#Chapitre 14
- Mérida, c'est une très mauvaise idée, me sermonne Mathias en peinant à marcher derrière moi sur le sable.
- Je suis d'accord avec lui, approuve Jaz.
Bande de rabat-joie... Je fais volte-face avec un sourire enjôleur.
- Mais non, au contraire, c'est une excellente idée ! affirmé-je avec véhémence avant d'énumérer les raisons avec mes doigts : un, ça me remontera le moral. Deux, ça me tiendra éveillée. Trois, l'eau salée va désinfecter mes plais. Quatre, si je meurs, j'aurais au moins fait quelque chose que j'aime avant. Cinq, je sais qu'au fond de vous, vous voulez me surveiller pour bien et non être mes geôliers. Vous avez envie de me faire plaisir, j'en suis convaincue.
- Whaou mais quels arguments ! lève les yeux au ciel le geek, indifférent à ma tirade.
Je supplie alors Jaz du regard. Elle se pince les lèvres, hésitante...
Nous avons passé près de trois à heure à travailler nos maths avant de nous autoriser un sandwich en guise de collation. Grâce à leur aide, j'ai pu rattraper le chapitre en cours, le comprendre et mon DM de maths est rédigé, prêt à être rendu. Seulement, maintenant, après avoir étudié et mangé, j'ai besoin de bouger. Mieux encore, j'aimerais rejoindre le cours de voile d'aujourd'hui. Mais ces deux bourriques ne veulent pas me laisser faire. Alors j'entends parfaitement leurs arguments : « tu devrais te reposer », « imagine tu tombes dans les pommes au milieu de la mer ? » et blablabla. Cependant, cela ne me retient pas le moins du monde.
- Et qui veillera sur toi ? commence à céder ma colocataire. Compte pas sur nous pour aller dans l'eau...
- Je suis sûre qu'Adam se fera une joie de garder un œil sur moi.
- Mouais, commente Mat, dubitatif.
Finalement, je parviens à les convaincre de me laisser y aller – oui, je me sens l'âme d'une enfant demandant à ses parents de manger des bonbons... Ils s'installent tous les deux sur des rochers près de l'eau. Je suis touchée de voir qu'ils prennent autant au sérieux leur rôle de protecteur en dépit des contraintes que ça impose.
Comme la dernière fois, l'intérieur des vestiaires est envahi par les garçons, sans nulle place pour nous permettre, Elizabeth et moi, de nous changer. Il faudra que je lui demande où elle se prépare... Je patiente donc dehors le temps que tout le monde sorte. J'enfile une combinaison en deux temps trois mouvements avant de sortir, accueillie par un vent froid qui me provoque quelques frissons malgré ma serviette sur les épaules.
- Tiens, une revenante, commente Adam en m'apercevant.
- Bonjour Dieu, me salue Elizabeth.
Je leur réponds vaguement, concentrée sur les consignes qu'énonce M.Hartmann sur la séance d'aujourd'hui. Comme le vent est relativement fort, il propose une course, tout simplement.
- Qu'est-ce qui t'est arrivé ? me questionne alors la seule autre fille du groupe en remarquant mon pansement sur le front.
- Oh, rien, je suis juste tombée dans la forêt.
- T'es vraiment douée, toi, commente platement Adam.
- Je me passerai volontiers de tes remarques sarcastiques...
- Oui mais hélas, tu seras quand même obligée de les supporter.
- O joie...
A la fin de son speech, nous nous avançons vers les catamarans. Je m'apprête à faire de même lorsque le prof lâche sèchement « Santiago, amène-toi ». Il appelle ensuite « Lombardo, Campbell et Wosinski ».
- Je suis désolé les garçons mais je vais être obligé de vous refourguer à chacun un de ces boulets, explique-t-il en nous désignant du doigt Elizabeth et moi, et ce pour le restant de l'année. Mme.Montgomery pense qu'il serait bien d'intégrer ces jeunes demoiselles parmi l'équipe et ne m'a pas vraiment laissé le choix, satanée bonne femme !
Il adopte un ton condescendant :
- Je vous laisse procéder au tirage au sort.
Il tend alors deux bouts de bois aux garçons, en précisant que le plus petit me représente moi. Je me retiens tout le long de répliquer mais je décide de prendre mon mal en patience : au moins, je navigue... « Wosinksi » tire le bâton le plus long en poussant un soupir de soulagement – merci... – pendant qu'Adam hausse les épaules d'un geste fataliste – encore merci... L'entraîneur donne alors une grande tape sur les épaules aux deux jeunes hommes en chuchotant comme pour nous écarter Elizabeth et moi de la conversation :
- Je vous plains les garçons... Je vous souhaite bonne chance quand même.
