onze
Le lendemain, en me réveillant, je me sens bien. Je suis de bonne humeur en tout cas. Pendant le petit-déjeuner, j'ose plus de regards vers Adrien et il me semble plus facile d'entamer une conversation banale.
- Bon comme vous le savez, on change d'activité pour cette semaine. Adrien et Julie, c'est à votre tour de faire de la voile, tandis que Baptiste et moi, on fait de la course d'orientation.
Nous hochons tous la tête puis Matthew reprend :
- Franchement pour la voile, vous n'avez pas de soucis à vous faire. C'est pris en charge par des moniteurs. Vous avez juste à attendre sur le bord.
Je souris et je croise le regard d'Adrien. Il me sourit aussi.
Alors que Matthew s'occupe des activités du matin avec Adrien, Baptiste me rejoint dans ma chambre alors que je prépare un inventaire pour les filles.
- Hey, dit-il.
Je me retourne pour le découvrir dans l'encadrement de la porte.
- Hey, je réponds en souriant. Ça va ?
- Nickel !
Je continue de faire l'inventaire bien que je sois intriguée par sa venue. Je me retourne donc de nouveau et le regarde les sourcils un peu froncés.
- Tu veux me dire quelque chose ?
Il hoche la tête et s'assoit sur mon lit.
- Je sais qu'Adrien est venu te voir hier soir, lâche-t-il soudainement. Il est revenu avec une sale tronche et les yeux rouges.
Je suis prise de court.
- Quoi ?
Il hausse les épaules en faisant la moue. Il fixe son regard sur ses mains qu'il triture, sûrement parce qu'il est nerveux.
- Alors je sais que c'est pas mes affaires, tout ça, et à vrai dire je sais pas ce que tu vas me répondre. Mais voilà, j'espère juste qu'il y a rien de bizarre entre vous.
Je suis déconcertée. J'avoue que je ne pensais pas que Baptiste allait être curieux. Ce qui s'est passé hier n'était rien. C'est un truc des plus insignifiant qui ne se reproduira plus. Je me suis laissée aller. En revanche, ce qui m'étonne, c'est qu'Adrien ait pleuré aussi.
- Je ne sais pas quoi dire, déclaré-je. Mais ce n'était rien, vraiment. T'inquiètes pas.
Cette fois-ci il a levé les yeux de ses mains désormais immobiles pour me regarder avec sérieux.
- Je sais pas, je trouve ça bizarre que lui non plus ne veuille rien me dire.
L'accusation perceptible dans sa voix me déplaît.
- Il ne s'est rien passé, c'est normal qu'il ne veuille rien te dire, dis-je d'un ton plus sec.
Il se lève et déclare alors avant de partir.
- Excuse-moi alors.
Il fait une pause et m'offre un sourire. Puis il reprend d'un ton plus enjoué :
- Je suis sûr que ça va te plaire la voile !
Finalement il sort de ma chambre.
¤¤¤¤¤
Les enfants sont chacun répartis dans un voilier par binôme. Vu du bord, ils ont l'air de s'amuser, mais les cris qui parfois s'échappent de certains voiliers ont tout de même le don de m'inquiéter.
- Ça n'a pas l'air de tout repos ! Déclare Adrien.
- Non, c'est sûr ...
J'ai décidé de jouer la carte de l'ignorance, et à priori il a fait de même. Comme si tout était comme avant, bien que pas tout à fait.
- J'ai fait de la voile une fois, dis-je. J'avais pas vraiment aimé, je trouvais ça stressant.
Adrien hoche la tête comme s'il était impressionné.
- J'ai jamais vraiment aimé les trucs en rapport avec l'eau. Le surf, le kayak, la voile ... Tous ces trucs là j'aime pas trop ...
Je le regarde avec des yeux ronds.
- Tu n'aimes pas trop ?
Il fait des études de médecine et je n'aime pas les médecins. Je fais de la natation et il n'aime pas les trucs en rapport avec l'eau.
Il rigole en secouant la tête.
