4. S.O.S (2)

Il me fallut plus de cinq minutes pour arriver à déverrouiller la porte de mon appartement. La serrure était pourrie, la clé était pourrie, tout était pourri, mais je ne m'étais jamais senti aussi libre. Je comprenais de nouveau le sens de « rentrer chez soi ».

La nuit rechignait un peu à s'installer sur Paris, mais, de toute façon, des millions de lumières illuminaient le ciel et empêchaient de voir les étoiles, alors à quoi bon ? À peine arrivé, j'ouvris la fenêtre pour dégager les odeurs bizarres qui régnaient dans la pièce et me précipitai aux toilettes pour faire ma besogne.

Je sortis de ce qui me servait de salle de bains et enlevai mon tee-shirt, que je laissai tomber par terre sans m'en préoccuper – j'étais un éternel bordélique. Je savais que je finirais par le ranger, peut-être dans quatre ou cinq jours, voire une semaine, quand je me mettrais à le chercher, en somme. Mais pour le moment, je m'occupai plutôt à remplir une casserole d'eau et à lire les instructions sur la boîte de spaghettis. Apparemment, il fallait mettre le sel avant les pâtes. Je grimaçai et posai la boîte, puis allai m'attarder auprès de ma table en attendant que l'eau frémisse.

Comment étais-je censé faire avec si peu d'espace et autant d'idées ? Je n'aurais jamais la place de peindre, de dessiner, de composer et d'imprimer à loisir. J'avais à peine de quoi faire des pompes sur la moquette.

La vie est faite de sacrifices, songeai-je en caressant le visage tracé au fusain devant moi. De douloureux sacrifices.

J'essayai vaguement de ranger afin de trouver un endroit où poser une assiette, mais j'abandonnai bien vite. Quarante-huit heures dans cet appartement m'avaient suffi à y mettre un joyeux bazar. Un crayon tomba, suivi de plusieurs autres, puis une feuille de dessins s'échappa et vint effleurer le sol. Finalement, ma lampe vacilla et je la rattrapai de justesse avant qu'elle atterrisse dans la poubelle.

Sérieusement, j'étais invivable. Heureusement que je n'avais pas de colocataire : il ou elle m'aurait étripé dans mon sommeil la première nuit. Je n'aimais pas ce qui était trop strict et trop ordonné. Je trouvais une sorte de réconfort dans le chaos, comme s'il était la seule chose qui manquait à ma vie pour avoir le déclic. Mais j'avais beau le répandre autour de moi, il ne m'atteignait jamais vraiment. J'étais l'œil du cyclone. Tout tournait et soufflait, d'une violence destructrice à faire trembler des tombes, tandis que je restais immobile : la spirale descendante qui ne descendait pas.

Si j'avais un jour le malheur d'atterrir chez un psychiatre, il y avait toutes les chances pour que je le fasse pâlir d'horreur et qu'il me gave d'antipsychotiques jusqu'à l'overdose. J'étais un cas à part. Un homme suicidaire qui avait goût à la vie. Un artiste trouillard qui assumait son art. Un paradoxe qui se fuyait pour se retrouver.

Certains jours, j'avais du mal à vivre dans ma propre tête. Je peinais à voir par-delà la fleur noire et empoisonnée qui ne cessait d'éclore, d'étendre ses pétales, de caresser mon âme de ses épines tranchantes et imbibées de venin. Elle m'obsédait, me terrifiait, me possédait.

Comment étais-je censé me sauver de ce qu'il y avait en moi ? Fuir n'avait servi à rien. Revenir ne serait pas plus utile. Stagner n'était certainement pas une solution. Où devais-je aller ?

Je fermai les yeux et étirai mon cou, comme un serpent qui glissait hors de sa mue. Mes doigts fourmillèrent tant j'avais besoin d'en faire quelque chose, écrire, dessiner, frapper, n'importe quoi qui me donnerait la sensation d'éloigner la douleur. Mes dents vinrent martyriser ma lèvre inférieure, la rongeant presque jusqu'au sang. J'étais pris de tremblements froids mais habituels. La graine venait d'enfoncer ses racines un peu plus profondément.

