Chapitre 4
Je me suis senti atterrir sur une chose molle et puante. Je n'ai pas mis longtemps à comprendre que j'étais dans les poubelles du bâtiment, je ne pouvais plus vraiment appeler ça un hôpital. J'ai poussé un cri de dégoût et ai essayé de faire tanguer la poubelle pour en descendre. Je me suis étalé sur le béton, avec, en supplément, quelques déchets. Je me suis relevé avec difficulté et j'ai chancelé. Marcher sans voir est compliqué. J'avais les bras tendus devant moi et j'avançais tout doucement. En atterrissant je m'étais fait mal à la cheville droite. Est-ce que ça arrangeait mon état déjà pitoyable ? Point du tout. Je me suis cogné contre une autre poubelle et j'ai pesté. J'ai réussi à attraper la couverture toujours accrochée à la gouttière, qui n'avait servi strictement à rien, et je l'ai mise sur mes épaules pour cacher ma misérable tenue. J'ai continué à avancer en essayant de me repérer au bruit des , à la texture du sol et à l'odeur de la pollution. J'essayais de me souvenir à tout prix de l'adresse que m'avait donné cette femme. Je ne savais toujours pas comment j'allais trouver cette maison, ou immeuble, ou entreprise, ou magasin. Je ne pouvais pas demander à quelqu'un. D'une part, je n'aurais pas de réponse si je parlais à un vieux papy ou à une fille de sept ans. D'autre part, avec ma blouse d'hôpital, ma housse de couette qui sentait à plein nez les poubelles, mes cheveux probablement en bataille, moi-même qui sentait les poubelles, mes pieds nus sur le bitume, et surtout mes yeux certainement devenus gris, je perdais toute crédibilité et je n'avais aucune chance de me faire passer pour un touriste perdu, surtout en période de pandémie. Mais avais-je le choix ? Non, je n'avais aucune option qui ne soit pas dangereuse. J'ai continué d'errer dans les rues de...Paris ? Etais-je vraiment à Paris ? ou à Marseille ? ou à Madrid ? ou à Casablanca ? La fièvre grise m'empêchait de bien voir. J'ai trébuché maintes fois. Puis je me suis lancé. J'ai approché une masse qui bougeait et qui téléphonait. C'était une femme, d'après sa voix qui parlait de sa grossesse. Aux dernières nouvelles, je ne pouvais pas être enceinte.
- Excusez-moi...ai-je dit. Elle a sursauté. Je m'y attendais, dans mon pitoyable état, tout le monde aurait réagi pareillement. Pourtant, elle a juste sursauté. Elle n'a pas poussé de cri, ou de juron, n'a rien fait de violent. Elle s'est contenté de sursauter et de raccrocher.
- Oui ? J'ai essayé de me souvenir de l'adresse que m'avait donné l'interne. Lorsque je m'en suis rappelé, j'ai répondu :
- Je cherche le 3 rue Freddie Mercury... à Paris... La femme n'a rien dit, mais j'étais persuadé qu'elle la connaissait, j'en aurais mis mon ouïe en jeu. C'était un des seuls sens qui me restait et cela aurait été très frustrant de me retrouver sans. De plus, elle savait parfaitement qui habitait là-bas.
- Le 3 rue Freddie Mercury... ?
Je ne sais pas pourquoi les gens se répètent toujours quand ils sont choqués et/ou surpris. Mais j'ai approuvé avec un signe de tête.
- Vous êtes bien Romain Faurnier ? a-t-elle demandé. Ce fut à mon tour d'être surpris. Comment une femme, rencontrée dans une rue dont je ne savais même pas si elle était à Casablanca ou à Paris, pouvait savoir mon prénom ? Ma mère m'avait toujours dit de faire attention aux inconnus mais si elle connaissait mon prénom, elle ne pouvait pas être une inconnue. J'ai une nouvelle fois hoché la tête. Elle parut soulagée mais à nouveau choquée.
