Chapitre 1 - Ascenseur émotionnel

Depuis des mois maintenant, Hisae Ozryn peinait bien à trouver le sommeil. Au même titre que la fin de son cinquième semestre, en ce début de mois de janvier, la période stressante des examens approchait à grand pas. À trop grand pas. Et il fallait bien avouer que son habitude à carburer à la caféine pendant ses révisions, couplée à ses insomnies, ne l'aidait pas le moins du monde à gagner le monde des rêves le soir.

Aujourd'hui, la fatigue avait dû avoir raison de son corps, puisqu'elle avait rejoint Morphée peu de temps après que minuit fut passé. Pourtant, comme chaque nuit, son sommeil était si peu profond que, lorsque la porte d'entrée de son appartement grinça légèrement, ses yeux se rouvrirent instantanément dans un réflexe naturel. La surprise, ivre d'adrénaline, fit accélérer les battements de son cœur et, tandis qu'elle émettait pour se rassurer l'hypothèse que sa sœur venait juste de rentrer, le bruit sourd d'un choc lui parvint.

Ni une, ni deux. Le cœur pris d'une course folle, Hisae quitta son lit d'un bond pour ouvrir discrètement la porte de la chambre. Même s'il restait fort probable qu'il ne s'agisse que d'Aliska, la possibilité que quelqu'un vienne de pénétrer chez elle n'était pas à écarter. Pourtant, lorsqu'un juron familier lui parvint, elle laissa échapper un long soupir de résignation et de soulagement.

— Ali, qu'est-ce que tu fous à cette heure ? questionna-t-elle en ouvrant plus franchement la porte, pour rejoindre sa sœur cadette dans la pièce principale de l'appartement.

Chaussures aux pieds sur le tapis du salon, Aliska tourna la tête en direction de cette voix, avant d'esquisser un petit sourire coupable.

— Ah, Hisa, désolée je me suis cognée dans ton meuble d'entrée. Tu dormais pas de toute façon, non ?

Pas patiente pour deux sous et l'agacement grandissant en flèche, Hisae fronça les sourcils. Sans doute que le fait d'être réveillée en pleine nuit de la sorte, sans entendre au passage la moindre excuse, ne l'aidait pas à rester calme. Pourtant, la lumière allumée du salon lui permettait d'observer le visage crispé de sa cadette. Ses pupilles sombres glissaient bien trop rapidement sur l'ensemble de l'appartement, en s'attardant sur les fenêtres, pour que cela n'en devienne pas suspect.

— Si, pour une fois je dormais, soupira-t-elle finalement, sans poser les questions qui lui brûlaient les lèvres.

Comme si l'adrénaline de sa frayeur nocturne venait instantanément de tomber, la jeune femme sentit son corps se décrisper, tandis que sa sœur s'asseyait pour ôter ses baskets noires. Elle s'apprêtait à rejoindre sa chambre lorsqu'elle aperçut du coin de l'œil Aliska claquer des doigts. Malgré la vague de curiosité, à laquelle s'ajoutait l'envie de la réprimander pour sa négligence, elle ne releva pas ce geste, allant même jusqu'à feindre l'ignorance. Les ondes envoyées par sa cadette parvinrent jusqu'à elle dans une vibration qui fit trembler chacun de ses membres, pour la passer comme si elle n'était qu'un obstacle sur leur route.

Une rapide œillade à l'horloge du salon rappela à la jeune femme qu'elle ferait mieux de retourner se coucher, même si elle doutait fortement de sa capacité à retrouver le sommeil.

— Va te coucher, Ali. T'as cours demain, non ? lança Hisae, alors que ses jambes la guidaient de nouveau jusqu'à sa chambre.

Un faible « ouais » lui parvint en guise de réponse et, sans attendre un mot de plus, elle ferma la porte derrière elle.

Depuis quelque temps, Aliska lui avait affirmé avoir trouvé un petit boulot dans un restaurant, pour arrondir leurs fins de mois d'étudiantes. Elle n'avait été qu'évasive sur le sujet, mais son salaire était visiblement bien réel, alors Hisae n'avait rien demandé. Travailler dans un restaurant justifiait probablement de rentrer tard, elle le savait. Dans un premier temps, elle s'était demandé si elle parviendrait à concilier un travail ainsi que ses études de psychologie, mais il semblait que sa cadette s'en sortait plutôt bien.

