Chapitre 2: Aller simple

Je relève le store de la fenêtre au-dessus de mon lit et jette un oeil vers le ciel. Dégagé et ensoleillé. 

Ca fait déjà quelques semaines que ça dure et je prie pour que la grisaille ne pointe plus le bout du nez avant l'automne. Les étés à San Francisco sont secs, on n'a pas vu une goutte de pluie tomber depuis deux mois. J'entre-ouvre la fenêtre et passe la tête histoire de me laisser gagner par cette douceur matinale. Il est encore tôt, mais les Klaxons retentissent déjà. 

Alors que je me dirige vers la cuisine pour me préparer un thé, j'entends mon téléphone sonner. Espérons que celui qui est à l'autre bout du fil soit patient, parce que je ne sais pas où j'ai laissé mon portable pour la dernière fois. Il faut dire que je ne m'en sers pas souvent, si ce n'est pour répondre aux appels incessants de ma soeur Jane. Nous avons 2 ans et demi d'écart, mais par moment j'ai l'impression que deux générations nous séparent. Elle veille sur moi de façon bienveillante, telle une louve sur ses petits. J'ai passé trente ans et elle a, à la maison, deux petits qui lui donnent assez de préoccupations. Mes neveux sont des amours, mais à 5 et 8 ans autant vous dire que c'est un job à plein temps de les garder à l'oeil. 

Enfin je mets la main sur ce fichu téléphone.

- Allô Jane, comment vas-tu depuis hier matin? lui dis-je ironiquement.

- Ne prends pas cet air avec moi, Bo, tu sais de quoi je suis capable !

- Oh ne te vexes pas, maman louve ! Alors quoi de neuf à Mill Valley ?

- Pas grand chose à vrai dire, si ce n'est que tes neveux m'ont font voir de toutes les couleurs. Tu veux connaître leur dernière bêtise en date ? 

Ils ont enfermés le chat dans le lave linge. Heureusement pour cette pauvre bête qu'ils ne savent pas comment le mettre en marche. Non mais t'imagine le désastre s'ils avaient lancé une lessive? 

Je ne peux m'empêcher de rire en pensant à ma soeur sortant Gribouille du lave linge.

- Et toi, comment ça va aujourd'hui ? me demande-t-elle.

- On peut dire que ça va si on considère que je ne me suis réveillée que deux fois la nuit dernière.

Les nuits calmes avaient laissé la place à des insomnies et des cauchemars qui me réveillaient en transe chaque nuit, depuis l'accident. J'avais volontairement omis de prendre les calmants que le médecin m'avait prescrits. Je n'en pouvais plus d'être assommée chaque jour. Ca faisait plus de deux semaines que j'avais balancé le reste du flacon d'anxiolytiques dans les toilettes. 

Revers de médaille, mes nuits étaient une souffrance telle, qu'après chaque cauchemars je me réveillais en nage et courrais jusqu'à la salle de bain pour y vomir tout ce que j'avais dans l'estomac. 

- Oh Bonnie, je suis consciente de tout ce que tu as du endurer. Mais Bo, ça va faire dix-huit mois que tu es coupée du monde et que tu n'as pas repris le boulot. Karen m'a appelé  pour avoir de tes nouvelles et savoir si tu te sentais prête à y retourner. Toute l'équipe t'attend, James ne parle que de toi depuis des mois. Apparemment, il aurait dit à Karen que c'était toi et personne d'autre qu'il voulait pour l'aménagement du nouvel hôtel. Ils ont repoussé le projet tant qu'ils ont pu Bonnie, mais tu te doutes bien qu'ils ne le feront pas indéfiniment. 

- Je sais tout ça, Jane. Mais plus j'y pense et moins j'ai envie d'y retourner. Tout ici me rappelle Owen, alors retourner là où on bossait tous les deux, je ne m'en sens pas capable. Je n'en peux plus, Jane. Dis-moi que tu me comprends ? 

- Je te comprends, Bo, mais tout ça a trop duré ! Que vas-tu faire, Bo ? Tu dois te reprendre en main !

- Je pourrais partir quelques temps, changer d'air ?

- Et où irais-tu, Bo ? Tu ne connais personne en dehors de San Francisco.

- Hawaii.

- Hawaii ? Pourquoi veux-tu aller à Hawaii ?

- Ca faisait partie de mes projets, enfin, de nos projets. Tu sais, cette liste qu'on avait commencée avec Owen. Eh bien Hawaii fait partie de ces projets. Si tu veux que j'avance, il faut que je parte, Jane, que je change de décor.

