18. La danse des papillons
Clémentine
J'eus un mal fou à laisser partir Thomas, surtout quand il s'accrochait à moi de la sorte, comme si c'était la dernière fois. Lorsque je l'avais vu avec ce sac sur le dos, je n'avais pas pu m'empêcher de paniquer. Et s'il partait ? Et si je ne le revoyais plus jamais ? Et s'il avait décidé de s'en aller sans même me dire au revoir ?
J'avais compris que j'avais vu juste lorsque ses épaules s'affaissèrent entre mes bras. Thomas... Il avait voulu s'en aller. Me laisser, alors que jamais je n'avais eu autant besoin de lui. Il avait failli me glisser entre les doigts, et Dieu savait où il serait allé. Probablement quelque part où je n'aurais jamais pu le retrouver, eus-je retourné chaque dalle et chaque brique de tout Paris.
L'idée qu'il ait voulu partir sans même me le dire me brisa le cœur. C'était égoïste : après tout, c'était le deal dont nous avions convenu. Je ne pouvais pas le garder auprès de moi juste pour m'en servir comme béquille.
Alors pourquoi vivre sans lui me fait si peur ?
Je m'étais attachée à lui, beaucoup, peut-être un peu trop. Mais Thomas était Thomas. Même s'il m'appréciait, comment pourrait-il me rendre les sentiments que je pourrais finir par nourrir ? Il était solitaire et je ne connaissais toujours pratiquement rien de lui. Il ne me faisait pas confiance. Quelque part, je me demandais même s'il me supportait. Tout ce qu'il faisait, il le faisait pour me rendre service, payer ses dettes, se décharger de sa culpabilité. Il ne croyait pas en la bonté. Peut-être même était-il en train de haïr cette étreinte que nous partagions.
— Je serai là. Je serai toujours là quand tu en auras besoin, Clémentine.
Ses mots eurent l'effet d'un tsunami sur moi : non, il ne me détestait pas. Il m'appréciait. Et il faisait tout ce qu'il avait en son pouvoir pour le montrer. Il cuisinait, me câlinait, s'occupait de moi. J'avais du mal à le voir parce que mon langage à moi, c'était les paroles, et le sien, c'était les actes. Il fallait juste que j'apprenne à décoder les messages qu'il me faisait parvenir.
Je tapotai son dos avant de le relâcher. Il allait finir par être en retard à cause de moi.
— Allez, file, soufflai-je. Tu as un shooting qui t'attend.
— À ce soir, Clem. Bonne chance pour ton rendez-vous.
Je me forçai à lui sourire et me reculai pour le laisser sortir de la maison. Ce fut une fois que la porte se fut refermée derrière lui que je remarquai qu'il avait laissé son sac.
Je ramassai ce dernier et l'ouvris. Ce que j'y vis confirma mes soupçons : il avait été à deux doigts de s'en aller. Savon, brosse à dents, vêtements, il avait pris l'essentiel de ses affaires.
Je soupirai et montai à l'étage pour tout remettre à sa place.
Lorsque je redescendis dans la cuisine pour finir mon petit-déjeuner, j'allumai mon téléphone par réflexe, et fronçai des sourcils lorsque je vis un message d'un numéro inconnu. Je le déverrouillai pour le lire en intégralité.
« Salut, Clem, c'est Yara. Est-ce qu'on peut se donner rendez-vous aujourd'hui, à midi, dans le café en face de ton salon de tatouage ? J'ai hâte de te revoir, bisous. »
Je haïs mon cœur lorsqu'il eut un soubresaut à cause de la dernière phrase. Je n'étais plus amoureuse d'elle, je ne devrais pas réagir comme ça. Je tapai rapidement ma réponse.
« C'est OK, j'y serai. »
La notification fut immédiate.
« Trop bien ! N'apporte rien, c'est moi qui offre. À tout à l'heure ! »
Je ne répondis pas. De toute façon, elle voyait que j'avais lu, et je n'avais rien à ajouter. Je reposai mon portable et mon regard se posa sur mon assiette à peine entamée.
Je n'avais même plus faim.
Je touchai par réflexe le tatouage de papillon sur ma poitrine. J'avais tellement de questions à poser à Yaraslava, mais je craignais de connaître les réponses. Pourquoi était-elle revenue ? Que voulait-elle ? Qu'avait-elle encore à tirer de moi ? Elle avait déjà tout pris, et plus encore. J'avais fui Paris et, avec, son souvenir. Maintenant que j'osais y revenir, pourquoi réapparaissait-elle aussi ? Était-ce une sorte de malédiction, un lien qui faisait que je ne pouvais pas me débarrasser d'elle ? C'était ça, les âmes sœurs ? Deux personnes condamnées à toujours se retrouver ?
