Chapitre 29

Mon réveil sonne. Je sursaute avant d'enjambée mon rebord de fenêtre pour l'éteindre rapidement. Dans sa volonté de me reposer, Karen m'a dispensé de ma colle journalière mais que faire d'autre ? Sur mon bureau traine les documents nécessaires à mon futur devoir d'Histoire. Je pourrais en profiter pour m'avancer et ainsi tenter de résorber un peu ce retard que j'accumule qui m'oblige à travailler à flux tendu ? Je ricane, jaune, à ma propre pensée. Après ce qu'il s'est passé, me préoccupé-je vraiment de mes devoirs ? Tout cela me paraît si lointain, une autre dimension ou peut-être un feuilleton télévisé dans lequel ma vie serait celle d'une étudiante lambda, peut-être dans une école de riches, mais une étudiante normale quand même.

Pourtant, je me lève, parcours mes documents et trie les informations qui me permettront d'étayer ma dissertation la prise d'indépendance de l'Inde face à l'Angleterre. C'est peut-être risible, futile mais cela m'évite de trop penser. Et puis, ne dois-je pas feindre qu'il ne s'est rien passé tant que mon père me le demande ?

Deux heures plus tard, je sursaute de nouveau lorsque des mains se jettent sur mon dos. Hilare, Jaz recule précipitamment pour éviter les représailles.

- Tu devrais voir ta tête ! Je ne sais pas ce qui m'effraie le plus : ta grimace quand je t'ai fait peur ou tes cernes, Will. Ça devient critique à ce niveau-là.

Son regard plonge brièvement vers mon bureau avant de revenir sur moi. Devant ses yeux dorés, empreints de sollicitude, je panique. Je ne me suis pas préparée à lui faire face. Je ne suis pas prête. Que lui dire ? Quelle excuse inventer alors qu'à cause de moi, elle vient de perdre sans le savoir son grand amour ? Comment lui mentir ?

Et surtout, ignorait-elle les activités d'Adrian ou étaient-ils de mèche ?

Droite devant elle, son sourire amusé, teinté d'une inquiétude voilée, je suis incapable de soutenir son regard. La culpabilité me submerge, je peine à respirer. En l'espace d'une fraction de seconde, je me figure son doux visage se briser tandis qu'elle apprend la mort d'Adrian, ses traits se tordre de rage tandis qu'elle découvre que tout est à cause de moi. Je m'imagine la Jaz pétillante et bienveillante être rongée par le chagrin, la douleur et la haine. Par ma faute. Moi, sa meilleure amie. Enfin, si notre amitié n'était pas factice... De toute façon, tout est foutu en l'air. Fausse ou vraie, lorsqu'elle apprendra la vérité, notre amitié implosera. Rien ne pourra la réparer. C'est une certitude.

Cette vision m'empêche de prononcer le moindre mot, les larmes menacent de nouveau. Pour garder contenance, je rassemble mes papiers, tout en tentant de rassembler mes pensées sur mon discours à venir. Il doit être cohérent, plausible et expliquer mon étrange attitude.

- Tu as bossé toute la nuit ou quoi ? s'inquiète-t-elle.

Mes épaules s'affaissent. Sans le savoir, elle vient de m'offrir l'excuse parfaite. Mais je rechigne à lui mentir. Comme si ce que j'avais fait ne suffisait pas, il faut en plus que je la trompe.

- Oui... j'avais trop de retard avec mon séjour à l'infirmerie. Je n'aurais jamais pu tenir les délais autrement.

- Will... tu vas exploser si tu continues de si peu dormir. Fallait nous demander de l'aide, on aurait soulagé ta charge de travail, tu le sais bien... Ania a déjà bouclé sa dissert sur l'Inde.

Sa gentillesse me trouble encore davantage. Comment croire qu'elle ait pu me manipuler, elle qui se montre toujours si avenante, si bienveillante ? Un élan de colère me traverse. Impossible de jouer la comédie à ce point ! Mais ma fidèle alliée m'offre au moins une bonne défense pour repousser Jaz et mettre un terme à cet échange douloureux.

- Je sais mais je ne vais peut-être pas vous demander à chaque fois de faire mes devoirs à ma place, Jaz ! C'est pas votre boulot, il faut que je me débrouille toute seule, comme une grande !

