5. Jjajangmyeon et cannabis
Léopold
Le fait que j'aie été suivi était une information top secrète. C'était donc tout naturellement que la planète entière était au courant.
Il y avait tellement d'articles à ce sujet que j'en perdais le compte. « Léopold Han agressé dans un quartier peu fréquentable », « La star du cinéma frôle la mort », « Que faisait Léopold Han parmi les prostituées de Paris ? »... Les messages inquiets n'avaient d'égal que les messages haineux. Les fans étaient partagés entre la peur, l'incompréhension, l'indignation et le dégoût. C'était vrai, ça, que faisais-je dans une rue connue pour ses bars à putes ? Trois jours que la nouvelle avait fuité, trois jours que tout le monde attendait une explication de ma part. Ça ne me prendrait que quelques secondes : il me suffisait de faire une story où j'expliquais les faits, que j'allais bien et que j'étais désolé d'avoir causé du souci à mes fans... Mais je n'y arrivais pas.
Je n'avais pas ouvert un seul réseau social depuis l'incident. J'avais trop peur.
D'ordinaire, j'arrivais plutôt bien à gérer la haine quand elle restait virtuelle. Il suffisait d'éviter Twitter et de prendre ses distances avec la situation. Ça faisait toujours un peu mal, mais c'était supportable. Aujourd'hui, c'était différent. Parce qu'aujourd'hui, j'avais une part de faute.
Je n'avais pas à me balader si tard dans un tel endroit, et encore moins seul, avec pour seul moyen de défense une pauvre bombe lacrymo. Certes, elle m'avait été utile, mais si je m'étais retrouvé face à un criminel expérimenté, je me serais pissé dessus.
J'avais été imprudent. Et c'était mon entière responsabilité.
J'en avais parlé avec Bernard, mon agent : il avait proposé que la firme fasse une explication officielle, mais j'avais refusé. Je voulais le faire moi-même. Je voulais que ce soit plus personnel qu'un article en noir et blanc à la troisième personne. Mais je ne pouvais pas me résoudre à ouvrir Instagram et à poster cette foutue story. Le monde entier trépignait, impatient de connaître la vérité, de pouvoir dire qu'il avait toujours su que j'étais quelqu'un de dégueulasse, et que mes actions n'en étaient que la preuve. Et pour la première fois, je n'avais pas la force de les contredire.
Je n'entendis pas Juste arriver derrière moi. Aussi, quand il posa une main sur mon épaule, je sursautai en criant. Il se répandit en excuses et, après avoir repris mes esprits, je le rassurai. Ce n'était pas sa faute si j'étais complètement à cran. J'avais tenté beaucoup de choses pour me calmer : la drogue, le yoga, la masturbation, un bain, et même une séance d'hypnose foireuse sur YouTube... Naturellement, rien n'avait marché. Et il n'était que onze heures du matin.
— Léo, murmura-t-il, sourcils froncés. Est-ce que ça va ?
— Est-ce que ça a l'air d'aller ?
J'étais avachi sur le canapé du salon, habillé en tout et pour tout d'un vieux jogging, entouré de deux tasses de café vides, d'une balle antistress que je n'utilisais jamais, d'une boîte de mouchoirs et de mon portable allumé. Un paquet de chips à peine entamé gisait au sol, j'avais renversé du café sur mon tapis hors de prix et je me sentais sale après ma branlette ratée. Pour résumer, j'étais une épave.
— Chéri, qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ?
— Rien. Je gère.
Juste contourna le canapé et vint s'asseoir à côté de moi. Il ramassa les chips, enleva quelques miettes, et attrapa la balle bleue sur laquelle j'avais tenté sans succès de passer mes nerfs. Il joua avec avant de lever le regard vers moi.
— Léo, j'aime pas quand t'es comme ça...
— Comme ça quoi ?
— Sur la défensive. J'ai essayé de t'aider, ça n'a pas fonctionné, j'ai essayé de te laisser seul, et c'est encore pire... Tu ne me laisses même pas te soutenir, je ne sais plus quoi faire.
— Tu n'as rien à faire. C'est entre moi et moi. Je dois simplement me bouger le cul.
— Chéri, je te connais. Si c'était aussi simple que devoir se bouger le cul, tu l'aurais déjà fait. Tu ne laisses jamais traîner les choses sans une bonne raison.
C'était faux. J'étais le roi de la procrastination. La flemme motivait une bonne partie de ma vie.
Je me retins de répliquer.
— C'est assez blessant d'être mis de côté, avoua-t-il. Je suis ton fiancé, tu devrais te donner le droit de te reposer sur moi quand tu en as besoin, pas de...
— Mais je n'en ai pas besoin ! le coupai-je. Je me gère très bien tout seul. Ça ne prendra que cinq minutes à faire, c'est trois fois rien. Je ne veux pas de ton aide.