Mais est-ce qu'une âme sœur pouvait nous faire du mal ? Est-ce qu'une âme sœur pouvait nous détruire ? C'était contraire à toutes les histoires, et pourtant, je l'avais vécu. Elle avait été l'amour de ma vie, jusqu'à ce qu'elle ne le soit plus. Étais-je contrainte à n'aimer qu'elle, alors que son amour me faisait si mal ? Un paradis empoisonné, une idylle imparfaite... J'avais cru trouver mon Ève en elle, et c'était lorsqu'elle m'avait fait croquer dans la pomme défendue que j'avais compris qu'elle était en réalité le serpent.
Était-ce possible d'aimer d'une main, et haïr de l'autre ?
⁂
— Clem, j'ai quelqu'un à te présenter. Ma meilleure amie du collège. Je suis certaine que vous allez trop bien vous entendre.
Nandhinie et moi marchions dans les rues de Paris, chacune un sac de shopping au bras, babillant à propos de tout et de rien. Elle voulait me faire rencontrer quelqu'un qui venait d'emménager à Paris, une vieille connaissance à elle qu'elle n'avait pas vue depuis longtemps. Elle s'appelait Yaraslava. « Ça ne sonne pas français », avais-je fait remarquer. « C'est parce que ça ne l'est pas. Elle est Russe. Son père est français, et nous avons fait nos études dans le même collège, avant qu'elle ne reparte à Saint-Pétersbourg pour retrouver sa mère. Elle est revenue en France récemment. Tu vas voir, tu vas l'adorer ! »
Nous finîmes par arriver devant un café tout simple. Une jeune femme, environ notre âge, les cheveux bleus et vêtue légèrement, était plantée devant, regardant autour d'elle. Lorsqu'elle vit Nandhinie, un immense sourire étira ses lèvres, et elle sautilla jusqu'à nous.
— Nandh' ! Comme tu m'as manqué !
La femme lui sauta dans les bras, et Nandhinie la réceptionna en riant. Elles firent leurs retrouvailles dans de grandes explosions de joie, et je les regardai, en retrait.
Nandhinie finit par se souvenir de moi.
— Yara, je te présente Clémentine ! Viens, Clem, fais pas ta timide.
— Timide, moi ? dis-je en riant. Depuis quand ?
Je vins vers elles de ma démarche la plus conquérante possible, ce qui fit s'esclaffer Nandhinie. Lorsque j'arrivai à leur hauteur, cependant, je fus coupée dans mon élan. Certes, la fameuse Yaraslava était jolie de loin ; mais de près, elle était carrément époustouflante.
De grands yeux d'un bleu comme les miens, des pommettes taillées comme celles des statues, une gorge fine de ballerine d'où se déployaient ses clavicules comme deux ailes. Un immense sourire qui, pour une étrange raison, imposait le respect, et un regard aussi flamboyant que ses iris étaient froids.
Elle portait un débardeur vert qui lui arrivait au nombril et dont une des bretelles retombait sur son bras, et un jean boyfriend qui se terminait par des baskets blanches à la plateforme large. C'était un style que l'on ne voyait pas encore en France – il était surtout populaire aux États-Unis, et commençait doucement à se répandre dans le monde. Jusqu'alors, je n'en avais pas été vraiment fan, mais Yaraslava le portait comme personne. Je tombai immédiatement amoureuse de son look.
— Salut, Clémentine, dit-elle avec un fort accent russe. Je m'appelle Yaraslava. C'est chouette de te rencontrer.
— Salut, de même. (Il fallait absolument que j'arrête de la lorgner.) J'adore tes fringues.
— Oh ? Merci, c'est gentil.
Elle m'offrit un sourire qui retourna quelque chose dans mon ventre. Saska nous invita à entrer dans le café et, évidemment, je m'assis en face de Yaraslava. Je me sentais un peu coupable de l'observer autant, mais elle avait quelque chose de fascinant, je ne pouvais tout simplement pas détacher mes yeux d'elle. Tout en elle avait quelque chose de spécial : de sa tenue à son corps extraordinairement fin, ses gestes gracieux, son visage atypique, sa voix rauque marquée par sa langue natale, la façon qu'avaient ses cheveux colorés de glisser sur ses épaules, et ses yeux, de la même couleur que les miens...