J'adore ce prof... Un véritable amour qui ne demande qu'à être apprécié...
Malgré tout, Adam accepte ce nouveau compromis et nous allons dans un parfait ensemble préparer notre embarcation avec les autres. Très vite, nous nous apercevons que l'équipe que nous formons est pitoyable, pourtant nous sommes tous deux de très bons navigants mais impossible de nous entendre. Sur l'eau, cela est encore pire. Notre coordination est lamentable, nous avons manqué chavirer à maintes reprises, nous avons perdu le vent de nombreuses fois car nous agissions en décaler. Nous avons alors essayé d'échanger nos places ; lui au foc et moi à la barre. Mais la situation n'a pas vu beaucoup d'amélioration.
- Lombardo ! Santiago ! crie l'entraîneur depuis la plage au moyen d'un mégaphone. Cessez donc de vous traîner comme des mémés en croisière ! C'est une course, pas une promenade ! Avancez-moi c'rafiot !
- Je m'attendais à mieux, baragouine mon compagnon devant moi en pensant que je ne l'entendrai pas...
- Pardon ?
Adam se redresse légèrement pour me regarder.
- Oh, rien, rien. J'espérais juste un meilleur niveau. En fait, t'es plus nulle que ce que je pensais.
- Tu es tellement agréable, lâché-je sarcastique. Et c'est facile de me rejeter la faute mais je te signale quand même que t'es aussi minable que moi là tout de suite.
Énervé, il se met sur les genoux avec un geste d'impatience.
- Passe-moi la barre, on avancera peut-être...
Je lui offre un sourire carnassier, tout autant de mauvaise humeur que lui puis d'une main habile, je détends la grande voile pendant que de l'autre, je donne un grand coup de barre. Le vent emplit brusquement la voile qui traverse relativement violemment l'embarcation. Je la retiens juste avant qu'elle ne touche mon partenaire mais son réflexe instinctif suffit à le faire tomber à l'eau. Aussitôt, je retends voile et redresse la barre afin de ne pas dévier vers lui et le mettre en danger. Je poursuis ma course, gagnant rapidement en vitesse maintenant que je suis seule à diriger le catamaran.
- Santiago ! hurle de nouveau M.Hartmann. Tu t'es prise pour Jack Sparrow ?! Dépêche-toi de récupérer ton coéquipier avant que je vienne vous chercher tous les deux !!!
Bien que j'ai conscience que je mets en jeu ma place dans le cours de M.Hartmann, je suis fière de moi. Au moins, le message a dû passer : ce n'est pas parce que j'ai des seins que je n'aurais pas le cran de me rebeller. Néanmoins, je prépare ma manœuvre pour revenir sur mes pas. Je réalise un empennage périlleux, frôlant le dessalage mais dans un dernier reflexe, je relâche la voile ce qui me permet de me redresser. Sans précipitation pour ne pas mettre Adam en danger, j'exécute un grand cercle pour m'approcher petit à petit. Sans le quitter des yeux, j'avance encore un peu. Arrivée à sa hauteur, Adam se hisse de lui-même. Trempé, il me foudroie du regard, auquel je réponds par un haussement de sourcil défiant. Cependant, il ne fait rien.
Au même moment, l'entraîneur siffle un grand coup, rappelant tout le monde sur la berge. Avec toujours autant de difficulté à faire équipe – si ce n'est plus depuis que je l'ai mis à l'eau – nous retournons vers la plage où nous hissons l'embarcation sur le sable après tout le monde. A aucun moment, mon coéquipier n'a ouvert la bouche. Quand on rejoint le groupe, nous sommes accueillis par un tonnerre de moquerie destiné à Adam alors que je reçois tape sur l'épaule et bourrade admirative. M.Hartmann calme tout le monde, débrief rapidement sur la séance. Nous retournons aux vestiaires quand il nous rappelle, Adam et moi. Je savais que j'allais me faire passer un savon...
- Que les choses soient claires, vous deux, commence-t-il rouge de colère, vous me refaîtes ça et je me chargerai moi-même de faire disparaître vos corps au fin fond de l'Atlantique, c'est compris ?
Nous hochons la tête d'un même mouvement ; le message est limpide.
- Je suis désolé pour toi, Adam mais Santiago sera dorénavant ta partenaire que tu le veuilles ou non. Tâchez de vous entendre.
Nous acquiesçons de nouveau puis il nous laisse partir pour nous changer. Mais au dernier moment, il nous rappelle :
- Vous ferez équipe pour le raid de l'école, nous apprend-il, sans appel. Ça vous permettra de faire connaissance, nouer des liens forts, tout le baratin, et vous reviendrez souder comme jamais.
