Chapitre 5
Ce fut un réel soulagement. Ça a dû se voir sur mon visage car Kris m'a donné une tape sur l'épaule. J'ai bu une nouvelle gorgée de thé qui m'a réchauffé, j'en avais besoin. Savoir que ce type me faisait confiance alors qu'il ne savait rien de moi et qu'il se basait sur des faits qui auraient pu être faux, me donnait le sourire. Comme quoi, parmi les 7 milliards d'humains habitants sur Terre, y'avait pas que des connards. Encore une fois, j'ai bu et j'ai vidé la tasse. Kris me la reprit et la déposa plus loin. Il revint avec une assiette fumante. Grâce à l'expérience culinaire de ma mère qui avait testé plusieurs sortes de cuisines, je devinai qu'il y avait une bonne dizaine de perles de coco. Kris en versa une dans mon assiette et je commençai à manger. Ça faisait pas mal de temps que je n'avais pas avalé, au sens propre du terme, quelque chose, étant donné que j'avais refusé tout repas et qu'on me mettait des protéines en perfusion. Je découpai, à l'aide de ma cuillère, la perle de coco et je l'avalai. En, à peine dix minutes, mon assiette était vide. J'avais mangé en silence.
- Je vais te passer des vêtements, mon appart est au-dessus du resto. Tu pourras aller prendre une douche, te laver les dents, te coiffer, enfin bref, essayer de ne plus faire peur.
Je n'ai pas su comment le prendre. C'était de l'humour ou... ?
- Ok merci...Il m'a aidé à me lever et m'a fait monter l'étroit escalier en colimaçon qui menait jusqu'à son appartement. Il ne sentait pas du tout la nourriture. J'ai pu deviner qu'il n'était pas très grand et surtout, pas très lumineux.
- Ce n'est pas très grand, désolé. Je le loue à mon patron, je l'aide au restaurant. Ça me fait un petit peu d'argent pour la fac.
J'ai compris qu'en plus d'essayer de s'excuser, ce dont il n'était absolument pas obligé, Kris essayait également de m'en dire un peu plus sur lui.
- T'inquiète, je comprends, moi aussi j'ai un p'tit studio. Au moins, c'est moins compliqué quand on perd ses clefs !
J'avais essayé de faire de l'humour. Mais je ne savais pas si ça avait marché, étant donné que je ne pouvais pas voir s'il souriait, ou s'il affichait une moue dubitative. C'était cinquante-cinquante. Ça me faisait d'ailleurs penser que je n'avais pas rendu ma disserte sur les probabilités de la garde d'un enfant par le père en cas de divorce. Ça n'avait aucun rapport, mais ça m'a fait penser à ça.
- Euh oui...assieds-toi là. Je vais te chercher des vêtements, ça risque d'être un peu large. T'es assez frêle. Kris m'a poussé dans le canapé et est parti les chercher. Il devait faire partie de la catégorie " ne te fies jamais aux apparences". Il devait être un mec baraqué, avec le regard froid et assez populaire au lycée et à la fac. Je l'imaginais parfaitement, physiquement. Mais il devait aussi cacher une assez belle personnalité, la preuve : il m'avait aidé, même s'il n'avait aucune raison de le faire. Kris est revenu quelques minutes après avec un bas de survêtement et un tee-shirt. Il me les a mis dans les mains, et m'a aidé à me relever. Il m'a conduit dans sa salle de bain et m'a aidé à me déshabiller. Quand il est parti, j'ai laissé couler l'eau et je suis entré dans la baignoire. Je me suis laissé flotter dans l'eau, sans bouger, pendant au moins une demi-heure. J'ai pensé à tout ce qui aurait pu se produire si je n'avais pas eu le réflexe de courir ou si j'étais entré dans une autre boutique. Et je me suis souvenu de ce que me disait tout le temps Mia " Pourquoi tu penses à quelque chose qui n'est pas arrivé ?". C'était peut-être elle qui allait le plus me manquer, encore plus que ma mère ou Élodie. C'était un peu comme mon deuxième moi. Ma moitié, sans pour autant être amoureux. Son sourire, ses cheveux, sa voix, ses rêves, tout ça, ça faisait aussi partie de ma vie. Sa vie était aussi la mienne, et ma vie était la sienne. J'ai soupiré en plongeant mon visage sous la mousse. Après trente minutes à patauger et à rêver je suis sorti de la baignoire. A peine après avoir mis un pied dehors, j'ai failli glisser. Poussant intérieurement un juron - je ne voulais pas que Kris s'inquiète - je me suis accroché au lavabo. J'ai tâtonné autour de moi avant de trouver les vêtements de Kris. J'ai découvert un jogging et un simple haut de sport, censé mouler le torse mais comme l'avait dit Kris, j'étais beaucoup moins baraqué que lui et je nageais dans le tee-shirt. J'ai également enfilé des chaussettes qu'il m'avait apportées. Je me suis muni du sèche-cheveux et j'ai commencé à me sécher la tête avec, fonction principale du sèche-cheveux mais pas unique parce qu'avec on peut faire sécher le vernis à ongle ou la peinture. Quand j'ai estimé mes cheveux secs et brossés, j'ai utilisé une brosse à dents. Comme utiliser les couverts pour manger, c'était devenu un réflexe et je n'avais pas besoin de me voir me laver les dents. J'ai pris ma blouse sale d'hôpital et je suis sorti de la salle de bain. Kris était sur son canapé et regardait la télé, je l'ai deviné au son et à sa masse présente dans l'air. Quand il m'a entendu arriver, il a éteint ou mis sur pause.
