quinze

Je ne laisse pas le temps à ma mère de dire quoi que ce soit.

- Alors ? Comment va t'il ? Est-ce que les médecins ont trouvé quelque chose ?

- Calme toi Julie, dit mon père.

Sa voix est fatiguée d'avoir pleurée. Je suis étonnée que ce soit mon père qui appelle, mais au final, je m'en fous totalement.

- Les médecins ne savent pas trop ce qu'il a. Mais Théo à de la fièvre et de la nausée. Son état n'est pas critique mais les médecins redoutent que ce soit un virus assez virulent.

Son ton calme m'apaise, mon père a le don pour dédramatiser une situation et rassurer ceux qui l'entourent.
Néanmoins, ce qu'il me dit ne me soulage qu'à moitié.

- Où est maman ?

- Avec lui, les médecins veulent qu'il se repose, mais ils l'ont autorisé à le voir ...

Je mords ma lèvres tellement fort que je me mets à saigner. Quand je me retourne je suis presque étonnée de voir Adrien. J'avais pratiquement oublié sa présence. Il me transperce du regard.

- Est-ce qu'il va se rétablir ? Je demande.

- Il est pris en charge et même si on ne sait pas ce qu'il a, les médecins sont optimistes.

Je ne sais plus quoi dire. J'aurais tellement voulu entendre la petite voix de mon frère. Mes yeux se remplissent de nouveau de larmes. Je m'assois sur mon lit et Adrien me rejoins. Je redoute que celles-ci dépassent la barrière de mes yeux, je ne veux pas craquer devant lui.

- Tout va bien se passer, dit mon père.

- Je ne sais pas, avoué-je.

Je laisse le silence planer et en a visant ma valise je dis :

- Je veux rentrer, je veux être avec vous.

Ma voix tremblote.

- Non, dis mon père doucement. Reste où tu es, ne t'inquiètes pas ...

Je renifle avec difficulté.

- Je veux rentrer papa ...

Alors je fonds en larmes. Tout s'échappe de mes yeux : ma fatigue, ma tristesse, ma colère, ma culpabilité, mes regrets. Je craque bel et bien. Honteuse d'être aussi égoïste, je raccroche et je presse mon visage sur mon oreiller. La présence d'Adrien accentue mes sanglots.

- Hé, dit-il en prenant une de mes épaules pour me relever. Julie, regarde moi.

Mon prénom dans sa bouche me fait pleurer encore plus. J'ai profondément mal, je me sens meurtrie. Les souvenirs que je pensais avoir oublié rejaillissent. Les fondations que j'avais bâti s'écroulent, il ne reste plus rien de moi que des débris.
Pourquoi est-ce que ça fait aussi mal ?
Je ne me bats plus, aussi Adrien arrive à me relever. Pour ne pas avoir à affronter son regard, j'entoure mes bras autour de son cou et je pose ma tête sur son épaule. Je pleure dans ses bras toutes les larmes que je contenais. Cela me rappelle douloureusement la fois où il était venu à ma porte me suppliant de le laisser rentrer. Tout ça me semble bien derrière moi maintenant.

Comme je sanglote un peu moins, je l'entends me parler.

- Ça va aller, susurre-t-il. Tout va s'arranger, je suis là. Des gens sont là pour toi.

J'aimerais lui dire que non, que Thomas n'est plus là, que Mamie n'est plus là !
Mais je n'en ai pas la force. Je m'accroche donc à la phrase qu'il répète le plus "je suis là".
Je me la répète en boucle pour inhiber tout le reste. Quand j'ai finis de pleurer, Adrien s'éloigne de moi. Sa beauté me frappe violemment et je n'arrive plus à penser à autre chose que lui, devant moi.

Peut-être que ce sont dans des moments aussi moches que nous voyons que le monde peut contenir autant de beauté.

Son front est plissé, et comme toujours, ses yeux sont à couper le souffle. Comme il est tout proche de moi, je peux voir que le marron de ses iris se perd dans ses pupilles avec une nuance cuivrée. Son petit nez droit donne une force brut à son visage. Quand mon regard tombe sur ses lèvres, je me rends compte de notre proximité et des papillons volent dans mon ventre. Je m'écarte pour m'essuyer les joues et me frotter les yeux. J'ai besoin de me moucher et chercher un mouchoir constitue un parfait prétexte pour m'éloigner d'Adrien. Je repère un paquet sur la table à l'autre bout de la pièce alors je me lève pour aller le chercher.