Je la trouvais carrément cool. Et je savais que quand je trouvais une fille cool, j'étais dans la merde, parce que j'étais sûre à 80 % de bêtement tomber amoureuse.
Yaraslava vit que je la fixais. Elle me fit un clin d'œil avant de lire la carte des boissons, et à cet instant, je sus que j'étais fichue.
⁂
— C'est dingue. C'est une idée complètement foldingue.
— Mais nous sommes deux foldingues, Clem, pas vrai ?
Yara était allongée sur la table de tatouages, seins découverts. Le tatoueur était en train de poser le calque sur sa poitrine. C'était le dessin d'un magnifique papillon morpho. D'ici une heure, ce serait moi, sur cette table, avec le même calque au même endroit.
— J'arrive pas à croire qu'on soit en train de faire ça. C'est à la fois génial, et... vraiment flippant.
— Qu'est-ce qui te fait peur ? me demanda-t-elle d'une voix douce.
— Je ne sais pas. J'ai peur de me tromper. J'ai peur de regretter.
— Tu ne regretteras pas. Je t'en fais la promesse.
Elle me prit la main et je la serrai en retour. Non, je ne regretterai pas. Tant que Yara était à mes côtés, que pouvait-il se passer de mal ? Elle et moi, c'était une évidence. Nous étions si vite devenues meilleures amies que c'en était ridicule. C'était très ambigu, aussi. Je savais que je l'aimais – comment pourrait-il en être autrement ? Elle était si parfaite, chaque aspect d'elle l'était. Et entre filles, parfois, la limite entre l'amitié et l'amour était très floue. Ce tatouage, à mes yeux, était une marque d'amour. Et aux siens, qu'était-ce ? Qu'étais-je pour elle ? Qu'attendait-elle de moi ? Est-ce qu'elle aussi, elle pensait à moi sans arrêt, à n'en plus dormir ?
— Je t'aime, lui dis-je – je le lui répétais souvent, ces derniers temps.
— Moi aussi. À la vie, à la mort.
— À la vie, à la mort.
Nous sourîmes.
⁂
Je pris une autre taffe. Ma tête se mit à méchamment tourner.
— Eh, Clem, mollo, dit Yara en me prenant la cigarette des doigts. C'est ta troisième d'affilée.
— Tu fumes bien un paquet par jour, toi.
— Oui, mais j'en ai l'habitude. Toi, c'est la première fois que tu fumes.
Je laissai ma tête basculer sur son épaule. Nous étions chez elle, sur son lit, accoudées à la fenêtre pour fumer au-dehors et observer la pleine lune. Ma playlist tournait en fond sonore, accompagnant le bruit incessant de la ville. Aujourd'hui, pour la première fois, j'avais cédé : j'avais goûté à la cigarette, chose que je m'étais promis de ne jamais faire lorsque j'avais douze ans et qu'un type de la mairie était venu faire un exposé sur les conséquences de la cigarette au collège. Merde les promesses. Je voulus reprendre la cigarette que Yara m'avait confisquée.
— Non, ça suffit. En plus, tu pues de la gueule, maintenant.
— Toi, tu pues toujours de la gueule, et je ne me plains jamais. Laisse-moi la finir.
Je tendis le bras, et elle écarta le sien pour être hors de ma portée. Alors je me penchai, me penchai, me penchai...
Jusqu'à ce que nos lèvres ne soient qu'à quelques centimètres d'écart.
Je fixai sa bouche, puis ses yeux, et encore sa bouche. J'en avais terriblement envie. Depuis le premier jour, j'en avais envie. Elle me rendait folle.
— Clem, chuchota-t-elle. Qu'est-ce que tu attends ?
Je réduisis l'espace entre nous et écrasai mes lèvres sur les siennes. Nous avions toutes les deux un goût de tabac, mais je m'en fichais : sa bouche était la chose la plus douce au monde. C'était bon, tellement bon, j'en voulais encore, encore, encore, encore, encore...
Je la fis basculer sur le dos et vins la surplomber. Je l'embrassais. Enfin, je l'embrassais, je prenais possession de ces lèvres qui me faisaient perdre la tête. Mes cheveux encadrèrent nos deux visages, comme un rideau blond qui nous coupait du monde. Au diable les autres. C'était elle et moi, pour toute la vie.
