seize
Le lendemain, je suis heureuse de constater que j'ai bien dormi. Je n'ai certes pas rêvé, mais au moins ma nuit fut réparatrice. Après qu'Adrien soit parti, je me suis couchée sans vraiment y repenser. Je regrette un peu, mais je vais réussir à passer au-dessus.
Comme le dimanche est une journée libre, nous faisons la plupart du temps des jeux en extérieur. Malheureusement, l'orage gronde et la pluie se déverse sur le camp. Comme Matthew est prévoyant, il dégote des DVD et une vieille télé. Tous les enfants sont d'accord pour regarder un film. La disparité entre filles et garçons ne dérange personne car tout le monde est d'accord pour regarder "Lilo & Stich".
Je m'installe à côté de Baptiste, Adrien ne vient pas à côté de moi. Il semble émettre plus de retenue à me parler, même s'il n'oublie jamais de me demander plusieurs fois comment je vais.
Assis par terre, le visionnage du film n'est pas très confortable, surtout que le sommeil m'appelle rapidement. Quand ma tête touche l'épaule de Baptiste, je me réveille en sursaut. Il me regarde avec un sourire malicieux et des yeux rieurs.
- Désolée, dis-je en rougissant.
- C'est pas grave, répond-il.
Il jette un regard à Adrien qui semble absorbé par le film, ce qui me fait sourire. Baptiste lui murmure quelque chose dans l'oreille et son regard se dirige vers moi. Je tourne la tête pour fixer de nouveau l'écran de la télé. Je les entends échanger de place et je ne peux contenir un soupire. Adrien se penche vers moi pour me chuchoter dans l'oreille.
- Alors comme ça, tu t'endors ...
Il ponctue sa phrase d'un sourire espiègle.
- Tu es bien placé pour savoir que je ne peux pas dormir correctement la nuit.
Mon franc parlé m'étonne un peu, mais le visage surpris d'Adrien en valait la peine. Il est seulement éclairé par la lumière que diffuse la télé, ainsi ses yeux sont encore plus sombres et son visage arbore des traits plus doux. Je m'apprête à m'excuser pour hier soir mais il me devance.
- Je serai sur le ponton ce soir, chuchote-t-il en se rapprochant de moi, comme pour me dire un secret.
Je prends ça comme une invitation mais je décide de le taquiner un peu.
- Pour ma part, je serai dans ma chambre.
Il hausse les sourcils puis sourit en baissant et secouant la tête. Sa réaction m'amuse alors je le pousse doucement avec mon épaule. Quand il relève la tête, il me dit :
- Tu peux dormir si tu veux.
- Comment ? Demandé-je un peu trop fort.
Il fait les gros yeux pour m'intimer de me taire puis il m'ouvre ses bras.
- Viens.
D'abord hésitante, je le regarde assez confuse. Son sourire me convainc alors je me déplace pour m'adosser a son torse. Baptiste nous scrute attentivement mais je décide de l'ignorer. Adrien passe ses bras autour de moi pour poser ses mains sur mon ventre. Dans mon dos, son torse est fort, chaud, réconfortant. Je sens presque de façon imperceptible son cœur battre dans mon dos. J'aimerais le serrer plus fort contre moi, mais j'étouffe ce désir incongru. Je suis d'abord assez tendue, mais la fatigue me rattrape et j'arrive donc à m'endormir blottie dans ses bras.
¤¤¤¤¤
Je me réveille en sursaut à cause d'un cauchemar. Je me voyais à l'hôpital en pleurs avec mes parents devant le corps inanimé de mon frère. Tout me semblait tellement réel que j'ai du mal à croire que rien de tout ça n'est vrai. Mon cœur tambourine fort dans ma poitrine et ma respiration est rapide. Je suis toujours dans les bras d'Adrien, mais sentant que je bouge il desserre son étreinte.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
Je mets quelques secondes avant de répondre, le temps que je comprenne où je suis. Je me retourne ensuite pour le regarder. Une forte pulsion me pousse à blottir ma tête dans son cou et à le serrer fort contre moi. Ses mains se posent alors dans mon dos. Je frissonne quand l'une d'entre elles touche la peau nue de mon dos découverte par mon tee-shirt. Son contact est rassurant et je me sens protégée. Il ne porte pas de parfum, alors je sens directement son odeur corporelle. Il sent bon la vanille. Je prends donc de grandes goulées d'air. Je voudrais ne jamais m'éloigner de lui.