Une fois que je peux respirer avec plus de facilité et que mon esprit est un petit peu plus clair, j'ose dire quelques mots.

- Je suis désolée que tu aies vu tout ça.

Il plisse les yeux et se relève pour de nouveau s'approcher de moi. Sa démarche est déterminée, il arrive devant moi très rapidement.

- Ça arrive souvent ? Demande-t-il.

Son ton neutre me blesse un peu, sa voix dénuée de sentiments contredis ses yeux.

- De quoi ? Demandé-je confuse.

- De pleurer comme ça.

Je baisse les yeux, si c'est pour récolter son mépris, je n'aurais jamais dû m'ouvrir à lui.

- Julie, dit-il en prenant mon menton dans ses mains. Est-ce que ça t'arrive souvent ?

Je me dégage encore plus troublée. Je ne comprends pas ce qu'il veut.

- Non, bien sûr que non.

Il pince ses lèvres, définitivement peu convaincu. Puis il dit presque dans un murmure :

- C'est la deuxième fois que je t'entends pleurer comme ça ...

Il fait allusion à la fois où je ne lui avais pas ouvert la porte.

- Je traverse une mauvaise passe, dis-je simplement.

Il laisse tomber sa main et fait un peu pivoter sa tête sur le côté sans me quitter des yeux. Soudain une question se matérialise dans mon esprit.

- Pourquoi es-tu si gentil ?

Cela le fait sourire. Je ne pensais pas dire ça, étant donné qu'il a plutôt été grossier avec moi. Mais ses petites attentions me prouvent qu'il se soucie de moi.

- On a vraiment besoin d'une raison pour être gentil ? Réplique t'il en haussant un sourcil.

Je secoue la tête. Mon téléphone sonne de nouveau. Il est posé sur mon lit, mais je ne veux pas décrocher. Je sais que c'est mon père qui veut me rassurer et me dire que tout va bien se passer. Mais pour l'instant, je n'ai pas besoin de ses mots.

- Tu devrais répondre, suggère Adrien.

- Non, je sais ce qu'ils vont me dire. Je leur enverrai un message plus tard ...

Il s'éloigne un peu de moi et croise ses bras sur son torse. Ses lèvres sont pincées révélant qu'il veut me demander quelque chose. Je prends les devants :

- Mon petit frère est malade, comme il a une santé très fragile c'est une situation délicate.

Soudain je me sens épuisée, tenir debout me paraît trop fatiguant. Je recule un peu pour sentir le mur dos à moi et je me laisse glisser contre lui pour m'asseoir. La présence d'Adrien me gêne un peu, il ne dit rien se contentant de me transpercer du regard. Je ne sais pas ce qu'il s'attend à voir au fond de moi. Comme il est toujours debout, il me surplombe de sa hauteur. Vu sous cet angle, ses épaules paraissent encore plus larges et plus fortes. J'évite de le regarder dans les yeux depuis quelques temps. Il semble tout à coup reprendre conscience.

- Tu veux vraiment t'en aller ? Demande-t-il en avisant ma valise.

Je hausse les épaules.

- Ma place n'est pas ici, je réponds en triturant mes mains. Je ne devrais pas être là.

Adrien doit entendre ma culpabilité car il secoue la tête, peut-être pour me rassurer. J'ai l'impression que son regard sur moi à changé du tout au tout. Il a peut-être compris quelque chose. Il vient s'asseoir devant moi, mais à une distance raisonnable, de ce fait, il m'est facile d'éviter de croiser son regard. Il me communique tellement de choses que je ne ressens que sa présence près de moi. À lui seul, il efface tout ce qui m'entoure pour accaparer mon attention toute entière. Son calme me rassure, il semble tellement sûr de lui qu'il arrive à me faire croire que rien ne va s'écrouler.

- Comment fais-tu pour être aussi calme ? Je lui demande en chuchotant dans un ton que je trouve un peu trop admiratif.

Il passe sa langue sur ses lèvres pour les humidifier.

- J'ai appris à le devenir, répond-il simplement.

- J'aimerais pouvoir contrôler mes émotions comme tu le fais, avoué-je.

Une flamme réveille soudain ses yeux, mais s'estompe rapidement.

- Je ne contrôle pas mes émotions, dit-il. Je les empêche juste de se faire voir. Disons que je les cache aux autres.

