7. L'anniversaire (1)
Saska
— Zut, ça gratte, ce machin !
Mon miroir me renvoyait le reflet d'une personne que j'avais oubliée. Je me tortillai, m'examinai sous tous les angles, mais rien à faire : je ne me reconnaissais pas.
J'avais eu la mauvaise surprise de recevoir un colis le vendredi matin, accompagné d'une lettre de Clémentine. Déjà, à l'instant où j'avais ouvert le carton et que des confettis m'avaient sauté à la figure, j'avais su que j'allais détester ce cadeau empoisonné.
Et c'était le cas. L'espèce de robe moulante à paillettes nacrées me donnait l'impression d'avoir enfilé un costume de la Petite Sirène. Les coutures me démangeaient, il manquait au moins vingt centimètres de tissu sur mes cuisses pour que je sois tranquille et l'habit seyait absolument toutes mes imperfections, de mes seins trop épais et un peu tombants à mes hanches désespérément plus larges que mes épaules, en passant par mon ventre qui formait une courbe disgracieuse.
J'entendais d'ici la voix de Clémentine me rouspéter après. « Arrête un peu, ma petite poule, tu es magnifique ! » Ah, facile à dire, quand ce n'était pas soi qui trimballait un corps rejeté par les normes de la société.
Je jetai un coup d'œil à la paire d'escarpins Louboutin blancs qui trônaient au milieu de ma pièce à vivre. Si je m'en fiais à l'étiquette, c'était le modèle « So Kate Vernis » qui faisait douze centimètres. La dernière fois que j'avais porté des talons aussi hauts, c'était...
C'était quand il m'avait emmenée en boîte. À l'époque, il n'était pas encore très riche, et c'était une paire bas de gamme qui avait réduit mes orteils en une bouillie rouge et douloureuse, mais je m'en étais bien moquée, puisque j'étais heureuse. Complètement amoureuse. Bien loin de me douter que l'ange que je côtoyais était le Diable en personne. Et puis il était devenu célèbre, puis riche, et enfin puissant. Désormais, c'était quasi impossible de passer ne serait-ce qu'une journée sans voir sa tête placardée dans la ville ou de se promener sur internet sans qu'une pub ne fasse une douloureuse piqûre de rappel. Son prochain concert à Paris ayant lieu dans deux mois créait bien évidemment un engouement spectaculaire.
Mon beau démon, pourquoi a-t-il fallu que le Mal soit si bien caché ?
Je soupirai un grand coup et me forçai à garder mes mains là où elles étaient. La tentation de regarder à nouveau la seule photo de nous deux qu'il me restait faisait trembler mes doigts. J'étais tellement insouciante, tellement joyeuse, tellement... différente que ça me ravageait encore aujourd'hui de savoir qu'un homme avait eu le pouvoir de détruire tout ça, de bousiller Nandhinie, d'aspirer toute sa joie de vivre jusqu'à ce qu'elle soit contrainte de changer de prénom tant celui qu'elle portait avait l'écho de sa voix. Qu'un serpent de sa sorte soit élevé au rang de légende, tandis que la femme avec qui il avait partagé un été soit réduite à celui de poussière.
Bien sûr, il avait appris de ses erreurs. Désormais, il fuyait les relations à longue durée et tâchait soigneusement de ne choisir que des nanas un peu cruches sur les bords. Mais moi, je savais. Je savais qui il était et, surtout, qui il n'était pas. Et il n'était certainement pas ce chanteur que ses fans idolâtraient. Il n'était pas cet homme qui avait été pris en photo en train de consoler une petite fille dans la rue. Il n'était pas cet amant qui comblait quiconque avait la chance de passer entre ses draps. C'était un masque impénétrable qu'il revêtait depuis l'incident où j'avais failli tout déballer à la police, puis m'étais finalement abstenue sous ses menaces. C'était une façade dangereusement solide pour couvrir ce qu'il y avait de plus sombre en lui. C'était tout un rôle d'innocent qu'il jouait, et tout cela dans un seul but : me retrouver.
Parce qu'il l'avait promis. Il me l'avait susurré à l'oreille, au poste de police, menottes aux poignets, alors qu'il était en garde à vue. Et j'avais su à l'éclat fou dans ses yeux que, quoi qu'il en coûte, il le ferait.