Vexée, elle lève les yeux au ciel avant de s'en aller en marmonnant vaguement « comme tu voudras ». Ma culpabilité atteint son paroxysme, intimement convaincue que je fais tout de travers. Dès que me parvient le claquement de la porte qui nous sépare, je m'écroule contre mon bureau, le ventre secoué par un sanglot. Un vif élancement abdominal répond à ce hoquet. Je me mords l'intérieur des joues jusqu'au sang, puisant dans la douleur la force de refouler cet assaut. Il faut impérativement que je m'endurcisse si je veux tenir le temps que mon père face ce qu'il veut. Me préparer mentalement aux prochains événements pour parfaitement endosser mon rôle dans cette horrible comédie. Si seulement j'avais tenté autre chose...

Tout aurait pu se terminer autrement.

J'inspire pour me donner le courage d'affronter cette journée. Me renfermant dans ma routine, je me prépare lentement, mue par mes automatismes : sous-vêtements, jean, pull, brossage des cheveux et des dents, ravalement de façade pour dissimuler mes marques de fatigue, chaussures, cahiers et stylo, manteau, un tour de clés, en route.

Une fois au réfectoire, mon anesthésie cérébrale se dissipe à peine mes yeux se posent sur notre table habituelle déjà animée par les chamailleries des jumeaux et les grands gestes de Charline. Adam interrompt brièvement sa conversation avec Valentin pour me regarder, presque timidement. Je me rappelle alors que ma résolution de réconciliation a été interrompue dans l'œuf par les événements de cette nuit. L'irrésistible besoin de plonger dans ses bras me parcourt mais je la réfrène aussi sec. Bien que cela me fasse mal, c'est finalement une chance que notre conflit s'étende encore entre nous : c'est le seul moyen pour moi de le tenir à distance et d'ainsi me protéger. Me protéger de tout, et de lui. Bien plus que tout autre, il me percerait inévitablement à jour, se rendrait compte que quelque chose cloche, que je lui mens et j'ignore complètement comment je réagirais alors. Est-ce que mon secret serait trop lourd et que je lui révélerais tout ? Ou est-ce que la peur que son regard change sur moi, qu'il découvre ce que j'ai fait, ce que je suis capable de faire, me réduira-t-elle au silence ? C'est alors que je réalise une vérité, une certitude, à laquelle je n'avais pas encore pensé : traître ou pas, Adrian est mort à cause de moi. Légitime défense ou pas, je suis responsable du décès de leur ami, celui qu'ils connaissent depuis des années. Celui avec qui ils ont ri, travaillé, partagé des secrets, se sont parfois chamaillés... Peu importe quand et comment ils l'apprendront, qu'ils comprennent ce qu'il s'est passé, la mort d'Adrian planera toujours entre nous. Quoi que je fasse maintenant, notre amitié en gardera des séquelles, quoi que je fasse, je risque de les perdre... La vision s'incruste dans ma tête ; leur regard déçu et dédaigneux avant qu'il ne me reste que leur dos face à moi. Je me dégonfle, je n'y arriverai pas. Ni à leur mentir ni à leur dire la vérité. C'est au-dessus de mes forces. Je recule d'un pas, prête à faire demi-tour, à prendre la fuite, lorsque je bute contre une surface dure. Je me retourne et mes yeux remontent jusqu'à ceux de Mathias, un sourire encourageant vissé aux lèvres.

- Je peux venir petit-déjeuner avec vous, si tu veux, me propose-t-il, chevaleresque.

Mon cœur loupe un battement. Mon père a forcément mis Mathias dans la confidence, difficile de faire autrement alors qu'il est venu me chercher sur le toit. Le corps en contre-bas n'a pas pu lui échapper. Et pourtant... le voilà devant moi, à m'apporter soutien et réconfort ?

- Tu... tu ne m'évites pas ?

Son visage arbore aussitôt une expression plus sombre, mélange d'inquiétude et de compassion.

- J'en connais une qui a beaucoup trop cogité et qui s'est monté la tête... désapprouve-t-il.

Il soupire, soudain très sérieux.

- Ce qu'il s'est passé cette nuit... n'est pas anodin, et je te mentirais si je te disais que je ne suis pas sous le choc. Mais ce n'est pas à cause de toi, de ce que tu as fait. Tu n'as fait que te défendre et tu as réussi à prendre le dessus pour te protéger. C'était lui ou toi. Ça aurait pu être l'inverse et je doute que cela l'aurait ému plus que ça, mais il a perdu. Tu as été plus forte, c'est tout. Non, ce qui m'a secoué...

