Les jours suivants, impossible de parler seul à seule avec Valentin pour lui soumettre notre requête. C'est à peine si j'ai réussi à le croiser entre nos cours respectifs, ses responsabilités de Président et mes propres entrainements à Eos. La frustration montant, je dévale les escaliers du dortoir tandis que la fine silhouette blonde de mon ami s'efface dans le hall d'entrée. Dehors, aucune trace de lui. Je soupire de mécontentement : où peut-il bien être parti aussi vite ? Une infime partie de moi, suspicieuse envers tout le monde ou presque depuis la découverte de la lettre d'Octavius, instille le doute. Et s'il disparaissait pour renseigner nos ennemis ? Mais je chasse ses pensées de mon esprit. En tant que Président, Valentin est souvent sollicité, surtout par les temps qui courent, ses absences n'ont rien de très surprenant. Cela dit, il doit courir drôlement vite notre Président pour ne plus être visible sur le sentier qui mène à l'Ecole... Cette incertitude permanente, voir dans le moindre comportement un peu étrange de nos amis le signe d'une trahison, et la méfiance envers ceux que j'aime s'avèrent une véritable torture. « Sans preuve, nulle culpabilité », c'est ce que nous avions convenu avec Adam et je m'y tiendrai. Si je me mets à voir le mal en chacun de mes amis, je ne donne pas cher de ma santé mentale. Alors j'enfouis mes sombres interrogations dans un coin de ma tête pour étudier plus attentivement mes possibilités.
Je peux tenter de rattraper Valentin sur le sentier ; sous réserve qu'il ait bien emprunté ce chemin et ne soit pas parti s'affairer ailleurs. Essayer de le coincer à la sortie d'un cours s'annonce aussi difficile, je ne connais pas son emploi du temps. Reste à croiser les doigts et espérer tomber sur lui sur un coup du hasard... Quel plan merveilleux !
— Je connais ce regard... et en général, il n'annonce rien de bon.
Deux mains se posent sur mes épaules tandis qu'un flot d'étudiants quitte le cottage pour vaquer à leurs occupations journalières. Sans même un coup d'œil, je reconnais le ton badin de mon coéquipier. Je lui marmonne un vague « salut », mais il balaie mes politesses d'un geste de la main.
— Qu'est-ce que tu mijotes ?
— Pour le moment, rien.
Au même moment, une immense silhouette aux cheveux sombres et bouclés s'encadre dans l'embrasure de la porte. Mathias nous salue d'un hochement de tête sans nous accorder davantage de considération, mais, à ma hauteur, il glisse un supposé discret :
— Plus vite j'ai l'info, plus vite je peux commencer...
Je chasse son rappel à l'ordre d'un geste de la main. Pas besoin de me mettre la pression, j'ai bien conscience que les résultats ne sont pas au rendez-vous alors que chaque jour nous est compté. Aujourd'hui, j'attrape Valentin une bonne fois pour toutes, en espérant que la chance soit de mon côté.
L'italien ne se formalise pas de ma réaction et reprend tranquillement sa route. En revanche, le sourcil narquois d'Adam ne laisse aucun doute sur le fait qu'il a entendu le commentaire du geek.
— Tu disais... ? « rien », il me semble ? relance-t-il.
Je soupire, vaincue, quand une idée me traverse l'esprit.
— Tu connais l'emploi du temps de Valentin ?
Si ma question le surprend, il n'en laisse rien paraître, habitué à mes changements de sujets somme toute assez brutaux.
— Qu'est-ce que tu veux savoir... ? me demande-t-il suspicieux.
Résignée, je lui fais signe de prendre la route du Patio pour le petit-déjeuner, prête à lui faire part du plan de Mathias et du rôle que Valentin doit y tenir.
— L'idée n'est pas mauvaise, approuve-t-il après un silence comme pour méditer mes paroles. S'il y arrive, Mathias aura tout mon respect. Je n'y connais pas grand-chose, mais pirater un opérateur... Il est sacrément bon pour se lancer là-dedans. Quant à Valentin... j'imagine que tu as mesuré le risque ?
En effet. Le problème de ce plan réside dans l'intervention d'une personne tierce, susceptible de travailler pour Octavius. Or nous savons que son espion compte parmi nos amis les plus proches, exactement comme Valentin. Le mettre dans la confidence de notre plan nous fait donc courir le risque que celui-ci remonte aux oreilles d'Octavius, annihilant ainsi notre moindre chance de remonter jusqu'à lui...