Il dit cela sur un tel ton de dégoût que je me demande ce qu'il a bien pu lui arriver avec les femmes pour en arriver là. A côté de moi, Adam s'étouffe :
- C'est une blague ?!
L'entraîneur se contente de secouer la tête avec un air condescendant vissé sur le visage. Mon nouveau coéquipier pour le raid jure comme un charretier et s'en va d'un pas colérique. Ça promet.
- Santiago, reprend encore l'entraîneur, c'est pas parce que ton petit papinounet était celui qu'il était que tu peux tout te permettre. Ne l'oublie pas la prochaine fois qu'il te prendre l'envie de foutre un de mes hommes à la mer sans raison valable.
Une soudaine envie de lui montrer mon majeure me démange. Je m'abstiens toutefois de le faire, craignant trop pour ma place. Dans les vestiaires, Adam m'accueille glacialement.
- Contente de toi ? me lance-t-il les dents serrées.
Je hausse les épaules, fataliste. Est-ce que je suis contente de l'avoir fait tomber ? oui, sans conteste. Il ne méritait que ça. Est-ce que je suis heureuse de devoir faire équipe avec lui pour le raid ? sûrement pas. A vrai dire, j'étais même plutôt ravie d'y participer avec Ellie et Mathias et voilà que je suis contrainte de travailler avec lui. Sans parler du fait que dorénavant, je devrai naviguer systématiquement avec lui...
- T'es vraiment chiante, souffle-t-il encore en passant à côté de moi.
- Espèce de lunatique, marmonné-je pour moi-même une fois qu'il est loin.
Dehors, je suis presque immédiatement rejointe par Jaz, un sourire hilare vissé sur les lèvres. Cependant, Mathias ne l'accompagne pas. Suivant mon regard, elle l'excuse :
- Il devait « aller faire un truc ». Il m'a demandé de veiller sur toi toute seule temporairement.
Je hoche la tête bien que ma curiosité soit encore largement sur sa faim. Qu'est-il allé faire ?
J'étends ma combinaison mouillée sur le fil prévu à cet effet quand mon amie coupe de nouveau le silence :
- Si j'avais su que les cours de voile étaient si amusants, je crois que je serais venue regarder beaucoup plus tôt !
Je souris face à sa pique mais mon sourire disparaît très vite. Certes, remettre Adam à sa place m'a fait un bien fou mais dur de le savourer devant les répercussions de mon geste.
- Il va m'en vouloir, tu crois ?
- Un jour ou deux mais ça lui passera très vite, ne t'en fais pas, m'assure-t-elle. Disons simplement qu'il risque de se venger dans les prochains jours puis l'incident sera clos. Je te recommande juste d'être prudente...
J'acquiesce à sa mise en garde. Cela dit, au vu de ce que m'avait dit Logan de son frère, ça ne me surprend pas. Après tout, Logan a dit lui-même qu'Adam et moi nous ressemblions alors... Oui, il se vengera. En tout cas, moi, je me vengerais à sa place. J'espère seulement qu'il n'a pas trop d'imagination en termes de punition parce que s'il en a autant que moi, on peut aller très loin...
Malgré tout, nous remontons le chemin d'humeur plutôt légère, Jaz s'esclaffant au souvenir de la scène. Je dois reconnaître qu'à l'entendre chanter mes louanges ainsi, je tire une certaine fierté de ce que j'ai fait même si je ne devrais pas. Mais que voulez-vous ? l'homme est perversion.
Après hésitation, nous décidons de nous installer dans la pièce de vie du dortoir. Ma colocataire, en habituée des lieux, s'attribue un petit salon en retrait qui offre un semblant d'intimité. Sans me demander mon avis, elle tire de sous la table un plateau d'échec sur lequel elle répartit les pièces.
- Tu sais y jouer ?
- Très vaguement, hésité-je. On m'a appris à une époque mais j'ai un peu oublié...
- Le contraire m'aurait étonné, se moque-t-elle gentiment. Willow Santiago ; fille qui a tous les droits du monde à être ici mais qui pourtant, ne fait rien comme tout le monde.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
Elle plonge son regard mi-sérieux mi-compatissant dans le mien, en me tendant ma reine.
- Que sur le papier, tout t'autorise à étudier aux Neuf Muses mais que dans les faits, on ne sait pas trop pourquoi tu es venue.
J'attrape le pion avant d'hausser les sourcils, dans une vaine tentative de paraître détachée. Elle lève les mains devant elle, comme pour s'innocenter.
