Chapitre 1
Les hommes politiques parlent souvent pour rien. Ils disent que la situation est contrôlée, que tout va bien et qu'il ne faut pas s'inquiéter, mais c'est faux. Comme leur voix ou leur cœur. Tout ça, c'était du faux. Que du mensonge. C'est comme ça que s'était passé la fièvre grise. On ignorait tout d'elle. Comment elle était arrivée, comment elle se transmettait, comment elle allait être contrôlée. On ne savait rien. Absolument rien. Mais bon, tout allait bien. Enfin , ça c'est ce que disait le Président. Un président que je n'ai jamais aimé. Comme tous. Il n'y avait que l'argent et la célébrité qui l'intéressaient. Raciste, sexiste, homophobe. Le président cliché mais qui a quand même été élu. De toute façon, la France devient folle. Diviser pour mieux régner. C'était ça, sa devise. C'est pour ça qui il a fait éloigner tous les contaminés. Tous. Sans aucune exception. Quand ça s'est passé j'étais dans mon canapé. Je regardais la télé avec ma petite sœur et je n'avais rien demandé. Moi, je savais déjà qu'elle existait cette fièvre, qu'elle tuait et faisait des ravages. Mais, du haut de ses huit ans, Élodie ne savait rien. Je ne voulais pas qu'elle s'inquiète, alors je lui avais dit de retourner dans la chambre. Je n'avais pas changé de chaîne. Je voulais savoir ce qui se passait vraiment. On ne peut plus faire confiance aux réseaux sociaux, alors je pensais que la télé n'allait pas me mentir. Mais j'avais peut-être tort.
Oui, oui, je vais vous expliquer. Vous ne devez rien comprendre. Mais restez dans l'ignorance est peut être préférable. Ce qui se passe est effrayant.
Comme je l'ai déjà dit , j'étais dans le canapé de mon petit appartement d'étudiant. Ma petite sœur était venue passer le week-end chez moi car notre mère devait travailler. Mais je lui avais demandé d'aller dans ma chambre. Elle ne devait pas savoir ça. Pas à huit ans. Elle était trop jeune. J'aurais pu changer de chaîne, mettre un dessin animé ou des clips. Mais je voulais savoir. Alors j'avais laissé la chaîne d'infos. Un journaliste aux cheveux gris apparut et annonça :
« La fièvre grise vient d'arriver aux État-Unis, le Président américain a pris des mesures mais elles ne sont pas suffisantes. On compte à présent 2 456 contaminés. En France, le chiffre ne fait qu'augmenter, 17 897 malades. Les hôpitaux sont surchargés et ne peuvent plus accueillir les autres malades. La Ministre Charlie Diskilisi affirme que la France s'en sort plutôt bien. Les contaminés sont placés dans des centres spéciaux où un traitement est recherché. Si vous avez les symptômes contactez immédiatement les pompiers. Pour rappel, les symptômes sont les suivants : fièvre, vision brouillée et nausées. Votre reporter Marc Stagner». J'avais su immédiatement qu'il mentait. Que cette ministre mentait et que tout ça allait mal finir. Et j'avais peut-être raison. Ma petite sœur a déboulé dans le salon et j'ai de suite éteint la télévision.
- Romain ?
- Oui, Élodie ?
- J'ai faim. T'as à manger ? a-t-elle demandé.
Je l'ai trouvé très mignonne. Elle savait qu'elle n'avait pas besoin de demander pour se servir mais elle l'a quand même fait. Je me suis levé et l'ai serrée dans mes bras. J'ai ébouriffé ses cheveux blonds et je me suis rendu dans la cuisine. Je lui ai servi un chocolat chaud et une part de cake qu'une amie m'avait apportée la veille. J'ai regardé ma sœur mordre dedans avec appétit et j'ai souri. Elle était si jeune, si innocente, si pure. Ce serait tellement cruel que la fièvre grise l'atteigne. Personne ne devrait subir ce genre de choses. Sauf le Président. Oui, je ne l'aime pas. Peut-être que la Terre nous punit pour la pollution, la haine ou la guerre. Peut-être que cette fièvre grise doit nous apprendre quelque chose. Nous apprendre que c'est mieux si tout est « Peace and love». Mais ce serait trop cliché. Digne d'un film pour gamin.e de 10 ans. Un truc qu'on regarde quand on finit sa série préférée en attendant la prochaine saison. Un truc pas réel, quoi. Je suis retourné dans mon canapé tandis qu'Élodie téléphonait à une de ses amies avec le petit téléphone fixe. J'avais un bel appartement pour un étudiant en droit. Une cuisine ouverte, une chambre, une salle de bain. En plein centre de Paris et à peine vingt minutes à pieds de ma fac. C'était l'idéal. Ma mère avait eu une bonne idée. J'ai perdu mon père il y a deux ans. Un cancer du poumon. Mort triste. J'ai pleuré, bien sûr. Peut être qu'Élodie s'en est rendu compte. Ou peut-être pas. De toute façon, ce n'était pas vraiment son père, biologique, certes. Mais peut-on appeler un homme papa alors qu'il a quitté notre mère trois mois après a naissance d'Élodie ? Non. Je ne pense pas. Il y a treize ans d'écart entre elle et moi. C'est beaucoup ou pas? Je ne m'en rends pas compte. Elle m'aime, je l'aime. Pourquoi creuser plus loin ?
J'ai sorti mon téléphone et ai vu que ma mère avait essayé de me joindre quatre fois. Je l'ai rappelé, évidemment.
