur d'Adam, je lâche :
- Tu sais que t'es vraiment lourd quand tu t'y mets ?
- C'est pas de ma faute à moi si t'as la tronche d'une tortue avec ton sac plus gros que toi, réplique-t-il, fier de lui.
Blasée au possible par ses blagues vaseuses permanentes, je l'ignore pour me concentrer sur ma marche. Valentin m'emboîte le pas en silence. Allez ! encore quelques kilomètres et on montera le camp pour dormir !
Voilà maintenant huit heures que l'on nous a transportées, nous les cinquante équipes encore en lice, sur une île voisine à celle où est installée l'Ecole pour . Seulement munis d'une carte sommaire et peu précise ainsi que d'une boussole, nous devons dénicher des objets dont nous ne savons que l'emplacement pour à la fin, résoudre une énigme. Sur les douze requis, nous en avons déjà trouvé cinq. Autant dire qu'on n'a pas fini de marcher...
- Qu'est-on censé faire de ce chapeau, cette ficelle, cette perruque, cette épée en bois et cette bague ? interrogé-je, pensive.
- Ça dépend des années, m'explique patiemment Valentin. Des années, il faut chercher un lien entre chaque objet, d'autres fois seulement l'un d'eux correspond à la réponse d'une énigme qu'on nous posera à la fin... Dur à dire actuellement. Là tout de suite, je penserais à un truc avec la mode du Moyen-Age mais à mon avis c'est trop évident pour que cela soit ça...
J'acquiesce silencieusement. En effet, c'est un peu trop facile, là. Les prochains objets ne devraient pas nous faciliter les choses... Nous marchons encore un bon moment quand Adam, porteur de la carte volontaire, nous arrête.
- Ça devrait être par ici, nous apprend-il. On cherche une souche dans les parages.
Nous hochons la tête avant de nous mettre en quête d'un tronc d'arbre coupé. Nous déposons nos gros sacs dans un coin puis nous partons chacun dans une direction différente pour élargir au maximum le périmètre de nos recherches. Après quelques minutes, Adam nous rappelle :
- Je pense qu'on doit chercher parmi celles-ci, affirme-t-il avec assurance.
Celles-ci ? Y en a combien ? Curieuse, je retourne vers le chemin improvisé que nous empruntions quelques instants plus tôt. En suivant les traces de mon compagnon, je me dirige vers lui pour tomber sur un petit espace plat où se tiennent une vingtaine de souches. Adam est déjà agenouillé auprès de la première pour dénicher notre objet. Avec fatalité, je m'avance vers la seconde et entreprend également la fouille.
- Arrêtez-vous, nous parvient le cri relativement lointain de Valentin. Je l'ai !
Je me relève aussitôt en m'époussetant les genoux avant de le rejoindre, suivit de près par Adam. Nous escaladons tant bien que mal la petite pente raide avant qu'il nous accueille avec un miroir dans la main et un grand sourire, à côté d'une petite souche. Il nous tend ensuite le prochain papier qui nous indique le prochain endroit où aller.
- Des nombres et des flèches ? Ils ne pouvaient pas nous donner un morceau de carte comme depuis le début ? râle le frère de Logan.
- Ce doivent être des coordonnées, suppose le blondinet.
Je jette un œil aux indications de la feuille qui n'affiche rien de plus que des nombres décimaux et des flèches. Je commence à analyser le message jusqu'à obtenir une destination que je transpose mentalement sur la carte. Je regarde le chemin tracé avant de souffler.
- Si je ne me trompe pas, je dirais qu'on passe en hors-piste.
Peu convaincus par mon interprétation, ils ne protestent cependant pas. Je note ensuite dans ma tête une direction générale vers le Nord Est avec la boussole ainsi qu'une distance approximative à parcourir. Je remets ensuite mon gros sac sur le dos avant de m'enfoncer dans les fourrés. En soupirant, mes compagnons m'emboîtent le pas. Grâce à la boussole, je me débrouille pour toujours garder le même cap. Je calcule mentalement les mètres qui défilent sous nos pieds.
