#Chapitre 13

Après ma conversation avec l'italien, je file dans ma chambre récupérer mes baskets avant de me diriger vers le complexe sportif. Ne connaissant pas encore trop bien le terrain de l'île, je préfère dans un premier temps courir sur la piste prévue à cet effet plutôt que de risquer de me perdre voire me provoquer une entorse à cause d'un trou surprise.

Décidément, les Neuf Muses vont me causer bien des soucis dont je ne saurais jamais véritablement comment me dépêtrer. Tout le monde veut tout savoir sur moi sans même me fournir la moindre information sur eux ou sur cette école de malheur. Pour couronner le tout, je ne connais personne pour savoir à qui me fier. Tous les élèves semblent avoir un double jeu, un côté amical et un côté obscur qui me met mal-à-l'aise, me perd... Quant au niveau, il s'élève bien au-delà de mes pires craintes. J'ai l'impression de lamentablement échouer dans toutes les matières ou presque. Enervée et chamboulée, je pousse un cri de frustration perdue au milieu du bois qui sépare le bâtiment scolaire et le gymnase. Quelques élèves se moquent de moi mais je n'en ai cure. A la place, je me mets à trottiner pour me dépenser. Sur place, mes espoirs de tranquillité fondent comme neige au soleil. Une trentaine d'élèves courent déjà en cercle. Je m'apprête à rebrousser chemin quand deux personnes m'empoignent par les bras, m'entraînant de force vers la piste.

- Allons Will, m'encourage Elinore à ma droite. Mathias m'a raconté ce que ce que tu ressentais et il est temps qu'on éclaircisse un peu les choses tous les trois.

- Rien de tel qu'un bon footing pour ça, approuve ce dernier à ma gauche.

Je pousse un soupire d'énervement. M'est-il interdit d'être tranquille pendant vingt petites minutes, bon sang ?! Bien décidée à ne pas les écouter, j'accélère brusquement l'allure pour les semer. Je calle mon rythme sur une foulée rapide mais régulière. Bien que fatiguée des suites de mes petites nuits de sommeil, mon corps retrouve très vite ses habitudes. Ma respiration se fait plus profonde. Je retrouve un sentiment de bien-être face à l'effort. Hélas, il est vite gâché par Ellie et Mat qui me rattrapent. Je peste.

- Bonne foulée, me complimente le geek. Mais ça ne t'empêchera pas de nous écouter.

- Will, commence l'Ambassadrice des Filles. Je sais que tout cela te paraît absurde mais l'Ecole des Neuf Muses est bien particulière. Elle nous prépare à devenir... exceptionnels mais pour ça, il faut se dépasser et elle doit nous connaître pour jauger si on est digne de son secret ou non.

Je m'arrête brusquement, les obligeant à faire de même.

- Et que ce passe-t-il si on en est indigne ?

- On te laisse dans l'ignorance, tout simplement. Mais c'est assez rare.

- On devrait se remettre à courir avant qu'on nous pose trop de questions, intervient Mathias en reprenant sa course.

Bon gré mal gré, je lui emboîte le pas, suivie d'Ellie.

- C'est quoi, ce secret ? relancé-je.

- Si on pouvait te le dire comme ça, souffle l'italien légèrement devant moi, l'école n'aurait pas besoin de jauger qui que ce soit.

- Tout ce qu'on peut te dire, Will, ajoute son amie, c'est de ne pas chercher à le découvrir par toi-même.

Je ricane, acerbe.

- Donc si je comprends bien, on me fait chanter ? Soit j'obéis comme un bon petit toutou et j'ai droit au secret soit je décide que je ne veux pas vous suivre comme un mouton et je suis laissée pour compte ?

- C'est ça, affirme Ellie sans la moindre condescendance.

Sa foi sans limite envers cette secte me dégoute. Elle agît comme si tout cela était normal.

- Ouais bah je préfère encore faire marche seule, assuré-je avec froideur.

Ellie s'arrête de nouveau pendant que je continue de courir sans me préoccuper d'elle. Elle me crie alors à travers le terrain de sport :

- Comment peux-tu dire ça ?! On t'offre mieux que ce que tu mérites et tu le refuses ?! Pour qui tu te prends ?!

