Chapitre 24
Un cri hystérique se répercute contre les hauts murs de la salle de bal, brisant le silence surpris d'il y a quelques secondes. Je n'ai pas le temps de trouver l'origine du hurlement : comme un signal, un vent de panique anime l'assemblée qui s'agite bruyamment en tous sens. Même les élèves de la section militaire, pourtant entrainés à garder leur calme, semblent oublier leurs enseignements et participent à la terreur ambiante. Mon père et Karen tentent vainement de tranquilliser les étudiants quand une exclamation me glace d'effroi :
- Logan ! réalise Adam qui bondit déjà sur ses pieds et se précipite hors de la salle.
Avant même que je n'ai compris ce qu'il se passait, je cours à sa suite. J'entends Karen et mon père nous appeler dans mon dos mais ils ne nous suivent pas. Seuls avec les élèves, ils ne peuvent pas se permettre de partir après nous. Je ne ralentis pas.
Bien plus rapide et aveuglé par l'inquiétude, Adam me distance déjà. Il fonce imprudemment en direction du hall d'entrée. Je maudis mes fichus talons qui m'empêchent de tenir son allure tandis qu'il disparaît à l'angle d'un couloir. S'il continue sa course ainsi, il va se ruer sur les problèmes sans aucune précaution. Vide de tout discernement, il se jette dans la gueule du loup !
Je tourne à sa suite en réduisant ma vitesse. De toute façon, je l'ai déjà perdu de vue. Tant qu'à faire, autant ne pas nous offrir en pâture main dans la main. Si je veux lui venir en aide, il faut que j'assure ses arrières, que je prenne le temps d'analyser la situation avant de foncer au casse-pipe. Sinon, nous serons foutus tous les deux. Je tente d'écouter les bruits autour de moi mais je n'entends que le bruit creux de mes talons sur le carrelage et ma respiration. Enervée, je me déchausse d'un geste brusque avant de reprendre mon chemin, attentive au moindre bruit. Au loin, les pas résonnants d'une cavalcade. Je peste entre mes lèvres. Mais quel imbécile ! Il se précipite sans réfléchir ! A quoi bon s'être embêté à lui apprendre toutes ces techniques de déplacements militaires si c'est pour qu'il fonce bêtement droit devant lui le jour où il a besoin de les mettre en application ! Je dois me dépêcher si je veux le rattraper.
Arrivée dans le hall d'entrée, je me plaque contre un mur, me fondant dans les ombres offertes par la panne de courant. Mes précautions ne sont sûrement pas nécessaires ; Adam est tellement bruyant qu'il a dû rameuter tous les dangers directement sur lui mais je préfère me montrer prudente. Au pire, m'approcher sans me faire remarquer m'offrira un effet de surprise. Je ne remarque aucun mouvement, mais une respiration sifflante, comme douloureuse me parvient. Je cherche frénétiquement son origine depuis ma cachette. C'est alors que je l'aperçois, une silhouette allongée, la cage thoracique s'élevant et s'abaissant frénétiquement prêt de l'escalier central. Après m'être assurée de ne voir personne d'autre, je me décide à quitter mon berceau d'ombres pour rejoindre le blessé.
Mes chaussettes s'imbibent d'un liquide chaud et poisseux tandis que je me penche sur le corps immobile mais bien vivant. Mon cœur pulse sourdement dans ma poitrine. Bien que je sois terrorisée à la perspective de me retrouver face à un ennemi, je prie pour qu'il soit du quand adverse. Au vu de la quantité de sang qui s'étale autour de nous, je doute qu'il survive. Mieux veut faire face à un mourant ennemi, bien que cela m'effraie, que l'un des nôtres...
Hélas, le ciel n'entend pas ma prière. A peine suis-je à genoux à côté de lui que je remarque l'éclat métallique d'un badge sur sa poitrine. Il fait trop sombre pour que je parvienne à déchiffrer le nom inscrit mais je reconnaitrai sans mal les plaques de Santiago Security. Les larmes aux yeux, je tente d'identifier la blessure et remarque comme un trou ruisselant sous la poitrine. Un impact de balle. Sûrement l'un des coups de feu que l'on a entendu mais je ne repère aucune autre blessure. A-t-il riposté ? Ou les autres balles ne l'ont pas atteint ? Toute à mes hypothèses, je tente vainement de ralentir l'hémorragie. La balle l'a frappé trop loin du cœur pour l'avoir tué sur le coup mais il perd beaucoup de sang. Mes mains se recouvrent de son sang sans que celui-ci ne s'arrête de couler. Je sens à peine les larmes se déverser sur mes joues, ne ressentant que ce poisseux liquides dans lequel mes doigts baignent.
- Lom...bar...do... halète-t-il difficilement.