- Je suis la mère de Lucie, la copine d'Élodie, a affirmé la femme. J'ai senti un poids tomber en moi. Ça faisait bizarre, de se retrouver devant cette femme que j'avais dû voir deux fois au maximum. Mais, au moins, une chose était sûre, j'étais en France dans les environs de Paris. Il y avait très peu de chance que cette femme se trouve à Casablanca ou à Oulan-Bator.
- Ah...
C'est tout ce que j'ai su dire. J'espérais qu'elle connaissait l'adresse, j'avais parié mon ouïe quand même !
- J'ai eu ta mère au téléphone, elle semblait très inquiète. Nous avons recueilli Élodie. Mais tu devrais appeler ta mère, et surtout, pourquoi n'es-tu pas dans un centre ou dans un hôpital ? J'ai pincé les lèvres. De quel droit me tutoyait-elle alors que j'avais seulement dix ans de moins qu'elle ? Et de quel droit se mêlait-elle de MA vie ? Je n'ai pas daigné lui répondre. Je voulais juste qu'on me guide au 3 rue Johnny Hallyday ! Euh. Non, l'autre rockeur, Freddie Mercury ! Je ne savais même pas pourquoi cette obsession me rongeait. Mais je faisais confiance à cette Mira. Sans savoir pourquoi, il n'y avait aucune explication logique ou scientifique, surtout qu'on ne fait pas confiance aussi facilement à une inconnue, normalement mais, c'était évident, je n'avais pas d'autres choix. J'allais peut-être tomber sur les flics là-bas ou sur un centre ou chez elle. Je m'en fichais. Tant que je ne restais pas impuissant à être manipulé comme un chien. J'ai senti que des gouttes commençaient à tomber et à s'écraser lentement sur le béton. Puis, le rythme de la pluie s'accéléra. Je me suis rapidement trouvé détrempé dans ma couverture et dans la blouse qui s'arrêtait aux genoux. Cela ne semblait pas la gêner, elle, qui devait être bien au chaud dans son blouson en vison pour millionnaire. Ne tenant pas à rester une seconde de plus avec elle, j'ai lancé :
- Vous connaissez le 3 rue Freddie Mercury ? Elle a réfléchi me faisant bien languir. Sale vautour ! Mais au bout de quelques minutes, quand mes pieds commencèrent à patauger dans une flaque, elle répondit :
- J'habitais là-bas, avant d'avoir Lucie. C'est une femme noire divorcée avec trois filles qui a racheté. Et pire, elle a épousé un asiatique, imagine la tête des filles ! Je m'en contrefichais de la couleur de peau de la femme ou de l'origine de ses filles. Je voulais juste qu'on m'emmène à cette putain d'adresse.
- Euh...très bien. Vous pouvez m'y conduire ? Je ne sais même pas pourquoi j'ai posé cette question. Je connaissais très bien la réponse : un NON catégorique rempli de fausse pitié. Mais je ne m'attendais pas à ce qui s'est produit. La femme a éclaté de rire, un rire mesquin. J'ai senti qu'elle faisait voler ses cheveux, le regrettant vite étant donné le temps. Elle s'est lentement approché de moi en posant un doigt sur ma poitrine.
- Je vais faire mieux que ça, m'a-t-elle dit. J'ai senti le drame arriver. Elle a décroché son téléphone et j'ai immédiatement su ce qu'elle allait faire : appeler la police et me dénoncer. Je n'avais plus qu'à déguerpir. Ce qui signifiait courir. En temps normal je n'étais pas très sportif mais, là, je dirai que mon niveau en athlétisme était égal à celui d'une étoile de mer. Tant pis. J'ai commencé par reculer puis j'ai accéléré le pas en me retournant complètement. Je ne savais pas quoi faire d'autre. Je savais qu'aller dans un de ces centres, revenait à se soumettre et à accepter d'être traité comme un chien. J'ai failli trébucher plusieurs fois en à peine vingt mètres. Elle a essayé de me rattraper, mais avec ses talons, et sa grossesse je pense qu'elle était dans un état pire que le mien. Ça m'a permis de prendre de l'avance. Quand j'ai jugé qu'elle était assez loin, je suis entré dans une boutique qui dégageait une bonne odeur de plat asiatique. Je me suis caché derrière la porte en priant pour que ce soit une personne ouverte d'esprit qui tienne ce restaurant et, si possible, qu'il n'y ait pas beaucoup de clients. Mais je ne sentais aucune masse pensante dans l'air à part la mienne. Je me suis accroupi, toujours derrière la porte, et j'ai repris mon souffle. D'un coup, j'ai senti une présence. Je n'ai pas bougé, je ne voulais pas l'effrayer.