Au bout d'une demi-heure, mon estomac commence à gronder. Aussi affamé que moi, Adam propose de faire une pause pour se restaurer mais Valentin et moi sommes d'accord : on trouve l'objet puis on montera le camp.
- On est plus très loin, affirmé-je en vérifiant sur la carte.
- Si tu ne t'es pas trompée...
J'ignore le commentaire vexant d'Adam et me remets en marche, plus lentement en quête d'un indice. Je commence à perdre espoir face au manque de confiance en mon raisonnement des deux garçons quand je la vois enfin à une dizaine de mètres : une balise portant le numéro « 38 » peinte sur l'écorce d'un arbre, le numéro de notre équipe. Rassurée quant à la justesse de ma réflexion, je me précipite sous cet arbre avant de suivre les flèches indiquées sur le bout de papier sous le regard amusé de mes coéquipiers. Deux fois par la droite, droit devant sur cinq pas, je reviens vers la gauche sur quatre, recule d'un. A la fin, j'arrive devant un petit rocher. Sans hésitation, je me mets à fouiller tout autour. Mes doigts rencontrent un objet rond et froid. Je le tire de sa cachette et découvre une petite médaille en or. Je me relève en brandissant fièrement ma trouvaille, la preuve formelle que j'avais raison ! Valentin lève les mains devant lui comme pour abdiquer alors que son ami baragouine ce qui ressemble à des excuses dans sa barbe.
- Maintenant, on monte le camp avant que la nuit tombe.
En effet, le ciel s'obscurcit déjà alors qu'il est à peine seize heures passées. Nous déplions donc la tente trois places qui nous a été prêtée, les nuits à cette saison étant trop froides pour dormir à la belle étoile. Nous nous installons ensuite à même le sol pour déguster notre goûter : une pomme et un pain au chocolat industriel, les seuls à se conserver longtemps. Valentin récupère une lampe de camping dans son sac qu'il place au centre de notre petit triangle alors qu'il commence à faire vraiment sombre. Maintenant immobile, le froid engourdit mes doigts mais mon manteau, une grosse veste imprimé militaire fournit par l'Ecole, me tient bien au chaud. Je me frotte les mains pour les réchauffer ; hélas l'Ecole ne prêtait pas des gants et comme je n'en avais pas dans mes affaires... S'apercevant de mon geste, Adam dévisse le bouchon du thermos dans lequel il me sert un peu de thé, seul vrai luxe autorisé par l'Ecole. La chaleur de la boisson brûle presque mes paumes. A la fois reconnaissante et méfiante, j'observe le frère de Logan qui s'agite pour trouver une position plus confortable par terre. Ses yeux bleu gris croisent alors les miens, ce qui l'arrête aussitôt.
- Quoi ? aboie-t-il. Ça va, il m'arrive d'être gentil, pas besoin de me regarder comme ça...
Je souris, fière d'avoir le dessus sur la situation. Pour une fois, les rôles sont inversés ; c'est lui qui est sur la défensive ! Contente de moi, j'échange un regard satisfait avec Valentin qui hausse les épaules en retour.
- Ça lui arrive... de temps en temps, me confirme-t-il, fataliste.
Faussement vexé, Adam attrape sa pomme qu'il lance sur son ami qui la rattrape sans mal. Pas ébranlé pour deux sous, le blondinet croque à pleines dents dans le fruit, tel un vainqueur. L'hilarité retombe en même temps que la vie du jour laisse place au silence de la nuit.
***
Un coup de pied dans le tibia me tire du sommeil. Encore à moitié endormie, je me redresse dans la petite tente en me frottant les yeux. La lumière est encore très faible mais je devine que le soleil se lève doucement. Je regarde la source de mon réveil intempestif : un bras sur le torse de Valentin et la tête sur son épaule, Adam dort profondément. Je me retiens de rire devant ce spectacle. Malgré mon degré de fatigue important à cause des nombreuses fois où je me suis réveillée pendant la nuit, je décide de sortir dehors. J'enfile mon gros manteau dans toute la discrétion que m'autorise l'espace étriqué de la tente.