— Tu vois ? Dès que j'essaye de te tendre la main, tu la mords. Comment tu peux dire que ça va alors que tes actions prouvent le contraire ?
— Parce que ça va ! Putain, j'ai pas besoin de ta pitié, Juste ! Tu le comprends, ça ? Je suis un homme majeur et vacciné, je n'ai besoin de personne, OK ?
Il se recula comme si je l'avais frappé. J'avais haussé le ton sans pouvoir m'en empêcher. Mais merde, il me cassait les couilles à me traiter comme un gamin incapable ! C'était une histoire entre moi et moi-même, et j'avais tout sauf besoin qu'il vienne fourrer son nez dedans. J'avais beau l'aimer de toutes mes forces, là, je ne voulais pas de lui, de son aide et de ses regards dégoulinants de charité. Je ne voulais pas qu'on me sauve. Je pouvais très bien me démerder. Je m'étais démerdé toute ma vie, ce n'était pas une putain de story à la con qui allait me faire flancher. Pourquoi ne pouvait-il pas croire à ce mensonge-là, alors qu'il gobait tous les autres ?
— Je ne veux pas me disputer avec toi, dit-il à mi-voix. Mais j'espère que tu vas songer à ce que tu viens de dire, Léo, parce que ça fait vraiment mal.
Il me fixa quelques secondes, attendant que je le regarde en retour, ce que je ne fis pas. Il soupira et se leva lentement, comme si son corps était fait de plomb, et quitta la pièce en traînant des pieds. Je l'entendis monter les escaliers et s'enfermer dans la chambre, sans un mot. Une fois que le silence revint, je fermai les yeux et expirai en tremblant.
Et voilà. T'as encore merdé.
Pour l'instant, j'étais trop en colère pour me sentir coupable, mais je savais qu'une fois la pression retombée, j'allais me haïr. Je détestais crier sur Juste, mais je n'arrivais pas à faire autrement : quand la rage prenait le dessus, elle balayait au passage toute ma morale et toutes mes promesses, et je me mettais à proférer des insultes auxquelles je ne croyais même pas. Il s'était passé exactement la même chose avec mes amis et, désormais, c'était au tour de mon fiancé de pâtir de ma misère.
Doucement, au fur et à mesure que je me perdais de vue, je devenais un homme toxique, froid, apathique. Comme un serpent sournois, la peur transformait mon sang en poison, et quiconque avait le malheur de s'approcher d'un peu trop près goûtait à ma morsure amère. Je ne supportais pas de me voir ainsi, de ceux qui rejettent avant d'être rejetés, mais j'étais incapable d'agir autrement si je voulais garder la face. C'était soit ça, soit un burnout. Et, à mon plus grand malheur, je préférais blesser les autres plutôt que moi.
J'étais un animal sauvage en souffrance, attaquant toute main que l'on me tendait de crainte qu'elle n'empire ma douleur. Et Dieu que j'aurais aimé que ce ne soit pas le cas, Dieu que j'aurais aimé être quelqu'un de plus normal, de moins détraqué. Dieu que j'aurais aimé pouvoir changer. Mais c'était trop d'efforts, j'avais trop peur et, merde, face à la pitié, tout ce que j'arrivais à ressentir, c'était une immense colère. Je m'étais toujours débrouillé pour m'en sortir, sans jamais avoir besoin de la compassion de qui que ce soit. Je ne supportais pas que l'on voie en moi une créature fragile qu'il fallait sauver. Je pouvais très bien me sauver tout seul. Je l'avais déjà fait, et j'étais prêt à recommencer.
Je n'en avais juste pas envie.
Mais ce n'était qu'une story. Une minuscule, ridicule, stupide story. Pourquoi fallait-il que je fasse une montagne d'une pauvre caillasse ?
Le son d'une notification me tira de mes pensées. J'avais reçu un message – encore un, évidemment. Mais c'était de la part de quelqu'un de proche, puisque c'était la sonnerie que j'avais programmée pour mon entourage de confiance. À contrecœur, je regardai le nom, et fus surpris de découvrir que j'avais reçu un SMS de la part de Thomas.
« Salut, trou du cul. Je suis en bas de ton immeuble. Mets tes lunettes, prends tes clés et descends. »
Je relus le message plusieurs fois, et il me fallut quelques secondes pour comprendre que cet imbécile était en train de m'attendre dans la rue. Comme si j'allais le rejoindre. Il allait poireauter un bon moment sur ce trottoir malodorant, parce que je n'étais clairement pas d'humeur à sortir de chez moi.
Je verrouillai mon portable, le rallumai pour regarder l'heure, naviguai entre deux applications sans trop savoir quoi faire. Je reçus un autre message.