- Ça va ? Demande-t-il inquiet.
Je hoche le tête.
- Oui ça va, j'ai juste fais un cauchemar ...
Je sens ses poumons se gonfler doucement puis se dégonfler avec tout autant de lenteur.
- Tu veux sortir ? Chuchote-t-il.
Je réalise que nous sommes encore devant un film, mais cette fois-ci, les enfants regardent "Les Indestructibles".
- Non, dis-je en le regardant dans les yeux.
Ils communiquent une énorme tendresse qui fait naître des fourmillements dans mon ventre. C'est alors la première fois que je me rends compte à quel point il est séduisant et à quel point je suis attirée par lui. Je n'osais pas me l'avouer avant, mais je ne peux pas nier ce que je ressens. Ses traits du visage s'assemblent parfaitement pour donner quelque chose d'harmonieux. Ses yeux brillent d'un éclat particulier qui m'aurait poussé à plonger dedans. Je lève ma main pour lui toucher la joue, mais le charme se rompt quand il se rend compte de ce que je veux faire ; ses yeux me quittent et son expression se renfrogne. Il se crispe soudain, et le rejet que sa réaction inspire me fait l'effet d'une grosse claque. Comme si de nouveau, je venais de me réveiller brutalement.
- Tu vas mieux ? Demande-t-il avec distance.
Je secoue la tête pour chasser tout ce qui vient se passer de ma mémoire et je baisse rapidement ma main. Qu'est-ce qui m'a pris ?
- Oui, je vais mieux, merci.
Il hoche doucement la tête en faisant la moue, toujours sans me regarder. Je me dégage de ses bras pour m'asseoir de nouveau à côté de lui, à une distance plus que raisonnable. Je me prends la tête dans les mains. Je déteste mon côté vulnérable, celui qui fait n'importe quoi et qui ne réfléchit pas. Je prétexte d'aller au toilettes pour faire un tour dehors.
La pluie qui s'écrase sur mon visage est vivifiante, son froid me permet de me ressaisir. Je soupire longuement, incapable de me défaire de l'image d'Adrien, penché vers moi. Comment cela se fait-il que soudainement, il m'attire aussi fortement ? Peut-être que ma situation ne s'y prête pas ; je me sens abandonnée, et il est là pour me réconforter. Il s'intéresse à moi comme personne, ce qui me trouble d'autant plus. Il doit bien se rendre compte de l'effet qu'il me fait, alors pourquoi continue-t-il ? Pourquoi s'acharne-t-il sur moi ? Pourquoi est-ce qu'il tient tant à me voir aller mieux ?
Toutes ces questions sans réponses tournent et virent dans ma tête. Mon cerveau est un shaker. Tout cela s'ajoute à la maladie de Théo, au rejet de Thomas, au deuil que je vis. J'en ai alors assez de subir et d'être une éponge à tristesse. Une sorte de combativité naît en moi, un sang neuf circule dans mon corps. Je ne vais pas me laisser abattre. Je relève ma tête te redresse mes épaules pour me donner une stature plus imposante.
C'est donc déterminée que je retourne voir le film. Adrien pose un regard curieux sur moi, mais je n'y fais pas attention. Je dois contrôler ce qu'il procure en moi. Le film accapare toute mon attention, même si je le connais par cœur. Il me permet d'oublier un peu tout, et de me vider la tête.
Lorsque le film est terminé, c'est déjà l'heure d'aller manger. Je n'échange que quelques mots à Adrien qui semble avoir remarqué mon changement d'attitude ; je ne suis plus la petite chose fragile qui pleure tout le temps.
Comme pour matérialiser mon désir de faire face, je décide de me rentre au ponton après avec couché les filles.
Je passe par le chemin habituel, mais cette fois-ci, je cours dans la forêt. Le vent encore frais me frappe les joues et mes yeux me piquent. L'humidité est encore perceptible même s'il s'est arrêté de pleuvoir. Il règne dans l'atmosphère une odeur rafraîchissante de pluie et de feuilles mortes en décomposition. Je manque de glisser sur la mousse humide, alors je m'amuse de mon côté maladroit. Je déboule près du lac essoufflée mais revigorée. Le sourire aux lèvres, je m'assois sur le ponton et j'enlève mes chaussures pour laisser mes pieds tremper dans l'eau. Je prends le temps de calmer mon souffle lentement pour profiter un maximum de l'odeur des pins.
