Chapitre 3
La seule chose que je pouvais entendre, c'était la sirène de l'ambulance dans laquelle on me trimbalait. Je ne sentais plus mes membres, j'entendais tout en sourdine et je suffoquais. Mais je ne pouvais que penser. D'un coup elle s'est arrêtée, on devait être arrivé C'est ce dont je me souviens. J'avais une atroce migraine et j'avais l'impression que mes paupières étaient aussi lourdes que celles d'un hippopotame. Je suffoquais. J'étouffais comme si on m'étranglait. Peut-être qu'on m'étranglait ? Mais la seule chose que je pouvais encore faire c'était de penser. Penser et espérer. J'ai senti qu'on m'appliquait les soins de premier secours. Non, ça n'existe que dans les films ces choses-là. Je faisais partie des milliers de victimes. Mais je me suis senti visé, comme si je le méritais. Comme si j'étais puni pour tous les crimes que les humains ont commis. J'ai entendu un sanglot. Ce sanglot, je l'ai entendu rarement mais je le connaissais par cœur. C'était celui de ma mère. Il a fendu l'air comme un éclair et m'a déchiré le cœur. J'ai essayé de bouger la main. Juste pour montrer un signe de vie. Rien qu'un tout petit. Juste un signe qui prouvait que j'étais là. Que j'étais vivant et que je l'aimais.
- C'est mon fils ! Le mien ! Laissez-moi ! Ces paroles me brisèrent une nouvelle fois. J'avais envie d'hurler. Oh oui, je mourais d'envie de pouvoir hurler. Mais je n'ai pas réussi à prononcer ne serait ce qu'une syllabe. J'ai entendu une porte claquer et j'ai senti mon brancard se déplacer. C'est à ce moment-là que je me suis rendu-compte que je ne verrais plus jamais. Que plus jamais je ne pourrais voir le visage de ma sœur. Que je ne pourrais jamais dire à une fille qu'elle est belle ou que j'adore ses yeux. Que je ne pourrais plus jamais lire un livre. Que je ne pourrais plus jamais aller au cinéma. Que je ne pourrais plus jamais me poser devant la télé après une journée de cours. Que je ne serais plus jamais libre. Un homme a demandé à ma mère de ne plus suivre le brancard.
L'hosto sentait les médicaments à en mourir asphyxié. Je devais être dans un de ces hostos qui se servent de cadavres comme cobayes. Un de ses hôpitaux pour qui Mr tout le monde ne compte pas. On m'a emmené en réanimation et je suis resté comme ça, sans ouvrir les yeux, sans bouger, sans parler, pendant plusieurs jours.
Au bout d'une semaine, j'en ai eu marre. Je ne pouvais rien faire. C'est comme si on avait mis le monde sur pause en oubliant de stopper mon âme. J'ai rêvé de bien des choses. De la mort comme de l'amour. De prés fleuris comme de champs de cadavres. J'avais l'inspiration. Et j'aurais pu gagner plein d'Oscars. Un jour, je sentis une masse arriver vers moi, j'eus le réflexe d'essayer de bouger ou même de parler. Mais il ne se produisit rien. J'étais comme à l'agonie, et cette faible tentative m'arracha un gémissement. En soi, c'était une petite victoire, car j'avais fait autre chose que dormir ou être dans le coma. L' infirmière ou l'interne ou le médecin, ça ne pouvait être personne d'autres, perçut ce gémissement comme un signe de vie et commença à tourner autour de moi. À mettre des tonnes de machines en route, à intensifier les perfusions. Je me demande toujours pourquoi il ou elle s'était autant acharné à me sauver. J'étais un malade parmi plusieurs milliers. Je sentis des doigts fins parcourir ma peau et m'examiner de plus près. Après plusieurs minutes passées à vérifier que tous mes organes fonctionnaient, que mes perfusions étaient en place et que mon rythme cardiaque était stable, la femme, ou l'homme, mais ses ongles me disaient que c'était plutôt une femme, alla chercher ses collègues. Je les entendis discuter entre eux. J'étais aveugle, pas sourd.