« Clem n'est pas là. C'est juste nous deux. Dépêche, je suis en plein cagnard. »
Oh. Il n'y avait que lui ? Je repensai à cette conversation que je souhaitais avoir avec lui depuis quelques temps. C'était l'occasion rêvée. Thomas et Clem étaient toujours fourrés ensemble ; les moments que je passais en tête à tête avec Thomas pouvaient se compter sur les doigts d'une main.
Quelques minutes plus tard, après avoir fait une rapide toilette et laissé un Post-it à Juste pour lui dire où j'étais, je poussai les portes en verre de mon immeuble.
— C'est une mauvaise idée, la veste en cuir, fut la première chose qu'il me dit. Il fait plus chaud encore que dans ton froc en fin de soirée.
— Je t'emmerde. Et j'en ai besoin pour cacher ma silhouette. Mes tatouages sont trop facilement reconnaissables.
— Tu prendras une douche à la maison. Allez, viens, j'ai la dalle.
Il marcha sans se retourner, sachant d'ores et déjà que j'allais le suivre. Parce qu'il savait quelque chose. Il savait que je m'en étais rendu compte. Et il fallait que nous parlions.
Le trajet entre mon appartement et la maisonnette de mes meilleurs amis était court, mais Thomas avait eu raison : sous mon blouson de cuir noir, je mourais de chaud. Le soleil tapait de toutes ses forces, comme s'il essayait personnellement de me faire rôtir, et les rues étroites de Paris absorbaient ses rayons pour transformer le goudron en véritable fournaise. Je marchais tête baissée, bien caché derrière mes lunettes de soleil et ma casquette, talonnant Thomas pour me fondre derrière lui. Chaque fois que quelqu'un se retournait sur notre passage, j'accélérais inconsciemment le pas, écrasant les chaussures de Thomas qui ne se privait pas pour râler. Je ne répondais rien. J'avais l'impression d'être un de ces poulets à la broche que l'on retournait pendant des heures au-dessus des patates.
Thomas et moi avions beaucoup plus de points communs que nous ne l'aurions cru. En apparence, il était timide et froid, tandis que j'étais extravagant et social. Mais au fond, nous souffrions tous les deux d'une agoraphobie handicapante que nous cachions chacun à notre manière. Thomas disparaissait pour se faire oublier ; moi, je mettais les spots plein phare sur mon visage pour effacer mes zones d'ombre.
Nous avions aussi un goût prononcé pour le sarcasme et l'humour noir. Il était la seule personne que je pouvais insulter amicalement sans craindre qu'il se vexe. Je pouvais me le permettre avec Manu, mais à moindre mesure – sa morale finissait toujours par le rattraper. Thomas, de morale, eh bien... il n'en avait pas vraiment.
Lorsque nous passâmes de seuil de chez lui, j'étais trempé de sueur, et je compris pourquoi il avait parlé de douche. Je m'empressai de poser mes affaires dans un coin et de retirer ma veste, et pris à peine le temps de remercier Thomas lorsqu'il me tendit une serviette de bain que j'étais déjà en train de grimper à l'étage.
Je pris une douche express, à l'eau fraîche, et me rendis compte en sortant que je ne pouvais décemment pas remettre la tenue dans laquelle j'étais venu. J'enroulai la serviette autour de ma taille et sortis dans le couloir, à la recherche de Thomas, et dus faire tout le tour de toute la maison à poil pour finir par le trouver dehors, derrière le bâtiment, dans un petit jardin à l'ombre dont je n'avais jamais eu vent de l'existence. Je restai dans l'encadrement de la porte, n'osant pas m'exposer à un possible vis-à-vis – si j'avais le malheur d'être vu en petite serviette devant un homme, j'étais foutu.
Lorsqu'il se retourna, il eut une réaction dont je n'avais vraiment pas l'habitude lorsque quelqu'un me voyait à poil : il fit la grimace.
— Léo, merde, pourquoi t'es tout nu ?
— J'ai besoin de fringues. Les miennes sont dégueu.
— T'aurais pu m'éviter ce traumatisme visuel, marmonna-t-il en retournant à l'intérieur. (Je fis exprès de ne pas me décaler pour qu'il soit obligé de me frôler.) Je sais pas, mets un avertissement, au lieu de te promener la queue au vent.
— Déjà, je ne suis pas entièrement nu, arrête d'en faire tout un plat. Et ensuite, tu m'as déjà vu sous tous les angles, au boulot. Ça n'avait pas l'air de te choquer.
— Parce que le travail, c'est le travail. Là, tu es chez moi, et je n'étais pas prêt à voir tes tétons.
Je jetai un coup d'œil à mon buste, confus. Nous étions arrivés dans sa chambre.
— Qu'est-ce qu'ils ont, mes tétons ?
— Rien ! Mais si je pouvais m'abstenir de connaître leur existence, j'en serais ravi. Tiens, mets ça. Et attends que je sois sorti de la pièce pour enlever la serviette.