Il semble hésitant, cherche ses mots. Pourtant, déjà une phrase dans son discours se répète en boucle dans ma tête : « tu as pris le dessus ». Pourtant, je n'ai absolument jamais réussi à avoir l'ascendant sur lui. A l'entraînement comme lorsque Jaz est tombée dans les éboulis. Même après avoir digéré la surprise de ses prouesses techniques, je parvenais tout juste à lui tenir tête. Alors comment se fait-il que cette nuit, j'y sois parvenue ? L'adrénaline d'une lutte réelle ? Ou au contraire, la peur lui a fait perdre ses moyens ? J'en doute. Malgré moi, le combat de cette nuit se rejoue dans ma tête ; le couteau, ses assauts vifs, incessants, mais peu décisifs, ma chute et son discours provocant... Il aurait pu porter le coup de grâce tant de fois et pourtant, il n'en a saisi aucune. Pourquoi ?

Mais l'air coupable de Mathias m'empêche d'aller plus loin dans mes réflexions.

- Je t'ai vue sur ce toit, justement. Je t'ai vue fixer le vide, hagarde et terrorisée. Ça m'a fait prendre conscience d'à quel point tout ça devient proche et tangible. En dépit des victimes qu'il y a eu, tout avait un côté lointain. Au début, ce n'était finalement qu'une question de chance ; tout faire pour éviter de devenir un dommage collatéral ne servant qu'à faire circuler le message d'Octavius. Prévoir sur qui cela tomberait était impossible. A part se préparer à une attaque aléatoire, on ne pouvait rien faire sinon espérer égoïstement que ça ne tombe pas sur nous. Puis il y a eu Liam et tes propres mésaventures mais vous vous en êtes sortis avec quelques blessures, sans trop de séquelles apparentes. Déjouer leurs attaques me paraissait alors... facile, en quelque sorte. Comme un film d'actions où tu incarnais une héroïne badasse qui ridiculise d'un claquement de doigts ses ennemis, et moi ton allié en coulisse, façon Batman et Robin. Mais cette nuit, sur ce toit, j'ai réalisé tout ce que cela représentait réellement, l'ampleur de cette lutte que tu mènes pour rester en vie et le fardeau que cela implique. J'étais un crétin, je suis désolé.

Il relève la tête, déterminé.

- Maintenant que j'en ai pris conscience, j'ai bien l'intention de t'apporter le véritable soutien dont tu as besoin.

Une bouffée de gratitude manque de me faire pleurer à nouveau. Mathias s'en aperçoit et me pince doucement la joue pour m'arracher un sourire à la place.

- Merci...

Il m'attire contre lui pour m'entrainer vers la table de mes amis, en me frictionnant l'épaule.

- Contrairement à ce que tu sembles penser, je ne te vois pas du tout comme un monstre, Will, chuchote-t-il à mon oreille. Tu n'es pas un monstre. Tu es et resteras toujours Mérida, pour moi ! Une battante courageuse et affirmée, une vraie rebelle.

Malgré ses derniers jours affreux, je trouve la force de lâcher un semblant de ricanement à sa tentative lamentable de me dérider.

- Je sais pas si je trouve ça flatteur ou terriblement kitsch...

- Qu'est-ce que tu veux ? nous, les stéréotypes du genre « geek », ne savons pas parler aux femmes sans métaphores étranges et maladroites, c'est bien connu !

- Excuse facile...

Cela dit, je dois lui reconnaître une chose : me voilà devant la table de mes amis sans que mes tergiversions ne m'aient privé de mes moyens. Sa diversion a donc parfaitement fonctionné.

- Qu'est-ce qui est si drôle ? nous accueille Liam sans nous laisser le temps de nous asseoir.

- Will se moque de ma façon de lui faire des compliments alors que j'essaie difficilement de sortir de ma carapace de geek socialement inadapté, feint de se plaindre l'Italien.

- Ah ! ça faisait longtemps que je n'avais pas entendu ton discours sur les clichés qui entourent ton espèce... lève les yeux au ciel Ania.

- Tu dis ça parce que tu n'as pas été acceptée à la confrérie des petites boulottes, maladivement introverties et mal dans leur peau...

- La splendeur des stéréotypes, écoute.

Leurs chamailleries accaparent la conversation tandis que chacun y va de sa protestation contre ces étiquettes idiotes qui pullulent dans le monde. Cela m'octroie un sursis bienvenu avant que l'hécatombe ne débute. Dans quelques heures tout au plus, l'inévitable chaîne du désastre va se mettre en route et nous précipiter en enfer... Mais pour le moment, l'annonce n'est pas encore tombée.

- Dites, nous interpelle une voix essoufflée, vous n'auriez pas vu Adrian ? D'habitude, il m'attend devant le dortoir pour aller petit-déjeuner mais je l'ai attendu pendant vingt minutes pour rien et je n'arrive pas à le joindre...