Ne cesserait-elle donc jamais de grandir ? Ne me laisserait-elle donc jamais en paix ? N'y avait-il pas d'antidote contre soi-même ? Un pesticide amer pour éloigner ces souvenirs poisseux ?

Un murmure vint troubler mon agonie. Je pris plusieurs secondes à comprendre que ce n'était pas une de ces horribles voix dans ma tête, mais l'eau de la casserole qui commençait à déborder et à s'échouer sur les flammes bleues de la plaque de cuisson.

Avec des gestes automatiques, je la salai et versai la totalité des spaghettis dedans. Un coin de mon cerveau me dit que c'était bien trop, que j'aurais dû en garder, mais il fut si facile à taire que c'en était ridicule. Pourquoi ma déraison était-elle aussi puissante comparée à mon bon sens ? C'était injuste.

Un frisson me fit rentrer les épaules, mais je ne remis pas mon tee-shirt que j'avais si négligemment balancé. L'air était chaud à cause de l'été et de la climatisation inexistante. Ce n'était pas dehors qu'il faisait froid.

La sonnerie de mon téléphone retentit quelque part et je fis volte-face. Merde, où l'avais-je rangé ? Je me mis à fouiller dans toutes mes poches, dans ma veste, même dans mes tiroirs, introuvable. La petite musique entêtante continuait de résonner, encore, encore. Elle faisait écho contre les murs, dans ma tête, sur les parois meurtries de mon crâne. Qui était-ce ? Maman ? Je pensais pourtant avoir été assez clair, je ne viendrais pas à ces funérailles, quoi qu'il en coûte. Léandre, mon meilleur ami d'enfance ? Nous avions pourtant brièvement parlé par SMS, ce matin. Siobhan, sa fiancée et une de mes seules amies ? Mais pourquoi m'appellerait-elle ?

— Putain !

Je finis par le retrouver sous mon lit (allez savoir comment il avait pu atterrir là) et j'eus à peine le temps de lire le nom de Carmen s'afficher avant qu'elle coupe l'appel. Je crachai un juron vraiment moche à entendre et éloignai l'envie de recomposer son numéro. Elle avait été bien assez claire : « Ne me rappelle pas, s'il te plaît. » Je n'allais pas faillir à ma parole. Alors, j'attendis.

Et effectivement, mon portable sonna de nouveau, mais trois heures plus tard. Je m'apprêtais à aller prendre ma douche et étais déjà presque nu lorsque la mélodie s'éleva. Je me jetai sur mon téléphone et décrochai, craignant que ma sœur me glisse entre les doigts une fois de plus. Elle ne devait pas s'attendre à ce que je réponde aussi vite à 11 heures du soir, car il y eut un blanc après que j'eus soufflé « Allô ? ».

— Euh, salut, bredouilla-t-elle.

— Ça v... Pourquoi est-ce que tu appelles ?

Je ne pouvais pas lui demander si ça allait. Je connaissais déjà la réponse.

— J'ai, disons, besoin de ton aide.

Je haussai un sourcil en m'asseyant sur mon lit. Carmen avait vraiment l'air bouleversée, ce qui n'était pas dans ses habitudes. Ma petite sœur était une dure à cuire, un masque impénétrable. Elle s'était mieux forgée face à la vie que moi. Qu'est-ce qui avait pu briser sa carapace ?

— Crois-moi, tu es la dernière personne que j'ai envie d'appeler, dit-elle comme si ça pouvait me rassurer, mais, là, c'est la crise. Je ne sais plus quoi faire.

— Va droit au but.

— Je, euh, j'ai... Depuis plusieurs semaines, j'ai passé pas mal de temps avec Léandre, et...

— Léandre, Léandre ? Mon meilleur ami ?

— Oui, celui-là.

Un mauvais pressentiment me noua le ventre. Quoi qu'ait pu faire Carmen, je savais qu'avoir Léandre mêlé à ses couillonnades ne pouvait pas faire bon ménage.

— Donc, euh, ça allait plutôt bien entre nous, on s'entendait vachement. Bref, un jour, il m'a invitée chez lui pour jouer à FIFA. C'était y a trois ou quatre semaines, je sais plus... et, enfin, il... le... tu vois de quoi je parle ?

Je clignai des yeux. Plusieurs fois.