Il me tendit un tee-shirt, un caleçon et un short – tous noirs, bien évidemment. Avant de partir, il pointa une paire de tongs, et je dus me retenir de toutes mes forces d'exploser de rire. Thomas était bien la seule personne au monde à se retrouver face à une superstar mondiale et à lui dire de mettre des tongs en plastique et fermer sa gueule. Ça faisait du bien, évidemment. D'être traité comme quelqu'un de normal. Thomas se fichait royalement de ma célébrité. C'était réconfortant, de savoir que je pouvais encore vivre comme un humain, et pas comme une œuvre de grande valeur.
Je m'habillai, enfilai les tongs et le rejoignis sur la terrasse du jardin, où il était en train de dresser un petit apéritif. Des chips, des bières et des cacahuètes. Simple et efficace. J'observai un peu les alentours avant de m'asseoir. La terrasse, en pierre, était recouverte par une pergola en bois envahie de plantes grimpantes, ce qui nous cachait des regards extérieurs et conférait une ambiance chaleureuse. Après la terrasse s'étendait le jardin dont l'herbe courte semblait encore jeune. Le tout était entouré par des murs en pierre, qui délimitaient l'espace avec les voisins et la route.
— La maison derrière la nôtre a récemment été détruite, m'expliqua Thomas face à ma surprise. Ils ont décidé d'en faire un terrain neutre, alors on l'a racheté et on l'a transformé en jardin. C'est cool, non ? Il est un peu moche, pour l'instant, mais Clem a acheté plein de graines à planter. Elle veut absolument faire pousser des salades.
Je fus incapable de lui répondre. La tristesse prenait doucement le pas sur la joie. Évidemment, j'étais content pour mes amis, et c'était plus que cool que nous puissions nous installer sur cette charmante terrasse. Mais face à une telle banalité, une telle broutille, je ne pouvais pas m'empêcher de comparer ma vie à la leur, et cela avait la fâcheuse tendance à me rendre mélancolique.
Je donnerais n'importe quoi pour être à leur place. Vivre dans une petite maison avec un micro jardin, planter des salades et boire des bières fadasses avec des cacahuètes. N'être personne. Naviguer sur les réseaux sans constamment y voir ma tronche, des news sur moi ou une critique suite à une fausse rumeur lancée par un imbécile. Décrocher au téléphone sans avoir la boule au ventre qu'un fan obsessionnel ait trouvé mon numéro. Sortir dans la rue sans être mort de peur à l'idée d'être reconnu. Ne pas se sentir constamment observé. Suivi. Filmé. Sale. Comme si des milliers d'yeux pervers étaient braqués sur moi, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Se donner le droit de vivre, d'aimer, de déconner, d'être vulnérable. D'être bourré sans se demander si une vidéo honteuse de moi fera le tour de la planète. Je donnerais n'importe quoi – n'importe quoi – pour me faire oublier. Pour rendre cette notoriété que l'on m'avait imposée. Pour n'être que Léopold, un franco-coréen tatoué et passionné par le dessin.
Mais comment expliquer ça à Thomas ? Comment dire à quelqu'un qu'on lui enviait ce qu'il ne possédait pas ? Comment pouvais-je me permettre de me plaindre alors que j'étais parmi les plus privilégiés ? Comment faire comprendre au monde que ce privilège était en réalité une prison ?
Je ne me rendis pas compte que je laissai planer un blanc, absorbé par mes pensées. Lorsque je revins à la réalité, je croisai le regard de Thomas, dont les yeux étaient indéchiffrables. On aurait dit... qu'il savait. Qu'il comprenait ce que je ressentais. Qu'il était triste avec moi.
Il a pitié de toi.
Je dus faire un effort surhumain pour étouffer cette pensée et la bouffée de colère qui l'accompagnait. J'inspirai profondément et m'assis sur l'une des chaises en plastique, croquai une cacahuète, me mis à l'aise. Fis semblant que ça allait. Que je n'étais pas sur le point de péter le plus gros câble de mon existence.
Thomas tapota mon épaule et entra à l'intérieur de la maison. J'aurais pu l'en mordre de rage.
Il me laissa seul un moment, aussi, je sortis mon téléphone et me laissai happer par un petit jeu à la con. Au bout de dix minutes, alors que je commençais à me demander si je ne devais pas partir à sa recherche, une odeur familière me parvint. Je mis quelques secondes à la reconnaître, tant cela faisait longtemps que je ne l'avais pas respirée. Quand enfin je mis un mot dessus, j'écarquillai les yeux.
Thomas apparut sur la terrasse, deux grands bols en main, et posa le premier devant moi. J'avais l'impression d'être un gosse face à son premier cadeau d'anniversaire. Il arborait un petit sourire, partagé entre la gêne et la fierté. Je regardai le plat. Thomas. Le plat. Thomas.