- Le prends pas mal, ça n'a rien de méchant. C'est juste que j'en ai parlé avec Ania dans un premier temps puis Mathias m'a fait une remarque similaire tout à l'heure alors j'ai un peu peur que tu ne parviennes pas à te faire ta place ici. Je te trouve adorable, un peu bizarre mais adorable, toutefois je doute que ton caractère bien trempé ne plaise à tout le monde. Et je pense, par exemple, que Ellie n'est pas forcément la personne qui te correspondrait le plus pour une amitié viable.
- Qu'est-ce que tu en sais ? me braqué-je, un peu malgré-moi.
Je ne connais pas encore vraiment Elinore mais qu'on se permette de me juger et de me faire la morale en la critiquant par-dessus le marché m'énerve déjà. Jaz comprend son erreur et rebrousse chemin.
- Rien, tu as raison. Aussi bien, je me fais des idées sur toi et peut-être bien que tu es faite pour t'entendre comme cul et chemise avec elle. Néanmoins, je ne pense pas me tromper mais libre à toi de lui laisser sa chance.
Le silence retombe en même temps qu'une légère tension s'installe entre nous. Dans l'espoir de l'apaiser, je relance timidement :
- Qu'est-ce qu'il s'est passé entre vous ?
- Je te l'ai déjà dit, on n'était pas de la même trempe. Elle avait son objectif final et même si l'atteindre signifie détruire les autres, ce n'est pas un problème. Sauf qu'elle m'a sous-estimée et à cause de ça, elle a échoué. Depuis, elle m'en veut d'avoir gagné et moi d'avoir été prête à tout et même à me faire du mal pour me surpasser.
- De qui vous parlez ? intervient la voix grave de Mathias qui nous fait sursauter.
Un garçon, beaucoup plus jeune, se tient dans son ombre, mal-à-l'aise et hésitant pendant que le grand ours se laisse tomber sur un fauteuil qui grince sous son poids. Il glisse ses pieds sur les accoudoirs avant de relancer sa question.
- De personne, élude Jaz.
Pour garder contenance, elle fait mine de refaire ses lacets mais Mat n'est pas dupe pour deux sous. Cependant, il n'ajoute rien. Au lieu de quoi, il fait signe au garçon de s'avancer. Je hausse un sourcil curieux devant lui. Il semble chercher ses mots, alors je me focalise sur son T-shirt noir ACDC pour ne pas davantage l'intimider.
- Wi-Willow ? se lance-t-il enfin.
- Oui ? interrogé-je le plus doucement du monde.
- Je m'appelle Dean. Je... je viens pour te demander pardon.
Je bats bêtement des paupières à ces mots. S'excuser pour quoi ?
- Ma-Mathias m'a dit que je... je t'avais fait peur dans les bois alors je tenais à te présenter mes excuses.
Je fronce les sourcils, sceptique. Ce témoignage bouscule mes certitudes ; il se range à l'avis de mes amis. Puisque « Dean » vient s'excuser pour m'avoir fait peur, c'est que c'est très probablement ce qu'il s'est vraiment passé, comme me l'ont certifié Jasmine et Mathias. Qui plus est, il est vrai que son T-shirt est noir lui aussi, exactement comme ce que j'ai vu dans les bois. Tout semble aller dans leur sens... Pourtant, je n'arrive totalement à y croire. Cependant, afin de n'alerter personne sur mes soupçons pour le moment tout sauf concrets, j'accepte ses excuses et agis comme si l'incident était clos et enterré.
Le garçon reparti, je lance un discret coup d'œil à l'italien qui semble satisfait de lui. Il surprend mon regard et m'adresse un sourire bienveillant. Toujours méfiante, je rentre tout de même dans son jeu :
- Merci de lui avoir demander de venir me parler.
- De rien, Mérida. Je voulais pas que tu fasses du mauvais sang pour rien, c'est tout. Ce sont très premiers jours parmi nous après tout. Ce serait dommage que l'Ecole te fasse peur...
Je hoche la tête à sonexplication qui paraît sincère. Sur le siège face à lui, Jaz me sourit elleaussi de toutes ses dents. Peut-être a-t-il raison, en fin de compte ?Peut-être suis-je simplement en train de devenir parano à cause des derniersévénements... ? Peut-être que je me suis juste monté la tête et que Dean estle seul fautif de ma peur enfantine ? Perdue, je frissonne sous un courantd'air imaginaire ; aussi imaginaire que tous les soupçons que j'entretiensenvers les Neuf Muses, sans doute...
**********
Voilà votre réponse... Ou pas.
Léna Gem
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