Je posai une main sur son buste et descendis lentement jusqu'à atteindre son plexus, là où se trouvait son tatouage. Il était d'un bleu magnifique, aussi flamboyant que le mien. Qu'est-ce que j'adorais porter ce bout d'elle, et elle de moi. Nous étions éternellement liées par ce tatouage. De toute façon, rien ne pourrait jamais nous séparer. Nous étions faites pour nous rencontrer. C'était elle et moi, à la vie, à la mort.
— Je t'aime, dis-je en me reculant, la main entre ses seins. Je t'aime tellement.
— Moi aussi, Clem. Tu me rends dingue.
Elle prit mon visage en coupe, les yeux pétillants.
— Embrasse-moi encore.
Et c'est ce que je fis.
⁂
Au début, tout était absolument parfait. Nous étions amoureuses comme le sont les poètes d'avant. Rien ne pouvait nous rassasier l'une de l'autre, nous étions deux lionnes affamées, sans cesse en train de griffer l'autre pour chercher à atteindre son cœur. C'était brut, c'était vrai... et c'était éphémère.
Les papillons morpho ont une espérance de vie de deux mois. Et, ironiquement, notre amour aussi. Ce tatouage avait peut-être été un signe de l'univers que je n'avais pas su écouter : rien ne dure. Les plus belles choses sont toujours les plus fragiles. Nous n'étions pas deux lionnes, nous étions deux papillons, et nous nous étions brisé les ailes sur un amour trop fort.
Yaraslava fumait déjà depuis longtemps lorsque je l'avais rencontrée, mais je ne lui en avais pas tenu rigueur. J'avais même fini par tomber dedans, moi aussi. Mais au bout d'un moment, la nicotine ne lui a plus suffi, et je ne lui ai plus suffi, non plus. Elle est tombée dans la drogue dure sans préambule. Je la voyais s'intoxiquer, et chaque pilule qu'elle avalait l'éloignait un peu plus de moi. Elle devenait quelqu'un d'autre, quelqu'un que je n'aimais plus. Je croyais que ce que nous avions était indestructible, et que si elle chutait, je chuterais avec elle, mais en réalité, lorsqu'elle s'est écroulée, je n'ai rien pu faire d'autre que regarder l'édifice tomber. Je ne pouvais pas la suivre, pas aussi loin, c'était trop dangereux. Je l'avais vue se perdre dans ses addictions, et me perdre, moi aussi. Alors j'avais fait ce que je n'aurais jamais pensé faire : je l'avais quittée.
Lorsque je lui avais annoncé que je souhaitais rompre, elle était en train de se remettre d'un méchant bad trip qui avait duré pratiquement quarante-huit heures. Sa peau était grise et elle avait du vomi dans les cheveux. Elle m'avait regardé avec de grands yeux, l'air perdu, alors je lui avais répété que je voulais rompre avec elle, et c'était là que ça avait cliqué. Elle s'était mise à paniquer et à hurler, et j'avais été obligée de prendre mes affaires et partir de son appartement avant qu'elle n'alerte le voisinage. J'étais rentrée chez moi, en larmes.
Même si c'était moi qui l'avais quittée, ç'avait été aussi difficile à vivre que si c'était elle qui l'avait fait. Les premiers jours, j'avais dû lutter avec moi-même pour ne pas aller la voir ou prendre de ses nouvelles. J'avais d'ailleurs fini par bloquer son numéro ainsi que tous ses réseaux, parce qu'elle ne faisait que me harceler, jour et nuit, et la tentation de lui répondre avait été insoutenable. Elle m'avait manqué – Dieu qu'elle m'avait manqué. Les journées à l'école de tatouage étaient interminables, et au moindre reflet bleu que je voyais, je me mettais à hyperventiler. Puis, au bout d'une semaine, j'avais commencé à ressentir de la colère. Comment pouvait-elle s'être laissée tomber ainsi ? Et comment moi, j'avais pu l'abandonner au moment où elle avait le plus besoin d'aide ? La colère s'était transformée en remords, à tel point qu'un jour, j'avais craqué, et pris ma voiture pour aller la voir. Lorsque j'étais arrivée dans sa rue, je l'avais vue dehors, et j'avais failli lui faire signe... jusqu'à ce que je voie qu'elle n'était pas seule. Elle était avec une autre femme, une blonde qui me ressemblait vaguement. Et elle riait. Elle riait.
Elle riait sans moi alors que je croulais sous la honte de l'avoir laissée.
J'étais repartie. Je ne sus jamais si elle s'était rendu compte que je l'avais vue, ce jour-là.