Puis, sans réfléchir, je me levai et le pris dans mes bras.
Thomas avait cuisiné du jjajangmyeon, un plat coréen typique. En apparence, ce n'était rien – la recette était facile, si j'en voulais, je n'avais qu'à en cuisiner. Mais je n'en avais pas mangé depuis que j'avais quitté mon pays natal. Et Thomas ne le savait pas, mais cette odeur, c'était celle que j'associais à ma maman.
Maman faisait souvent du jjajangmyeon, même lorsque ce n'était pas jour de fête, parce que c'était ce qu'elle préférait manger. C'était le plat qui avait bercé toute mon enfance. Il était synonyme de famille, de jours heureux – signe que j'étais chez moi, et que j'étais en sécurité. Thomas aimait essayer des recettes du monde entier, il avait dû choisir celle-là par hasard. Mais, sans le savoir, il venait de réveiller quelque chose de doux en moi que j'avais depuis longtemps oublié : mon innocence.
Je me revis, haut comme trois pommes, à jouer dans la cour de mon primaire, à faire des bêtises en classe, à dessiner plutôt qu'apprendre mes leçons. Les professeurs qui essayaient de cadrer mon caractère rebelle, et maman, qui me disait toujours que les notes, ce n'était pas important, que ce qui avait le plus de valeur, c'était de profiter de sa vie en faisant ce que l'on aimait le plus. J'avais toujours adoré dessiner. Je recouvrais les coins de mes cahiers de gribouillages. J'avais gaspillé un nombre astronomique de feuilles blanches avec mes œuvres d'enfant. Et maman, qui m'avait toujours félicité, qui avait toujours mis un point d'honneur à accrocher sur le mur du salon tous les dessins que je lui offrais. Maman, qui me disait qu'elle m'aimait avant de me faire un bisou sur le front. Maman, qui me cuisinait du jjajangmyeon et faisait attention à ce que je me nourrisse correctement. Maman, qui m'avait dit que j'avais le droit d'aimer les garçons, qu'elle était fière de moi, fière que son fils soit gay, qu'il brise les codes de l'identité de genre en portant des jupes, qu'il soit lui-même.
Maman, qui avait été tout l'inverse de papa.
« Règle numéro 1, mon fils : ne jamais dépendre de qui que ce soit », répétait-il. « Règle numéro 2 : si ça devait malgré tout être le cas, ne plus jamais adresser la parole à cette personne. »
C'était d'ailleurs pour ça qu'elle l'avait quitté et était partie se remarier avec une femme, à l'autre bout du monde. Elle avait fui ce père de famille tyrannique et conservateur. Je comprenais sa décision. À sa place, j'aurais fait la même.
« Papa, je suis gay.
— Si toi, tu es gay, alors moi, je ne suis plus ton père. Jamais je n'accepterai un fils tel que toi. Tu as perdu le chemin de Dieu. Tes choix te mèneront en Enfer, où tu paieras pour tes péchés. Disparais de ma vie. Désormais, tu ne fais plus partie de ma famille. »
« Maman, je suis gay.
— Oh, mon chéri, je le savais déjà. Une maman sent ces choses-là. Arrête de pleurer, tu vas mettre des larmes dans ton riz. Je t'aime, qu'importe avec qui tu sors ou qui tu es. Allez, raconte-moi tout. Il y a un garçon à l'école qui te plaît ? »
Maman, qui ne m'avait plus donné de nouvelles depuis huit ans.
— Léo ? Tu m'étouffes, espèce de... Tu pleures ?
Maman qui, en abandonnant son mariage, avait oublié l'existence de ses trois enfants. Qui s'était barrée en France, pour recommencer sa vie à zéro, et que j'avais suivie, des années plus tard, comme un chien perdu, avec l'espoir stupide de la retrouver. Comme s'il suffisait de ça pour revoir un parent qui a décidé de vous effacer.
Ce n'était qu'un bol de jjajangmyeon. Mais c'était aussi le souvenir d'une époque où j'étais heureux, où j'étais aimé, où je n'étais que le petit Junghwa. Où j'ignorais encore à quel point je détesterais l'adulte que je deviendrais.
— Léo, tu vas mettre de la morve sur mes fringues... Assieds-toi et mouche-toi, il y a de l'essuie-tout sur la table. Arrête de pleurer, on dirait que je viens de t'apprendre que le père Noël n'existe pas.
Je dus user de toute ma volonté pour revenir au présent, effacer le visage souriant de maman et les yeux froids de papa. Pour me rappeler que j'étais en France, sur la terrasse de mon meilleur pote, et que j'avais un filet de morve dégueulasse au-dessus de la bouche. Je m'essuyai d'un geste gauche, un peu sonné, comme si je venais de faire un voyage express dans le temps et que le trajet m'avait donné mal au cœur.
