Chapitre 12

Agoniser était un euphémisme tellement Zara souffrait. Selon Kris, Zara était rentrée, directement à l'appartement, quand elle avait commencé à avoir mal à la tête. Puis elle avait appelé sa mère et lui avait annoncé qu'elle avait la nausée et de la fièvre. Immédiatement, Efia avait quitté la fête de la benjamine pour rejoindre sa fille aînée. Son cas s'était aggravé alors que sa mère lui avait donné un calmant. Quand Efia avait demandé à Kris de venir l'aider, il s'était empressé d'aller chercher Zoé. C'est elle qui eut l'idée de me tirer hors de cette fête.

Elle avait prévenu son petit ami ainsi que le DJ qu'elle s'en allait pour au moins une heure, puis on a pu partir. L'appart sentait la maladie à plein nez. Même sans voir, je savais que Zara suait énormément. Et elle gémissait de douleur. Zélie n'était pas là. Personne ne l'avait vue depuis la veille Elle n'était pas venue au CSO ni à la fête et elle n'avait passé aucun coup de fil. La première chose que j'aurais fait dans cette situation, ça aurait été d'appeler une ambulance ou un médecin. Mais personne ne l'a fait.

- Prend ça, Romain, m'a dit Kris en me tendant, ce que je devinais être une bassine. Il a commencé à humidifier le front de Zara tandis que je lui tendais les serviettes trempées d'eau glacée. On a répété cette opération pendant plusieurs minutes. Après ça, Kris a entrepris d'enlever le pull et les chaussettes de sa meilleure amie.

- Ça va aller, lui a-t-il promis. Je ne comprenais toujours pas pourquoi personne n'appelait les secours. De toute évidence, Zara morflait et ne pas agir mettait sa vie en danger. Puis j'ai compris. Il y avait un rapport avec moi. Quand on avait appelé les urgences pour moi, j'avais été emmené dans un centre de Recherches douteux. Et personne ici n'avait envie qu'il arrive la même chose à Zara.

- Putain ! Zélie ne répond toujours pas ! a hurlé Zoé en donnant un coup de poing dans le mur.

- Essaie Meyer, lui ai-je dit.

Elle a approuvé mais Meyer était, lui aussi, injoignable. On a pesté simultanément. Pourquoi est-ce toujours dans les situations délicates que les personnes adéquates sont absentes ou injoignables ? Zara continuait de geindre et de s'agiter dans le canapé. Finalement, Kris a décidé de lui faire prendre une douche pour la rafraichir et la réveiller de sa semi-inconscience. Zoé s'est assise à côté de moi en serrant les poings si fort que j'ai cru qu'ils allaient exploser. Je comprenais sa frustration : sa sœur n'était pas venue à un évènement important pour la famille et n'était pas là non plus alors qu'on avait besoin d'elle. Zoé a commencé à faire les cents pas dans le salon. On a entendu Zara vomir dans la salle de bain. J'ai senti la benjamine se crisper.

- Zoé, viens t'assoir. Tout va bien aller. D'accord ? lui ai-je dit.

De toute la fratrie Toshi, c'est Zoé qui avait le parcours le plus difficile. C'était elle qui avait le moins connu son père, elle qui devait rattraper les conneries de ses grandes sœurs. Comme je le lui avais conseillé, elle s'est assise à côté de moi avant de crier à Kris :

- Fais gaffe où tu mets tes mains ! Sinon je le fais à ta place !

Kris a soupiré et est revenu quelques minutes plus tard en demandant des sous-vêtements propres à Zoé. J'entendais Efia réciter des louages et maudire la maladie de sa fille. Sa benjamine a tenté de la calmer en lui préparant une tisane et en allumant la télé. Mais ce qui faisait la une de toutes les chaines, était malheureusement tout sauf rassurant. Je me souviendrai toujours de cette sensation. La peur. Pire que pour le bac. C'était la peur dans toute sa splendeur. Ce qui se passait était effrayant. De plus, la femme qui nous mettait au courant avait une voix à glacer le sang. Une voix mi- enfantine mi- criarde, une voix agaçante.