Je plisse les yeux. Si j'ai pu remarquer qu'il était profondément en colère et triste, c'est que ces émotions là doivent être trop fortes pour qu'il puisse les combattre. Ses yeux en revanche ne peuvent pas mentir, tout ce que je vois à l'intérieur est la vérité. Toutes les émotions qu'ils dégagent sont authentiques.

- Tu regrettes d'être ici ? Demande-t-il.

Je baisse les yeux, rongée par la culpabilité.

- Oui, dis-je d'une toute petite voix.

Il soupire longuement, sans me quitter des yeux. J'évite de le regarder car je ne veux pas voir sa pitié, je veux le voir fort pour qu'il me pousse à l'être aussi.
Après plusieurs secondes, son attitude change soudainement, il se redresse et semble plus agité.

- Je suis désolé, déclare-t-il ensuite. Tu as sûrement besoin d'être seule.

Il se déplace vers la porte, mais je l'interrompt avant qu'il ne sorte complètement de ma chambre.

- Merci, lui dis-je.

Il se retourne pour répondre :

- C'est normal.

Il m'adresse un faible sourire puis s'en va définitivement.
Après son départ, je suis véritablement exténuée, incapable de ressentir quoi que ce soit. Je me roule en boule dans mon lit et j'empoigne mon téléphone. J'envoie un rapide message à mes parents.

Julie : Prévenez moi s'il y a du nouveau, je vous aime, bisous.

¤¤¤¤¤

La nuit fut loin d'être reposante, pour être honnête, je ne sais même pas si j'ai dormi. De ce fait le réveil est un peu moins pénible, car je n'ai pas véritablement à me réveiller. Je m'habille comme une automate, et je vais réveiller les filles. J'essaie d'être souriante et je suis apparemment convaincante. J'attends avec appréhension le moment où je croiserai le regard d'Adrien. J'aimerais lui dire quelque chose, seulement je ne sais pas quoi. Je ne veux pas qu'une gêne s'installe entre nous.

Je n'ai pas défait ma valise mais si mon père veut que je reste ici, je n'ai pas vraiment le choix. De plus qui pourrait me raccompagner chez moi ? Le prénom d'Adrien traverse mon esprit, mais il en ressort aussitôt. Je guette son arrivée dans la salle commune. Quand il entre dans la pièce, je suis surprise de le voir arriver droit sur moi. Je n'ai pas le temps de réagir qu'il prend ma main et m'emmène dehors, loin du groupe. Nous nous arrêtons puis il se place devant moi, assez près pour que je ne puisse pas échapper à son regard.

- Tu vas bien ? Demande-t-il. Tu as bien dormi ?

Je fronce les sourcils. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me demande ça, même si ça peut paraître évident.

- Ça va, je réponds.

Et c'est la vérité, je vais mieux qu'hier soir, même si je n'ai pas dormi. Sous son regard insistant, je complète ma réponse.

- Je vais mieux qu'hier, mais je n'ai pas dormi, alors je suis très fatiguée.

Ses yeux s'adoucissent.

- Ça va aller pour aujourd'hui ?

- Je dormirai bien ce soir, dis-je en essayant de sourire.

Il ne cille pas pendant quelques secondes, finalement on nous appelle pour aller manger ce qui met fin à notre échange.

Pendant toute la durée de la randonnée, je ne peux m'arrêter de penser à tout un tas de choses. Théo, Adrien, Thomas. Je devrais surement arrêter de côtoyer des garçons, ils hantent tous mon esprit pour des raisons différentes. Comme il marche près de moi, Adrien est celui auquel je pense le plus. Son comportement m'intrigue au plus haut point, la volonté de le connaître et de savoir ce qui le tourmente devient de plus en plus forte. Il était tellement désagréable avec moi, pour devenir doux et attentionné. Il génère de forts sentiments en moi, que ce soit de la tristesse, de la culpabilité, ou de la tendresse, et tout cela grâce à un simple regard.