⁂
— Ne leur dis rien, Nandhinie. Oh, ma dulce querida, ne leur révèle rien. J'ai toujours fait ça pour ton bien, pour ton bien, tu m'entends ?
— Je ne te crois plus, Carlos.
— Tu sais que je t'aime, Nandh'. Tu le sais, n'est-ce pas ? Mais il fallait que je le fasse, je n'avais pas le choix.
— Menteur ! crachai-je en lui envoyant un mollard ensanglanté sur le visage.
Il l'essuya d'un rapide revers de main et ses iris prirent une teinte plus dure qui me fila des frissons.
— Comment oses-tu me traiter de menteur, moi, alors qu'entre nous, je suis le plus franc ? Rappelle-moi qui a embrassé ce fils de pute d'Alex.
— J'étais complètement bourrée, ce soir-là ! (Je baissai d'un ton en prenant conscience de la proximité des policiers qui nous observaient d'un œil avide.) Et toi aussi ! Je te rappelle que tu as fricoté de très près avec Veronica. Je t'ai retrouvé avec ta main dans sa culotte.
— Je t'ai dit je ne sais combien de fois de plus m'en parler, fulmina-t-il en faisant un pas vers moi. On en a déjà discuté.
— Et tu ne t'es jamais excusé.
Les larmes s'accumulèrent aux coins de mes yeux et me brûlèrent de leur traîtrise mouillée. Parce que malgré tout, malgré la douleur et les coups bas, j'étais irrémédiablement amoureuse de cet homme à la peau couleur café au lait, et que lui rejeter ses erreurs à la figure me faisait mal, sûrement plus qu'à lui.
— Un jour, je te trouverai et je m'excuserai.
— Pourquoi ferais-tu ça ?
— Parce que je t'aime. Parce que tu m'aimes aussi.
Merde, il avait raison, ce salopard. Mais pourquoi ne s'excusait-il pas maintenant ? Pourquoi voulait-il me traquer ? Allait-il me pourchasser jusqu'à ma mort ?
Cette perspective envoya une onde de désir honteux dans mes reins en même temps qu'une peur sourde liée à tous les dangers qu'il représentait. Son corps m'attirait comme au premier jour et n'être jamais séparée de lui me plaisait autant que cela me terrifiait. Je savais qu'entre ses crocs, j'allais finir par me disloquer. Il avait les dents plantées dans ma carotide et il suffisait d'un geste en arrière de sa part pour me l'arracher, et je savais qu'il le ferait. À l'infini, si seulement c'était possible.
Ce n'était pas tant le danger qui m'attirait, mais plutôt ses bons côtés. Je savais qu'il était une personne adorable en tout point tant qu'il ne réveillait pas la bête. Malheureusement, avec moi, elle feulait toujours. Ma volonté de le satisfaire et ma sensibilité faisaient gronder des choses interdites au plus profond de lui. Les gentils sont toujours les victimes. J'en étais une parfaite.
— Tu ne pourras pas me retrouver, dis-je dans un élan de bravoure que je regrettai immédiatement.
Il afficha un sourire sardonique qui fit monter la bile dans ma gorge et se pencha à mon oreille.
— Je te retrouverai toujours, Nandhinie. Donde quiera que vayas, hagas lo que hagas, no importa cuánto te escondas, siempre te encontraré, mi amor.
Je le comprenais. Il le savait. Je le savais. Une sorte d'alchimie malsaine nous reliait, comme une corde noire et moisie sur laquelle il ne cessait de tirer. Même sa proximité continuait d'émoustiller mes sens. Mon Dieu, que j'étais pathétique ! Cet homme m'avait fait plus de mal que quiconque n'en serait jamais capable de toute ma vie, et je ne pouvais pas m'empêcher d'entrouvrir les lèvres et de baisser des paupières quand il était dans ma bulle intime.
— Tu mérites d'aller pourrir en taule.
Je ne croyais pas un seul mot de ce que je disais, même si c'était la plus profonde vérité.