— Non, je ne vois pas du tout.

— On a... tous les deux... on... Mais c'est pas dur à comprendre, merde ! s'agaça-t-elle.

— Vous avez couché ensemble ?

Son silence fut bien plus explicite que tous les « oui » du monde.

Le choc creusa quelque chose dans ma poitrine et me tétanisa sur place. Léandre et ma sœur ? La prunelle de mes yeux chevauchant mon meilleur ami ? Les deux personnes qui comptaient le plus dans ma vie en train de faire l'Interdit Suprême ?

Ça a intérêt à être une ÉNORME plaisanterie.

— Ne t'énerve pas, s'il te plaît, couina-t-elle.

— Tu es dans la merde, susurrai-je en serrant les dents si fort que ma mâchoire tressauta.

— Oui, je sais que je suis dans la merde ! C'est pour ça que je t'appelle, crétin !

Et c'était moi qu'elle osait traiter de crétin ?

— Écoute, je ne lui ai encore rien dit, mais j'ai découvert ça aujourd'hui, je... (Elle s'interrompit pendant de longues secondes.) Je suis... il m'a... mise enceinte.

Ce fut l'annonce de trop. En deux jours, je ne pouvais pas encaisser autant. La mort de papa, la haine de Carmen, le désespoir de ma mère, et maintenant ça ? Une force obscure s'était mise en tête de me pourrir la vie, je ne voyais pas d'autre explication. J'étais maudit.

— Fils de pute ! hurlai-je en lançant le téléphone par terre.

Il ne se brisa pas. Comme quoi, la moquette évitait bien des dégâts. Je le ramassai immédiatement et mis le mode haut-parleur, sachant que si je continuais à le tenir dans mes mains, il finirait broyé.

— À faire cette connerie, vous auriez pu aller jusqu'au bout et mettre une capote, non ? criai-je sans plus de retenue. Ou est-ce que madame aime trop gâcher la vie de tout le monde pour prendre des précautions ?

— Il a mis une capote ! Elle a dû craquer, ou... ou...

— Ou quoi, Carmen ? Quoi ? Qu'est-ce que tu vas encore trouver comme excuse pour justifier tous tes travers ?

J'étais hors de moi. Plus rien ne pouvait m'arrêter. C'était trop tard.

Ce n'était même pas contre ma sœur que j'étais véritablement en colère, mais plutôt envers Léandre. Carmen n'avait que quinze ans, comment pouvais-je blâmer une adolescente de foutre sa vie en l'air avec des parents comme les nôtres ? Mais Léandre ! Presque trente ans, fiancé et stable, comment avait-il pu trahir Siobhan à ce point ? Me trahir ? Détruire ma sœur en la mettant enceinte ?

Malheureusement, ce n'était pas lui que j'avais au téléphone, et j'étais trop aveuglé par la colère pour faire quoi que ce soit de raisonnable.

— Tu n'en as pas marre de te flinguer ? D'acheter des clopes en cachette et de te détruire la santé, puis de venir blâmer papa à cause de ce qu'il a fait ? Oui, je sais que tu fumes ! déclarai-je avec une fierté sadique qui me donna la nausée. Et je n'ai rien dit à maman parce que je te pensais plus responsable, je te pensais capable de te gérer.

— J'ai quinze ans ! Comment peux-tu me demander d'agir comme un adulte de cinquante ?

— Tu n'en as pas ras le cul de sécher les cours, de te ramasser des bulletins bons à brûler, de désobéir à tout le monde ? Il faut en plus que tu ailles baiser avec mon meilleur ami, qui est fiancé, et que tu viennes jouer la victime auprès de moi ? Je pense pourtant que tu étais consentante, non ? Et tu sais très bien que...

— Arrête, s'il te plaît, arrête !

Elle pleurait dans le combiné. J'interrompis ma tirade et pris de grandes inspirations profondes, essayant de reprendre le contrôle de mes émotions. J'étais injuste. J'étais méchant. Et je ne ressentais toujours aucun remord, bordel !

Je me dégoûtais. Je me serais vomi si seulement ça avait été possible. Quel genre de grand frère parlait comme ça à sa sœur ?

