trois

Quand il me voit arriver, Thomas se redresse. Je n'arrive pas à voir son visage en détail à cause de l'obscurité de la pièce mais je pense deviner qu'il a les yeux rougis. Je m'approche de mon lit et il s'éloigne pour me laisser la place.

- Le clafoutis de ta mère était excellent, comme toujours finalement !

Il tente de rire mais je ne le rejoins pas. Je suis encore trop perturbée par les paroles de ma mère. J'ai l'impression de voir Thomas sous un nouveau jour pendant une fraction de seconde. En tant que petit ami potentiel et non comme meilleur ami. Ça ne dure que très peu de temps mais suffisamment pour que je trouve ça bizarre. Finalement, je revois devant moi Thomas. Mon meilleur ami.

- Oui c'est vrai qui est délicieux ...

- Tu vas bien ? Me demande-t-il.

Je roule des yeux.

- Oui Thomas, je vais bien. Ne t'occupe pas de moi d'accord ?

- Nous devons prendre soin l'un de l'autre de façon réciproque, me rappelle-t-il.

- Oui oui, c'est vrai.

Je souris. C'est exceptionnel d'avoir quelqu'un comme Thomas dans ma vie.

- Je peux te faire un câlin ? Je demande hésitante.

Il hausse les sourcils et rigole légèrement.

- Depuis quand tu demandes ? Bien sûr, viens là.

Il tend les bras et je me blottis contre lui. J'enfouis ma tête dans son cou et je passe mes mains autour. Je ferme les yeux et je le serre contre moi.
Je dois le faire avec beaucoup de force car Thomas bascule et il se retrouve donc allongé sur le dos avec moi au-dessus de lui.
Je me détache brusquement.

- Désolée, j'y suis allé un peu fort, excuse ...

- Pas de problèmes, me coupe-t-il. Reviens s'il te plait.

J'accepte et cette fois-ci je prends soin de me mettre à côté de lui et de poser ma tête à l'endroit où son coeur bat. Son rythme regulier me berce mais avec la longue sieste que nous avons fait cet après-midi, je n'ai vraiment pas envie de dormir.

- Je dois aller prendre ma douche, je déclare. Fais comme chez toi !

Je me lève pour préparer mes affaires et il me tire la langue. Je réplique en lui faisant un pied de nez et il éclate de rire. Je l'imite et je le rejoins donc dans ce fou rire.

¤¤¤¤¤

Après ma douche, je rejoins Thomas dans ma chambre. Comme il a l'habitude, il a installé le matelas sur lequel il va dormir à côté de mon lit. Il a pris le duvet couleur vert caca d'oie qu'il prend à chaque fois et s'est enroulé dedans. J'allume ma lampe de chevet et je ferme la porte de ma chambre. Je me faufile à mon tour dans mon lit.

- Tu dors ? Je demande à Thomas après plusieurs minutes de silence.

- Non, me repond-il instantanément.

- Ouf ! J'ai eu peur, il est à peine vingt deux heures !

Je l'entends rigoler et se retourner dans son duvet.

- Tu dois te lever tôt demain. Tu pars à quelle heure ?

J'avais oublié que je partais demain.
Enfin, non je n'avais pas vraiment oublié mais je voulais oublier.

- Mon tuteur vient me chercher à dix heures.

Il ne répond pas.

- Sur le mail qu'on a envoyé à ma mère, c'est dit que c'est un type de dix-huit ans. C'est bizarre qu'un mec aussi jeune soit tuteur non ?

Silence.

- Thomas ?

Silence encore.

- Sale gros, tu dors ?

Je me penche pour le regarder. Il est allongé sur le dos, les yeux fermés et les mains derrière la tête. Ses paupières papillonnent alors je ne pense pas qu'il dort. De toute façon, on ne peut pas s'endormir aussi rapidement.
Je prends alors mon cousin et je le frappe avec.

- Cochon d'inde, fait pas semblant de dormir ! Je suis pas fatiguée et je compte bien faire une nuit blanche ok ?

Il ouvre enfin les yeux et s'étire. Puis il me sourit comme si rien ne s'était passé.
Il est bizarre des fois.

- Je t'écoute, dit-il.

Je me rallonge à ma place.

- Trop tard, fallait pas faire semblant de dormir.

- Fais pas la gueule Julie ! Je t'écoutais vraiment.

- Tu mens, tu veux juste pas que je parte.

Il ne dit rien.