- C'est bon ? J'ai hoché la tête.
- T'as le permis ? m'a demandé Kris. Je n'ai pas compris le sens de la question.
- Oui, mais j'ai pas de voiture, j'ai répondu. J'ai eu comme un déclic : mon permis, mes papiers, mon portefeuille, tout c'était resté dans mon appartement parisien. Je fus pris de panique. Si je me faisais prendre par la police sans papier et avec la fièvre grise, j'étais un homme mort.
- Kris ! On, enfin j'ai, un problème ! Mes papiers, mon argent, mon permis, c'est resté chez moi !
Il a poussé un petit cri et a soupiré. Je l'ai entendu se calmer. Il a commencé à faire les cents pas. Finalement, il m'a dit :
- On va prendre ma voiture et on va aller là-bas. Et comme je suppose que tu n'as pas les clefs, j'enfoncerai la porte. OK ? Est-ce que j'avais vraiment le choix ? Non. J'ai approuvé et on est descendu rapidement. Il m'a emmené au parking et m'a fait monter dans sa voiture. Elle sentait la nourriture et le tabac. Il a démarré à fond avant de se rappeler que je ne lui avais pas donner mon adresse. J'ai senti qu'il se tournait vers moi et j'ai souri.
- 12 rue Frida Kahlo, Paris, 12 ème arrondissement. C'est un immeuble, j'habite au troisième étage. J'avais donné tous les détails nécessaires pour qu'il puisse trouver. Il a inscrit l'adresse dans son GPS et a évité tous les grands axes. En une bonne demi-heure, voire même en trois quarts d'heures, on est arrivé. Enfin, Kris pensait être arrivé, car moi je ne pouvais pas vraiment le savoir. Il a ouvert la portière.
- C'est une grande façade un peu délabrée, avec des fleurs à presque tous les balcons et des décorations restant d'Halloween ?
On ne pouvait pas faire mieux comme description.
- Pour la grande porte le code c'est 2402.
Kris s'est avancé et je l'ai suivi. J'ai failli tomber dans le petit escalier mais j'ai réussi à me rattraper à la rampe. Il a tapé le code et on est entré. Comme il n'y avait pas d'ascenseur, Kris m'a aidé à monter les marches jusqu'au troisième étage. Je lui ai décrit mon paillasson, car il y avait huit appartements par étage. Le tapis à ma porte d'entrée était rouge avec des rayures bleues et, sur la porte, il restait des citrouilles d 'Halloween que je n'avais pas eu l'envie et le courage de décrocher, même si nous étions déjà le dix-neuf novembre.
- Je crois que c'est ici...a murmuré Kris. Je savais que s'il, si on, se trompait, et qu'il enfonçait une autre porte que la mienne, on n'aurait plus aucune échappatoire. Kris devrait payer une amande et moi je retournerais à" l'hôpital". J'ai posé une main sur son épaule. Il a pris de l'élan en inspirant et en expirant et il a enfoncé la porte. Elle s'est ouverte. Mais à peine avait-on mis un pied dans mon appartement qu'un cri de femme a retenti. On est resté figé, pétrifié.
- Romain ?! J'ai reconnu cette voix. C'était celle de ma mère. Au moins, nous étions au bon endroit. J'ai couru dans ses bras.