Dans un dernier effort, il me désigne une direction avec sa main avant que celle-ci ne retombe mollement sur le sol froid et recouvert de son sang. Tremblante, je retiens un sanglot en m'écartant de lui. J'essaie de recouvrer mes esprits, il est trop tard de toute façon. Dans un effort surhumain, j'essuie mes mains sur mon t-shirt en me relevant maladroitement. Je frotte mes yeux pour tenter d'y voir plus clair, me focalise sur mon objectif : Adam. J'ignore auquel des deux frères le soldat de mon père faisait référence mais je serais heureuse de tomber sur l'un comme sur l'autre. Je suis donc la direction indiquée, m'approchant doucement du secrétariat. Mes chaussettes émettent un immonde bruit spongieux puis, réalisant les traces de pas que je laisse derrière moi, je me décide à les défaire. Pieds nus sur le carrelage glacé, je m'arrête de nouveau à l'arête d'un mur, observant la porte d'accès aux bureaux d'administration. Presque immédiatement, du verre qui explose me confirme la présence de quelqu'un à l'intérieur. Des bruits de lutte.
Le cœur serré, je m'avance jusqu'à la porte pour jeter un coup d'œil à travers le vasistas. De l'autre côté de la porte, je ne vois rien d'autre que la première salle d'attente et le bureau d'accueil. Néanmoins, dans le reflet du plexiglas du tableau d'affichages, je perçois du mouvement. Ils sont donc dans la deuxième salle d'attente, celle pour accéder aux bureaux de Karen et du Directeur. Espéraient-ils les fouiller pour trouver quelque chose ? Prenant mon courage à deux mains, j'ouvre tout doucement la porte pour éviter qu'elle ne grince. L'avantage de leur position, c'est qu'à moins qu'ils n'aperçoivent le reflet sur le tableau d'affichages, il n'y a que le bruit pour trahir mon arrivée. Dans l'autre salle, un grognement de douleur me fait serrer des dents. Que ce ne soit pas Adam, que ce ne soit pas Adam... Empressée, je ne retiens la porte qu'au dernier moment, me rappelant de justesse le claquement qu'elle émet lorsqu'elle se rabat. Coincée, je la bloque avec mon pied le temps de retirer ma veste que je roule en boule avant de la glisser entre les deux battants, empêchant ceux-ci de rentrer en contact. Si quelqu'un passe, il devinera mon passage mais je n'ai pas le choix. Prions pour qu'il soit de notre côté et qu'il nous vienne en aide.
En catimini, je m'avance courbée en deux vers les bruits de lutte. Je me dissimule dans un angle, risquant un rapide coup d'œil pour évaluer la situation, sous la lueur blafarde de l'éclairage de secours – pas de sortie par ici mais un petit marteau pour briser une vitre et un bouton de l'alarme incendie. Avec un air de déjà vu, je repère Adam, acculé au fond de la pièce, qui fait face à ses trois assaillants, le quatrième surveillant leurs arrières. Pour l'effet de surprise, c'est râpé. Si je veux aider Adam, je vais d'abord devoir maitriser le premier. C'est déjà une chose qu'il ne m'ait pas aperçu entrer... Mais s'ils sont armés, pourquoi ne pas utiliser leur pistolet ? Et surtout, à présent, où sont leurs armes ?
Je tente d'étudier les silhouettes pour deviner la forme d'une arme à feu mais ils bougent trop vite. Le plus à gauche fond sur mon coéquipier, jambe tendue. Ce dernier esquive le coup qui visait son genou mais je devine à son hésitation sur son pied qu'une douleur le ralentit déjà. Celui de droite profite du mouvement d'Adam pour attaquer à son tour, en visant son autre flanc, en même temps que l'homme au centre. Le frère de Logan évite le premier, et parvient à parer le poing tendu du second en gémissant. J'ai perdu la notion du temps en voulant aider le soldat blessé de mon père, j'ignore depuis combien de temps Adam lutte face à eux mais le déséquilibre des forces commence à se faire ressentir. Il pare et esquive mais ne parvient à se sortir de ce guêpier. Il faut que je trouve le moyen d'inverser la balance, comme l'autre fois sur l'île. Cette fois-là, il s'était retrouvé coincé à cause de moi, par refus de leur révéler où je me trouvais. Ce soir, c'est à moi de lui porter secours. Mais où sont donc les hommes de mon père ?!
J'évalue brièvement mon environnement. Pas de concombres gicleurs pour m'aider, ce coup-ci. Mais un début de plan germe dans mon esprit.