- Allô ? Romain ? J'ai entendu sa voix paniquée.
- Maman ? Ça va ?
- Euh oui... je peux passer dîner ce soir et te laisser Élodie cette nuit ? Deux nouveaux contaminés ont été détectés au travail...
- Bien sûr, ne t'inquiète pas, me suis je empressé de répondre.
- Oh, merci Romain ! À ce soir, mon chéri ! Elle a raccroché. J'ai eu un peu peur. Ce sont les cinquièmes malades dans la pizzeria de ma mère qui va devoir la fermer. Sans raison valable? Cette fièvre n'est même pas contagieuse ! Ou l'est-elle? On ne sait rien d'elle. Mais c'est plus simple de dire qu'elle peut se transmettre que de dire qu'on ne sait rien . Mentir pour survivre. J'allais garder ma petite sœur pendant une nuit. Mais je préfère ça que de la laisse dormir seule à la maison ou chez une copine car je suis sûr qu'elles se coucheront à une heure du matin pour se réveiller à cinq heures. Je ne sais pas si je dois prévenir Élodie de tout ce qui se passe dehors. Elle est jeune mais en même temps...Non. Silence. Ils lui diront forcément à l'école ou Maman le fera, mais pas moi. Les petits posent toujours plein de questions et je n'ai pas envie de donner de réponses. De toute façon, ces réponses, je ne les ai pas. Cette fièvre, on l'a méritée. Toute cette haine, on l'a méritée. Je le sais, tout le monde le sait. Mais personne ne veut l'accepter. C'est la connerie humaine. Je ressors le téléphone de ma poche. 19h30. Faut que je commence à préparer le repas.
- Élodie !
Ma petite sœur débarque une poupée Barbie à la main.
- Quoi ?
- Tu veux m'aider à préparer le repas ? Elle hausse un sourcil. En temps normal j'adore préparer à manger, mais j'ai pas la tête à ça.
- Euh ouais...
- Ok. On fait des pizzas, tu sors la pâte.
Élodie va la chercher dans le frigo. C'est un peu bête de faire une pizza pour une personne qui travaille dans une pizzeria, mais bon. J'étale la sauce tomate, elle met du jambon, moi la mozzarella, quelques bouts de merguez et de l'emmental. En dix minutes, c'est prêt. Je mets la pizza au four.
- Maman, elle arrive quand ? demande Élodie.
- Dans pas longtemps. Retourne jouer ou met la télé. Comme je devais m'y attendre, Élodie saute sur le canapé et met une chaîne de dessins animés. De mon côté, je vais dans ma petite bibliothèque chercher un livre, pour étudier, afin de ne pas prendre de retard. Mais au moment où je vais m'installer pour travailler quelqu'un sonne à la porte.
- C'est Maman ? Pour seule réponse, je peste et vais ouvrir la porte. C'est ma mère. Elle a l'air paniqué, son mascara a coulé et ses yeux sont bouffis. Elle saute dans mes bras et m'enlace. Je fais de même. Cinq malades. C'est énorme pour une pizzeria d'une vingtaine d'employés. Elle va dire bonjour à Élodie. J'entends le four sonner et je vais sortir la pizza.
- Oh, tu as fait une pizza ? demande ma mère en voyant le repas sur la table. Je me gratte la nuque, j'allais répondre mais elle se rattrape :
- C'est pas un problème. C'est toujours bon...les pizzas...J'approuve en un hochement de tête. Élodie va s'assoir et ma mère aussi. Je vais les rejoindre. Mais je n'ai pas faim, pas faim du tout. Ça bloque. C'est peut-être mental ou bien physique, mais je n'ai pas faim. Juste par gourmandise, je prends un part. Mais je le regrette. J'ai un haut le cœur. Je repose la part de pizza et avale en vitesse un verre d'eau. Je vois que ma mère me dévisage.
- Ça va, chéri ?
- Oui, oui, t'inquiète. Euh...je peux allumer la télé ? J'étais sûr que la fièvre grise passait encore aux infos. Ma mère acquiesça. Je savais qu'Élodie devait se demander ce qui se passait. J'ai saisi la télécommande et j'ai allumé la télé. Et j'avais raison. La fièvre grise avait l'attention de tous les médias. Le même journaliste qu'une heure au paravent commentait le discours du premier ministre. Le même blabla inutile. Il ferait mieux de s'occuper de ses parents au lieu de parler pour rien. Mais un détail attire mon attention : derrière le journaliste il y a une ambulance et une file d'hommes et de femmes qui attendent, on leur donne une couverture et un bout de pain puis ils montent dans un camion sur lequel est inscrit " Centre de Paris". Leurs visages sont pâles et leurs yeux gris. Je comprends. La fièvre grise. Grise. Comme la couleur de leurs yeux : gris. Ils sont devenus aveugles.
- Romain ? La voix de ma mère me tire de mes pensées.
- Quoi ?
- Ça va ?
- Oui, oui... Ma mère se lève et reprend son sac à main. Je remarque, alors, à quel point elle est maigre. Dans sa tenue de serveuse, on voit ses os. Je dois finir mes études et vite trouver du travail. La survie de ma famille en dépend.
- Je vais y aller. Élodie, tu passes la nuit chez Romain. Je viens te chercher demain matin. Bonne nuit mes amours. Elle a claqué la porte et est partie. A ce moment là, je ne me doutais de rien. D'absolument rien. Je ne pensais pas que ça pouvait si mal tourner pour moi.
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