#Chapitre 12

- Whaou, me parvient la voix de Jaz dans mon dos.

Je sursaute de surprise, jouant une fausse note stridente. Gênée d'avoir été écoutée, je range aussitôt mon instrument dans son étui. Derrière moi, je sens ma colocataire prendre place sur mon lit.

- A te voir jouer comme ça, j'aurais presque envie d'apprendre moi aussi, commente-t-elle.

- Prépare-toi une bonne dose de patience alors, plaisanté-je pour faire diversion.

- Ah ! ça y est, l'envie m'est passée...

Nous rions de bon cœur devant sa fénéantise. Appuyée contre les coussins, elle joue distraitement avec ma baleine en peluche. Finalement, trop curieuse, elle me demande :

- Elle a un nom ?

- Walmer.

Devant son sourire, j'ajoute :

- Je sais, c'est cliché mais j'avais cinq ans quand on me l'a offerte ! L'imagination, c'était pas trop ça encore !

- J'ai rien dit, j'ai rien dit, se défend-elle en se retenant de rire comme pour se dédouaner.

- Mais tu l'as pensé très fort, affirmé-je accusatrice.

- Très bien, très bien, je confesse : j'ai pensé que ce prénom était moche et stéréotypé pour une baleine mais c'est pas grave, ça lui va très bien !

Comprenant mon malaise, Jaz se redresse pour me redonner ma peluche et retourne dans sa chambre. Voyant que je ne la suis pas, elle me fait signe. Je lui emboîte le pas, excitée comme une puce de découvrir l'apparence sa chambre. Sur le seuil de la pièce, je marque un temps d'arrêt pour analyser la pièce. Ornée de jaune, rose et orange, une chaleur illusoire se détache des draperies. Une teinture géante dans les mêmes tons représentants des éléphants à la queue leu leu sert de tête au lit immense qui occupe le centre de la pièce. Seule sa lampe de chevet éclaire la pièce d'une douce lumière rouge. Des livres sont entreposés dans une vitrine. A côté, des dizaines de petites photos sont accrochées à même le mur. La pièce est splendide, chaleureuse.

La jeune fille se dirige sans hésitation vers son lit pour en récupérer deux peluches : une souris et un éléphant qu'elle brandit fièrement.

- Je te présente Emy et Jorge.

Et ça se moque de moi ?

- Voilà, continue-t-elle. Comme ça, on est à égalité. Je connais ton doudou, tu connais les miens !

Elle appuie sa remarque d'un clin d'œil avant de simplement se laisser tomber sur son matelas. Elle pousse un soupir d'aise qui m'amuse.

- Et ils s'entendent bien ? plaisanté-je comme s'ils étaient vivants.

C'est vrai après tout : depuis quand une souris et un éléphant font bon ménage ?

- Comme cul et chemise, m'assure-t-elle sur le même ton. Jorge m'a été offert par mes parents le jour où j'ai intégré les Neuf Muses. Quant à Emy, c'est juste que mon petit ami possède un esprit de contradiction... disons très développé.

- C'est un cadeau d'Adrían ?

- Oui. Il trouvait qu'il y avait trop d'éléphant dans ma chambre et qu'il fallait quelque chose pour casser cette atmosphère. Alors il m'a offert pour nos un an une souris en peluche, m'apprend-elle en souriant à ce souvenir.

Ma curiosité s'éveille face à la sympathie de ma colocataire et j'éprouve brusquement l'envie de faire plus ample connaissance avec elle. Alors je fais quelque chose qui me surprend moi-même : je m'alonge à mon tour sur ses draps. Elle recule contre sa tête de lit pour me laisser un peu de place mais son matelas est tellement confortable que je reste là, à fixer le plafond.

- Ça fait longtemps que vous sortez ensemble ? questionné-je à nouveau.

- Bientôt quatre ans, oui.

- Quatre ans ?! m'étonné-je en relevant la tête vers elle.

Jaz m'offre un sourire de vainqueur.

- Une des relations les plus solides de l'Ecole. Certaines filles ont bien essayé de me le ravir mais bien mal leur en a pris. Et aujourd'hui, on nous laisse tranquille !

Je siffle d'admiration. J'avoue m'être déjà demandée ce que ça me ferait d'avoir un copain comme dans les films qui fait des câlins, des bisous, qui veillerait sur moi... qui m'aimerait, quoi. Puis, après mure réflexion, j'en suis venue à la conclusion que je n'étais pas câline et que je détestais le sentiment de dépendance. Conclusion : ce n'est pas pour moi. De toute façon, mon cœur est déjà pris ; mon seul amour, ce sont les crêpes au sirop d'érable !