Pourtant, quelque chose la tracassait. Elle n'avait pas rêvé : le claquement de doigts avait été bien réel, tout comme la sensation singulière de l'écholocation sur son propre corps.

À l'aide de son individualité si caractéristique et qu'elle n'utilisait pourtant jamais, Aliska vérifiait les présences dans les alentours.

Si elle ne voulait rien dire, elle n'en demanderait rien. Mais au vu des problèmes dans lesquelles sa sœur avait l'habitude de s'embourber, et ce depuis des années maintenant, elle craignait le pire. Le serpent de l'appréhension se faufila jusqu'à elle, allant jusqu'à l'étreindre au même titre que la peur de voir bouleversé le cours de sa vie tranquille et acquise au prix de sacrifices. Ses pensées furent toutefois coupées lorsqu'elle sentit de nouveau cette sensation de l'écholocation lui glisser sur la peau et faire réagir sa sensibilité aux ondes mécaniques.

— Ali qu'est-ce que tu fais ?! hurla-t-elle pour que sa voix porte jusqu'au salon.

— Désolée !

Hisae soupira lourdement, avant qu'un fin sourire ne fleurisse sur ses lèvres. Elle devenait sûrement paranoïaque pour aucune raison. En dépit de son agacement nocturne du moment, Aliska restait sa petite sœur. Elle lui gâchait parfois la vie – comme le faisait une sœur, après tout – mais sa présence dans cet appartement lui faisait du bien et renforçait leur lien. Probablement plus qu'elle n'en était consciente, et qu'elle ne l'avouerait.

Comme c'était à prévoir, Hisae avait peiné à retrouver le sommeil. Sa nuit supposément reposante s'était ainsi révélée être aussi courte que toutes les précédentes, et sa journée à la fac aussi épuisante que d'habitude. Entre les cours qui se suivaient et s'enchaînaient à un rythme encore bien trop soutenu, malgré la fin du semestre, et les révisions éparpillées çà et là à la moindre demi-heure de temps libre, la jeune femme avait l'impression que son cerveau n'allait plus tarder à exploser.

Les températures hivernales, certes adoucies, s'imposaient. Si Willsden avait la chance d'être situé au sud du pays et de bénéficier d'un climat plus agréable que les métropoles du nord, les journées n'en restaient pas moins dénuées de chaleur. Ainsi, les rais de l'astre du jour qui inondaient la capitale d'Asmary ne faisaient que l'illuminer, et janvier se faisait ressentir autant physiquement que visuellement. Les épais manteaux se multipliaient dans le paysage, et Hisae n'y dérogeait pas. Une veste ample, plus confortable et chaude qu'à la mode, couvrait ses épaules au même titre que sa longue chevelure argentée seulement agrémentée d'une petite tresse reliant ses deux oreilles par l'arrière de son crâne – et dont la barrette manquait visiblement de tomber, après une journée entière.

Ce qui était bien, avec l'université, c'était que plus personne ne semblait vraiment accorder la moindre importance au style vestimentaire. Elle en était presque certaine, elle aurait très bien pu venir en pyjama, personne n'aurait jamais rien dit. En plus, cela se serait accordé à merveille avec ses cernes.

Ce fut son téléphone, vibrant à répétitions dans sa poche, qui arracha l'étudiante à ses pensées pour la reconnecter à la réalité. En le sortant, Hisae constata que sa mère cherchait visiblement à la joindre.

— Hisae, on te garde une place ? s'enquit un camarade de promotion en désignant d'un signe de tête la bibliothèque universitaire, adaptée pour les révisions.

— Ouais, j'arrive dans deux minutes, répondit-elle en décrochant. Oui maman ?

Hisae, je suis désolée de te demander ça au dernier moment mais j'ai un empêchement au travail, je vais partir plus tard que prévu. Tu pourrais aller chercher ton frère au collège après les cours ?

Soupir nonchalant et râle de mécontentement étouffé. En temps normal, elle aurait accepté sans hésitation, mais c'était sans compter sur ses cours de droit du travail qui l'attendaient.

— Tu veux pas... exceptionnellement demander à Ali ? risqua-t-elle, quand bien même elle avait conscience de s'engager sur un terrain glissant. Je voulais rester à la fac pour réviser, pour une fois que je finis tôt en plus...

Le silence tomba sur la conversation, pendant des secondes si longues qu'Hisae dut vérifier qu'elle n'avait pas raccroché sans faire exprès. Elle ne savait pas depuis combien de mois maintenant leur mère n'avait plus eu de nouvelles d'Aliska, les choses s'étant dégradées depuis que cette dernière était venue s'installer dans son appartement plus proche du centre-ville pour fuir le domicile familial.