- Non, c'est pas ça mais ...

- Si c'est exactement ça, tu m'en veux et je comprends mais arrêtes te contredire tout le temps ! Le coupé-je. Tout à l'heure tu étais content que je parte et maintenant tu dis le contraire.

- Je sais que je suis contradictoire. J'ai pas envie que tu partes parce que j'aimerais te garder pour moi tout seul, mais d'un autre côté c'est mieux pour toi !

Pff ...
Incapable de prendre une décision.

- De toute façon c'est trop tard, je ne peux pas annuler alors tu as devoir t'y faire même si tu n'aimes pas l'idée.

- Rhooo boudes pas !

- Je ne boude pas, c'est juste que je ne sais pas comment interpréter ce que tu me dis. Je culpabilise à fond de te laisser ici, mais en plus si tu me dis que je fais de mauvais choix, je culpabilise encore plus et je deviens en colère contre moi-même.

- Excuse-moi, je voulais juste te faire un blague, avoue Thomas. J'ai pas envie de dormir non plus tu sais ? Alors ne passons pas la nuit à se battre pour quelque chose comme ça.

Je ne dis rien.

- Ok, déclaré-je finalement.

Je me mets ensuite en position assise sur mon lit. Je peux ainsi voir Thomas qui est allongé sur le matelas par terre.

- Tu veux faire quoi ? Je demande.

Il plisse les yeux pour montrer qu'il réfléchit.

- On va mettre des pétards dans la boîte aux lettres de monsieur Kipu ?

Son regard brille comme ceux des enfants le matin de Noël. J'hésite.
Pauvre monsieur Kipu, on lui a détruit tellement de boîte aux lettres. Mais en même temps il le cherche bien à jeter dans tous les jardins du quartier les merdes de ses chiens. C'est pour ça qu'on l'a appelé monsieur "Kipu". Parce qu'il put la merde de ses chiens.
Mais je n'ai pas la tête à réveiller tout le quartier à cause de trois ou quatre pétards. Alors je dis non.

- On fait le mur ?

Je réfléchis quelques instants mais je n'hésite pas longtemps avant d'accepter. Ça ne me réjouis pas vraiment car j'ai pris ma douche, mais l'excitation que me procure cette idée est beaucoup plus importante que la déception d'avoir pris cette fameuse douche.

- On fait le mur, affirmé-je.

Nous nous levons alors dans un même mouvement, à la fois brusque et impatient.
J'ai déjà fait le mur deux ou trois fois, à chaque fois avec Thomas et à chaque fois, c'est absolument mémorable.

Pour être à l'aise, je porte mon dévolu sur un jogging prêt du corps et un tee-shirt à manche longues qui ne craindra pas d'être abîmé. Je vais me changer dans les toilettes, pour être plus réaliste et faire croire à mes parents que j'avais simplement besoin d'une pause pour soulager mes besoins naturels, alors que Thomas se change dans ma chambre. Je m'attache les cheveux en une queue de cheval haute puis je vais le rejoindre. Il a mis son jean et il a gardé le tee-shirt qui faisait office de pyjama. Je mets des chaussettes et je prends mes chaussures de sport restées dans mon sac de sport pour les cours. En revanche, Thomas doit prendre ses baskets au rez-de-chaussée.

Nous sortons alors très doucement de ma chambre en essayant de faire le moins de bruits possible. Mais avec le parquet qui craque, la tâche s'avère difficile. Arrivés aux escaliers, Thomas prend la folle initiative de se laisser glisser sur la rampe et je lutte de toute mes forces pour ne pas exploser de rire face à la position délicate dans laquelle il se trouve. Ses jambes passées à califourchon sur la rampe pendent négligemment dans le vide alors qu'il s'allonge à plat ventre dessus. Il se laisse ensuite descendre et pour ne pas atterrir trop brusquement il serre la rampe en bois avec ses mains dans le but de ralentir, ce qui provoque un son aigu désagréable mais surtout très bruyant.
Je ne peux plus me retenir et j'éclate de rire tout en fermant la bouche, le bruit que je fais peut s'apparenter à une personne qui se mouche. Le fou rire me provoque des crampes dans le ventre et je suis obligée de m'asseoir pour me calmer.
Je pense que nous nous sommes fait remarqué.
En bas, j'entends Thomas atterrir de façon souple et le bruit de ses pieds sur le carrelage produit un son mat et sans résonance.
Je suis toujours pliée en deux quand il me chuchote suffisamment fort pour que je l'entende :

- Dépêche toi Crevette ! On a pas toute la nuit !

