Bonus. Menteur

Léopold

 — Putain de bordel de merde de mes couilles.

Je balançai mon téléphone de l'autre côté du lit, et il manqua de peu de s'écraser par terre. Juste me lança un regard inquiet avant de se rapprocher de moi.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Il se passe que Clem vient d'annuler notre après-midi ensemble.

— Pourquoi ?

— Parce que le psychopathe chez elle a fait une « crise de larmes à cinq heures du matin », et qu'elle préfère rester avec lui plutôt qu'avec moi !

Je tapai du poing sur les draps, et lorsque je vis Juste se recroqueviller de peur, je m'arrêtai immédiatement. Je passai une main rassurante dans ses cheveux, tremblant à cause de la frustration.

— Excuse-moi.

— T'es vachement sur les nerfs, ces derniers temps... Ça va ?

Non. Je n'ai jamais été aussi bas. Je viens de replonger dans les travers de la drogue sous le nez de tout le monde et personne ne s'en rend compte. Je ne fais qu'envoyer des appels à l'aide, mais personne ne les entend. Suis-je muet ou êtes-vous sourds ?

— J'ai beaucoup de pression à gérer, mentis-je. (Je ne faisais que mentir, sans cesse. Menteur. Menteur. Menteur. Pourquoi ne voyaient-ils pas la détresse dans mes yeux ?) Bernard voudrait me caler un film, cet été.

— C'est chouette, non ? Ça fait longtemps que tu n'as pas tourné...

Et pourtant, je jouais la comédie tous les jours. Devant tout le monde. Même Juste, même Saska, même Clémentine.

C'était ironique comme je mourrais d'envie de tout avouer à quelqu'un, mais comme je mourrais de honte à l'idée que qui que ce soit le sache.

— Ça te dit qu'on commande des crêpes ? me proposa Juste en s'asseyant pour être à ma hauteur.

Il ne portait qu'un tee-shirt, et c'était en plus un des miens. Clémentine avait eu la bonne idée de m'appeler à huit heures un dimanche – autrement dit, nous avions été réveillés au saut du lit.

— Pas envie de commander, grommelai-je.

— Je peux les faire, alors ? Ça fait longtemps que j'ai pas cuisiné...

— Pas la peine. Je vais manger des céréales, ça suffira.

Je me dégageai de son étreinte et partis m'habiller. Je me forçai à rester dos à lui jusqu'à ce que mes yeux cessent de piquer. Je ne pouvais pas craquer, pas maintenant, pas devant lui. Surtout pas lui. Je n'avais pas le droit.

— Léo...

Ravaler la boule dans ma gorge. Inspirer pour chasser les larmes. Avoir l'air serein lorsque je me tournai.

— Tu sais, Léo, je comprendrais si tu m'en parlais, mais tu ne me dis rien...

Mon sang se glaça dans mes veines. Oh non. Il savait. Il avait deviné. Non, non, non, c'était un cauchemar. Il avait senti l'odeur du cannabis sur mes vêtements, il avait vu mes sachets planqués dans mes boîtes à bijoux, il avait remarqué mes absences et mes fringales inexpliquées.

Comment était-ce possible ? Pourquoi maintenant ? Ce ne pouvait pas être réel, je ne voulais pas que ce soit réel.

— Juste, je suis désolé, je...

— Ça sert à rien de t'excuser, ce n'est pas ta faute. Je comprends. Mais on s'était promis de tout se dire, d'être entièrement transparents, de se faire confiance...

Ma langue était aussi sèche que du papier. Mon corps bourdonnait de peur : il savait, et je lui avais menti. Il allait me rejeter. J'avais merdé. C'était encore ma faute.

— Je voulais t'en parler, je te le jure, c'est que...

— Je sais que c'est pas facile. Je ne sais pas si j'aurais réussi à le dire, à ta place.

Je fronçai imperceptiblement des sourcils. À ma place ? Comment pouvait-il se mettre à ma place ? Juste était un ange de douceur et de naïveté, s'il savait qu'il passait devant plusieurs grammes de cannabis tous les jours, il ferait un arrêt cardiaque.

Quelque chose clochait.

— De... de quoi est-ce que tu parles ? hésitai-je.

— C'est pourtant évident, non ? Tu ne me désires plus.

C'était tellement absurde que je mis plusieurs secondes à réaliser ce qu'il venait de dire. Oh. Il ne savait donc pas. Il faisait fausse route.

Oh. Oh. J'avais failli tout lui avouer par erreur.

— Je... je... je ne te désire plus ?

— Tu ne me touches plus, tu ne m'embrasses plus comme avant, et même quand je dors nu, à côté de toi, tu ne réagis pas...