- Toute seule ? Mais t'es folle ou quoi ! Et s'il t'arrivait quelque chose? 

- Que veux-tu qu'il m'arrive là-bas qui ne m'arriverait pas ici ? 

Je l'entends souffler plusieurs fois dans le téléphone, elle sait que j'ai raison. 

- Jane, tu es toujours là? 

- Oui, Bo je suis là! Tu es ma petite soeur, et je ne veux que ton bien, tu le sais. Je réfléchissais c'est tout.

- Ah bon et tu réfléchissais à quoi, grande soeur?

- Je me disais que tu as sans doute raison. Quelque part j'ai du mal à l'admettre, mais toi seule peux te guérir, Bo. Je comprends que tu aies besoin de partir d'ici quelques temps et je pense que tu as raison, tu devrais faire ce voyage. Mais promets-moi de m'appeler tous les jours et d'être prudente aussi. Elle s'arrête un instant de parler puis reprend plus calmement.

- Oh et aussi, promets-moi de garder l'esprit ouvert, Bo! Laisse-toi vivre et profites soeurette. Qui mieux que toi sait combien la vie est courte ?

- Je t'aime Jane.

- Moi aussi je t'aime petite soeur. Maintenant, dépêches-toi de faire ta valise ! 

- J'ai le temps, Jane je n'ai même pas encore acheté de billets.

- Pendant qu'on était en ligne j'en ai profité pour te prendre un aller simple pour Honolulu. Ton avion décolle dans 4 heures, ma belle. Alors, pas une minutes à perdre! John sera en bas de chez toi à onze heures tapantes. Bon voyage, Bo! Profites-en, ok ! Quand tu te sentiras prête à revenir, tu n'auras qu'un appel à passer et je serai là pour te récupérer.

- Je........ Je ne sais pas quoi te dire Jane. Tu es la meilleure soeur qu'on puisse rêver d'avoir. Je t'appelle dès que j'atterris, ok ? Merci Jane, du fond du coeur, merci ! 

Je raccroche, et me jette sur ma valise rangée sous le lit. J'y fourres tout ce que je trouve et qui me sera utile dans un pays où la température avoisine les trente degrés. C'est un rêve qui se réalise, notre rêve répète-je tout bas. 

Après plusieurs tentatives pour fermer ma valise, qui se révèlent infructueuses, je décide d'employer les grands moyens. Je m'assieds d'un coup sec dessus, essayant de faire peser tout mon poids, pas facile quand on ne pèse pas plus de cinquante kilos, mais je parviens finalement à la fermer. 

Je me dirige vers le salon, me dresse sur la pointe des pieds et m'étire pour attraper la boite habilement dissimulée en haut de la bibliothèque. Six mois que je ne l'avais plus ouverte. A l'intérieur, les souvenirs de toute une vie; photos, tickets de cinéma, cartes postales. Tous ces souvenirs qui me rappellent ce que j'ai perdu et que je décide de regarder une dernière fois avant de partir. Je ne m'en débarrasserai pas, je n'en ai pas la force, ni l'envie d'ailleurs, mais repenser à tout ça me fait du bien et en même temps m'inflige une douleur sans nom. 

J'en sors une photo d'Owen et moi, prise à Noël. Mon ventre arrondi commençait tout doucement à se remarquer et Owen adorait y poser la main pour sentir le bébé. Nous étions tous les deux tellement heureux à cette époque, aucun nuage ne venait obscurcir notre ciel bleu. 

Je sens une larme couler sur ma joue, je la chasse du revers de la main, me relève et remets la boite à sa place. Je décide quand même, de garder ce cliché de nous et le glisse dans mon sac à dos. 

Dernier check avant le départ, je refais le tour du loft, prépares mon trousseau de clés pour le donner à John. Ma soeur s'occupera des plantes, du courrier et de remplir le frigo pour mon retour, comme je la connais. 

Un dernier regard vers mon lit, quand le Klaxon de John retentit devant l'immeuble. Je sais que c'est lui parce qu'il a toujours cette manie de klaxonner plusieurs fois,  comme s'il m'adressait un message en morse.

Ca y est, je pars! Jane m'a donné le coup de pied au cul qu'il me manquait pour me décider. Sans ce billet, je ne suis pas certaine que je me serais lancée. J'ai l'impression de trahir Owen en partant et en faisant ce voyage dont nous avions tant parlé. Mais quelque part ça me rapproche de lui encore un peu plus.

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