Le ton de sa voix suggère qu'il s'est légèrement fait ridiculisé.
Les larmes aux yeux, je réponds :

- J'arrive Superman.

Sur cette espèce de "blague" je m'écroule de rire de nouveau.
C'est le genre de fou rire qui ne s'arrête jamais et qui empire peu importe ce que l'on dit.
Le mot "armoire" peut même me faire rire, et rien que d'y penser, un nouveau fou rire m'assaille.

- Allez trou d'uc !

Thomas s'impatiente alors je me ressaisis tant bien que mal et je descends donc à la manière de Thomas sur la rampe.
Ou plutôt devrais-je dire, à la manière de Superman.

Je répète les mêmes gestes à l'exception du petit bruit très peu virile de la fin de la glissade provoqué par le frottement de la main avec la rampe. Mais contrairement à Thomas, j'atterri dans un grand bruit qui fait trembler la maison. Je manque de rire de nouveau mais le regard sévère de Thomas m'en dissuade.

Finalement, et non sans peine, nous prenons ses chaussures et nous nous éclipsons par la baie vitrée du salon.
Puis nous partons en courant de mon jardin pour déboucher sur la rue éclairée par les lampadaires. Nous dépassons quelques maisons en courant avant de s'adresser le moindre mot.

- C'était ridicule, dis-je avant d'éclater de rire.

Thomas me regarde et roule des yeux, puis il me rejoint dans ce fou rire.

- Oui, j'avoue ...

Quand nous sommes enfin calmés, je propose d'aller au parc et il accepte avec joie.

Une fois sur le lieu, nous montons dans notre sempiternel arbre. En fait, je crois que c'est l'arbre de tous les enfants du quartier, tout le monde peut monter dedans.
Nous prenons place sur les branches face à face et une fois nos soufflés calmés, nous pouvons envisager une conversation.

- J'espère que ce sera pas dans le type pervers, dit-il soudain.

Je n'ai pas de mal à comprendre ce qu'il veut dire et je réponds presque instantanément :

- J'espère aussi. Tu te rends compte si je me coltine un tuteur pervers touche-à-tout ? Je survivrai pas ! Je m'esclaffe.

- Tu me diras hein ?

- Bien sûr ! De toute façon, je pense que tu seras là quand il viendra me chercher demain.

Il hausse les épaules.

- Non, je vais me dépêcher de rentrer demain matin. Papa n'aime pas que je parte en le laissant seul avec Emma, il a l'impression que je les abandonne.

- C'est normal, je comprends.

Un silence plane dans l'air pendant quelques minutes. Le noir de la nuit est perturbé par la lumière jaune des vieux lampadaires du parc.
Les ombres sur le visage de Thomas le rendent plus doux.

- Tu m'enverras une photo ?

Je ris légèrement.

- Comment veux-tu que je prenne une photo ? J'en aurai pas l'occasion, en plus sans me faire remarquer ça va être dur ...

- Tu peux simplement lui demander si tu peux le prendre en photo.

- Tu rigoles ! Il va me prendre pour une folle !

- T'as pas tord, en attendant, je recevrais une photo potable de ton cher tuteur.

Je roule des yeux. Je ne vais sûrement pas faire ça.
Le silence s'installe de nouveau. Ce n'est pas un silence désagréable ou inconfortable. C'est juste le silence.

- Ça fait du bien, dit alors Thomas.

Je ne vois pas de quoi il parle alors je le regarde en attendant la suite.

- Le silence, complète-t-il.

- Oui, je réponds après quelques secondes.

Thomas ferme les yeux et laisse reposer sa tête sur le tronc d'arbre derrière lui. Je fais de même.
Ça me fait penser à une chanson, mais je ne me souviens plus de laquelle.
J'ouvre les yeux pour regarder le parc. De l'arbre, on voit la grande structure de jeux qui se trouve dans le fond, des bancs sont disposés autour et un sentier en terre zigzague entre les massifs de fleurs. Ça sent le lilas et la rose.

- On va sur la structure ? Je demande à Thomas.

Il ouvre le yeux et me sourit.

- Ça roule !