— « No hay lugar que pueda servir de refugio a la venganza del honor. »
Pedro Calderón de la Barca. Une vieille pièce de théâtre espagnole. Je connaissais cette expression parce que c'était l'une de mes préférées. Elle signifiait : « Il n'y a point de lieu qui puisse servir d'asile contre la vengeance de l'honneur. » Bien trouvé. Il venait de signer mon arrêt de mort tout en se donnant une image cultivée. Il n'y avait que Carlos pour exceller dans ce domaine.
— Monsieur Roca Luiz, veuillez nous suivre, s'il vous plaît.
Il posa un bref baiser sous mon oreille avant de se reculer et fit un rictus de travers au policier qui nous faisait face, poings sur les hanches. C'était un homme dans la cinquantaine, grassouillet, les cheveux grisonnants sur les tempes, et surtout, avec un flingue à la ceinture. Cette vision me fit pâlir d'horreur.
Carlos en avait un, chez lui. Et plusieurs fois, j'avais vu l'intérieur du canon de très, très près.
— Un instant, je peux dire au revoir à ma copine ?
Le policier me jeta un coup d'œil agacé et hocha la tête. Immédiatement, Carlos se tourna de nouveau vers moi et, cette fois, ce fut une véritable détresse que je lus dans ses yeux.
— Nandhinie, tu ne porterais pas plainte contre moi, j'espère ?
C'était ce que je devais faire. C'était ce que toute personne dans ma situation ferait. C'était aussi ce que je prévoyais de faire, jusqu'à ce qu'il braque ce regard suppliant droit sur mon âme.
J'avais l'impression de le revoir lors des premières semaines. Si doux, calme et simple. Juste un homme qui avait peur de finir en prison, parce qu'il savait que j'avais le pouvoir de le faire. Un homme qui semblait regretter tous ses actes. Parce que si je ne portais pas plainte, ils ne pouvaient pas l'inculper. Mais si je décidais de m'approcher de la justice...
— Nandh', si tu le fais, je te jure qu'à nos retrouvailles, je te tuerai.
L'image innocente s'envola d'un coup. Pof ! D'homme en repentir, il passa à celui de menotté qui ne voulait pas se faire coincer derrière les barreaux, coûte que coûte.
Une perle de sueur me chatouilla dans la nuque et vint se perdre le long de ma colonne, sur chaque vertèbre, une à une. Sa menace aurait pu paraître ridicule, brassée dans sa peur d'être enfermé, mais avec Carlos, tout était à prendre au sérieux. En particulier lorsqu'il se laissait mener par ses émotions.
— Tu ne voudrais pas prendre ce risque, n'est-ce pas ?
— Monsieur Roca Luiz ! s'impatienta le policier.
Il m'embrassa une brève seconde et me regarda. Peut-être une dernière fois. Il y avait tant de haine dissimulée dans ses pupilles que je crus que j'allais reculer, mais il le fit le premier. Juste un pas.
— Promets-moi que tu seras là quand je sortirai de ce commissariat, cariño.
C'était à double sens, et seule moi pouvais le saisir. Les policiers ne se doutaient pas de l'épée de Damoclès qui pendouillait au-dessus de ma tête, et qui me la trancherait assurément si ma réponse n'était pas la bonne.
— Tu sauras où me retrouver.
Il sourit à nouveau. Un sourire amer, froid et bancal, qui me fit comprendre que la chasse avait commencé. Le chat allait poursuivre la souris, la bête allait traquer la victime.
Jusqu'à la mort.
⁂
L'alarme de mon téléphone me ramena au présent si fort que des étoiles pétillèrent sous mes paupières et que ma vision périphérique devint rouge écarlate. Mince, mince, mince ! J'avais recommencé. Je m'étais encore abandonnée à ces fichus souvenirs. Je m'étais une fois de plus rattachée à cette foutue douleur.
Oh, parfois, comme j'aimerais que le chagrin puisse tuer ! Être dans une tombe devait être calme. Et surtout, j'aurais pu être certaine de ne jamais passer sous les griffes de Carlos et de sa folie, ou pire encore, de son amour.