— J'ai du mal à imaginer Valentin être un agent double... argué-je. Il essaie au possible de nous préserver depuis le début.
— Et de nous dissuader d'intervenir dans le conflit, aussi, rappelle tristement Adam.
Son regard métallique s'éteint à cet aveu. Suspecter son meilleur ami doit lui être insupportable, mais nous devons nous montrer prudents, nous n'avons pas le choix. Je lui offre un sourire compatissant.
— C'est le problème, avec les taupes, reprend-il avec amertume. Ils jouent très bien la comédie ! Cela dit, je pense comme toi. Je connais Valentin depuis des années, il est brillant et ambitieux, mais il se dévoue énormément pour l'Ecole et l'Organisation. Tu connais son histoire, non ? Sans sa tante et les Neuf Muses, il aurait sûrement terminé comme ouvrier dans l'usine où bossait son père, il doit beaucoup à Athéna. Je doute qu'il la trahisse.
Valentin m'a effectivement raconté le mariage désastreux de ses parents, les problèmes d'argent et de dépendance à l'alcool dont souffre son père et l'intervention miraculeuse de sa tante pour le sortir du taudis qu'il partageait avec son géniteur, à la mort de sa mère.
— On tourne en rond, soupiré-je, abattue. Un mois qu'on cherche qui file des informations sur nous à Octavius, et on n'a toujours rien découvert ! A chaque soupçon, on trouve des raisons de ne pas croire nos amis coupables ! On n'avance pas, c'est frustrant !
La colère grondant en moi, je donne un coup de pied dans une pierre qui avait le malheur de se trouver sur mon chemin. La roche décrit une large courbe avant de s'écraser contre un arbre dans un bruit mat. Alors que je m'apprête à recommencer, mon coéquipier me coupe dans mon élan en me prenant les mains. D'une légère pression sur les doigts, il m'oblige à le regarder.
— Eh là, on se calme... souffle-t-il, apaisant. On va bien finir par découvrir de qui il s'agit, c'est promis. Et arrête de balancer des cailloux dans les arbres, y a peut-être un des gars de ton père caché dans les branches. Ils ont déjà assez à faire sans en plus devoir surveiller les projectiles volants que tu leur envoies, tu crois pas ?
La plaisanterie m'arrache un faible sourire. Vite soufflé par la lueur d'inquiétude qui perce dans ses yeux acier.
— Désolée, m'excusé-je piteusement. Je ne sais pas comment tu fais pour rester aussi serein...
Il hausse les épaules en détournant la tête.
— C'est une impression que je donne, en réalité, je suis tout autant chamboulé que toi. Mais faut garder les idées claires alors je m'efforce de rester objectif et de ne pas mêler mes sentiments à cette affaire.
— C'est...
Ne trouvant pas mes mots, je le fixe bêtement pendant un instant. Mal-à-l'aise, il se passe une main dans les cheveux, aussi surpris que moi par son honnêteté. D'habitude, Adam est plutôt du genre à jouer les forts inébranlables et à tourner tout ce qui pourrait l'atteindre en plaisanterie. Je ne m'attendais pas à un aveu si franc. Et lui non plus, visiblement.
— ... courageux, conclus-je.
Il se redresse, surpris, avant de redevenir lui-même... c'est-à-dire d'arborer son sempiternel sourire goguenard et son attitude de crâneur.
— Parce que vous doutiez de ma bravoure, gente dame ?
Je lève les yeux ciel.
— Jamais n'oserais-je, ô grand et puissant chevalier, remettre en doute votre vaillance... ironisé-je. Sur ce, j'ai faim.
— Comme d'habitude, quoi, lâche-t-il en anticipant le coup de poing que j'allais lui administrer d'un pas sur le côté. L'appel de votre estomac n'aura de cesse de m'épater, ma douce. Quoique tout bien réfléchi, « douce » n'est pas le terme qui semble le plus approprié pour vous décrire... Au vu de ta délicatesse, « Troll » convient sûrement mieux.
— Et pourquoi pas « ogre », tant qu'on y est ?
— Ah non ! Impossible. T'es bien trop petite pour ça !
Je m'arrête net au milieu du sentier tandis qu'Adam poursuit lentement sa route, mort de rire. Voyant que je ne le suis pas, il se retourne à son tour pour subir mon regard le plus noir, ce qui ne l'émeut pas le moins du monde. Au contraire, son sourire suffisant ne désemplit pas ! Je vais lui en mettre une...