Je me tends imperceptiblement, tandis que Leander répond par la négative à Jasmine.

- Il n'est pas avec ses amis ? propose Adam.

Mais ma colocataire est déjà allée s'en assurer.

- Un élève a peut-être demandé à lui parler, suggère Charline. C'est lui qui est de garde ce matin pour le soutien aux étudiants. Mange avec nous, il réapparaîtra bien à un moment.

- Peut-être, accepte Jaz sans sembler particulièrement convaincue. Ça reste bizarre. Il me laisse jamais comme ça sans explication d'habitude...

Valentin fronce les sourcils tandis que l'expression de Jaz se teinte d'une inquiétude qu'elle peine à dissimuler. Comme un instinct inexplicable, elle semble avoir déjà pressenti qu'un événement tragique avait eu lieu. Son visage ne se déride pas un instant alors qu'elle ne touche même pas à l'assiette qu'Ania a posé d'autorité devant elle. Une petite voix me signale qu'en temps normal, je l'aurais sûrement bousculé ou taquiné pour la consoler et que puisque je dois adopter mon comportement habituel, je devrais en faire autant. Seulement, je n'y parviens pas. La culpabilité me consume. Je suis à l'origine de son inquiétude et feindre le réconfort me paraît une trahison pire encore, l'hypocrisie absolue. Alors pour le moment, je fais comme si je n'avais pas perçu son trouble.

La journée se poursuite sur la même note. L'angoisse grandissante de Jaz devient pourtant de plus en plus manifeste. A midi, Ania se propose de l'aider à le rechercher et m'entraine avec elle. Coincée, je n'ai d'autre choix que de suivre les deux jeunes filles à travers l'île. Jaz ne cesse de réfléchir à des explications et des lieux où il pourrait être allé. Si ses parents l'ont contacté, il se peut qu'il soit allé à l'observatoire. Si un professeur l'a réquisitionné, il doit être dans leur salle de repos. On doit repasser à sa chambre, peut-être qu'il y ait retourné depuis. Peut-être qu'elle a fait, sans le savoir, quelque chose de mal, qu'elle l'a blessé et qu'il l'évite. C'est la seule explication à son silence, elle le répète, la seule ! La seule... si on exclut qu'il lui soit arrivé quelque chose, évidemment. Mais je ne peux pas lui dire. La voir se remettre ainsi en question, s'attribuer des tords qu'elle n'a pas commis me brise le cœur. Je manque de tout lui raconter à maintes reprises mais la peur me retient à chaque fois. Tant qu'elle ne sait pas, elle ne me déteste pas. Alors pendant des heures, je la laisse douter, se blâmer alors qu'elle n'a rien fait.

Lorsque l'on rejoint notre groupe en milieu d'après-midi, les froncements de sourcils se succèdent. L'absence d'Adrian est de plus en plus étrange. Ce que tout le monde prenait pour une parano d'amoureuse transie devient peu à peu un sujet d'angoisse légitime, bien que personne n'ose encore le formuler à voix haute. Jasmine refuse d'arrêter ses recherches, même pour s'alimenter. Son téléphone à l'oreille, tentant de joindre celui qu'elle aime pour la énième fois, elle repart vers l'école.

- Qu'est-ce que tu sais qu'on ne sait pas ? attaque une voix derrière moi.

Je sursaute avec une telle force que je manque m'étaler par terre mais Adam me retient de justesse. Tétanisée, le regard fuyant dissimulé derrière ma frange, je réfléchis désespérément à une esquive, un moyen de me sortir de ce mauvais pas mais rien ne me vient. Je savais qu'il serait trop perspicace avec moi ! Et cette fois, Mathias n'est pas là pour me couvrir.

- Je ne suis pas censé vous en parler, confesse pourtant la voix de Valentin.

Surprise, je relève la tête et m'aperçois qu'Adam a les yeux braqués sur le Président. Son attention se porte brièvement sur moi, le sourcil haussé, tandis qu'il me soutient encore. Penaude, je me rétablis pleinement sur mes pieds en le remerciant timidement. Sans davantage me calculer, il s'intéresse à nouveau à son ami, captivé par l'information à venir. Brulée par son contact et son attitude pourtant presque froide, je remets ma manche correctement en me morigénant.

Recentre-toi Will. Tu as failli te trahir toute seule.

- L'administration est en émoi, capitule finalement Valentin. Je les ai entendu dire... qu'il y a eu une nouvelle victime cette nuit.