- Maman...ça va ? Ma mère a relâché mon étreinte.
- Oui...où étais-tu ? C'est qui ? Pourquoi tu es là ? Je lui ais souri pour la réconforter. Kris qui ne devait pas comprendre grand-chose, s'est avancé.
- Euh...Romain ? C'est ta mère ? J'ai hoché la tête. Ma mère m'a fait asseoir et m'a servi immédiatement à manger, alors que je venais de m'enfiler trois perles de coco à peine deux heures avant. J'ai dû manger une part de cake aux olives et une assiette de pâtes, forcé par ma mère. Toutes cette nourriture après une semaine et demi de perfusions me donnait la nausée.
- Kris, mes papiers sont dans le meuble télé, ais-je dit la bouche pleine. Kris est allé fouiller dans la commode sous le regard, je pense, interrogatif de ma mère.
- Bon, Romain. J'ai eu Laurianne, la mère de Lucie, au téléphone à peine vingt minutes avant que tu n'arrives. Elle m'a dit que tu avais la fièvre grise, que tu t'étais échappé et que tu cherchais son ancienne adresse. Alors, maintenant, tu me réponds clairement !
J'ai soupiré. Je ne savais pas ce que ma mère allait penser, si elle allait être de mon côté ou si elle croyait aux salades du Gouvernement. Je m'apprêtais à lui expliquer ce qui m'était arrivé. Mais d'abord, j'avais une question à lui poser et je refusai de parler tant qu'elle ne me répondrait pas.
- Où est Élodie ? Et tu as des nouvelles de Mia ?
Bon, ok, ça faisait deux questions, mais je voulais savoir si elles allaient bien. Surtout Élodie, je ne savais comment elle avait réagi après mon départ, même s'il ne remontait qu'à une semaine et demi. Ma mère a soupiré.
- Élodie est allée dormir chez Lucie. Et Mia j'en sais rien, a-t-elle répondu.
Bien sûr, elle ne savait pas comment allait Mia ! Je ne la crus pas une seule seconde. Ma mère avait accueilli Mia comme sa fille, c'était impossible qu'elle n'ait pas de ses nouvelles. Je refusai donc, moi aussi, de répondre à ses questions. Ce fut une des rares fois où ma mère m'a énervé. J'ai pesté, je me suis levé et j'ai failli trébucher.
- J'ai ! s'est exclamé Kris. Il m'a aidé à rester debout.
- Où vas-tu ? a demandé ma mère d'une voix tremblante. Je me suis tourné vers elle le plus déterminé possible.
- On m'a demandé d'aller quelque part. Alors j'y vais. Je ne te serai plus d'aucune utilité. Prend soin d'Élodie et de Mia.
Je n'avais jamais fourni de réponses sur un ton aussi sûr. Je me suis impressionné moi-même, pour ma franchise et ma confiance en moi. En temps normal, je me serais troublé et j'aurais bégayé. Ma mère eut l'air surprise elle aussi.
- Mais non, Romain ! Tu peux aller dans un centre, ils donnent de la nourriture, un abri et ils cherchent un traitement ! a répliqué ma mère.
Bien sûr, ils donnent de la nourriture périmé pour chiens, des abris de rien du tout, on doit être cinquante dans un espace pour dix, et ils ne cherchent pas un traitement, ils cherchent un vaccin, en gros tant pis pour ceux qui ont déjà été contaminés. En résumé : on était des chiens.
Je n'ai pas répondu à ma mère. Kris m'a aidé à avancer et m'a fait sortir de l'appartement, tandis que ma mère commençait à pleurer.
- Au revoir, j'ai dit.
J'avais conscience que ça devait être frustrant pour elle et je n'avais pas envie, non plus, de ne plus la revoir. Qui a envie d'abandonner la femme qui nous a porté dans son ventre, élevé et aimé quoi que nous fassions ? C'est un peu débile. Pourtant je n'avais pas le choix. C'était, soit le centre et ma mère, soit la liberté mais sans elle. Et la liberté n'a pas de prix. Même pas celui d'une mère. J'ai suivi Kris dans les escaliers et je suis remonté dans sa voiture. Mes pensées étaient embrouillées, je ne réfléchissais plus correctement. J'étais perdu. Et pourtant, la voiture à l'odeur de tabac a démarré, laissant derrière nous, mon immeuble, ma mère, ma famille et ma vie.
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