Dehors, le vent ne s'est pas calmé. Bien au contraire, il souffle toujours avec force. Toutefois, désireuse de ne pas réveiller mes camarades, je subis les bourrasques, armée de ma seule tasse de thé. Je m'installe sur le petit rocher sous lequel était caché la médaille pour observer le ciel s'éclairer.
Une petite demi-heure plus tard, j'entends la fermeture éclair de la tente s'ouvrir. Valentin et Adam me cherchent fiévreusement mais ils me repèrent très vite. Munis du sac contenant le petit déjeuner, ils s'assoient face à moi.
- T'es bien matinale, commente Valentin.
- C'est-à-dire que je me sentais un peu de trop au milieu de votre nuit d'amour, ne puis-je m'empêcher de me moquer.
J'éclate de rire devant la tête gênée du frère de Logan. En revanche, Valentin ne semble pas perturbé le moins de monde. C'est vrai qu'il n'a fait que subir, lui...
- J'avais juste besoin d'un coussin, se justifie le fautif.
- Mais on ne te juge pas, Adam, promis, répliqué-je avec espièglerie. Peu nous importe qui est ta Eve du moment que tu es heureux avec elle...
- Oh tais-toi Mini-Portion !
Je me dandine, victorieuse, sur mon petit rocher alors qu'il se met à déchiqueter son pauvre petit pain au chocolat qui n'avait rien demandé. Encore une victime innocente de son mauvais caractère...
Déterminés à gagner, nous replions le camp à peine notre petit déj de fortune avalé. Nous établissons ensuite la position de notre prochain objet, pas très loin de notre localisation actuelle. Nous partons à bon pas malgré le vent qui nous ralentit.
La matinée passa très vite et sans encombre. Nous avions trouvé encore trois objets : une cuillère, une baquette magique et une branche dans un sachet. Nous marchions en silence à travers la montagne sauvage, parfois Adam lançait quelques plaisanteries mais nous étions trop concentrés à notre tâche pour véritablement en profiter. C'est seulement peu avant midi que les choses se gâtèrent...
Nous étions à la recherche de notre onzième objet lorsque le pied d'Adam a dérapé et qu'il a dévalé la petite butte qui surélevait notre piste improvisée. Seulement écorché, il s'est redressé en quelques secondes et s'apprêtait à remonter lorsque je l'ai hélé :
- Qu'est-ce qu'il y a derrière toi ?
En même temps que je dis cela, je tends le doigt vers cette chose grisâtre que je ne parviens pas à distinguer mais qui me perturbe. Valentin et Adam suivent du regard la direction que j'indique. Prudent, le frère de Logan s'avance doucement vers la source de mon malaise. Le blond à mes côtés n'attend pas davantage pour descendre à son tour sur le petit terrain en contrebas. Mon imagination s'emballe et un frisson me parcourt. Peu désireuse de rester seule, je les suis à mon tour.
- C'est rien, crie Adam une fois assez près. Ce n'est que la tente d'une autre équipe.
Rassuré, il revient sur ses pas mais Valentin et moi nous figeons, surpris.
- C'est quand même étonnant qu'ils n'aient pas encore levé le camp alors qu'il est bientôt midi, relève ce dernier.
- Allons les réveiller alors, accepte son ami qui fait une fois de plus demi-tour.
Devant la tente, il se met à taper violemment sur la toile, sans réaction. Autour de nous, les sacs à dos sont encore là, appuyés contre un tronc d'arbre, comme abandonnés. Nous échangeons un regard inquiet. Mon cœur se serre, la peur envahissant doucement mes entrailles. Je fais un tour sur moi-même, à la recherche d'un signe qui nous indiquerait vers où ils sont allés, l'oreille tendue au moindre bruit signalant une présence. Mais je n'entends qu'un silence lugubre, le grincement des branches sous le vent et le crissement des feuilles mortes sous nos pieds. Valentin s'enfonce davantage dans le bois sombre alors qu'Adam continue de fouiller autour du campement.
- Oh mon Dieu, nous parvient la voix choquée de notre ami.