Changer d'état d'esprits n'est pas facile, passer de l'abattement à la combativité ne peut pas se faire en claquant des doigts, c'est pour cela que mon sourire s'évanouit vite et que mes mauvaises pensées reviennent à l'assaut.
Heureusement, elles sont rapidement interrompues par la sonnerie de mon téléphone. Pensant que c'est ma mère, je ne prends pas le temps de regarder le nom sur l'écran.
- Allô maman ? Dis-je en décrochant.
- Maman ? Demande Thomas surpris.
Je suis sous le choc, je ne m'attendais pas du tout à lui parler. Je reste assez longtemps silencieuse pour qu'il reprenne la parole.
- Julie ?
- Je suis là.
Lui reparler me fait tout drôle, j'hésite entre laisser parler mon excitation ou ma colère.
- Tu vas bien ? Demande-t-il timidement.
- Mouais ...
C'est plus fort que moi, je n'arrive pas à mentir à Thomas.
- Je suis désolé, dit-il. Je ne voulais pas te faire du mal.
Je regarde au loin en haussant les épaules.
- Raté, déclaré-je.
- Je sais ...
Je soupire, je suis déchirée entre lui faire des reproches pour me soulager, ou le rassurer pour le soulager lui. Je n'hésite pas longtemps.
- Ne t'en veux pas, je sais que je t'ai fait vivre un enfer aussi. Tu avais besoin d'espace, alors je te l'ai donné.
- Non, j'ai été odieux, méchant. Je suis désolé, j'ai pas eu le bon comportement.
- L'important, c'est que tu t'en rendes compte, le rassuré-je.
Lui parler de nouveau s'apparente à une bouffée d'air nouveau qui me gonfle d'une douce joie.
- Tu voulais me dire quelque chose, demandé-je soudain.
Je l'entends rire un peu.
- Je voulais m'excuser principalement, et te dire que tu me manques.
Je laisse planer un petit silence avant de répondre.
- Tu me manques aussi ...
Il soupire, comme s'il était soulagé.
Un bruit attire tout à coup mon attention, et je découvre avec surprise Adrien au bout du ponton. Je me souviens alors de sa "proposition" de cet après-midi.
- Je suis désolée, mais je dois y aller, dis-je à Thomas.
- C'est pas grave, dit-il. Je t'aime ...
- Je t'aime aussi.
Enfin je raccroche avant qu'Adrien ne soit trop proche. Il s'assoit près de moi, je reste sur mes gardes.
- Je ne pensais pas que tu allais venir, avoue-t-il.
- Je ne voulais pas, j'ai oublié ta "proposition", dis-je en mimant des guillemets.
Il fronce le nez à l'entente de ma réplique et je ne peux m'empêcher d'être un peu fière de moi. Je décide d'emprunter une attitude nonchalante et désinvolte, je ne veux pas qu'il voie à quel point il m'affecte.
- Tu appelais tes parents ?
- Non, je réponds simplement.
Il fronce ses sourcils et me regard de ses yeux désapprobateurs. De mon côté, je continue de regarder la surface de l'eau du lac.
- Tu as ben dormi tout à l'heure ?
- Oui.
Mon ton sec l'empêche de répondre quoi que ce soit, ce qui l'énerve. Il sait que je l'attaque personnellement.
- Hé mais qu'est-ce que tu as ? Demande-t-il alors.
Le ton qu'il emploie m'intrigue, ce qui me force à le regarder enfin. Ses sourcils sont froncés par l'agacement et ses yeux semblent envoyer de petits éclairs.
- Rien, répliqué-je en haussant les épaules et les sourcils.
Il s'éloigne de moi, comme s'il venait de recevoir un coup.
- Je peux savoir ce que je t'ai fait ?
- Tu n'en as aucune idée ?
- Non bien sûr que non ! S'exclame-t-il en se levant.
Je l'imite pour ne pas le laisser me dominer physiquement même s'il reste plus grand que moi. Je croise les bras sur ma poitrine et le toise d'un air de défi. Il ne cille pas non plus mais j'essaie de ne pas succomber à son charme indéniable.
- Je ne comprends vraiment pas ! Lâche-t-il.
Je roule des yeux ce qui l'agace encore plus.