Mal au cœur. Voilà une expression qui résumait bien ma vie.
— Bon, arrête de faire ta mater dolorosa, et dis-moi ce qui va pas. J'ai foiré le dressage, c'est ça ? T'es tellement offensé par ma cuisine que ça te fait chialer ?
— Imbécile, hoquetai-je entre mes larmes. Arrête de te foutre de ma gueule.
— Quoi, alors ? C'est la première fois que quelqu'un pleure sur mon épaule après que je lui aie apporté à manger. Pourtant, Clémentine passe son temps à chouiner pour des trucs de merde.
Je jetai un coup d'œil à mes mains. Sur chacune de mes phalanges se trouvait gravée une lettre, et quand on les mettait toutes bout à bout, on pouvait lire le mot « ABSOLUTION ». Du verbe absoudre, qui signifiait pardonner. C'était mon premier tatouage, et sûrement le plus fort, aussi. Il était une piqûre de rappel constante à la réalité. Qui j'étais, pourquoi je me battais, pourquoi je me forçais à subir cette vie de merde dont je ne voulais pas. D'où je venais et où se trouvaient mes rêves. Ce tatouage était comme une boussole qui me permettait de ne jamais perdre le cap.
— C'est le plat que ma maman me cuisinait tout le temps quand j'étais enfant, expliquai-je une fois que je pus parler. Ça remue beaucoup de souvenirs.
— Bons ou mauvais ?
— Les deux, mais surtout des bons.
— Si j'avais su, j'aurais fait un bibimbap...
— Non, c'est parfait. C'est exactement ce qu'il me fallait. Tu as très bien fait.
Je pris l'une des paires de baguettes que Thomas avait rapportées et avalai une bouchée trop grosse pour ma bouche. Je toussai et manquai de peu de m'étouffer. Le goût n'était pas le même que dans mes souvenirs, mais c'était normal, ce n'était pas maman qui avait cuisiné. Tout de même, j'y retrouvai quelque chose que je croyais avoir perdu. L'espace de quelques secondes, je crus être redevenu un enfant. Rien de plus qu'un enfant qui adorait dessiner et faire des bêtises en cours. Rien de plus que Junghwa, le petit hyperactif à la bouille d'ange au fond de la classe.
Thomas m'observa quelques instants avant d'entamer sa propre portion. Nous mangeâmes en silence, seulement bercés par bruits de la ville et de de nos mastications. J'engloutis littéralement le plat, à m'en péter le bide, les larmes aux yeux. Une fois qu'il ne resta plus une miette, j'ouvris une bouteille de bière et avalai la moitié d'une traite. Thomas m'observait, de la sauce au coin des lèvres, manifestement partagé entre une hilarité nerveuse et de l'inquiétude. Il s'essuya la bouche et se tourna vers moi, cherchant ses mots. J'avais envie de lui hurler de ne rien dire. Je craignais que, par mégarde, il ne fasse qu'approfondir la plaie. Qu'en essayant de me réconforter, il rompe la mince ficelle qui me permettait de joindre les deux bouts.
— Parle-moi de ta maman.
Mais évidemment, Thomas n'en avait rien à foutre du réconfort ; il savait qu'avec les personnes comme lui ou moi, c'était inutile. Il fallait juste arracher le pansement et laisser le temps effacer les cicatrices. Avoir mal un bon coup, expulser toute la douleur qu'on s'efforçait d'étouffer, et apprendre à vivre avec le vide qu'elle laissait.
— Mes grands-parents étaient coréens, et ont déménagé en France un peu avant d'avoir ma mère. C'est ici qu'elle a grandi. Elle est retournée dans son pays d'origine pour ses études, où elle a rencontré mon père, et ils nous ont eus, Clyde, Grace et moi. Elle nous a toujours parlé français, c'est comme une deuxième langue maternelle, pour nous. On a eu une chouette enfance. Mon père n'était pas du genre commode, mais c'est assez commun, là-bas. Quand j'ai eu quinze ans, ma mère a demandé le divorce, et s'est remariée peu de temps après avec une Française. Elle... elle nous a laissés derrière elle. Mon père n'a jamais digéré son départ, et encore moins son homosexualité. Alors quand je lui ai avoué la mienne, il m'a mis à la porte. Il a renié mon existence même. Ça a mis Clyde hors de lui, il a tenu tête à mon père, alors il l'a dégagé, lui aussi. Grace a décidé de venir avec nous. On ne l'en a pas empêchée, même si elle était encore mineure, à l'époque. On l'a prise avec nous et on est partis en France, comme maman, en espérant qu'elle veuille bien nous récupérer.
Je pris une longue inspiration.