Il saute de l'arbre dans un mouvement vif et souple. J'essaie de répéter ses gestes, mais j'échoue la me table ment ce qui me vaut un rire moqueur de Thomas.
Nous courons ensuite vers la grande structure et pour défier tous les interdits, nous décidons de monter par le toboggan. Puis nous nous asseyons sur la plateforme en laissant nos jambes dans le vide.
Je lève la tête pour essayer de distinguer les étoiles, mais la lumière trop vive ne me le permet pas.

- Tu penses qu'il y a des gens là-haut ? Je demande en pointant le ciel.

Thomas s'allonge tout en disant :

- Je ne pense pas, j'en suis sûr.

- Comment tu le sais ?

Il hausse les épaules.
J'aime écouter Thomas parler, il a toujours quelque chose à m'apprendre.

- Cest gigantesque, titanesque. C'est immense. C'est plus qu'immense, je ne sais même pas s'il y a un mot pour définir à quel point c'est grand. Il y a forcément une autre planète similaire à la nôtre qui abrite la vie, même la plus primaire. Peut-être qu'il n'y a que des bactéries . Peut-être qu'il y a une civilisation intelligente comme la nôtre. J'en suis certain. Ce serait le comble de l'égoïsme de penser que nous sommes les seuls dans l'univers.

Il a déjà réfléchit à la question, ça se voit sur son visage détendu et sur le débit de ses paroles. Après tout, en choisissant la filière scientifique, je suis sûre que l'on fait bien plus que de se demander si une autre forme de vie existe.

- Et toi ?

Je suis surprise qu'il me pose la question. Je n'y connais absolument rien en sciences !

- Je ne sais pas trop, avoué-je.

- Tu as forcément un avis, Soleil.

Je glousse.

- Ça fait longtemps que tu ne m'as pas appelé comme ça tient !

- Nous parlons de l'univers, je trouvais ça judicieux de placer ce mot, dit-il en rigolant aussi.

Il est le seul à avoir trouvé ce surnom. Il m'appelle comme ça seulement lorsque nous sommes que tous les deux, il veut garder le monopole de m'appeler comme ça.
En fait, cela vient de mon nom et mon prénom. Je m'appelle "Julie Auguste" et en anglais cela peut donner "July August" ou le mois de juillet et le mois d'août. L'été, le soleil.
Mes autres camarades ont l'intelligence de m'appeler "Sum'" diminutif de "Summer". Parce qu'en anglais ça fait plus classe, c'est ce qu'ils disent. Mais je pense que mon surnom préféré est de loin "Soleil".

- J'espère que nous ne sommes pas les seuls, je trouve que ce serait triste, dis-je en sortant de mes pensées.

Du coin de l'oeil, je vois Thomas hocher doucement la tête.

- Et puis, ce serait une sacrée perte d'argent ! Ajouté-je. Tu te rends compte le nombre de choses que nous avons fait pour découvrir l'espace ? Imagines que nous sommes bel et les seuls dans cet univers, imagines le nombre de projets inutiles qui on été financé ! On aurait peut-être pu financer d'autres causes comme la faim dans le monde, la recherche contre les maladies graves comme le sida ou le cancer !

Je m'emporte. J'ai peur d'avoir ravivé des souvenirs trop douloureux pour Thomas mais il reste calme.

- Si nous découvrions que nous sommes seuls, je ne pense pas que nous regretterions les projets financés. C'est agréable de se rapporter à un espoir.

- Quel espoir ? Je demande intriguée.

- L'espoir de ne pas être seul devant l'immensité de l'espace. Devant l'infini de l'univers. L'espoir de se dire qu'il y aura un "après nous". Quelque chose qui subsistera quand nous ne serons plus là. Quelque chose de "post-humanoïde" si tu préfères.

Il sourit, fier de sa réplique intelligente.
Thomas part trop loin.
Je me redresse sur mes coudes pour le regarder. Il fixe le ciel mais pose rapidement ses yeux sur moi.

Je ne sais pas ce qu'il va se passer mais une chose est sûre : nous allons disparaître.
Un jour ou l'autre.
Et maintenant que Thomas a relevé ce fait, il me paraît en effet impossible de me dire que nous sommes seuls.

- Arrêtons de parler de ça, je déclare enfin. J'ai l'impression que je vais dépressionner.

- Ça se dit ça ?

- Aucune idée.

Thomas rigole puis se redresse dans la même position que moi.

- On rentre ? Propose-t-il.

Je saute du petit pontont et je le regarde en levant la tête.

- Le premier qui touche la boîte aux lettres de monsieur Kipu à gagné.

Puis je m'échappe, en courant le plus vite possible.

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