- Arrêtes ton mépris à deux balles, me prévient-il en me pointant du doigts.
- C'est moi qui te méprise maintenant ?
Il presse fort ses yeux.
- Mais qu'est-ce que tu racontes bordel ?! Arrêtes de péter ton câble !
Son énervement nourri ma colère.
- À toi de me le dire, dis-je.
- Je n'ai rien à me reprocher ! Surtout pas envers toi !
Cela m'arrache un cri de stupéfaction. Je m'approche de lui.
- Rien à te reprocher ? Tu déconnes non ? Tu me tourmentes depuis qu'on se connaît, tu emplifies ma tristesse, et tu dis que tu n'as rien à te reprocher ?
- Oui ! Cri-t-il.
J'en reste bouche-bée. Nous restons quelques instants à nous fixer, la colère émane de ses yeux d'une façon si violente que j'en suis abasourdie.
- Tu n'es vraiment qu'un gros connard prétentieux, lui sifflé-je.
J'ai envie de lui crier toutes les insultes du monde.
- Tu n'arrêtes de m'attirer puis de me rejeter comme si j'étais ton yo-yo ! Un coup tu me réconforte, l'autre coup tu m'envoies chier comme un vulgaire déchet ! On s'engueule puis on fait semblant de se réconcilier pour encore s'engueuler par la suite !
Son expression s'adoucit peu à peu, mais je ne dois pas me laisser influencer par la fourberie de ses traits.
- Tu es le gars le plus lunatique que je connaisse, tu changes d'humeur toutes le secondes ! Tu es égoïste, cruel et sans pitié ! La seule chose qui t'intéresse, c'est de servir tes intérêts !
Je reprends un peu mon souffle, puis recommence aussitôt. Je ne me censure pas, il n'en est pas question. J'ai enfin un moment pour dire clairement ce que je pense, je ne vais pas le gâcher. Même si mes mots dépassent peut-être ma pensée.
- Tu dis t'intéresser à moi, mais tu n'arrêtes pas de me mépriser en me regardant de haut, comme si je n'avais rien compris à la vie !
Ma gorge me fait mal à cause de crier.
- Tu es fermé comme une huître alors que je fais des efforts pour te faire confiance ! Tu me manipules depuis le début !
Comme il s'approche de moi, je recule jusqu'au moment où j'arrive au bout du ponton. J'envisage de sauter dans l'eau pour m'éloigner de lui, mais il trouverait un moyen pour m'atteindre. Il marche tel un félin qui va bondir sur sa proie, c'est quelque chose de bestial, brut, mais qui éveille en moi un désir que je ne peux pas nier.
- À un moment, j'ai cru que tu me voulais vraiment du bien, je reprends plus calmement.
Cela allume une lumière dans ses yeux qui me trouble un peu trop.
- Mais je me suis trompée ! Asséné-je.
Comme il n'est maintenant qu'à quelques centimètres de mon visage, je n'ai plus besoin de crier.
- Pourquoi tu fais ça ? Demandé-je.
Il me regarde avec douleur, ce qui me brise un peu. Il penche la tête et regarde mes lèvres avant de revenir sur mes yeux. Instinctivement, je passe ma langue dessus. Le feu ardent dans ses yeux se ravive.
- Je ne fais pas exprès, chuchote-t-il.
Un petit rire hystérique s'échappe de mes lèvres, mais ne défait pas la connexion que nous avons.
Sans que je m'y attende, Adrien pose sa main droite sur ma joue. Ma peau brûle à son contact et je réprime une traînée de frissons.
J'ai à nouveau l'horrible envie de l'embrasser, de goûter ses lèvres. Nos nez se touchent presque désormais et son regard est perdu dans le mien. Je sens son souffle chaud et mon coeur accélère sa course. Ma respiration devient plus rapide quand il fait glisser sa main dans mon cou. D'autres frissons plus violents m'assaillent la nuque et redescendent le long de ma colonne vertébrale. Son autre main vient se poser dans le bas de mon dos pour m'attirer avec plus de ferveur contre lui. Son corps chaud rencontre le mien avec un désir contenu.
Toute ma colère à disparue, mais je sais qu'elle reviendra une fois qu'il se sera éloigné de moi. C'est pour cela que, quand il ferme les yeux pour poser ses lèvres sur les miennes, j'empoigne son tee-shirt et le pousse dans l'eau.
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