— Je sais que j'ai fait la bêtise de ma vie, d'accord ? Je sais que tu as absolument toutes les raisons du monde de m'en vouloir, de me hurler dessus, de ne plus jamais m'adresser la parole, mais...

Qu'allait-elle me demander, encore une fois ? Jusqu'où allait-elle dépasser les bornes, encore une fois ? Combien allai-je sacrifier pour elle, encore une fois ?

— Tu veux bien m'aider, s'il te plaît ? supplia-t-elle. Je sais que Grace avait des contacts avec du personnel à l'hôpital et...

— Carmen, dis-je avec une rage palpable, ne parle pas de Grace. J'ai déjà un mal fou à ne pas écraser mon téléphone et rouler jusqu'à la maison pour te le faire bouffer par les narines. N'envenime pas les choses.

— Je te jure que je ne fais pas exprès ! S'il te plaît, j'ai besoin de ton aide ! Je ne peux pas le dire à maman, elle me ficherait dehors, et elle est incapable de s'occuper de Tom toute seule.

Je m'accroupis par terre et pris ma tête entre mes mains. Pourquoi ce genre de choses n'arrivaient-elles qu'à moi ? Et pourquoi étais-je forcément la seule personne capable de tout résoudre ?

— OK, écoute-moi bien, murmurai-je en serrant les dents. Je vais appeler Léandre.

— Ne lui dis rien ! Je t'en supplie, ne lui dis rien, je ne veux pas qu'il le sache !

— Ferme-la avant que je parte vraiment en sucette. Je vais appeler Léandre et lui demander le numéro de Grace, parce que, moi, je ne l'ai plus. Je ne vais rien lui dire. S'il doit être mis au courant, ce sera de ta bouche. Pigé ?

Il y eut un petit silence avant que ma sœur fasse un « oui » étranglé qui fissura mon cœur. Je respirai un grand coup, pas vraiment certain de ce que j'étais en train de faire, mais Carmen était ma faiblesse. J'avais beau bouillir d'une colère noire, j'étais incapable de lui refuser mon aide lorsqu'elle pleurait à s'en déchirer les poumons. Ma petite sœur était tout ce qu'il me restait. La voir se détruire m'anéantissait plus que ce qu'elle pouvait imaginer.

— Je... Merci, Manu.

— Ne crois pas que tu es excusée. Je fais ça parce que tu ne m'en laisses pas le choix.

— Si tu savais combien je culpabilise.

Pas moi. Pas comme je le devrais, en tout cas.

— Carmen, est-ce que ça va aller ?

— Oui.

— Tu mens.

— Oui.

Je me massai le front, n'ayant qu'une hâte : raccrocher, prendre une douche et me frotter le corps à m'en faire saigner la peau, jusqu'à faire disparaître cette sensation de sang séché qui me collait, me laver de cette colère et de cette nocivité qui entachaient mes pensées, vider mes veines de l'arsenic qui les brûlait.

— J'aimerais dire qu'on est déjà passés par pire, mais je crois qu'on touche le fond.

— Parle pour toi. Je vis les meilleurs moments de mon existence.

Mon ton ironique arracha une sorte de sanglot amusé à ma petite sœur. Il n'y avait rien de drôle à notre misérable situation, mais nous avions appris, autant l'un que l'autre, à rire de nos malheurs. Autrement, nous nous serions déjà pendus à l'ampoule de la cuisine. La vie était trop cruelle et les sentiments trop traîtres. La moindre des choses était de faire semblant de s'en sortir.

— Il faut que je te laisse. Merci, merci pour tout, dit-elle.

— Je te déteste.

— Je t'aime.

Elle raccrocha immédiatement, me laissant pantois et lesté d'une couche de problèmes supplémentaires. Et ce n'était même pas les miens. Tout ce que voulait Carmen, c'était protéger Tom, le seul être qui paraissait normal dans notre famille merdique. Peut-être qu'en l'éloignant de toute cette folie, il jouirait d'une enfance heureuse. C'était ce qu'espérait ma sœur. Moi, je n'y croyais pas. On ne pouvait pas échapper à la démence lorsqu'elle était imprégnée dans nos gènes. C'était dans son ADN, comme c'était dans le mien et dans celui de Carmen. J'aimais Tom, mais je ne me faisais pas d'illusions. Il était déjà flingué avant même que l'avenir ne lui réserve une chance.