— Ça n'a pas été le cas. Elle a refusé de nous voir, et a même fait semblant de ne pas savoir qui nous étions. Elle s'est construit une nouvelle vie et nous n'en faisons pas partie. Ma maman, qui a toujours été l'inverse de mon père... a fini par devenir comme lui.
— Elle a refusé de vous aider ? Alors que vous veniez de fuir le pays avec une mineure ?
— Ouais. Il faut croire que c'est de famille, d'être un parfait connard.
Il ne rit même pas à ma pauvre blague. Tout ça devenait trop sérieux pour que je le supporte.
— Bref, conclus-je, le jjajangmyeon, c'était un peu la spécialité de ma mère, si je puis dire. Et ça m'a rappelé mon enfance. J'étais un petit garçon très joyeux. Je passais tout mon temps à dessiner et à essayer de me faire remarquer. Un véritable démon aux yeux de mes profs.
— Comment vous avez fait ? Vous aviez de la famille chez qui dormir ?
— Non. Personne. On s'est démerdés. Clyde et moi, on a enchaîné les petits boulots, et on a fini par trouver un appartement dans lequel vivre tous les trois. On a changé de prénom, on a payé notre loyer, et j'ai même réussi à avoir mon diplôme de tatoueur. On a fêté les dix-huit ans de Grace chez nous, entre frères et sœur, un peu avant qu'elle parte en Bretagne pour ses études.
— La Bretagne ?
— Ouais. On a fait des tonnes d'heures sup' avec Clyde pour lui permettre d'aller à l'uni. C'était son cadeau d'anniversaire. Et tu sais ce qui est le plus drôle dans l'histoire ? C'est que là-bas, elle a rencontré Manu, et qu'ils sont sortis ensemble.
Thomas écarquilla les yeux. Je me sentais un peu plus léger. Je réalisai que cela faisait une éternité que je n'avais pas parlé de mon passé à cœur ouvert, sans édulcorer la moitié de l'histoire devant les médias. Que je n'avais pas dit à voix haute que mes parents avaient vraiment foiré leurs rôles, qu'on en avait chié, tous les trois, mais que c'était ce qui nous avait autant soudés.
— Manu ? Notre Manu ? Le Manu de Saska ?
— En personne. C'est fou, hein ? Comme le monde est petit.
— Et Clyde et toi ?
— C'est à cette période-là qu'on a été repérés et que notre carrière a fait un looping. Fini, la galère financière. Fini, aussi, la liberté.
Thomas s'enfonça dans sa chaise en lâchant un « waouh ». Je réalisai que je ne lui avais jamais vraiment parlé de moi, qui j'étais, d'où je venais, quels étaient mes rêves. Je ne lui avais jamais parlé comme à un ami, en fait.
Et aujourd'hui, j'étais là précisément pour ça. Pour avoir une conversation avec un ami.
— Mais dis-moi, Thomas, dis-je après une gorgée de bière. Pourquoi t'as tenu à m'inviter ?
— Pourquoi pas ? J'en avais envie.
— Tu voulais me voir ? Petit coquin...
— Arrête avec ça, râla-t-il. (J'explosai de rire. J'adorais le taquiner sur ce sujet.) C'est surtout parce que Clem n'est pas là. Je voulais te voir sans elle.
— Ce sera répété.
— Vas-y, elle le sait déjà. C'est elle qui m'a dit de me rendre directement en bas de chez toi plutôt que de te demander de venir, sinon, tu aurais refusé.
Merde. Clem me connaissait trop bien. J'enfonçai mes poings dans mes poches et observai Thomas, sortant mon regard le plus scrutateur – il avait tendance à foutre la pression aux gens. Je ne voulais pas rendre Thomas mal à l'aise, juste lui faire cracher le morceau. Parce qu'il savait quelque chose. J'en étais certain.
— Et pourquoi tu voulais me voir sans elle ?
— C'est ce que tu voulais aussi, non ?
Bingo. Thomas était bien plus clairvoyant que ce qu'il laissait croire. Son passé et ses années d'expérience lui avaient appris à flairer la merde, et je savais que pour un œil expert, j'en étais recouvert.
Nous nous fixâmes dans les yeux en silence pendant un long moment. Un peu comme si chacun défiait l'autre d'entamer le sujet fâcheux. J'avais peur de le faire en premier, parce que je ne savais pas exactement ce que Thomas avait deviné, et je ne voulais pas risquer de lui apprendre quelque chose qui aurait dû rester secret. Finalement, au bout d'une minute qui me parut durer une heure, il se redressa. Je crus qu'il allait prendre la parole, mais à la place, il chercha dans ses poches et en sortit un briquet, deux clopes, et...
— Est-ce que c'est un joint ?!
— Qu'est-ce que tu voudrais que ce soit d'autre ?
— Mais... tu fumes ? Comment t'as fait pour trouver un dealer ?
— Et toi, alors ?
Je refermai la bouche.