Je sens la curiosité des autres personnes présentes sur la piste d'athlétisme nous étudier Ellie et moi. J'ignore cette dernière et quitte la piste pour m'enfoncer dans la forêt. Tant pis pour la prudence qui me conseillait d'attendre de connaître un minimum l'île pour m'y lancer. Je cours à travers bois, enjambant les racines et me baissant de temps à autres pour éviter les branches. J'ignore combien de temps j'ai couru. Longtemps, c'est tout ce que je sais. Mes muscles brûlent agréablement sous l'effort. Je m'appuie contre un arbre pour reprendre mon souffle. C'est alors que je l'entends : un bruit de pas qui fait crisser les feuilles mortes. Mes sens se mettent en alerte alors que mes poils se hérissent sur mes bras. Je cherche des yeux l'origine de ce bruit quand je la remarque ; une silhouette noire se tient là, droit devant moi. Je me fige aussitôt. Vu la discrétion avec laquelle je suis arrivée, je sais qu'il a conscience de ma présence. Il avance d'un pas. Il ne m'en faut pas plus pour m'enfuir à toute jambe.

Qui que ce soit, je l'entends me prendre en chasse. J'entends sa respiration par-dessus la mienne. Ses pas se rapprochent ; il me rattrape. L'adrénaline maintenant familière parcourt mes veines. J'accélère encore. Dans ma précipitation, mon pied se prend dans une racine et je m'écrase durement sur le sol. Mon front cogne violement contre un tronc. La douleur irradie dans mon crâne, brouillant ma vue et ma conscience. A travers ma confusion, je vois la silhouette approcher lentement jusqu'à moi. Je recule gauchement jusqu'à buter contre l'arbre derrière moi. Je n'ai pas le temps de me dire que je suis fichue qu'elle déguerpit en quatrième vitesse. Soulagée, je me laisse à fermer les yeux. Mais des voix me parviennent, m'empêchant de totalement me laisser aller :

- Non, non, non ! jure Jaz en se baissant à côté de moi. MATHIAAAAAS !

Son hurlement me provoque une douleur indescriptible au crâne qui m'oblige à me boucher les oreilles et me recroqueviller sur moi-même. Ma conscience s'amenuise peu à peu tandis que je la sens pencher ma tête en avant pour étudier ma blessure. Soudain, une douche d'eau froide me fait totalement revenir à moi. Je papillonne des yeux, choquée. Devant moi, Jaz et Mathias, une bouteille vide à la main, ont l'air préoccupé.

- Comment tu te sens ? me demande ma camarade de chambre d'une voix douce.

Je suis prise de tremblements incontrôlables dû au froid et à la fatigue autant mentale que physique accumulée ces derniers jours. Malgré tout, j'essaie de me relever avant de lamentablement retomber. Jaz et Mathias échangent un regard inquiet. Ce dernier passe ses bras sous mes genoux et dans mon dos puis me soulève délicatement.

- On l'emmène à l'infirmerie, décide-t-il.

Je perçois vaguement les boucles brunes de Jaz qui ouvre ensuite la marche jusqu'à l'école.

Quelques minutes plus tard, je me retrouve dans une partie de l'école qui m'est totalement inconnue, en dépit de mes protestations. Bien que je sois de nouveau lucide, l'italien refuse de me laisser marcher, craignant que je me dérobe. Mathias et Jaz traversent un long couloir très lumineux à l'odeur de désinfectant qui me chatouille le nez. Sur le trajet, mes tremblements se sont apaisés mais je suis toujours sujette à quelques soubresauts ici et là. Mon amie finit par ouvrir une porte pour laisser passer mon chevalier qui me dépose sur le premier lit de libre que nous croisons. Je replis mes bras contre moi comme pour me tenir chaud alors qu'une infirmière arrive presque immédiatement. Un bref regard et elle m'apporte une couverture.

- Bonjour, je suis Amanda Grace, se présente-t-elle d'une voix douce et chaleureuse. Comment tu t'appelles ?

- Will.

- Très bien Will, reprend-elle aussitôt. Peux-tu me dire ce qu'il s'est passé ?

J'hésite. Dois-je révéler ce que j'ai vu ? Instinctivement, je suis d'avis à garder ça pour moi le temps d'en découvrir un peu plus. L'Ecole garde de nombreux secrets, pourquoi ne pas garder les miens ? Cependant, je doute que qui que cette personne ait été, elle ait eu de bonnes intentions à mon égard. Peut-être représente-t-elle alors un danger pour tous les élèves et non seulement pour moi ? Si c'est le cas, il est de mon devoir de prévenir l'administration qu'un individu potentiellement dangereux se balade sur l'île.

Je fixe silencieusement mes amis avant de raconter :

- Rien, j'étais énervée alors je me suis mise à courir dans la forêt. J'ai pas vu une racine et je suis tombée.