Du coin de l'œil, je vois Adam céder sur son genou blessé. J'ai déjà trop tardé. Alors sans perdre davantage de temps, je saisis l'orchidée qui décore le bureau d'accueil pour la lancer de toutes mes forces contre la porte. Le vase se brise avec fracas, arrachant un sursaut aux hommes d'Octavius qui se détournent une fraction de seconde de leur cible. Adam en profite pour attaquer le plus proche et tenter de forcer le passage mais les deux autres réagissent promptement et le repoussent facilement. Quant à guetteur, il se décide à approcher l'origine du bruit. En embuscade, j'attends qu'il passe devant moi, dissimulé à ses comparses, pour passer à l'offensive. Au moment où je jaillis dans son dos, la lumière revient comme un coup de main bienfaiteur, le déstabilisant une deuxième fois. Je profite de sa surprise pour l'atteindre à la gorge, enchainant presque aussitôt sur son entrejambe avant de terminer par un uppercut. Sa tête part en arrière tandis qu'il s'écrase en arrière, inconscient. Moins un.
Néanmoins, le raffut a attiré l'attention de ses compagnons. A présent découverte, Je me précipite sur lui pour fouiller son corps en quête de son pistolet. Mais je ne trouve rien. L'assaillant le plus proche bondit en avant, droit sur moi. Contrainte d'abandonner ma fouille, je roule hors de portée avant de me redresser souplement. Prête à l'assaut, je croise un instant le visage épouvanté d'Adam. Face à mon adversaire, je l'observe à pleine lumière. Plus grand et plus baraqué, ses coups doivent être puissants et Adam n'a guère réussi à faire plus que l'égratigner, aucune blessure à exploiter. Ses jambes de taureaux me paraissent indestructibles, je doute qu'un coup dans le genou avec ma seule force suffise à l'amocher. Ou alors, j'ai intérêt à pas me louper... Dans son dos, je devine mon coéquipier retenter une offensive, profitant que je lui ai allégé son équipe de challengers. S'il ne s'en défait pas, je doute qu'on s'en sorte.
Mon agresseur s'élance et je me contente d'esquiver. Sa portée étant bien plus étendue que la mienne, je vais devoir judicieusement choisir mon ouverture. On s'adonne à ce petit ballet quelques instants mais cela suffit à agacer mon adversaire. A côté de nous, Adam gémit de nouveau en roulant au sol. Les mains serrées autour de son ventre, il tente de se redresser mais les deux brutes s'abreuvent de coups, sans aucun répit. Cela me distrait une seconde de trop. Mon assaillant me repousse violemment en arrière. Je me prends les pieds dans un siège de la salle d'attente avant de basculer contre la commode à fournitures. La douleur se propage dans ma colonne vertébrale, le souffle coupé tandis que mon agresseur me tire par la cheville pour me ramener à lui. Dans un élan de panique, je saisis la première chose qui me tombe sous la main : une lampe au pied d'ivoire, emportée dans ma chute. Avec élan, je l'abats de toutes mes forces sur la tempe de mon ennemi qui s'étale à mes pieds, inerte. Et de deux.
Essoufflée, je me redresse douloureusement. Les deux restants, accroupis au-dessus d'Adam, au bord de l'inconscience, résistant de ses dernières forces, m'adressent un bref regard agacé. C'est alors que je remarque le couteau que tient le plus grand, en suspens au-dessus de mon partenaire dont le bras empêche la lame d'avancer. Le plus petit se redresse pour s'occuper de moi mais il n'en a pas le temps. Je fends sur sa droite pour bousculer son comparse dans un geste désespéré. Celui grogne sous la surprise alors que nous roulons au sol. D'un bond, je me rétablis, faisant barrage entre eux et mon ami. Un bref coup d'œil à ce dernier m'arrache une hésitation malvenue. Son regard se perd dans le vide tandis qu'il lutte pour rester éveillé, mais la souffrance se lit sur chacune des crispations de son visage. Devant ce spectacle, mon courage s'étiole. Avec son aide, éliminer les deux derniers auraient été facile mais seule ?
Je n'ai pas le temps de m'appesantir. Les deux fondent d'un parfait ensemble sur moi, avec une rapidité inquiétante. Prise de vitesse, je ne parviens à éviter les deux attaques. Je dévie le poing du premier mais me reçois de plein fouet le pied du second dans les hanches. Sous la douleur, ma vision vacille alors qu'un nouvel assaut m'atteint déjà au ventre et à la tempe, pliée en deux. Aveugle, je lance mon coude en arrière qui, par chance, touche l'un deux dans un hoquet de douleur. Mon pied frappe un genou qui oblige mon attaquant à reculer précipitamment. L'autre en profite pour viser mes yeux mais je le repousse de mon avant-bras et me m'éloigne hors de portée. Un gout de sang dans la bouche, je me tiens prête mais soudain, l'expression du plus grand s'illumine.
- Une rouquine teigneuse, hein...