J'avançai une main tremblante vers mon téléphone, me répétant qu'il fallait que j'appelle Léandre, ce lâche, cet infidèle.

Je refusais de laisser la colère m'envahir une fois de plus. J'étais bien trop épuisé pour tenter de la contrôler et je savais que perdre la maîtrise de ma rage était dangereux, un peu trop dangereux.

Mes doigts tressautaient par-dessus mon écran, m'empêchant de composer son numéro correctement. Je l'avouais, j'avais la trouille. Je ne voulais pas entendre sa voix. J'avais un mal fou à réaliser et je n'étais pas prêt psychologiquement à le faire.

— Je ne peux pas, murmurai-je en me découvrant au bord des larmes. Je ne peux pas.

Je fermai mes paupières et essuyai mon nez sur mon épaule nue. Je pris une longue inspiration, comptai jusqu'à vingt, puis éteignis mon portable. Je n'avais pas la force de le faire, pas aujourd'hui, pas ce soir, pas en état de choc.

Je me relevai, éteignis la casserole de pâtes et titubai jusqu'à ma salle de bains. Une douche, vite ! Que je me débarrasse de cette crasse qui grouillait sur mon épiderme, que je brûle ces pensées sombres sous le pommeau vacillant. Je retirai mes derniers vêtements en sautillant, dus me reprendre à deux fois pour fermer la porte qui refusait de tenir et rentrai dans l'étroite cabine carrelée. J'avais tout juste la place de lever les bras, si je serrai les coudes contre mon torse. Je tentai d'ignorer ce sournois sentiment de claustrophobie qui prenait possession de mes nerfs et ouvris l'eau qui crachota. Un jet froid gicla pile dans mes yeux et je me cognai la tête en ayant un mouvement de recul. Fichue flotte. J'allais avoir une bosse, maintenant.

— Devenez artistes, vous serez heureux, grognai-je. Ils ont oublié de dire qu'on resterait pauvres.

Je me mouillai les cheveux, toussant et pinçant mes yeux pour éviter de mettre de l'eau dedans. Ma peau nue frissonna sous la caresse du liquide trop frais. J'agitai le pommeau, trois fois, quatre fois, tapai sur le tuyau et, après un bruit plaintif et peu rassurant, la douche daigna se réchauffer. La pièce ne tarda pas à finir embuée d'une fumée dense qui effleurait le miroir.

Je versai une dose généreuse de savon dans mes mains et le tube presque vide produisit quelques bulles. Je m'amusai à les éclater avant de me frotter les bras, le torse et le ventre, répandant une odeur délicieusement sucrée de caramel chimique sur ma peau. Je me massai les épaules, faisant rouler les muscles sous mes doigts, soupirant de douleur et de plaisir.

Je frottai ma paume sur ma clavicule avec la désagréable sensation d'être enserré. J'essayai de me dicter des ordres simples pour rester dans le présent. Douche. Savon. Laver.

What makes a grown man wanna cry ? What makes him wanna take his life ?

Génial, j'avais I Was Never There dans la tête, maintenant. Je fredonnai à voix basse, tout en me frictionnant les cuisses, et faillis me ramasser la bibine en voulant me laver la plante des pieds.

His happiness is never real, and mindless sex is how he feels, ooh, he feels.

Les paroles fusèrent sur le bout de ma langue avec plus de fluidité. Je m'imaginai le rythme, la mélodie, les basses, et me laissai porter par la langueur si poignante et si colorée de cette musique.

When it's time, when it's time, when it's time, it won't matter, it won't matter.

Ma voix prit plus d'intensité. Je me fauchai sur une note trop haute, me raclai la gorge, deux fois, et me remis dedans. Mon timbre gronda, sombre et grave comme un tonnerre d'été, s'écorcha sur la lame ensanglantée qui pendait à mon cou et me taillait l'artère. Ce n'était plus moi qui chantais, mais mes émotions. Et ce fut tout aussi douloureux que libérateur.

It was like I was never there.

C'était comme si je n'étais pas là. Et parfois, il m'était arrivé de prier, genoux à terre, les joues luisantes de larmes, pour que ç'ait été réellement le cas.

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