- Et toi ? m'interroge à mon tour Jaz. Tu as déjà eu un copain ?

- Non, jamais. A vrai dire, j'ai beaucoup de mal avec les liens sociaux alors un petit-ami ?

Elle me lance un regard mi interrogateur mi sceptique.

- D'accord. Mais n'as-tu jamais éprouvé de sentiments amoureux ?

- Non plus. J'ai déjà trouvé des garçons attirants mais jamais au-delà. De toute façon, je vivais quasiment en autarcie sur un bateau alors... ça n'aide pas non plus.

Comme elle est de plus en plus curieuse, je raconte une nouvelle fois ma vie aujourd'hui. Une fois que j'ai terminé mon récit, elle reprend :

- Je suis partagée... D'un côté je me dis que ce serait génial de vivre une expérience pareille. De l'autre... je ne pourrais pas me passer d'Adrían, je crois. Ça me manquerait trop d'avoir un copain, des amis et tout ce qui va avec.

J'acquiesce bien que personnellement, les autres ne m'attirent pas plus que ça. A la rigueur, ça me repousse plus qu'autre chose. C'est trop prise-de-tête pour moi que d'entretenir des relations de bonne entente entre tous. C'est épuisant à force... Et plus il y a de gens, plus c'est pire. Je ne suis décidément pas faite pour être populaire et je ne le serai probablement jamais.

- Vous êtes tous amis depuis longtemps avec Charline, Ania, Leander, Liam, Adam, Adrían et... hésité-je, Valentin ?

- C'est ça, me confirme-t-elle. Et pas vraiment en réalité. Il faut savoir que la quasi-totalité des élèves de l'Ecole se connaissent depuis des années, généralement depuis la sixième année. Or, les Neuf Muses est sur une île alors t'as vite fait le tour de connaître tout le monde. On se connaissait mais on ne trainait pas trop ensemble. Ici les amitiés se font et se défont à une vitesse phénoménale du fait qu'on soit obligé de vivre en permanence tous ensemble. Ça doit faire depuis notre neuvième année au lycée qu'on reste toujours ensemble.

Son téléphone sonne, signalant la réception d'un texto. Ne voulant pas se montrer malpolie, elle se contente de l'ignorer.

- J'ai vu que tu t'entendais bien avec Elinore et sa bande, déclare-t-elle distraitement.

- Oui, ils sont sympas.

Elle sert les dents à ma remarque, éveillant ma curiosité.

- Tu ne l'apprécies pas ?

- Pas vraiment, m'explique-t-elle. On a été amie à une époque mais elle m'a déçue. Son père a intégré l'école parce qu'il était un génie issu d'une famille pauvre. Du coup, Ellie se sent dans l'obligation de surpasser tout le monde pour montrer qu'elle aussi mérite sa place mais parfois... les moyens qu'elle emploie sont horrible et j'ai préféré m'éloigner.

Surprise par ses aveux sur l'ambassadrice des filles, je ne pipe mot dans le doute de dire quelque chose qui ne lui plairait pas. Jaz ne rajoute rien non plus ce qui me laisse dans le flou quant à ce qu'il s'est passé. De toute manière, si cela peut m'éviter de me retrouver au milieu du conflit, c'est préférable. 

***

Déterminée à réussir mon intégration dans le club musique des Neuf Muses, je gravis l'escalier en colimaçon jusqu'au dernier étage. Gonflée à bloc, j'atteins la grande porte en bois qui me coupe de la salle de cours. Des voix excitées me parviennent de l'autre côté. Je serre ma main sur la hanse de l'étui qui contient mon violon avant de baisser la poignée de la porte et d'entrer. Des dizaines de regards se plongent sur moi avec surprise. Je sens que l'on m'étudie attentivement alors que je remets un papier au professeur, un vieil homme à la barbe drue et grisonnante. Il m'ouvre une pièce à côté pour que je puisse « m'échauffer avant de jouer devant la classe ». A ces mots, mon courage s'écroule presque aussitôt. Mon incapacité à jouer devant un public se fait ressentir violemment. Une vague de stress me serre les entrailles. Malgré tout, je me plie à l'exercice en pénétrant la petite pièce isolée.

Quarante-cinq minutes plus tard, largement échauffée et stressée, M.Theven, le professeur, vient me chercher.