Une partie de moi tenta de me rassurer : cela faisait un an que je m'étais échappée de lui et il n'avait jamais, d'aucune façon, essayé de me contacter. J'avais l'espoir, sûrement naïf, qu'il m'ait oubliée, qu'il soit passé à autre chose. J'étais certaine qu'il me traquerait, il devait même certainement savoir où j'habitais. Mais Carlos n'était pas réputé pour sa patience. S'il n'avait rien tenté, c'était qu'il ne le ferait jamais.
Soit il m'avait oubliée et j'étais définitivement en sécurité, soit il préparait lentement un coup destiné à capturer la mouche dans sa toile. Puis à la dévorer. Sang, os et organes. Corps, âme et mental.
J'arrêtai les bips stridents qui étaient là pour me rappeler que je devais partir d'ici cinq minutes pour aller prendre le métro si je ne voulais pas rater mon train. Sauvée par le gong ! Un peu plus et j'aurais fini en larmes, comprimée dans une robe de sirène trop moulante et incapable de me rendre à l'anniversaire de mon meilleur ami. Possibilité que je ne pouvais décemment pas envisager, pour la bonne raison que je lui avais déjà fait faux bond l'année précédente. La foule m'avait fait trop peur. Ce jour-là, je comptais bien tenter de surpasser ma phobie, au moins pour une ou deux heures.
Je défis le zip de mon vêtement et me dépêchai de remettre mon jogging et mon tee-shirt avec la tête des Beatles. While My Guitar Gently Weeps passait à fond dans mon appartement et j'espérais sincèrement que mes voisins n'étaient pas chez eux, parce que j'avais pu découvrir combien les murs filtraient peu le son, et ce n'était pas tout le monde qui aimait le rétro, malheureusement.
Je dandinais des hanches en rythme, enivrée par la sensation de drogue que procurait le morceau, tout en empaquetant mes affaires. La tenue. Une brosse à cheveux. Ma lentille marron pour cacher mon hétérochromie. Un rasoir. Le cadeau. Des tampons. À manger. Mon portefeuille. Des mouchoirs, tout pleins. Je remplis mon sac à dos jaune jusqu'à ce que je ne puisse plus y mettre quoi que ce soit, puis enfilai des baskets usées et attrapai mes clés. Je pris la paire de talons dans leur boîte et, ainsi encombrée, je quittai mon appartement.
Arrivée à mi-chemin dans la cage d'escalier, je manquai de lâcher les escarpins par terre pour me taper le front.
— Zut, j'ai oublié mon invitation !
Je fis demi-tour au pas de course pour aller chercher le petit papier pailleté qui attestait de mon autorisation à participer à la fête. Sans lui, impossible de rentrer ! Et Clyde m'avait bien dit qu'il allait y avoir un système de sécurité digne d'un déplacement politique. Vigiles, caméras, oreillettes et lunettes noires. Les costards étaient de rigueur. Cette perspective me rassura un chouïa dans le fait que Carlos ne pourrait jamais se pointer par surprise : j'étais le seul lien qui le rattachait à Léopold. Lien qui avait disparu depuis longtemps. Érodé par l'oubli, effacé par la distance.
Je courus plus que je ne marchai jusqu'à la gare. Le métro était bondé et je m'étais ratatinée du mieux possible dans un coin pour éviter d'avoir à toucher qui que ce soit. Le vieil homme qui était assis à ma droite m'avait jeté un drôle de coup d'œil. Une fois échappée de cette prison humaine, j'avais piqué un sprint et m'étais arrêtée lorsque les portes recouvertes d'une affiche SNCF s'étaient refermées derrière moi.
La gare était évidemment pleine à craquer, à l'instar du métro. Nous étions samedi après-midi et il faisait grand soleil. D'ailleurs, ma course jusqu'ici avait collé mon tee-shirt contre ma peau et mes petits cheveux étaient trempés. J'avais failli perdre la paire de Louboutin entre mes mains un nombre incalculable de fois et je savais qu'une fois chaussée, j'allais regretter de ne pas l'avoir vraiment fait. Je me jetai droit dans un asile de torture tant physique que psychologique. Et dire que les gens trouvaient ça amusant !
Saska, toi aussi, tu trouvais ça amusant, avant.
