Prologue

Clémentine

Je courais. Je courais si vite que je ne sentais plus le hurlement du vent dans mes cheveux. Je n'entendais plus l'écho de mes pas contre le bitume anthracite. Je ne voyais plus le paysage défiler autour de moi. Je ne ressentais plus qu'une chose : la douleur.

Une infinie, poignante douleur, qui me détruisait de l'intérieur et me brûlait les veines d'un feu insoutenable. Jamais je n'avais souffert à ce point. Je sentais mon âme se déchirer, ma raison s'étioler, mon cœur s'effondrer sur sa propre masse. L'envie de hurler mon supplice me démangeait, mais j'étais devenue muette, la gorge obstruée par une boule de nerfs à vif. J'étais incapable de respirer. Un instinct primitif et purement animal me poussait à courir, courir, courir, comme si toute ma vie en dépendait, comme si cette course effrénée au-delà des limites de mon propre corps pouvait me sauver.

Comme si courir pouvait le sauver, lui.

Au loin, j'aperçus l'enseigne des urgences briller d'un rouge inquiétant. Sans même me rendre compte que je bousculais des personnes sur mon passage, je m'y dirigeai en zigzaguant entre les voitures garées sur le parking de l'hôpital. Les portes automatiques étaient sur le point de se refermer lorsque je les franchis, glissant entre elles au dernier moment.

Je me précipitai à l'accueil, ignorant la file d'attente qui se dressait devant. La dame assise derrière le comptoir me jeta un regard étonné lorsque j'arrivai devant elle, trébuchant sur son bureau, l'allure horrifiée. Je soufflai le nom « Thomas Harry » et un éclair de compréhension traversa son regard. Elle indiqua le couloir sur ma droite, premier étage.

— Je ne suis pas sûre que vous arriverez à temps, ils l'emmènent directement au bloc ! cria-t-elle.

J'étais déjà partie. J'appelai les deux ascenseurs présents et, par miracle, l'un d'eux s'ouvrit dans la foulée. Je m'y engouffrai et détruisis littéralement le bouton numéro un. Les dix secondes qu'il fallut pour arriver à destination furent sûrement les plus longues de toute mon existence. La douleur incendiait ma poitrine et se propageait dans tout mon corps comme un venin mortel, portant mon sang à ébullition. J'étais en feu. Prête à me consumer à chaque instant. Mais sans lui, j'étais incapable de renaître de mes cendres. Le beau phénix auquel il aimait me comparer n'était qu'un vulgaire piaf sans lui pour le ressusciter. S'il mourait... alors je mourrais aussi. Ma survie dépendait de la sienne. Parce que je savais que je ne pouvais vivre ne serait-ce qu'une seule seconde avec le poids de sa perte sur le cœur.

L'instant où les portes s'ouvrirent, je m'éjectai hors de la cabine et repris ma débandade dans les couloirs de l'hôpital. Je ne savais même pas où je me dirigeais. J'étais portée par une impulsion primaire qui me reliait à lui, comme si nos âmes ne souffraient pas des lois de l'espace-temps. Je courais au hasard, et pourtant, je savais que chacun de mes pas me rapprochait de lui. Je le sentais. Je sentais sa détresse rebondir contre les murs et m'appeler à son secours. Je sentais chaque atome de son être vibrer d'une terreur sourde et trouver résonance dans les miens.

Je le sentais mourir et je mourais avec lui.

À l'angle d'un couloir, j'entendis les roulements d'un brancard, une voix ordonner quelque chose, plusieurs personnes courir. Je m'y dirigeai immédiatement. Je ne voyais même plus les murs autour de moi, ni les infirmières qui tentaient de m'arrêter. J'étais obsédée par le besoin de le rejoindre. Lui dire que je l'aimais. Dieu, que je l'aimais, à m'en consumer, à en renaître. Je l'aimais plus fort que le mot « amour » pouvait l'exprimer. Il fallait que je le lui dise. Il fallait que je lui donne une raison de tenir.

Enfin, enfin, je vis ce foutu brancard, encadré par trois pompiers et deux infirmières. Je volai presque jusqu'à eux, mes jambes portées par cet instinct bestial, et parvins à me glisser entre deux pompiers. Je ne les entendis même pas me hurler de dégager.

— Thomas ! appelai-je, courant avec eux, les yeux rivés sur son visage recouvert d'un masque respiratoire. Thomas, Thomas, je t'en supplie, reste avec moi !

Il était pâle. Si pâle. Un drap blanc recouvrait son corps, sali d'une immense tache rouge au niveau de son ventre. Rouge. Du sang. Son sang.

— Thomas !

L'appeler était inutile. Je ne savais même pas s'il était conscient. Je faillis me faire éjecter à un angle, mais tins bon et m'accrochai au brancard avec une force que je ne me connaissais pas.

— Thomas, tu avais promis, tu avais promis de rester, balbutiai-je, désormais inondée de larmes. Tu avais promis de rester, pour moi, pour toi, pour nous. Thomas, je refuse que tu brises cette promesse. Je veux que tu tiennes, compris ? Il faut que tu tiennes ! (Je manquai de trébucher, ma cheville se tordit, mais je n'en ressentis pas la douleur.) Thomas, fais-le, résiste, ne les laisse pas te prendre. Ne les laisse pas te tuer. Tu es plus fort qu'eux, je le sais, tu peux résister. Tu es plus fort que tout. Je te supplie, du plus profond de mon âme, de tenir bon !

L'un des pompiers parvint finalement à me repousser. Je me cognai contre le mur, fort, et vis noir pendant quelques secondes. Mon dernier réflexe fut de hurler :

— N'oublie pas ta promesse, c'est à chaque battement de cœur, ensemble !

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