Dans la salle de classe, un silence impatient plane, dans l'attente de ma prestation. Je repère dans la formation musicale Kaitlynn et Taylor parmi les instruments à vent. Elles m'offrent un sourire rassurant et encourageant. M.Theven me remet un petit porte-vue qui contient différentes partitions pour violon. A ma grande surprise, j'y déniche un morceau composé par ma mère. Cependant, afin d'éviter que quiconque fasse le lien entre elle et moi, j'opte pour une composition semi-complexe.

Sous les yeux scrutateurs d'une vingtaine d'élèves et de mon professeur, je me positionne. Je me concentre afin de stopper les tremblements de mon bras bien que j'en sois incapable. N'ayant d'autre choix, j'engraine malgré tout le début de la mélodie. Je n'achève même pas la première portée avant de saigner des oreilles face à ce son dissonant. Confuse et rougissante, je demande une seconde chance que l'on m'accorde d'un vague geste du bras. Encore plus stressée du fait de mon première échec, je recommence. Ce coup-ci, malgré de nombreuses fausses notes, je continue de jouer. A la fin, je joue avec un peu plus d'aisance mais cela reste un fiasco. Enervée et dégoutée de moi-même, je laisse retomber mon bras tenant l'archet contre mon corps en posant mon violon dans son étui.

Le regard déçu des autres me blesse profondément, néanmoins je ne peux leur en tenir rigueur. J'ai été nulle, tout simplement. Je me tourne alors vers mon professeur dans une attitude involontairement défiante. Il garde le silence en tournant son stylo dans la bouche. Après un instant qui m'a paru des heures, il lâche enfin :

- Bon, c'est brouillon mais on peut en faire quelque chose. Je suis aussi là pour vous aider à vous améliorer après tout...

La sonnerie retentit, mettant un terme à son cours. Pendant que tout le monde réunit ses affaires, il rassemble les morceaux que la classe étudie pour que je rattrape mon retard. Il me désigne ensuite une jeune fille qui paraît bien plus jeune que nous d'au moins deux ans.

- Louise, tu pourras aider... Willow, demande-t-il en lisant mon nom sur sa feuille, s'il te plaît ? Il faudrait minimum lui montrer les morceaux qu'on joue tous ensemble. Pour les solos, ce serait bien aussi que tu les lui apprennes pour qu'elle puisse te remplacer si tu ne peux pas jouer à la Toussaint pour une raison x ou y.

L'intéressée hoche la tête sans dire un mot, faisant danser ses cheveux bruns. D'une timidité évidente, elle me tend son propre cahier. J'étudie ses partitions annotées de conseils donnés par le professeur. Ce dernier nous fait, par ailleurs, signe de quitter la salle.

Dans les escaliers, Louise prend enfin la parole :

- Je suis désolée, commence-t-elle ce qui me surprend fortement : pourquoi s'excuse-t-elle ?

- Désolée pour quoi ?

- M.Theven veut que je t'aide mais mon niveau en violon est pitoyable. Je ne vois pas trop en quoi je pourrais t'aider...

Elle fixe obstinément le sol, ses cheveux lui cache le visage. Quant à moi, je suis désemparée. Je ne me suis jamais retrouvée dans une situation pareille à devoir réconforter quelqu'un.

- On s'aidera mutuellement alors, la rassuré-je sans véritablement savoir si c'était la chose à dire.

Elle acquiesce avant de déguerpir à toute vitesse.

Soudain vidée de toute énergie face à ma piètre prestation et cette discussion peu encourageante, je me laisse tomber sur une marche de l'escalier. La tête dans les mains, je souffle longuement pour relâcher la tension accumulée dans mes épaules. Deux baskets marrons et bleus apparaissent dans mon champ de vision. Les yeux embués, je plonge mon regard dans celui de Mathias. Il me sourit gentiment avant de prendre place à côté de moi. Décidément, ça va être une habitude...

- Encore une matinée difficile ? m'interroge-t-il enfin, au bout d'un moment.

Je hausse les épaules.Je me surprends à lui confier mes pensées, chose qui ne me ressemble pas dutout. Pourtant, l'italien fait preuve d'une gentillesse et d'une sollicitudequi me pousser à lui faire part de ce que je ressens. J'éprouve l'envie de luiraconter tous les derniers événements mais je n'en fais rien, estimant que je nele connais pas encore assez pour lui accorder une confiance absolue. Alors jeme contente de lui parler de mes premiers jours ici ; la pression duniveau scolaire attendu des élèves, les sacro-saints secrets des Neuf Muses etla manie de chacun de vouloir tout savoir, le malaise que j'éprouve face à toutça, mon sentiment d'être dépassée...

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