- Euh...bonjour ? a dit une voix masculine. Déjà bien, il connaissait les bonnes manières. J'ai hoché la tête, quand je me suis rendu compte que mon état devait être encore plus piteux à cause de la pluie.
- Vous avez besoin d'aide ? a demandé l'homme. Je me suis dit que puisque j'étais là, agenouillé contre sa porte, détrempé et avec une affreuse odeur d'humidité, autant profiter de son altruisme avant qu'il ne s'évapore comme la brume. J'ai hoché la tête. Et j'ai senti qu'il me tendait la main. J'ai hésité mais je l'ai agrippée, elle était farineuse. Je me suis relevé. J'ai jugé que c'était à mon tour de parler :
- Excusez-moi pour le dérangement, cette histoire va vous sembler complètement tirée par les cheveux mais...je suis atteint de la fièvre grise et euh...vous connaissez le, 3 rue Freddie Mercury ? J'ai besoin de m'y rendre. Il a semblé surpris par cette question. Il s'est gratté la nuque, ou une autre partie du corps, mais généralement c'est la nuque qu'on se gratte quand on est embarrassé.
- Eh bien, vous avez de la chance, ma meilleure amie habite là-bas. Mais avant de vous conduire chez elle, pouvez-vous me dire qui vous êtes et ce que vous voulez faire chez Zara ? Était-ce de la chance ? Un miracle ? Je n'en savais rien. Mais il y avait une infime chance que ce gars connaisse les personnes habitant ce lieu, et pourtant c'était le cas ! J'allais finir par croire au destin ! Mais d'abord, il fallait que je me présente. Plutôt facile comme tâche, mais il fallait aussi que je gagne sa confiance, car aucune personne saine d'esprit ne conduit un inconnu chez son ou sa meilleure ami.e .
- Euh...je suis Romain, et, euh...j'ai 21 ans, j'ai eu la fièvre grise mais...
J'ai hésité. Soit je lui disais toute la vérité et il me faisait confiance, soit ça partait en cacahuètes et il me dénonçait à la police et, cette fois, je n'aurais pas le temps de m'enfuir. J'ai pris mon courage à deux mains et j'ai continué sur ma lancée : j'ai eu la fièvre grise il y a environ deux semaines et je me suis évadé de l'hôpital où j'étais enfermé. Une femme, elle s'appelait Mira, m'a dit de me rendre chez... ton amie. Je n'avais pas donné de détails trop compromettants mais suffisamment nombreux pour qu'il puisse m'accorder sa confiance. Je l'ai entendu tirer une chaise.
- Assied-toi. Je n'ai pas su réagir. En temps normal, j'attends toujours qu'on me le demande une deuxième fois, voire une troisième, ça prouve qu'on se laisse désirer. Mais là, j'avais vraiment besoin de son aide. Lorsque j'ai entendu les sirènes des voitures de police, je me suis empressé de m'assoir. Puis, IL, je ne connaissais toujours pas son prénom, est parti. Il m'a laissé seul. Je l'ai entendu s'activer dans la cuisine, enfin dans ce que je supposais être la cuisine. Il est revenu et m'a tendu un verre.
- Prends, c'est du thé. Je m'appelle Kris. Un mystère de résolu ! J'ai attrapé la tasse, elle était chaude et ça m'a fait du bien. J'ai porté la tasse à mes lèvres, c'était un bon réflexe, ça m'éviterait de devoir m'habituer à un truc nouveau de plus. J'ai bu quelques gorgées et j'ai relevé la tête. Kris a attendu avant d'affirmer :
- Je vais t'aider.
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