- Le nombre de contaminés est passé à dix-neuf mille et le nombre de morts à trente-deux en France. La chercheuse Louise Normaty, l'ophtalmologiste Mathilde Herberty ainsi que l'épidémiologiste Jeanne Iliotu, pour rappel, ce sont ces trois femmes qui ont percé tous les mystères de la fièvre grise, viennent de découvrir une information cruciale. Aujourd'hui, nous venons d'apprendre qu'une bien plus grande partie de la population, que nous le pensions, est touchée par cette maladie. En effet, le Docteur Normaty a découvert que, selon la puissance des anticorps produits par l'organisme, la fièvre grise peut apparaitre sous plusieurs formes. Les plus fragiles en meurent ou deviennent aveugles tandis que ceux qui produisent des anticorps de puissance moyenne peuvent souffrir pendant plusieurs jours. Quant aux personnes les plus solides, ils ne leur arrivent rien !

Zoé a éteint la télé. Zara avait la fièvre grise. C'était une évidence. Efia et ses filles auraient pu rejeter la faute sur moi. La fièvre grise n'était pas contagieuse, mais certaines personnes ont à tout prix, besoin d'un coupable. Et cela ne me gênait pas d'enrôler cette responsabilité si ça pouvait soulager Efia et ses filles. Kris est revenu nous annoncer que Zara s'était endormie. Efia s'est contentée d'un petit grognement avant de nous dire qu'à son tour, elle allait se reposer et qu'il fallait la réveiller dès que l'état de Zara changerait, même si cela s'aggravait. Zoé a posé sa tête sur les genoux de Kris et nous sommes resté assis, silencieux, pendant un long moment. Toutes les dix minutes, on allait voir Zara. Elle avait toujours 41°C de fièvre et elle suait toujours autant. Elle avait la respiration haletante, se lamentait et tremblait.

- Et dire que ça pourrait être la faute de Zélie...murmura Zoé quand Kris déclara que la fièvre de Zara n'avait pas baissé.

- On va trouver des réponses, lui promit-il.

Je ne pus qu'hocher la tête. Aussitôt, le téléphone de Zoé s'est mis à vibrer dans sa poche. Elle a immédiatement décroché.

- Zélie ? Tu te fous de notre gueule ou quoi ?! Où tu es ? T'es au courant que Zara est hyper malade ?

J'ai entendu Zoé soupirer au téléphone. La conversation dura encore quelques minutes. J'ai cru comprendre que Zélie était légèrement alcoolisée et qu'elle était avec des amis du Centre. Elle a promis de rentrer le plus vite possible. Dès que Zoé raccrocha, un autre téléphone portable sonna : celui de Zara. C'est Kris qui répondit. Sa voix tremblait, il n'était pas confiant. Pourtant, lorsqu'il reposa le téléphone, il semblait content.

- C'était le label Black & Gold...ils veulent faire passer une audition aux Phoenix...

On n'a pas su quoi répondre. Bien qu'heureux, on était tous dégouté et désolé que ce ne soit pas Zara qui ait décroché et répondu. Elle aurait dû sauter de joie, organiser une fête, appeler les Phoenix, ne pas être allongée dans un lit avec 41°C de fièvre. Kris a fini par rester avec Zara. Zoé n'ayant pas le courage de rester à l'appart est repartie à la fête, espérant au passage oublier tous ses soucis. Quant à moi, je me suis endormi sur le canapé. Mais avant de partir chacun de son côté, Kris, Zoé et moi, avons conclu un accord : ne pas lâcher d'une semelle Zélie, Meyer et Mira.

C'est ce qu'on a fait. Durant le reste de la semaine, Kris et Zoé ont pisté les trois pseudo-médecins dès qu'ils en avaient l'occasion. De mon côté, j'écoutais toutes les conversations de Zélie dès qu'elle se trouvait à l'appartement. Durant cette semaine, mes liens avec Zoé et Kris n'ont fait que se renforcer. Quant à Zara, elle s'est doucement remise. Les deux jours suivant la « crise » ont été particulièrement douloureux. Je pensais, tout comme les autres, que la fièvre grise allait laisser des séquelles à Zara. Ce ne fut pas le cas. Bien évidemment, elle était épuisée et ne sortait que très rarement. J'avais, jusque-là, connu Zara comme une sorte de guerrière avec un fort caractère. J'ai découvert une nouvelle facette d'elle. Une facette un peu plus douce, moins rude. Quoi qu'il en soit, Zara a souffert, mais elle s'est relevée.