- C'est rare qu'une personne aussi atteinte survive, déclara la voix grave d'un homme. Ils étaient trois. J'arrivais à sentir leur présence et leur masse pesaient dans l'atmosphère.
- Il était quand même au stade trois, ajouta une femme, mais son rythme cardiaque a baissé et la fièvre aussi. Parce que maintenant il y a des stades ? Le Gouvernement s'était bien gardé de le dire. L'homme peut être stupide, parfois ! Les trois médecins s'en allèrent. Et, au moment où la dernière femme allait sortir de la pièce, elle se retourna. C'était la seule qui n'avait pas parlé, j'en étais presque sûr. Elle semblait plus jeune que les autres. Le bruit de ses talons sur le sol résonnait. J'avais l'impression que mes sens, autres que la vue, s'étaient aiguisés durant " mon coma ", qui était de stade trois, apparemment. J'entendis sa faible voix tremblante murmurer « qu'ai-je fait ?». Et comme ses deux collègues, elle s'en alla en me laissant de nouveau seul dans cette chambre empestant les antibiotiques et les produits chimiques. Cette phrase résonna dans ma tête pendant une bonne heure. Quand l'horloge de l'église proche de l'hôpital sonna dix neuf heures, une personne entra dans ma chambre en poussant une lourde charge. Étrangement, je bougeai la main, comme si les effets de la maladie s'estompaient, peu à peu.
- Bonjour, Romain, je suis Myriam, je suis interne et je suis chargée de ta rééducation, jusqu'à ce que tu sois transféré dans un centre. Cette femme, je ne pouvais pas la voir, pourtant je savais qu'un sourire satisfait était plaqué sur son visage. Comme si elle était contente que ce soit moi et pas elle qui soit dans ce lit. J'ai hoché la tête, jusqu'à ce que je me rende compte qu'elle avait dit " dans un centre ". Mais je ne voulais pas aller dans un centre ! Je ne voulais pas être traité comme un chien, comme un cobaye ou comme une bête de foire ! Je refusais, et refuse toujours, catégoriquement d'aller dans un de ces centres. J'ai ouvert ma bouche pâteuse et ai articulé difficilement :
- Pas centre...L'interne fit un petit bruit indigné.
- De tout façon, ce n'est ni de mon ressort, ni du tien ! Elle me parlait comme si j'étais un gamin de huit ans. Cette fois, c'est moi qui était indigné, dans ma tête, car je ne pouvais plus bouger. C'était comme si je levais les yeux au ciel. Elle s'approcha de moi et je compris qu'elle tirait un chariot. Et vu l'odeur qui s'en dégageait, ça devait de la nourriture.
- Que veux-tu manger ? me demanda-t-elle sèchement comme si sa gentillesse avait des limites. Elle ne devait être gentille qu'avec les enfants. Les adultes s'en foutaient tant qu'ils sortaient vivants et rapidement de cet hôpital.
- Rien...Je n'avais pas faim. Peut-être que les médicaments atténuaient ma faim? J'ai senti sa fierté en prendre un coup. C'est bizarre, dit comme ça, mais peut-être comprendrez- vous, plus tard. L'interne a remballé la nourriture.
- Bon, je vais te laver les dents, te changer tes draps, vérifier que tout est en ordre...Je ne l'écoutais déjà plus. J'étais perdu dans mes pensées. Cette femme, que voulait-elle dire par « qu'ai-je fait? » Qu'avait-elle fait ? Pourquoi était-elle dans ma chambre et pourquoi j'avais l'impression de ne pas être dans un hôpital mais dans un laboratoire ?
- Dans quel hôpital je suis...? demandais-je la voix tremblante à l'interne. Elle sembla déstabilisée.