- Ouais j'ai l'habitude de cette réaction. Mais j'y peut rien.
Je rigole à mon tour.
- On est décidément pas fait pour s'entendre ! Lâché-je sans réfléchir.
C'est en sentant son regard sur moi que je me rends compte que j'ai peut-être merdé.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Demandé-je en tournant la tête pour le regarder aussi.
Il plisse les yeux, comme pour mieux déchiffrer quelque chose. Je repense à ce qui s'est passé hier soir et je tourne la tête.
- Je t'aime bien, arrêtes de raconter des conneries.
Je suis surprise, mais moins que lui d'avoir dit ça.
- Tu te mens à toi même, je sais bien que tu peux pas me blairer, dis-je.
Il soupire.
- Mais non, arrêtes de penser ça.
- Alors comment est-ce que tu expliques le fait que tu me méprises tellement que tu ne m'appelles pas par mon prénom. Que tu me fais tout le temps chier. Que tu es vraiment ... lourd et désagréable avec moi.
- Comment expliques tu le fait que le soir je vienne te voir dans le seul but de savoir si tu vas bien, me coupe-t-il.
Je repense encore à hier soir, mais aussi à toutes les fois où il m'a rejoint sur le ponton.
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
Nier en bloc m'apporte un peu de réconfort, sûrement par rapport à ma fierté. Mais ça a l'air de plutôt agacer Adrien qui soupire bruyamment.
Je décide de reprendre là où je maîtrisais encore la conversation.
- Si t'aime pas les trucs en rapport avec l'eau, qu'est-ce que tu aimes ?
Il tourne la tête pour me dévisager et il met plusieurs secondes a répondre.
- L'escalade, le saut à l'élastique. Plus les truc en rapport avec la hauteur et le ciel.
Ça me fait doucement rire.
- C'est bleu aussi, remarqué-je.
Il sourit.
- Oui, c'est bleu aussi.
Quelque chose dans sa voix m'intrigue alors je tourne la tête pour le regarder. Je le vois d'abord de profil, comme samedi dernier lors de la randonnée, il paraît insouciant. Puis il se tourne aussi pour me regarder. Nous ne sommes pas vraiment proches l'un de l'autre, ce qui fait que j'aimerais me rapprocher. Je veux regarder son visage de plus près comme si cela allait m'aider à mieux le comprendre.
Je plisse légèrement les yeux et je chuchote :
- Qu'est-ce que tu veux ?
J'attends sa réponse, mais elle ne vient pas. Ses yeux oscillent entre mon oeil droit et mon oeil gauche ce qui me déconcentre un peu. Je pourrait être hypnotisée, ses yeux jouant alors le rôle du pendule.
Le vent vient soudainement remuer ses cheveux et je remarque qu'il a un épi, juste sur le devant de sa tête. Je ne sais pas vraiment ce qu'il fait à me regarder, et pourquoi il le fait.
Enfin de compte, la seule chose que j'ai envie de lui demander, c'est "pourquoi ?". Si à chaque fois qu'il faisait quelque chose il me disait pourquoi il le faisait, ça m'arrangerais.
Après un temps interminable, les voiliers reviennent sur le bord et nous repartons alors pour le camp.
Je n'ai pas échangé un seul mot avec Adrien. J'ose espérer qu'il cherche une réponse à ma question, mais c'est surement trop audacieux de ma part de penser ça. Comme toujours ses sauts d'humeurs me gonflent.
Arrivés au camp, l'autre groupe est déjà là. Baptiste nous aide à décharger les affaires des enfants.
- Alors, j'avais pas raison ?
Un peu énervée par la conduite d'Adrien, je ne réponds pas.
- Si c'était sympa, répond-il alors. On attend sur le bord pendant que les petits s'amusent quoi.
Baptiste lâche un petit rire.
- Vous devez vous amuser tous les deux, c'est sûr ! Figurez-vous qu'avec Matthew on faisait des paris. Genre qui va arriver avant qui. Qui va être le premier à chavirer. C'est vachement drôle !