Je sais que t'es dans tes révisions... J'ai essayé de l'appeler, mais elle répond pas. Elias finit dans une demi-heure. Le temps que tu y ailles ce sera déjà juste, alors si je dois attendre ta sœur...

Un nouveau soupir nonchalant franchit le mur des lèvres de la jeune femme. Cette simple phrase hurlait « pas le choix ». Et sans doute qu'une petite pause ne pouvait pas lui faire de mal.

— Bon d'accord, j'y file, capitula-t-elle, avant de raccrocher.

Un simple message à l'attention de ses camarades pour les prévenir qu'elle ne les rejoindrait pas, et déjà Hisae était en route, non sans réfréner un soupir : comme d'habitude, elle ne pouvait pas compter sur Aliska. Sans doute était-elle encore partie traîner elle ne savait où, puisque de toute évidence elle n'était pas en cours, elle le savait très bien.

Au moins, je vais voir Ambre, se réconforta-t-elle.

Ambre Sarrel enseignait les mathématiques dans le collège de son petit frère, Elias. Amies d'enfance, les trois années qui les séparaient n'avaient jamais réellement été un problème, surtout maintenant que l'adolescence était derrière elles. Et même si la prise de poste d'Ambre au collège restait récente, entre cela et l'université, elles s'étaient beaucoup moins vues dernièrement. Passer un peu de temps avec elle l'aiderait de toute évidence à laisser un peu de côté ses révisions qui allaient finir par la rendre chèvre. Alors, soudain enjouée par l'idée, l'étudiante attrapa son téléphone pour envoyer un message à son amie et la prévenir qu'elle arrivait, en croisant les doigts pour qu'elle n'ait pas déjà terminé sa journée.

****

— Pourquoi c'est toi qui viens me chercher ? D'habitude maman elle vient en voiture, elle au moins.

Hisae n'était arrivée au collège que depuis quelques secondes qu'elle regrettait déjà d'avoir fait le trajet. Elle avait beau aimer son petit frère de tout son cœur, chaque fois qu'elle le retrouvait, il arrivait à l'irriter bien trop rapidement. S'il était le seul enfant de la fratrie à ne pas pouvoir bénéficier d'une individualité, comme c'était leur cas à Aliska et elle, nul doute que son pouvoir à lui, c'était sans doute ça.

— Écoute petit ingrat, maman pouvait pas venir aujourd'hui.

— Déjà j'ai treize ans, je vois pas pourquoi je peux pas rentrer tout seul.

— Mais oui, mais oui, t'es un grand garçon.

Peu concernée par les plaintes de son cadet, Hisae se concentra sur son téléphone, et surtout sur le message d'Ambre qui lui indiquait qu'elle n'allait plus tarder. Dans cette attente, la jeune femme leva les yeux, pour croiser les regards insistants de camarades de son frère peser sur eux. Pour une raison qui lui échappait totalement, Elias paraissait être le centre de l'attention et en ressortait mal à l'aise. Ses doigts trituraient nerveusement les lanières de son sac à dos, tandis que ses yeux sombres restaient rivés sur le béton du trottoir. Il n'en dit toutefois rien, aussi cette vision pour le moins étrange finit par arracher une bouffée de compassion à l'aînée.

— On va aller attendre Ambre au parc d'à côté, tu viens ?

Pourtant, avant qu'ils n'aient eu le temps de faire le moindre pas, la silhouette de la jeune femme découpa son champ de vision. Longs cheveux roux relevés en un chignon coiffé-décoiffé des plus élégants, veste cintrée ouverte sur un chemisier chic et chaussures à talons : chaque fois qu'elle la voyait ainsi, Hisae se disait qu'elle devait probablement être le genre de professeure bourreau des cœurs malgré elle. En tout cas, elle faisait pâle figure avec ses cernes, ses ondulations maladroites habillées d'une tresse à moitié défaite, et son style casual.

— T'en as mis du temps, déclara spontanément Hisae, aussitôt qu'Ambre atteignit sa hauteur.

— Moi aussi ça me fait plaisir de te voir, Hisa !

— Ça veut dire qu'on rentre pas maintenant à la maison j'imagine, hein ? râla Elias en gonflant les joues – en réalité de manière trop adorable pour énerver sa sœur.