Les Phoenix ont passé beaucoup de temps à l'appart. Ce qui m'a rappelé ma mission principale : traquer Zara pour trouver où elle passait ses journées. Mais de toute évidence, Efia avait tout compris quand sa fille était montée sur la scène au CSO, car elle n'a rien dit quand les cinq partenaires de Zara ont sonné et sont entrés dans l'appart. Ou alors, sachant sa fille malade, Efia n'a pas cherché à savoir qui c'était. Dans les deux cas, je n'eus rien à faire. J'avoue que j'étais un peu déçu. Je n'avais pas accompli ma « mission ». Mais c'était peut-être mieux comme ça. Je n'avais pas eu à mettre mon nez dans des affaires qui ne me regardaient absolument pas. Contrairement aux magouilles de Zélie, Meyer et Mira qui, elles, me regardaient absolument.

Le jour du rendez-vous, Zoé, Kris et moi on est tous resté à l'appartement. Personne n'est sorti et on ne s'est pas quitté. Zélie est partie à dix heures, Kris l'a directement suivi. Une dizaine de minutes plus tard, Zoé, Wisa et Moi partions à notre tour. Kris a envoyé la route à suivre à Zoé, par texto. Il essayait de laisser un wagon d'écart entre lui et Zélie. Nous suivions ses instructions à la lettre. La jeune médecin ne se doutait apparemment de rien car elle restait insouciante sur son téléphone, son casque sur les oreilles. Selon les informations de Kris, vers le Musée d'Orsay, Zélie retrouva une femme qui correspondait à la description faite par le Dr Meyer, elle était rousse et semblait avoir la trentaine. Kris nous dit de l'attendre devant le métro. Il devait nous rejoindre après avoir repéré le café où les trois médecins avaient rendez-vous.

- Bon, ils sont entrés. Donc on s'installe en terrasse, assez près pour les avoir en visuel mais assez loin pour pas qu'ils nous repèrent. J'ai réservé une table pour dans vingt minutes au nom de Martin, c'est assez courant donc même s'ils entendent, ils ne pourront se douter de rien.

On a tous hoché la tête. Puis Kris a ajouté que je devais rester à l'angle de la rue avant le café, avec ma chienne je serais trop repérable. Je ne sais pas où Zoé est allé chercher ça, mais elle m'a tendu une oreillette pour que je sois au courant de tout. Si jamais, il y avait un problème, du style on se faisait repérer, je serais automatiquement mis au courant et j'aurais juste à tourner et avancer sur cent mètres pour les rejoindre. Comme Kris me l'avait indiqué, je suis resté à l'angle de la rue. Grâce à l'oreillette louche de Zoé, je pouvais entendre toute leur conversation. Il ne s'est rien passé d'intéressant pendant dix minutes. J'ai fini par m'adosser au mur qui marquait l'angle derrière lequel je devais me cacher. Mais c'est pile à ce moment-là que j'ai senti que ça commençait à s'agiter du côté de Kris et Zoé.

- Putain...souffla Zoé dans l'oreillette, Romain, on a besoin de toi. Tu tournes, t'avances sur cent mètres et quand t'entends ma voix, tu t'arrêtes. D'accord ?

- J'ai aucune notion de la distance, encore moins étant aveugle, mais je vais faire de mon mieux, répondis-je.

Comme indiqué par Zoé, j'ai tourné vers la gauche, puis j'ai commencé à marcher. Cent mètres. Je n'avais aucune idée de ce que ça pouvait bien représenter. J'avais peur de faire une boulette alors j'y allais doucement. Je tenais fermement la laisse de Wisa et essayais de faire le vide dans ma tête. Allez, Romain, tu peux le faire ! J'ai continué de marcher jusqu'à ce que je reconnaisse la voix de Zoé. Je me suis immédiatement arrêté. Elle et Kris n'étaient pas seuls. J'ai reconnu le parfum particulier de Meyer. J'ai tout de suite compris : Meyer et sa clique les avaient vu.

- T'es là, toi aussi...ais-je entendu dire Zélie.

- Etant donné qu'il est le principal concerné par cette fièvre, oui, il est là ! a répondu Zoé. J'ai senti que quelques têtes se tournaient vers nous. Je me suis mordu la lèvre inférieure.

Tout ce que je craignais venait de se produire : devoir parler avec Zélie et Meyer. Je n'étais pas du genre forceur et pas très déterminé alors s'ils refusaient de parler, rien ne me confirmait que j'allais continuer à poser des questions. Brusquement, le téléphone de Zoé a sonné. Elle a hésité avant de répondre. Je l'ai entendu soupirer avant de décrocher. C'était Zara. J'ai reconnu son rire.