Après tout, ce n'est qu'un demi-mensonge. Je n'omets qu'une partie de l'histoire. L'infirmière acquiesce et commence à m'ausculter. Evidemment, je n'ai rien de grave. Juste quelques égratignures, des bleus ainsi que d'une plaie sur le front et sur mon genou droit. Elle applique du désinfectant à chaque écorchure puis pose deux pansements là où je saigne. Pour patienter, elle me sert une tasse de thé fumante.

- Voilà de quoi réchauffer les cœurs, me sourit-elle.

Elle remplit quelque chose sur ma feuille de santé avant de reprendre la parole :

- Je doute que ta blessure à la tête soit vraiment grave mais je veux quand même que tu surveilles ça. Il est possible que pendant les deux prochains jours tu sois prise de vertiges ou de migraines. Si dans deux jours cela persiste, reviens me voir pour que je te fasse passer des examens, c'est entendu ?

Je lui fais signe que oui.

- En attendant, je te donne une boite de Doliprane pour tes maux de tête.

Elle s'adresse ensuite à mes deux amis, toujours présents :

- Quant à vous deux, je vous demanderai de garder un œil sur elle. Veillez à ce qu'elle mange, à ce qu'elle ne tombe pas dans les escaliers, ce genre de chose, et surtout, veillez à ce qu'elle ne s'endorme pas, compris ?

- Oui, bien-sûr, acceptent-ils tous les deux.

Elle nous libère ensuite. Nous retournons dans le hall, indécis.

- Nous allons où, maintenant ? interroge Mathias.

Je hausse les épaules. C'est Jaz qui trouve l'idée du siècle :

- Will, tu es déjà allée à la bibliothèque ?

Devant ma réponse négative, Jaz me prend la main pour me guider jusqu'à celle-ci. Mat nous suit doucement, mais visiblement mal-à-l'aise. Je pensais que la bibliothèque se trouvait dans le bâtiment scolaire mais ce n'est pas le cas. Bien au contraire, elle se trouve dans un coin reculé de l'île. Nous longeons la montagne jusqu'à ce que finalement ma coloc de chambre déniche une poignée quasiment invisible à même la falaise. J'observe plus attentivement la roche, redoutant une hallucination – un effet secondaire de ma chute ? Mais non, pas du tout. En étant plus attentive, je m'aperçois qu'ici la roche totalement lisse, artificielle. La bibliothèque doit se trouver à l'intérieur de la montagne...

Jaz m'invite à entrer après avoir ouvert une porte qui se détache de la roche. Je fais un pas de plus et reste ébahie devant la pièce qui s'étend devant moi. La bibliothèque s'avère être un troglodyte en plus moderne. Ce que je prenais pour de la roche taillée est en réalité une grande verrière teintée qui beigne la pièce d'une magnifique lumière naturelle. D'un côté, la verrière donne une vue panoramique sur l'orée de la forêt, de l'autre la roche brute mais claire sert de murs. Le mobilier est chaleureux et coloré ce qui confère de la gaieté à la pièce et d'immenses étagères découpent la pièce en mini section. Mathias s'avance vers le comptoir design qui occupe le coin de l'entrée.

- Bonjour Paul, salue-t-il le bibliothécaire. Tu as les livres que j'ai mis de côté ?

- Bien-sûr mon petit Mathias, je te donne ça tout de suite.

En disant cela, il saute et sa tête disparaît derrière le comptoir. Un petit homme, d'à peu près un mètre trente au maximum apparaît alors à côté du comptoir. D'une démarche un peu gauche à cause de son handicap, « Paul » s'avance vers un placard. Il insère une clé à l'intérieur avant de faire signe à mon compagnon d'approcher.

- Deuxième étagère à droite, déclare-t-il.

Mat récupère alors ses livres à l'endroit indiqué et le bibliothécaire retourne à sa place pendant que je reste émerveillée devant cette surprise. Ne voyez pas là de la méchanceté, je suis simplement amusée de découvrir que notre bibliothécaire est un nain. Enfin, une personne de petite taille, pardon.

- Allons jeune fille, cessez donc de me regarder ainsi, c'est dérangeant, plaisante alors ce dernier.

- Excusez-moi, je ne voulais nullement vous vexer.

- Il n'y a pas de mal, je suis habitué au regard dédaigneux de certains élèves.

- Ce n'est pas une raison, répliqué-je. Je vous demande pardon.

Je regarde mes pieds, gênée.

- Allons, allons, ne vous en faîtes pas ma petite. Allez donc plutôt étudiez notre magnifique collection de livres. Vous verrez, elle est grandiose ! Et si vous avez besoin de moi, appelez-moi.

- Merci.