Adam et moi nous échangeons un lourd regard avant de nous précipiter aussitôt à sa suite. A sa hauteur, le visage blafard, il me retient et fait signe à Adam d'aller voir, ce que ce dernier s'empresse de faire. Les sourcils froncés, je l'entends jurer à son tour en même temps qu'il se baisse. Je comprends immédiatement qu'il s'est passé un truc et que Valentin se sert de son corps pour me cacher le spectacle. Un voile d'angoisse prend possession de moi mais la curiosité est plus forte que moi. Avec vivacité, je le contourne et me stoppe net devant la scène effroyable qui s'étend devant moi. Le sang se glace dans mes veines, sous le choc.
Valentin m'entoure de ses bras pour m'éloigner de ce carnage mais je me libère de son emprise. Je suis incapable de détacher les yeux du corps à mes pieds. L'horreur recouvre le moindre sentiment, ne laisse derrière elle qu'un sinistre vide émotionnel. Les yeux vides offerts au ciel, la bouche ouverte dans un cri muet et la gorge tranchée, je devine la violence dans laquelle cette jeune fille est morte. Juste à côté d'elle, se trouve le cadavre d'un homme, dans le même état qu'elle. Son coéquipier. Je retiens un haut-le-cœur. Valentin sort de son sac le talkie-walkie à n'utiliser qu'en cas d'urgence pour contacter l'école pendant qu'Adam s'éloigne en étudiant le sol avec attention. Si nos comptes sont bons, il devrait y avoir encore un mort... Un détail m'interpelle bien plus loin. Mue par un mélange d'effroi et de fascination macabre, je m'avance avec lenteur, redoutant ce que je vais découvrir. Les feuilles crissent sous mes pas ce qui accroit encore mon angoisse. Ma respiration se fige alors que je l'ai trouvé. Le dernier. Le ventre contre le sol, replié sur lui-même. Incapable de m'approcher davantage, j'appelle Adam d'une voix hésitante. Puis je l'entends, ce léger râle de douleur. Une décharge d'adrénaline se déverse dans mes veines, je réagis enfin : oubliant tout mon effroi, je me précipite aussitôt auprès du dernier corps. Un faible mouvement de sa cage thoracique me confirme que je n'ai pas rêvé ; il est bien vivant.
- Adaaaaam ! pressé-je alors que je cherche la moindre trace de blessures.
Je sursaute alors que je remarque que ses yeux marrons m'observent avec soulagement. Vivant et conscient, c'est déjà ça. L'urgence chasse mes doutes pour laisser place à une froide clarté rationnelle. Sachant avec précision comment procéder, je sors de mon sac à dos un canif. Sans douceur, je découpe une large bande de tissu dans mon t-shirt avec laquelle je fais pression sur une plaie qui saigne abondamment au niveau de la hanche. Avec les moyens du bord, je fais pression sur une plaie qui saigne abondamment au niveau de la hanche. Comprenant la situation, Adam me vient en aide. Il fait un bandage de fortune autour du mollet de la victime.
- Rosario, je sais que c'est douloureux mais il faut absolument que tu restes conscient, déclare avec un calme qui me surprend mon compagnon. Parle-nous. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- faisait nuit... Guillermo et Reka se baladaient... halète ce dernier tellement parler doit lui faire mal. ils ont attaqué... on s'y attendait pas... Je... J'ai fui... Je... je les ai... abandonnés... Les hommes... les hommes en noir...
Je me pétrifie à ces mots. Des hommes en noir ? Comme celui que j'ai surpris dans le bois près de la piste d'athlétisme ? Mon sang se change en plomb. Je me secoue pour ne pas laisser paraître mon trouble ; rester active. Je continue de m'affairer sur les blessures de Rosario mais une part de moi tremble d'horreur : qu'est-ce que j'ai fait ?
Ils nous envoient unhélicoptère, nous apprend Valentin en revenant vers nous. Ils seront là dansune vingtaine de minutes.
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Et voilà que les choses tournent vinaigre... Mais que s'est-il donc passé ? A vos commentaires ;)
Léna Gem
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