Mon cœur loupe un battement. Son camarade s'interrompt aussi sec, interdit.
- Tu crois que... commence-t-il mais sa question tombe en suspens, un affreux sourire apparaissant sur le visage du deuxième.
- J'en suis persuadé, confirme-t-il. La poule aux œufs d'or...
Un vent de panique me fait frissonner. Derrière moi, Adam hoquette et essaie péniblement de se redresser, sans grand succès. Dans tous les cas, je doute qu'il me soit d'aucune aide, en l'état.
Les deux hommes se déploient autour de moi, élargissant leur cercle de manœuvre. Réduite à une position plutôt statique pour protéger mon partenaire, mes possibilités s'amenuisent de secondes en secondes. Ils échangent une conversation muette de part et d'autre de moi. Il faut que j'agisse et vite ! Le plus petit sort alors quelques choses de son dos, se désintéressant complètement de moi. Je ne prends pas la peine d'identifier la nature du nouvel objet pour profiter de son inattention, espérant le désarmer avant qu'il soit opérationnel. Mais je n'ai fait qu'un mètre lorsque le colosse me balaie de son bras. Avec violence, je m'écroule sur une rangée de chaise qui cède sous mon poids. La tête me tourne. Cependant, la peur suffit à me donner la force de me relever. Etrangement, le grand reste à distance, prêt à frapper mais sans me maintenir au sol. Son acolyte lâche un petit objet qui rebondit avec un bruit de verre vide. Une fiole. Et ce que je prenais pour un flingue est en réalité pistolet à seringue. S'ils arrivent à m'injecter leur sédatif, je suis fichue. J'avance d'un pas, prête à lutter avec tout ce qu'il me reste mais une vive douleur à la hanche m'arrache un boitillement. Manquait plus que ça...
Le reste se produit en l'espace que quelques battements de cœur. Le colosse s'élance, et je suis trop lente pour l'esquiver. Il se place derrière et m'immobilise d'une torsion du bras dans mon dos. Je crie autant de douleur que d'impuissance devinant la suite sans mystère. Adam grogne, interrompant le plus petit qui se fige pour s'assurer qu'il ne représente aucune menace. Hélas oui, mon partenaire est hors circuit. Une larme de rage s'écoule sur ma joue tandis que j'essaie de me débattre mais le colosse resserre sa prise, me réduisant à la paralysie. Alors l'homme s'approche, sa seringue en évidence. A ma hauteur, il dégage délicatement une mèche de cheveux collé par la sueur pour dégager mon cou. Un frisson de dégout me donne la chair de poule à ce simple contact. Je gesticule vainement dans une dernière tentative désespérée.
PANG ! PANG !
Le bruit est assourdissant. Je me fige, refusant d'ouvrir les yeux dans un premier temps. Maigre protection face à l'horreur qui m'attend. La prise dans mon dos se relâche instantanément, mais le poids du colosse m'entraîne avec lui. Ma joue rencontre le carrelage glacée une nouvelle fois. Je me concentre sur cette sensation. Je suis complètement sonnée, je n'entends que le martellement furieux de mon cœur dans mes oreilles. Puis peu à peu, mes pensées me reviennent. Je me résigne à ouvrir les yeux. Je repère d'abord la seringue, expulsé au pied d'un des derniers fauteuils encore debout. Alors que je me remets sur mes genoux, mon regard rencontre le visage à présent sans vie du plus petit. Sous la lumière artificielle du néon, sa peau paraît encore plus terne et pâle. Je m'éloigne brutalement mais mes pieds se prennent dans une masse molle et je retombe en arrière. Le colosse.
- Eh, Will, tout va bien... Regarde-moi.
Logan se précipite devant moi, rangeant son arme de service dans son étui. Ses yeux bleus cherchent les miens frénétiquement, comme pour happer ma vision et la détourner de ces cadavres. Son visage familier me ramène complètement à moi. J'inspire un grand coup pour chasser de mon esprit l'affreux cauchemar de la soirée.
- Adam ? m'enquiers-je en me redressant.
- Amoché mais bien vivant, me rassure son frère en me soutenant. Il faut l'emmener à l'infirmerie. Et toi aussi. Tu peux marcher ?
Je ne proteste pas, claudiquant jusqu'à mon coéquipier où je me laisse choir en attendant les infirmières. D'ici, je vois les corps dans leur intégralité. Etendus. Immobiles. Morts. La nausée me guette mais je suis trop fatiguée pour vomir. Compatissant, Logan fait de son mieux pour me cacher la boucherie mais les images sont déjà incrustées sur ma rétine. Quelques instants plus tard, une équipe de soignants débarque, munie de deux fauteuils roulants et c'est avec absence que je réagis à leurs injonctions...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top