- Quoi ?!

La question a fusé. Etonnés, mes amis se tournent vers moi sans rien ajouter.

- Je crois qu'il y a eu un autre mort, clarifie Valentin. Et comme Adrian est introuvable, qu'il ne s'est présenté à aucun cours et que Jaz n'a eu aucune nouvelle...

- Tu crois que... ?! s'horrifie Ania.

- Je n'en sais rien. Mais je commence à le croire, oui...

- Oh mon dieu...

La nouvelle traverse le petit groupe, aux expressions épouvantées. Personne n'ose plus parler. Effarée, je secoue obstinément la tête. C'est impossible, pourquoi mon père aurait fait ça ? Il m'a parlé d'une disparition, pas de le faire passer pour une victime d'Octavius. Cela n'a pas de sens ! Octavius sait bien s'il a ordonné son assassinat ou non, cela ne colle pas ! Alors que vient faire cette fameuse victime au milieu de tout ça ? Adrian était déjà taché de sang lorsque je l'ai croisé. Venait-il de commettre un meurtre juste avant que je ne le tue à mon tour ? Ce que j'ai fait aurait permis d'arrêter un assassin ? Mon acte est-il un peu moins pire si c'est le cas ?

- Will ? ça va ?

La voix d'Adam me parvient faiblement, au bord de la crise de panique. Elle me ramène à moi. Pourtant, je me sais incapable de lui dissimuler mes sentiments si je lui laisse trop de temps pour m'étudier. Une certitude surpasse les autres : je dois à tout prix sortir, et vite.

- O-oui, oui. C'est... trop d'un coup, en trop peu de temps, avoué-je en me levant. Je... j'ai besoin de prendre l'air.

Sans attendre, je saisis ma veste et me précipite dehors. Je cours à perdre haleine, comme pour fuir le maelstrom de mes pensées. L'horreur se dispute au soulagement, je me perds dans le chaos de mes émotions qui se déchainent. Si Adrian est la main derrière les meurtres précédents, cela change tout ! Cela n'enlève certes rien à ce que j'ai commis mais j'aurais provoqué la mort d'un monstre ! Je l'aurais empêché de poursuivre ses méfaits, sauver des vies ! Et mes amis ne me détesteraient peut-être plus !

Comment peux-tu penser une chose pareille ?

Un meurtre reste un meurtre. Tu as tué quelqu'un. A cause de toi, un cœur a cessé de battre ; à cause de toi, un homme est mort. Qui qu'il soit, c'est inexcusable. Impardonnable. Comment peux-tu ne serait-ce qu'un instant penser autrement ?!

En pleine course, mon estomac se tord. Je m'affale contre un arbre au moment où je régurgite son contenu. Pliée en deux, je tente difficilement de reprendre mon souffle entre deux haut-le-cœur.

- Will ?

Je ferme les yeux en reconnaissant encore la voix, presque timide, d'Adam. Décidément, il ne lâche pas l'affaire ! Je sens la colère, familière, m'habiter de nouveau. Je crache sans aucune élégance pour tenter d'évacuer l'arrière-goût qui persiste dans ma bouche, avant de me redresser.

- Qu'est-ce que tu veux ?! aboyé-je.

Mon venin l'arrête net. A quelques mètres de lui, je lis l'hésitation sur son visage. Approcher, s'éloigner ? Et plus en profondeur, je perçois ses doutes : insister pour obtenir son pardon ou lui laisser un peu d'espace ? Devant sa détresse manifeste, je manque de m'écrouler. Plus que jamais, j'ai besoin de son soutien, de son amitié et pourtant, elle m'est impossible. Pas sans tout lui dire. Pas sans rompre la promesse faite à mon père. Pas sans courir le risque qu'il découvre la vérité et me rejette définitivement.

- T'aider, affirme-t-il simplement.

Et plus que jamais, j'aimerais accepter. Mais je ne peux pas. Alors j'attaque, le repousse :

- Comme toujours, mon preux chevalier ! ironisé-je. Tu peux laisser tomber.

Il serre les poings, prend sur lui. J'ai fait mouche.

- J'ai déjà admis que j'étais le plus parfait des idiots ! qu'est-ce que je dois faire de plus, Will, pour que tu me pardonnes d'être con ?

Je regrette déjà mes paroles avant même qu'elles ne franchissent mes lèvres :

- Te trouver une autre cruche en détresse et me foutre la paix.

Sur ces amères paroles, je le plante là, incertaine d'être en mesure d'endurer davantage la conversation.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top