Les trois semaines suivantes, je n'avais pratiquement pas dormi, et j'avais raté l'essentiel de mes cours : je n'arrivais plus à fermer les yeux sans voir son visage, et mes nuits n'étaient que des successions de cauchemars insoutenables. J'avais passé mon trimestre de justesse, avec la note minimum requise. C'était un miracle qu'ils ne m'aient pas foutue dehors.
Deux mois après notre rupture, j'avais été diagnostiquée dépressive. Après mon rendez-vous chez le psychiatre, j'avais fait la chose la plus stupide du monde : j'avais débloqué le numéro de Yara et je lui avais envoyé un message. Un long pavé stupide dégoulinant d'excuses et de regrets. Elle l'avait lu, mais ne m'avait jamais répondu.
Au bout de quatre mois, alors que je venais d'obtenir mon diplôme avec mention, j'étais rentrée chez mes parents pour me ressourcer et essayer de me changer les idées. C'était en prenant de la distance avec Paris que j'avais réalisé à quel point vivre dans cette ville me pesait : je ne pouvais plus en fouler les rues sans voir le fantôme de Yara, où que j'aille, quoi que je fasse. C'était ainsi que j'avais décidé de déménager à Lyon, pour fuir Paris, fuir Yara, fuir ma dépression, me fuir moi, aussi. J'avais rencontré la fratrie Han, ouvert mon salon de tatouage avec Léopold, et ainsi de suite, jusqu'à aujourd'hui.
Je n'avais jamais reparlé à Yaraslava, en revanche, j'avais fini par la débloquer d'Instagram, et c'était de cette manière que j'avais découvert qu'elle était repartie en Russie, chez sa mère. C'était pour cette raison que j'avais osé revenir à Paris après plusieurs années : elle n'y était plus, et je n'étais plus la même personne non plus. Je voulais redonner une chance à la Ville Lumière. C'était pour cette raison que la revoir, si peu de temps après être arrivée, et devoir faire face à son attitude si désinvolte... C'était insupportable. Tout ce que j'avais enfoui me revenait à la gueule. La réalité me giflait, et la salope n'avait pas pris la peine de mettre des gants.
Si ça ne tenait qu'à moi, je me serais déjà enfuie. J'aurais quitté Paris pour la deuxième fois. Mais voilà, désormais, je n'étais plus seule : certes, il y avait Saska et Léopold, mais surtout... il y avait Thomas.
Thomas qui me consolait et qui me faisait voir la vie sous un nouveau jour.
Thomas qui avait failli s'en aller.
Thomas qui rouvrait les mailles cadenassées autour de mon cœur.
Je relus les quelques messages que j'avais échangés avec Yara. Je l'avais aimé, et plus encore, et même aujourd'hui, je n'arrivais pas à rester indifférente face à elle. Mais il y avait quelque chose en moi qui ne cessait de me dire : « Thomas n'aurait jamais fait ça. Thomas ne t'aurait jamais traitée de la sorte. Thomas fait tout pour te rendre heureuse. Thomas fait tout ce que Yara ne faisait pas. Thomas. Thomas. Thomas. Thomas. » En boucle.
Thomas qui me prenait dans ses bras, qui laissait des bisous sur mon front, qui s'assurait que j'aille bien, qui se faisait toujours discret pour ne pas me déranger, qui disait oui à tout ce que je lui demandais, qui me consolait, qui accélérait les battements de mon cœur, qui me faisait me sentir en sécurité, qui me murmurait qu'il ne me laisserait jamais, qui riait chaque fois que je riais aussi, qui...
Vous voyez ? En boucle.
Je me forçai à finir mon petit-déjeuner : il me fallait des forces pour affronter Yaraslava en tête à tête. Plus je pensais à la situation, et plus je me disais qu'après tout, je n'avais aucune raison d'avoir peur à ce point. En fait, ce devait être Yara, qui devrait avoir peur : moi, j'étais passée à autre chose, je m'étais reconstruite, je m'étais sortie de ma merde et je continuais à avancer. Elle, elle était encore hantée par une relation qu'elle avait sabotée elle-même. De nous deux, qui était vraiment la plus à plaindre ?
J'essayai de me convaincre que j'étais plus confiante que je l'aurais voulu, et décidai de mettre ma plus belle tenue, histoire de me donner du courage. Si Yara espérait me repêcher d'une quelconque manière, j'allais lui prouver qu'elle venait de jeter son hameçon au nez d'un requin.
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