Étonnée je le regarde avec des grands yeux.
- Mouais, fin c'est un peu salaud non ? Je demande.
Il fait la moue en secouant la tête avec vivacité.
- Non, c'est surtout drôle ! En plus ça nous permet de rester concentré sur les enfants.
Je roule des yeux puis je repars dans ma chambre. Je décide d'aller à la cabine téléphonique du camp, je tiens quand même à prévenir mes parents. Je prends de quoi payer et je m'y rends rapidement avant qu'on annonce le repas. Une fois que j'y suis, j'introduis mes pièces. J'ai le droit à deux minutes. Je compose le numéro et j'attends.
- Allô ?
La voix est vraiment interrogative. C'est celle de mon père.
- Allô, c'est Julie.
- Julie ? Bah tu nous appelles d'où ? Tu vas bien ?
- Oui t'inquiètes pas papa, c'est juste que mon portable à rendu l'âme ...
- C'est une bonne excuse pour le changer hein ...
Je roule des yeux. En plus de donner des surnoms débiles à tout le monde, mon père a une étonnante facilité à imaginer des complots : il est un peu paranoïaque. Comme je ne réponds pas il reprend :
- Alors ça se passe toujours aussi bien ? Tu te sens bien, pas trop fatiguée ?
Ma mère l'a sûrement rejoins vu le débit de questions.
- Oui oui ça va, tout va bien. Je dors aussi très bien, la literie est confortable.
- Tu manges bien ?
- Oui oui, je mange très bien.
- Bon, tant mieux alors !
- Est-ce que tu t'es fait des amis ? Intervient ma mère.
Je soupire.
- Je suis pas vraiment censée me faire des amis, maman. Je suis là pour m'occuper des enfants, pas pour faire le tour du camp à la recherche d'amis ...
- Oui je sais, mais te savoir toute seule là-bas, ça me rassure pas ...
- Je ne suis pas seule, t'inquiètes pas !
Au loin, je vois Adrien qui semble chercher quelque chose. De plus, il ne me reste plus beaucoup de temps.
- Bon, je dois y aller ! Je vous aime fort, faites des bisous à l'autre crotte !
Je raccroche et je sors rapidement de la cabine. Adrien me voit et m'interroge du regard.
- Tu n'as plus de portable ?
Je le toise pendant quelques micro secondes.
- Non, il s'allume plus.
- Ah.
Il a l'air pantois, puis il reprend un peu de contenance pour demander :
- Tu veux que j'essaie de le réparer ?
Je roule des yeux.
- Non, ça va, je vais me démerder.
- Ok, dit-il en levant les bras. Bref, on va aller manger.
Je hoche la tête et je le suis vers notre bâtiment.
¤¤¤¤¤
Après le repas, comme d'habitude je m'occupe de la douche des filles. J'ai décidé de ne toujours pas retourner au ponton, c'est peut-être mieux que je fasse comme tout le monde, c'est à dire dormir. Quand toutes les filles sont couchées, j'ai la mégarde de retourner dans la salle commune pour vérifier qu'il n'y a plus personne. C'est contre ma volonté, quand je dois aller dormir, je fais le tour du bâtiment dans lequel je me trouve. Alors que je m'attendais à ce qu'il n'y est personne, Adrien est là. Il me tourne le dos alors je pense pouvoir lui échapper sans qu'il me voit, mais il se retourne avant que j'ai le temps de partir. Il se lève brusquement tout comme je pars rapidement vers ma chambre.
- Hé ! Julie !
Je vais dans ma chambre et je referme la porte. Je m'assois contre celle-ci et me maudis intérieurement. Je ne veux pas que ça recommence.
- Je t'ai toujours pas dit ce que j'avais à te dire hier soir.
- J'ai pas envie d'en parler.
- Je sais que tu n'as pas envie que tout le monde sache ce que qui s'est passé hier soir, c'est pour ça que tu devrais sois me laisser entrer, sois sortir de là.