- Bon, tu veux quoi ? a demandé sèchement Zoé. Pendant quelques secondes, Zara a parlé puis sa petite sœur a fait ce qu'elle lui avait demandé : poser le téléphone sur la table et mettre le haut-parleur. Il y avait du bruit autour de Zara, du bruit et du monde. Elle a de nouveau rigolé.

- Je vais faire court : on se casse ! nous a-t-elle annoncé. Sur le coup, je n'ai pas compris ce qu'elle voulait dire par « on se casse ».

- Je suis avec les Phoenix, là. Le label a adoré nos chansons, y'en a déjà deux sur le Net. Et vient la partie la plus intéressante : on nous a proposé une tournée dans toute l'Eurasie. Et comme je veux éviter les petits adieux niais et clichés, j'ai décidé que j'allais passer ma dernière nuit chez Val et Isa. Tu peux t'occuper de l'annoncer à Maman, s'il te plait ?

D'un coup, ça m'a paru plus clair : Zara et les Phoenix allaient devenir célèbres, faire des tournées dans le monde entier, mettre l'ambiance en boite de nuit. Zara allait mettre fin à la vie de misère à laquelle elle avait eu droit. Je ne crois pas que l'argent l'intéressait vraiment. Ce qu'elle voulait, c'était de l'attention. Elle voulait que les gens la remarquent, crient son nom. Elle voulait que les gens l'aiment. Zara voulait l'attention et l'admiration dont on l'avait toujours privée.

Zoé a bouillonné. Littéralement. J'ai cru qu'elle allait exploser, se mettre à crier devant tout le monde. Ce que j'aurai parfaitement compris. Si, Elodie partait du jour au lendemain, sans même dire au revoir à notre mère, juste pour quelques futiles concerts, je me serai aussi mis en colère. Très en colère. Ce qui m'inquiétait le plus, c'était la réaction de Kris. Zara ne l'avait pas encore cité. Il restait son meilleur ami. Ça m'étonnerait fortement qu'elle parte sans lui dire au revoir, ou sans lui proposer, ou obliger, de venir.

- Tu t'es prise pour qui ? hurla Zoé. T'as cru que t'allais pouvoir devenir riche et célèbre grâce à deux pauvres chansons en anglais sans accent qui parlent de meufs qui se font larguer ?! T'as vraiment pensé ça ? T'as cru que t'allais pouvoir faire fortune avec des musiques qui ne te représentent même pas ? Tu vaux pas mieux que tous ces soit disant chanteurs qui utilisent plus d'auto-thune que leur voix ! Tu sais quoi ? Tu me dégoutes Zara, tu me dégoutes. En fait, tu pensais que faire une tournée en Eurasie te permettrait de le revoir, c'est ça ?! Tu t'en fous de l'attention de tous ces gens qui vont t'idolâtrer, la seule attention que tu veux c'est celle d'un gars qui nous a abandonné gamines ! Vas-y, casse-toi ! J'en ai plus rien à foutre ! Si tu veux chanter et faire du strip-tease devant des millions de personnes, c'est ton problème. Moi, j'en ai plus rien à battre de toi.

Alors c'est donc ça. Zara voulait devenir célèbre pour retrouver son père. Pour qu'il reconnaisse enfin sa valeur. Elle voulait lui prouver que la petite fille aux yeux bridés qu'il avait laissée en France était devenue une femme célèbre et à deux doigts de devenir multimilliardaire.

- Parce que toi, tu crois que sauter quelques obstacles sur un cheval te permettra d'assurer une vie tranquille à notre mère et à tes potentielles futurs enfants ? a répondu Zara. Au fait, si Kris veut venir avec nous, il peut bien évidement. Il a fait des études en marketing, ça nous sera utile.

Mais Zoé n'a pas laissé à Kris le temps de répondre. Elle a raccroché au nez de Zara et j'ai senti qu'elle retenait ses larmes. De tristesse ou de colère, ça je n'en sais strictement rien. J'aurais voulu la réconforter, mais je ne savais pas comment faire. Elle a respiré profondément. De mon côté, je réfléchissais à l'autre problème. L'initial. Celui pour quoi on était là. J'allais dire un truc, mais Zélie m'a devancé :

- Je vais tout vous expliquer.

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