- Heu, à Paris...J'étais mort de rire. Il doit y avoir une bonne dizaine d'hôpitaux à Paris. Pourquoi semblait-elle déstabilisée ? Pourquoi tant de questions et si peu de réponses ?! Elle est rapidement sortie de ma chambre. J'ai essayé de me lever. Et c'est seulement à ce moment-là que je me suis rendu-compte que j'étais menotté. J'ai eu un grand choc. Et une question en plus ! Pourquoi étais-je menotté ? Pourquoi menottait-on un étudiant à l'agonie ? Finalement, ça faisait deux questions. Mon cœur a loupé un battement. J'avais une théorie. Une théorie tout droit tirée d'un film de science-fiction voir même d'horreur. Si je n'étais pas vraiment malade ? Mais qu'on m'avait...rendu malade...Ça me donna la chair de poule. Et quand quelqu'un vint frapper à ma porte, j'hurlai de toutes mes forces. J'entendis la poignée s'abaisser et quelqu'un entra. J'étais la relève de la Joconde ou quoi ?
- Du calme, je suis Mira, pas Voldemort ou Zeleph. Même si j'ai trouvé le rapprochement entre Mira et Zeleph douteux, je pus noter sa grande culture cinématographique.. Sa voix douce m'apaisa tout de suite.
- Que...que voulez... vous ? Elle s'approcha de mon lit. J'entendis un trousseau de clés tinter dans sa poche. Je sentis se dégager les menottes et s'ouvrir la barrière qui m'empêchait de bouger. Une nouvelle fois, j'essayai de faire un mouvement du bras. Et, à ma plus grande surprise, je réussis. Mes doigts se sont écartés. J'essayai de bouger mes jambes. Et je réussis à nouveau, mes genoux se sont repliés. Je bougeai chaque partie de mon corps, en passant par le cou et par les hanches. Oui, je pouvais de nouveau bouger, courir, danser, vivre en fait.
- Rends-toi au trois, rue Freddie Mercury. C'est à Paris 12ème, m'a dit Mira avant de sortir.
Elle m'a laissé seul, avec encore plus de questions en tête. Pourquoi devais-je me rendre là bas ? J'ai soupiré. Je n'avais aucune information. Rien. Je n'avais même pas de vêtements, j'avais juste une blouse bleue, enfin, je supposais qu'elle était bleue. Et maintenant, comment sortir ? Je ne pouvais pas sortir par le hall d'entrée de l'hôpital. D'une part, parce que je ne voyais plus rien et que je ne saurais donc pas comment me diriger, ce qui était, d'ailleurs, très frustrant, et d'autre part, parce que je ne savais même pas si j'étais dans un hôpital. Si ça se trouve, j'étais dans un laboratoire et j'allais servir de cobaye ! Non, ma mère avait raison, deux films de science fiction, tous les deux jours, c'est pas bon pour le moral. D'un coup, j'eus une idée. Je me dirigeai, non sans difficultés, vers la fenêtre. Les séries policières servaient aussi à quelque chose. Je tâtai autour de moi et je trouvai un stylo. Je le pris et le jetai. Je l'entendis atterrir rapidement. Ce qui signifiait que je ne devais pas être très haut. Je chancelai et attrapai la couverture posée sur mon lit. Je la tâtai et j'accrochai l'une des extrémités à ma blouse. Et j'accrochai l'opposé à la gouttière qui était juste à côté de la fenêtre. J'avais l'impression d'être un gangster dans un film. Je vérifiai une dernière fois que les nœuds étaient solides. Et je sautai par la fenêtre de ce bâtiment. Mon cœur a, comme...monté en moi et l'adrénaline aussi. Comme un oiseau, j'étendis les bras en ayant totalement conscience que je devais être complètement ridicule, je criai silencieusement et j'atterris lourdement sur quelque chose de mou, à ma plus grande surprise.
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