Par chance, le reste de la journée s'écoule à une vitesse folle et Adam n'a pas réapparu dans mon champ de vision. Bien que je devrais m'en réjouir, sa chaise vide m'a au contraire inquiété. Il n'est pas dans ses habitudes de rater les cours et, à moins que le petit-déjeuner ne l'ait rendu malade – ce dont je doute fortement tellement les cuisiniers nous proposent à chaque fois de véritables délices –, il n'a, semble-t-il, aucune raison d'être absent. Il ne s'est pas davantage montré au déjeuner et les cours de l'après-midi se sont révélés semblables à ceux de la matinée. Je lui ai bien laissé un message, mais je n'ai eu aucune réponse depuis. Une boule d'angoisse s'est logée dans mon estomac et je suis tellement focalisée sur son absence que je manque de ne pas voir Valentin, les bras encombrés de papiers volants, essayer de ramasser une liasse de feuilles tomber par terre. Je suis tentée l'espace d'une seconde de l'ignorer pour partir à la recherche de mon coéquipier, mais l'opportunité est trop belle. Je me précipite vers mon ami.
— Besoin d'aide ?
Je n'attends pas sa réponse pour l'aider à rassembler ses papiers.
— C'est pas de refus ! Merci Will. J'adore mon job, mais travailler avec les dossiers désordonnés de De Clermont n'est franchement pas ma tasse de thé. Adrian m'avait bien prévenu, mais je ne m'attendais pas à un tel bazar. Je passe plus de temps à tout réorganiser qu'à vraiment travailler...
— Vous bossez sur quoi ? demandé-je en posant les pages rassemblées sur le haut de la pile qu'il porte.
Valentin m'offre un sourire chaleureux, surpris que je m'intéresse à ses histoires de paperasses.
— Ton père essaie de convaincre le conseil d'administration d'enseigner le maniement des armes au moins aux élèves de la section militaire. Le directeur a d'abord refusé alors ton père a saisi le conseil en entier. Je suis bon pour des heures et des heures de débats. Là, je dois monter un argumentaire du point de vue des élèves. Je suis censé être libre de prendre le parti que je veux, en pensant seulement au bien de mes camarades, mais De Clermont me met la pression et surveille mon travail pour s'assurer que je me montre défavorable à l'initiative. Un régal.
— Et de toi à moi, qu'est-ce que tu en penses réellement ?
Il jette un coup d'œil autour de nous, comme pour s'assurer que personne n'écoute.
— Pour tout t'avouer, je n'en sais rien. Je rejoins Karen et De Clermont pour dire que l'idée d'ados avec des flingues et des couteaux dans les mains ne m'enchante pas du tout, mais en même temps... Imaginer ces mêmes ados démunis face aux lames brandies par Rangers et ses acolytes ne me plaît pas davantage. Nous sommes en temps de guerre, plus rien n'est normal, nous ne pouvons plus agir comme tel.
— Donc qu'est-ce que tu vas voter ?
Sa mine sombre ne laisse aucun doute sur le plaisir qu'il prend à cette décision. Pourtant, c'est déterminé et sûr de lui qu'il me confesse :
— Pour le moment, je monte le dossier qu'attend de moi De Clermont pour qu'il me lâche la grappe, mais j'en monte un deuxième en faveur du projet de ton père. Le risque est trop grand pour qu'on se repose exclusivement sur les hommes de ton père pour assurer notre sécurité. Je pense que la section militaire peut servir de « test », mais je pense de toute façon qu'il faudra étendre cet apprentissage à tous les élèves... Donc je vais voter pour la mise en place de l'enseignement pour ta section, mais aussi en faveur d'un cours facultatif pour tout autre élève qui ressent le besoin d'apprendre à se défendre. Liam est tout aussi en danger que toi, je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas bénéficier du même apprentissage, sous prétexte qu'il est en section politique et non militaire.
— Ça me paraît la meilleure solution, approuvé-je.
Il sourit, mais cela n'atteint pas ses yeux verts, troublés par l'inquiétude et le poids des responsabilités qui lui incombent.
— Merci Will. Tu n'as pas idée d'à quel point entendre quelqu'un me dire que je prends la bonne décision est réconfortant !
— Si tu nous incluais un peu plus dans tes tracas politiques, je suis sûre que les autres et moi-même t'aiderions à y voir plus clair et approuverions nombre de tes choix, affirmé-je, compatissante.