Et désormais, je ne savais même plus pourquoi. L'odeur de la cigarette froide, de la sueur et de l'alcool condensés dans une masse de gens en transe était une des dernières choses à m'attirer. Léopold avait de la chance que je l'aime autant, sinon, je ne serais tout simplement pas venue.
Un écran gigantesque trônait au plafond de la gare et balançait des pubs aux couleurs trop vives pour mon œil. J'essayais de trouver mon chemin dans tout ce brouhaha, mais la présence d'autant de personnes autour de moi faisait graduellement monter la panique. J'étais bousculée, touchée, poussée, et personne ne s'excusait jamais. J'oscillais entre me mettre en colère ou en position fœtale pour pleurer.
La pub à l'écran changea. Un visage à la peau mate s'afficha, avec un sourire dévoilant des dents blanches et droites. Mon souffle se coupa. Je pus presque entendre mon sang se figer lorsque mon cœur s'arrêta de battre.
Tous les sons se firent à la fois lointains et décuplés. Je vivais ce qu'on appelait une déréalisation : mon esprit se détachait de la réalité et formait un voile opaque pour m'en protéger, comme un mur destiné à me couper du monde le temps que le déni et le choc passent. Je connaissais le phénomène par cœur pour le vivre quotidiennement, mais je ne m'y habituais jamais. Surtout, je ne m'habituais jamais à voir son visage, à lui.
Carlos Roca Luiz en concert le 25 novembre à Paris. Réservez vos billets et venez voir l'homme le moins méritant du monde accéder à la célébrité.
— Par les couilles violettes, sifflai-je entre mes dents tout en reprenant mon chemin.
J'étais injuste, sachant qu'il méritait véritablement sa célébrité. Il était un rappeur hors pair, avec des paroles profondes et des mélodies travaillées. La musique, c'était sa passion et, fatalement, c'était aussi la mienne. Pendant quelques mois, j'avais même l'habitude masochiste de l'écouter et d'imaginer que ses mots m'étaient destinés. J'étais encore naïve et je n'étais pas remise de notre rupture. Désormais, je savais que mon amour n'avait jamais compté pour lui. Tout ce qu'il avait voulu, c'était le pouvoir que cela lui conférait sur moi. L'emprise que ma dépendance lui offrait. Toutes les possibilités envisageables pour me faire planer sur un nuage et ensuite me casser de l'intérieur. De retirer un rouage essentiel pour stopper la machine et faire tomber l'oiseau des cieux.
Tu t'apitoies de nouveau, Saska. Tu t'étais promis d'arrêter.
Et j'avais désobéi tant de fois à ma propre règle qu'elle n'avait même plus d'importance. C'était tellement facile de se plaire dans son rôle de victime. Mais le dimanche précédent, avec Clémentine, j'avais décidé d'arrêter de me laisser trancher la tête par le bourreau. De me reprendre en main, pour de vrai, pour de bon. De me sortir de là, parce qu'elle avait raison, j'avais vingt-cinq ans, et je ne profitais pas de ma vie. Je la passais en cherchant les yeux de quelqu'un qui ne me regardait plus. J'étais déjà tombée dans la routine ! C'était pitoyable, et je...
Et je recommençais. C'était une habitude.
Arriverais-je seulement à me sortir de là toute seule ? C'était pour ça que Clémentine et Léopold voulaient déménager ? Pour m'aider ?
Et si ça ne suffisait pas, que ferais-je ? Vers qui pourrais-je me retourner lorsque mes amis n'arriveraient plus à supporter mes malheurs ? Qui comprendrait vraiment ce que je ressentais sans que j'aie besoin de lui expliquer ?
Je secouai de nouveau la tête et fredonnai tout bas pour me calmer. C'était la seconde fois depuis des années que j'osais chantonner en public. Certes, bien trop faiblement pour être entendue, mais c'était déjà ça. Qu'est-ce qui avait changé en moi ? Et surtout, est-ce pour une fois, c'était en bien ?
— What makes a grown man wanna cry ? What makes him wanna take his life ? murmurai-je en laissant la régularité de ma respiration me calmer, comme une bouée de sauvetage dans l'océan tempétueux dans lequel je sombrais.
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