Après ce petit échange, Jaz et Mathias m'entraînent vers un petit salon. Ma colocataire entreprend alors de me présenter brièvement les lieux ; elle me désigne progressivement toutes les sections que possèdent la bibliothèque, les quelques titres, clous de la collection... N'y tenant plus, je pose la question que me taraude depuis un moment :

- Mais la lumière n'abîme pas les livres ? Généralement, on essaye d'assombrir les bibliothèques pour protéger les livres de la lumière.

- Non, m'apprend-elle, parce que les vitres qui composent la verrière sont teintées d'une peinture spéciale qui filtre les rayons nocifs pour le papier. Ainsi, la bibliothèque peut être lumineuse sans mettre en danger la collection. Si les autres bibliothèques ne le font pas, c'est uniquement parce que cette technologie coûte très chère.

- En tout cas, c'est magnifique, complimenté-je encore.

- Ça je ne te le fais pas dire, approuve Jaz. C'est ma pièce préférée sur toute l'île.

Elle hésite un instant avant de se corriger :

- En fait non, mon endroit préféré, c'est l'observatoire mais je te le ferai visiter plus tard. Une visite à la fois.

J'acquiesce, curieuse de découvrir ce lieu encore plus beau que la bibliothèque selon elle même si j'ai du mal à imaginer comment cela peut être le cas.

- Que faisons-nous cet après-midi alors ? demande-t-elle alors.

- Et si on en profitait pour travailler tes maths, Will ? me propose alors Mat.

Je dois avouer que je suis partagée : d'un côté, il faut absolument que je rattrape mon retard en mathématiques mais de l'autre, comment voulez-vous travailler dans un endroit aussi beau ? On a juste envie de l'admirer et de se reposer. Cependant, j'accepte et comme je n'ai pas mon sac de cours, Jaz se propose pour aller chercher mes affaires dans ma chambre.

Seul à seule, mon ami semble hésitant.

- A propos de ce qu'a dit Elinore... commence-t-il, ne le prends pas pour toi. Elle vient d'une famille qui était pauvre à n'en plus pouvoir à l'origine et c'est cette école qui a permis à son père de devenir quelqu'un. Pour elle, c'est inconcevable qu'on n'adhère pas aux valeurs et aux principes des Neuf Muses, c'est tout. Cependant, je ne peux que te conseiller de surveiller ce que tu dis et à qui. Ellie s'est vexée mais elle te pardonnera. Toutefois, les autres pourraient encore plus mal réagir.

Pour une fois, je hoche la tête comprenant la sagesse de son conseil.

Jaz revient en un temps record et nous nous plongeons tous les trois dans nos équations incompréhensibles – mais juste pour moi visiblement... – avec bonne humeur. Finalement, au bout d'un certain moment à me rejouer la scène de tout à l'heure dans la tête, je décide d'interrompre mes deux camarades de leurs exos de maths.

- Dîtes... hésité-je. Il y a des gens du personnel ou autre qui traînent dans les bois ?

Jaz relève la tête en fronçant les sourcils.

- Il y a bien Harold qui entretient les sentiers et parfois des élèves oui, pourquoi ? Tu as vu quelque chose ?

Je hoche la tête, indécise. Est-ce que leur raconter ce qu'il s'est passé est vraiment une bonne idée ? Néanmoins, j'ai commencé alors je ne peux pas m'arrêter maintenant.

- Quand je suis partie en courant, j'ai... rencontré quelqu'un. J'ignore qui, je n'ai même pas vu son visage. Tout ce que je sais c'est qu'il ne portait que du noir de pieds à la tête. Et, le plus étonnant, c'est que quand il m'a vue, il s'est mis à me courir après.

- Je comprends mieux pourquoi tu avais l'air affolé, commente ma coloc avant d'essayer de me rassurer : Ça devait être un élève qui te jouait un mauvais tour, rien de plus.

Je l'étudie attentivement, peu convaincue par cette hypothèse mais je n'insiste pas. Toutefois, je remarque que Mathias serre la mâchoire, comme s'il savait qui était cette personne. Je l'interroge silencieusement.

- Détends-toi Mérida, ce n'était qu'un pauvre type qui a voulu te faire peur, se range-t-il à l'avis de sa voisine mais je n'en crois pas un mot. C'est un huitième année, qui t'a apeurée, je l'ai vu partir à toute vitesse quand Jasmine t'a trouvée. Je t'ai dit que tout le monde allait s'amuser à te faire tourner en bourrique pour te jauger, un peu comme du bizutage.

Mais son regard fuyantm'assure le contraire.

**********

Ta-ta-da ! Les choses se corsent aux Neuf Muses. Simple élève ou véritable menace ? Qui de Mathias ou Will a raison d'après vous ?

Léna Gem

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