— Tu as sûrement raison... J'oublie à quel point vous êtes aussi bien informés que les adultes et que votre savoir peut tout changer.
— Oui enfin pour le moment, on marche dans la mélasse.
Il m'adresse un clin d'œil.
— Ne perds pas courage. En ce qui me concerne, j'ai toute confiance en Adam et toi pour sortir votre épingle du jeu, même si j'ignore sur quoi vous travaillez...
Mon sang se glace à cette déclaration. Soupçonne-t-il notre enquête sur chacun d'eux ? De toute évidence, il a parfaitement compris qu'Adam et moi tenions nos amis hors de la confidence. Se doute-t-il de quelque chose ? Et jusqu'où ses conclusions l'ont-elles conduit ?
Sa main sur mon épaule me ramène à la réalité.
— Eh, du calme. Comme je te disais, vous avez toute ma confiance. Même si j'ignore pourquoi vous agissez de votre côté sans nous mettre au courant, j'ai foi en vous. Je suis certain qu'il y a une bonne raison à ça et si cela signifie que je dois rester dans l'ignorance, qu'il en soit ainsi. Vous nous direz tout une fois que vous aurez éclairci votre affaire, je me trompe ?
Je secoue mollement la tête, terriblement mal-à-l'aise. Et dire qu'Adam était convaincu que nos amis pensaient certainement que nous nous contentions de nous entrainer... Valentin s'est révélé particulièrement perspicace. Et s'il nous a percés à jour, qui d'autres également y est parvenu ?
— En tout cas, si je peux aider, n'hésitez pas à me solliciter, conclut-il.
Il s'apprête à reprendre sa route quand je saute sur l'occasion. Le risque est toujours présent, encore plus maintenant que Valentin sait que nous travaillons sur une piste, mais il nous faut ce numéro.
— Justement, je venais te voir pour ça. Tu pourrais nous être utile...
Sans rentrer dans les détails pour ne pas lui indiquer précisément l'information qu'on recherche et ainsi lui permettre de deviner nos intentions, je lui transmets la requête de Mathias.
— Le dossier d'Adrian ? Qu'est-ce que vous voulez en faire ?
Tout à coup, ses yeux s'élargissent de compréhension.
— Vous le suspectez ? Je sais bien qu'il ne se montre pas des plus agréables avec Adam et toi, mais de là à en faire notre ennemi...
— On le suspecte de rien du tout, je t'assure. Mais on a besoin de son dossier.
Devant son air peu convaincu, je tente le tout pour le tout. Après tout, il doit bien se douter que si on veut accéder aux informations d'Adrian, c'est parce que des renseignements pourraient s'avérer utiles...
— On apprendra peut-être des choses sur ses parents, expliqué-je en omettant le but véritable de notre quête. Mon dossier contenait plein d'infos sur les miens, de notes prises par Karen lors de notre rendez-vous... OK, la piste est faible, mais celui d'Adrian recèle peut-être un indice qui nous aurait échappé.
— Si vous le dites... Bon, j'ignore ce que vous mijotez, mais comme j'ai dit, je vous fais confiance. J'essaierai de te passer ça rapidement.
Je l'embrasserais presque, mais me contente à la place d'un simple chaleureux merci. Il m'adresse un sourire triste. Il s'éloigne dans le couloir qui mène à l'administration quand un deuxième point me revient en mémoire.
— Au fait ! crié-je à travers la pièce en courant à sa suite. Tu ne sais pas où est Adam, par hasard ?
Ses traits se figent sous la surprise l'espace d'un instant avant de s'assombrir encore davantage. Un mélange de compassion, de chagrin et de colère traverse ses yeux verts tandis qu'il cherche ses mots.
— Tu n'es pas au courant ?
Sa voix, à peine un murmure, me serre les entrailles. La boule d'angoisse logée dans mon ventre se mue et devient une chappe de plomb. Quoi que Valentin ait à m'annoncer, la nouvelle n'est pas bonne.
— J'étais avec lui quand il a appris la nouvelle. Y a eu un accident, la fiancée de Logan a été blessée. Elle est arrivée ce matin à l'infirmerie de l'Ecole. Tant qu'on ignore s'il s'agit d'un simple accident ou si... cela n'a rien d'un hasard, ton père a estimé plus prudent de la soigner ici plutôt que dans un hôpital difficile à protéger. Adam est là-bas avec son frère et le reste de la famille.
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