— Dis donc le moustique, je te trouve bien ronchon aujourd'hui, encore plus que d'habitude !

Du coin de l'œil, l'étudiante aperçut Ambre plisser quelque peu le front, ce qui ne manqua pas d'attirer son attention. En temps normal, notamment avec sa manie de se montrer un petit peu trop intrusive, elle n'aurait pas hésité à demander ce qu'il se passait. Pourtant, quelque chose semblait sérieux, aussi s'abstint-elle.

— Il faut que je te parle d'un truc, chuchota Ambre en désignant Elias d'un discret signe de la tête.

Hisae fronça quelque peu les sourcils devant le sérieux de son amie. Ce regard, elle le connaissait trop bien. Celui qui voulait dire « seule à seule ». Déjà intérieurement prête au pire, elle se tourna vers son frère :

— Allez Elias, aujourd'hui c'est ton jour de chance, on va rentrer direct !

— Hisa, arrête de me parler comme si j'avais encore huit ans, sérieux. Tu me fais honte...

Si elle n'avait pas été aussi bien accrochée, sans doute l'intéressée aurait-elle senti sa mâchoire se décrocher.

Sale mioche.

Pourtant, en dépit de sa moue boudeuse, elle ne parvenait pas à lui en vouloir. Car le quotidien d'Elias était ainsi rythmé. Il ne rentrait jamais seul, malgré ses protestations à ce sujet, et ce depuis que son père avait quitté le domicile familial, du jour au lendemain sans explications, deux ans plus tôt. Hisae était déjà en appartement, à cette époque. À son jeune âge, il n'était pas encore en mesure de comprendre l'ampleur de sa situation, de réaliser que s'il était aussi contraint ce n'était pas pour le punir ou l'humilier, mais bien pour le protéger. Avec des antécédents comme les leurs dans une société comme celle-ci, il lui fallait prendre sur lui. Il le comprendrait sûrement un jour.

Pendant le trajet en métro aux heures de pointe, Hisae eut tout le temps nécessaire de regretter sa décision de le ramener. Mais la perspective qu'il soit là pendant qu'elle passait du temps avec Ambre n'était plaisante ni pour elle, ni pour lui, alors elle pouvait bien faire cet effort.

Puisqu'il semblait vouloir être un minimum indépendant, elle accepta qu'il rejoigne seul la maison de leur mère, une fois qu'ils eurent traversé les quartiers peu sûrs de Willsden. Désormais non loin du centre-ville – ce qui ne manqua pas d'éveiller la nostalgie des quartiers de son enfance à Ambre – les deux jeunes femmes décidèrent de s'installer dans la terrasse chauffée d'un café.

Quitte à ne pas être en train de réviser, Hisae pouvait bien profiter au maximum de ce temps libre, de cette pause qu'elle s'octroyait. Et rien de mieux qu'un bon café, pour ça – un bon café bien noir, bien fort, qui l'aiderait à rester en vie sur les heures à venir.

— C'est quoi l'embrouille, du coup ? lança-t-elle de but en blanc, une fois qu'elles furent servies. Il se passe quoi, avec Elias ?

— C'est à cause de ça que je suis arrivée un peu en retard. Son prof principal est venu me trouver.

Hisae fronça les sourcils.

— En fait...

Le voile d'empathie qui glissa à la surface du regard azuré d'Ambre n'augurait rien de bon, il ne fallait pas être idiot pour s'en rendre compte. Surtout lorsqu'elle se mordillait l'intérieur de la joue de la sorte : maudite habitude qu'elle adoptait lorsqu'elle était soumise à l'hésitation.

— Sa déléguée est venue voir son prof principal dans la journée. Je sais pas trop comment te dire ça, en fait...

— Tu me fais peur là, Ambre.

— Elias se fait harceler au collège, apparemment.

Les mots claquèrent violemment dans l'air ; amers, violents, acerbes. Aussi aiguisés qu'une lame et pointus qu'une flèche, c'était comme s'ils avaient traversé la distance jusqu'à Hisae pour se planter dans sa peau. L'espace d'une courte, très courte – trop courte – seconde, elle crut à une mauvaise plaisanterie. Pourtant, le visage sérieux de la jeune femme face à elle lui ôta tout doute.

— Comment..., parvint-elle à articuler, sans pour autant que sa phrase ne connaisse de fin.

— Je sais pas trop, je viens d'être mise au courant. D'après ce que j'ai compris, sa déléguée s'inquiétait et voulait prévenir les adultes.