Il rougit et se ratatina sur lui-même. Juste avait une relation très compliquée avec le sexe, et il était très difficile pour lui d'en parler ou de se mettre dans des situations où il serait désirable – autrement dit, de faire tout ce qu'il faisait à cet instant. Et je n'avais même pas vu ses efforts.

— Mais... mais... mais...

— Te sens pas coupable, c'est normal, je savais que ça finirait par arriver, chuchota-t-il. J'avais espéré que tu m'en parles d'abord, c'est tout.

— Mais Juste, je te désire encore, c'est que...

C'est que j'ai envie de mourir, parce que je me sens atrocement vide, et que désormais, la seule chose qui arrive à combler ce creux en moi, ce sont les joints que je fume en cachette, derrière les poubelles de l'immeuble.

Je me rendis compte que de simples paroles ne seraient pas suffisantes, et qu'à chercher différentes excuses pour cacher mon désintérêt pour vivre, j'allais finir par lui dire la vérité, alors je grimpai à nouveau sur le lit et m'assis face à lui. Ses yeux étaient rouges, ses beaux yeux que je m'étais promis de ne jamais faire pleurer, et qui avaient déjà versé bien trop de larmes à cause de moi.

— Juste, je suis tellement désolé que tu aies pu croire ça... Je te désire encore, c'est... la pression, tu vois ? J'ai la tête ailleurs, et j'arrive plus à me poser et profiter du temps avec toi. Pardonne-moi. J'aurais dû m'en rendre compte.

Je levai une main au niveau de son visage.

— Je peux te toucher ?

Il acquiesça, alors je glissai doucement mes doigts sur sa joue, et il vint se blottir dans ma paume. Mon Juste, d'une douceur infinie, si gentil et si serviable, et moi, je ne faisais que le malmener...

Qu'est-ce qui m'a pris de m'éprendre de lui ?

Son cœur était trop tendre, et le mien était fait de pierre. Si je continuais comme ça, j'allais finir par le briser ; mais autant que je craignais de le détruire, j'avais peur de me retrouver seul, encore une fois. C'était d'un égoïsme écœurant, mais je ne pouvais pas me résoudre à l'abandonner, lui, tant que je ne m'étais pas sauvé, moi. J'avais besoin de quelqu'un à mes côtés – et ce quelqu'un, je le tuais à petit feu.

Il était devenu si triste depuis qu'il avait commencé à sortir avec moi.

— Pardon, Juste. Je t'aime.

Je l'embrassai le plus doucement possible, et il me laissa faire, il me fit confiance. Il crut en chacun de mes mensonges. Il fit l'erreur de me laisser dépendre de lui... et de se laisser dépendre de moi.

Merde. Pourquoi fallait-il forcément que je détruise tout ce que je touchais ?

Quelque chose de mouillé tomba sur ma joue, et j'apportai ma deuxième main à son visage pour essuyer ses larmes. Paupières closes, lèvres scellées, c'était lui qui pleurait, mais c'était moi que je consolais. Je l'embrassai encore pour qu'il ressente à quel point je l'aimais, qu'il comprenne tous ces sentiments que je ne disais pas. Que je ne comptais pas partir et que je le désirais encore. C'était vrai, je l'aimais et je voulais rester à ses côtés, mais la vie était cruelle. Je savais que ce que je voulais, je l'obtenais toujours au prix de quelque chose. Cette fois, c'était au prix de Juste.

Avoir Atlantic, ç'avait été au prix de le perdre. J'avais vécu les meilleurs mois de ma vie à ses côtés pour finalement retomber face à la réalité : ce n'était pas ça, la vraie vie. Ça, c'était l'amour comme dans les romans, celui où tout était parfait et rien ne semblait pouvoir séparer les personnages. Il l'avait été, parfait. Puis nous nous étions séparés.

Parce que je n'étais pas dans une putain d'histoire. Ma vie dégringolait et je n'avais que moi pour la rattraper.

— Léo... Tu veux bien me faire l'amour ?

J'embrassai Juste à nouveau, plus fort. Oui, j'allais lui faire l'amour, lui montrer que je l'aimais. Parce qu'il le fallait, que je l'aime ; je ne pouvais pas laisser mon cœur à un fantôme du passé. Il fallait que j'aille de l'avant, que je comble le vide. Que j'abrutisse la douleur.

Il fallait que je fume un joint.

— Tu me laisses le temps d'aller aux toilettes, avant ? chuchotai-je. J'en ai pour deux minutes.

J'avais déjà un joint de prêt. Il me suffisait de l'allumer et de tirer rapidement dessus à la fenêtre de la salle de bains, avant de consciencieusement me brosser les dents et mettre du parfum. Il n'y verrait que du feu.

Il fallait que je l'aime, mais avant ça, il fallait que j'oublie que je ne m'aimais pas, moi.

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