— Tu pues le cannabis à des kilomètres, Léo, dit-il en lissant le joint qui s'était un peu plié. Les litres de parfum que tu t'asperges suffisent peut-être à tromper les autres, mais pas moi. Je connais bien cette odeur.
— Ça fait combien de temps que tu le sais ?
— Plusieurs mois.
— Est-ce que quelqu'un d'autre est au courant ?
— Non. Ce n'est pas à moi de le leur dire.
Il alluma le joint et tira une longue latte. Je le regardai faire, pétrifié, comme si c'était la première fois que je voyais de la drogue. L'effluve familier du cannabis se répandit lentement autour de nous, se mêlant à l'odeur de jeune plante et de bière amère.
Il me tendit le joint. J'hésitai.
— J'ai claqué pas mal de temps et de fric pour ce joint. Ne fais pas semblant d'être raisonnable. Fais-moi plaisir, et fume avec moi.
Je capitulai. Je fus surpris de la dextérité avec laquelle il avait été roulé ; dans mes souvenirs, Thomas ne m'avait jamais parlé d'un passé de toxico.
— C'est mon ex qui m'a appris à rouler des joints, m'expliqua-t-il, comme s'il lisait dans mes pensées. J'ai quand même déchiré quelques feuilles avant d'arriver à faire celui-là.
— Pourquoi ?
— Pourquoi quoi ?
— Pourquoi tu l'as fait ?
Il ouvrit une bière et prit le temps de boire et réfléchir à sa réponse. Je tirai compulsivement sur le joint pour tenter de taire ma nervosité. Ce silence me donnait des envies meurtrières. Ne pas comprendre était pour moi une torture.
— J'avais envie de partager ça avec toi. Et je me suis longtemps demandé quelle était la meilleure manière de t'annoncer que je suis au courant de ton addiction. Je trouvais ça nul de juste te dire « eh, je sais que tu fumes ». Je ne voulais pas que tu te sentes acculé. Et j'en suis venu à la conclusion que partager un joint avec toi était sûrement la manière la plus douce de faire passer la pilule. Au moins, pour une fois, tu n'es pas tout seul à fumer.
— Mais tu ne m'encourages quand même pas ?
— Qui pourrait encourager quelqu'un à prendre de la drogue ? Non, évidemment. Mais on passe un bon moment, là, non ? Enfin, j'avais pas prévu que tu te mettes à chialer pour des nouilles, mais au moins, on en discute calmement, sur une chouette terrasse, avec de la bière et des cacahuètes. Tu penses que j'ai mal agi ?
J'observai les alentours. C'était vrai, nous étions détendus, à l'ombre lors d'un après-midi ensoleillé, à parler et partager un joint. Ça ne m'était jamais arrivé. J'avais toujours dû fumer en secret, et si c'était avec quelqu'un, je devais m'assurer de leur silence ainsi que de l'absence totale de caméras. La seule personne à qui je n'avais pas besoin de faire de pot-de-vin, c'était Sam, parce qu'elle aussi était une consommatrice régulière, et que je lui confierais ma vie, s'il le fallait. Nous avions une sorte d'accord silencieux : elle taisait certaines de mes activités, et je taisais certaines des siennes.
C'était un peu la même chose avec Thomas, réalisai-je. Je ne doutais pas une seconde qu'il garderait le silence. Il n'avait peut-être pas de morale, mais il avait des principes. Et la confiance, à ses yeux, était fondamentale.
Ça faisait du bien d'être entouré de personnes auprès de qui je pouvais me laisser aller. Si je n'avais pas Sam, si je n'avais pas Thomas, qui avais-je ?
Ton fiancé, peut-être, susurra le petit démon sur mon épaule.
Je le fis taire d'une longue taffe qui faillit m'étouffer.
— Non, tu as très bien fait, murmurai-je. Je ne le savais pas moi-même, mais c'est exactement de ça dont j'avais besoin.
Je lui passai le joint, et nous laissâmes le silence planer, reposant. Le cannabis me monta doucement à la tête, adoucissant les angles et allégeant le poids de mes pensées. Je rejetai la tête en arrière et laissai un rayon de soleil me caresser le visage. Pendant une seconde, je crus que c'était une main, chaude et aimante, sur ma peau. Une main qui appartenait à une tête blonde et souriante. Une main dont j'aurais aimé oublier la sensation, mais qui revenait sans cesse si je n'y prenais pas garde, comme aujourd'hui. Mais pour une fois, je décidai de laisser mon esprit détraqué imaginer qu'Atlantic était là, à côté de moi, et explorait les courbes de mon visage du bout des doigts. Je le laissai me faire du mal. Je le laissai me faire du bien.
Je laissai la première bombe exploser, sans savoir qu'elle n'était que le début d'une véritable guerre sur l'édifice de ma vie.
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