Les petits surnoms, certes affectifs mais pas pour autant très gentils, qu'elle avait donnés à son frère revinrent en mémoire à l'étudiante, tout comme sa mine penaude et renfrognée. Les regards en coin de ses camarades prenaient soudain un arrière-goût bien différent. La colère vint remplacer la surprise, parcourant son corps bien trop rapidement pour ne pas obstruer tout autre sentiment.

Elias était peut-être parfois assez irritant – il en jouait, elle le savait bien – il restait son petit frère, celui qu'elle aimait bien plus que n'importe qui. Ils n'étaient certes pas nés du même père et ne vivaient même plus sous le même toit depuis plus de deux ans maintenant, elle ne pardonnerait jamais un tel fait.

— J'y vais, déclara-t-elle durement en se levant d'un bond.

Le seul effet de son geste théâtrale et inutile fut d'attirer quelques regards d'autres clients et de renverser son café brûlant, qui coula le long de la table pour goutter sur ses baskets. Un juron manqua de lui échapper, surtout devant le regard désespéré d'Ambre. Sa maladresse à toute épreuve refaisait davantage encore surface dans ce genre de situation, et pourtant elle ne s'y habituait toujours pas.

— Hisa reste assise, ça sert à rien. Et puis si tu voulais que le serveur super mignon revienne, y'avait d'autres moyens tu sais.

Bien malgré elle, un faible rire lui échappa à ces mots, plus nerveux que réellement amusé, tandis que ledit serveur super mignon venait effectivement nettoyer les dégâts et lui ramener un café. Le ridicule de la scène eut au moins l'avantage de la faire redescendre, pour l'aider à reprendre le contrôle de ses émotions.

— T'es calmée ? s'enquit patiemment Ambre.

Hisae gonfla les joues, trop fière pour approuver.

— Je comprends ta colère, reprit Ambre. T'imagines même pas l'état dans lequel j'étais, moi aussi, quand je l'ai appris. Je le connais depuis qu'il est petit, Elias est comme mon petit frère, à moi aussi...

— Qu'est-ce que tu sais, exactement ?

— Pas grand-chose pour être honnête. Les gosses sont cruels à cet âge-là, tu sais. Je suppose que... Le fait que même à son âge, y'a toujours quelqu'un qui vient le récupérer après les cours doit y jouer. Là où les autres ont l'habitude de rentrer en groupe...

L'intonation de sa phrase sonna comme s'il restait une suite. Une suite qu'elle n'arrivait pas à prononcer, et qui attira l'attention d'Hisae. Et si la culpabilité enserra le cœur de la jeune femme, elle l'invita à poursuivre d'un regard doux et empathique.

— Le petit fayot qui traîne avec la prof de maths, parfois c'est une raison suffisante de subir des moqueries.

La compassion succéda bien rapidement à tous les autres sentiments qui s'étaient bousculés en Hisae. Pourtant, elle n'eut pas le temps d'en prendre conscience. Bien trop soudainement pour pouvoir le réaliser, son cœur vint trembler au même rythme que l'air, tandis qu'un bruit sourd retentissait tout autour du café. Ses oreilles parurent siffler durant de longues secondes, comme désireuses d'oublier ce son ferme et intense. Ses membres tout entiers vibrèrent, alourdis par la sensibilité aux ondes mécaniques que son individualité engendrait, alors qu'elle restait immobile. Tous les clients du café se tournèrent d'un même geste en direction de la provenance du coup de feu, au coin de la rue, avant qu'un deuxième ne s'ensuive.

— Une attaque ? Un attentat ?! lâcha une voix rauque, deux tables plus loin.

Comme si ces mots avaient réussi à faire réagir tout le monde autour d'eux, une vague de panique souleva le café. Certains s'élancèrent en courant dans la direction opposée, alors que les plus curieux s'avançaient prudemment, à la recherche de l'origine de la bombe sonore qu'était le coup de feu. Hisae fit partie de ceux qui restèrent immobile, en proie à différentes émotions.

— Apparemment, un braquage est en cours dans la banque Baralys ! hurla un homme, dans la rue.

Un troisième coup de feu retentit jusqu'à eux, ne manquant pas d'accroître davantage encore l'angoisse qui fourmillait autour d'elles. La banque Baralys n'était qu'à quelques dizaines de mètres du café, et au vu de l'écho des coups de feu, ils ne pouvaient venir que de l'intérieur.

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