La randonnée se fait silencieuse, Adrien garde presque constamment les sourcils froncés, ce qui change de son visage enfantin que j'avais pu observer il y a quinze jours. Je ne peux pas m'empêcher de m'en vouloir, j'ai l'impression que son comportement maussade est entièrement de ma faute. J'ai alors encore plus envie de connaître la source de sa colère. Me concentrer sur lui permet de m'oublier un peu.
C'est donc bien décidée à savoir ce qui le tourmente que nous retournons tous au camp à l'issue de cette journée. Avant de manger, j'ai le temps d'appeler mes parents. Apparemment Théo se sent beaucoup mieux même s'il reste faible. Il doit encore beaucoup se reposer. On ne sait toujours pas ce qu'il a, ce qui m'inquiète un peu. À mon grand désespoir, il dort alors je ne peux pas lui parler.

Une fois que j'ai raccroché, je décide de défaire ma valise. Mes parents m'on assuré que je devais rester "pour mon bien". Le problème, c'est que j'ai l'impression que rester me fait tout, sauf du bien.

Après le dîner, quand nous sortons de table, Adrien m'intercepte.

- Je viendrai te voir dans ta chambre tout à l'heure.

Puis il repart sans demander son reste. Je me dis que ce sera l'occasion parfaite pour en savoir plus sur lui.
Après avoir couché les filles, c'est donc soulagée que j'entends trois coups sur ma porte. Cependant, je n'ouvre pas.

- Julie ? Demande Adrien. Tu es là ?

- Oui, je réponds simplement.

- Je peux entrer ?

J'hésites quelques secondes.

- Non, dis-je finalement.

Il semble surpris car je ne l'entends rien rétorquer.

- Je préfère que tu restes dehors, m'expliqué-je.

- Pourquoi ?

Je m'assois face à la porte en fermant les yeux.

- Parce que comme ça, je ne te vois pas ...

- Je ne suis pas sûr de bien le prendre, dit-il sur un ton faussement offensé.

Je souris sincèrement pour la première fois de la journée.

- Ne le prend pas mal ... C'est juste que je suis plus à l'aise quand tu ne me regardes pas ...

Comme il ne répond rien, je décide de jouer la carte de l'honnêteté.

- C'est à cause de tes yeux ... Ils sont ...

Je ne trouve pas les mots, mais à vrai dire, il n'y a pas de mots pour décrire ses yeux.

- Ils sont indescriptibles, conclué-je.

- Moi, j'aimerais pouvoir voir les tiens, dit-il à son tour. Ils sont très révélateurs ...

À cet instant précis, j'aimerais vraiment le voir. Je voudrais étudier l'expression de son visage, et le feu dans ses yeux. Rien que de l'imaginer tout près derrière la porte me procure une douce chaleur dans la poitrine.

- Tu vas bien ? Demande-t-il.

Je rigole doucement.

- C'est ta question préférée à ce que je vois ...

- Seulement quand la réponse que j'obtiens est sincère.

Je me mords la lèvre.

- Je vais mieux, avoué-je. Et toi ?

Il ne répond pas alors je pousse un peu plu loin.

- J'ai vu que tu n'étais pas dans ton assiette pendant la randonnée ...

- Voir des gens tristes me rend triste, réplique-t-il aussitôt d'une voix neutre.

Je voudrais lui poser d'autres questions, mais je ne sais pas comment m'y prendre. Je ne veux pas être brutale ou invasive. Je veux simplement être douce, tout comme il est doux avec moi. Je m'imagine lui caresser la joue et faire courir mes doigts le long de sa mâchoire.

- Adrien ?

- Je suis toujours là, répond-il doucement.

- Je peux te demander quelque chose ?

Il semble réfléchir.

- Je ne te promets pas de répondre.

Mon estomac se serre, mais je tente quand même.

- Contre quoi es-tu aussi en colère ?

Je veux que ma voix soit calme, posée et compréhensive. Je veux qu'elle invite à la confession. Mais le silence que j'entends derrière la porte est le seul à me répondre. Je me dis que j'ai fait une connerie, mais après tout, il a bien voulu que je lui pose une question et j'ai accepté qu'il ne me réponde pas. Nous sommes de nouveau au point mort. Cependant, je sens une faible colère s'éveiller. Je me suis ouverte à lui, alors qu'il reste fermé comme une huître. Moi aussi je veux l'aider, moi aussi je veux savoir.

- Adrien ?

Il ne me répond pas. Je décide alors d'ouvrir la porte, mais je découvre qu'il est parti, me laissant seule.

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Hey !
J'avais très envie de poster un chapitre, alors le voilà ! ;)
Comme toujours vous pouvez commenter pour me dire ce que vous en avez pensé !
Et je vous retrouve mercredi !
Bisous ♡

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