Je soupire profondément. Peut-être que je devrais le laisser parler finalement. Je me sens mieux qu'hier et j'ai passé une bonne journée.
- Allez, s'il te plaît.
Je me lève, j'attrape un gilet et je sors. Adrien sourit en me voyant. Je sens que c'est un sourire vraiment sincère, le genre de sourire qui rend beau instantanément.
- Dépêches-toi, dis-je.
C'est bien beau, mais faut quand même pas jouer avec ma patience.
Adrien passe devant pour aller dehors, puis il m'emmène derrière le bâtiment, dans un coin à l'abri des oreilles et des regards indiscrets. Je le remercie de ne pas m'avoir emmené au ponton. Il y arrive bien ce mécréant à appâter les gens.
Mais lorsque je croise son regard, toute la sympathie qu'il avait gagné entre le moment où je suis sortie de ma chambre et le moment où on est arrivés s'envole. Il me fait ces mêmes yeux compatissants et à couper le souffle. Énervée, je me lève subitement.
- Je suis là parce que tu veux me dire quelque chose, pas pour être ta marionnette !
Il ferme alors les yeux et regarde ses pieds.
- Assis toi.
Il dit cela avec fermeté et d'une façon tellement abrupte que je ne peux rien répondre. À la limite, sois j'obeis, sois je reste plantée là. Face à ma non-réaction, il répète :
- Assis toi !
- Non, je réponds immédiatement.
À son ton énervé, il se lève. Cette fois-ci, c'est lui qui a l'avantage. Il me surplombe de sa taille.
- Alors quoi ? Qu'est-ce que tu vas faire ? Demande-t-il. Tu vas t'en aller ? Fuir encore une fois ?
Je me retiens de lui foutre une baffe.
- Ah j'ai touché la corde sensible ?
Mais mon sang-froid à des limites, sans me poser plus de question, je laisse ma main percuter sa joue. Il ne cille presque pas, mais ferme tout de même les yeux. Je le fixe quelques instants jusqu'à ce qu'il me regarde de nouveau. Je devrais partir mais je ne veux pas lui faire entendre raison. Un sourire se dessine alors sur ses lèvres. Mais celui-ci est loin de le rendre beau comme tout à l'heure.
- C'est bon, tu as terminé ?
- T'en veux une autre ?
Il semble satisfait.
- Je sais pas ce qu'il se passe, mais je vais pas rester là à rien faire, déclare-t-il.
- Tu devrais. Ma vie ne te regarde pas.
- Trop tard.
- Je ne te dois rien, lui dis-je. Laisses moi tranquille, c'était très bien quand tu me faisait chier finalement !
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Tu crois quand même pas que je vais te dévoiler tout ce que tu veux ? J'espère que t'es pas suffisament con pour le faire. Laisses moi tranquille, je te demande rien d'autre.
Il reste impassible.
- Tu me fais sérieusement chier, lâché-je. Avec tes changements d'humeurs à la noix. Un coup tu me souris et l'autre tu me menaces ? Si tu veux vraiment savoir ce qu'il se passe dans ma tête, gagne ma confiance plutôt que de t'attirer ma haine.
Je veux partir mais il attrape mon bras.
- Moi non plus je te comprends pas, dit-il d'un ton plus fort. Le jour tu ris et la nuit tu pleures, tu veux qu'on en parle aussi de tes changements d'humeurs ? On est peut-être pas si différents tu crois pas ?
Ses paroles m'atteignent, mais ma colère atténue leur impact. Je repense in extremis à la conversation que nous avons eus cet après-midi, lorsque les enfants faisaient de la voile. Je me mets donc bien face à lui. Nous sommes tout proche, mais cela ne me déstabilise pas.
- Qu'est-ce que tu veux ? Demandé-je alors en chuchotant.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? Demande-t-il à son tour.
Je comprends que c'est sa réponse. J'arrive à m'extirper de sa poigne et je lui tourne le dos pour rentrer.
La colère qu'il provoque en moi est aussi forte que la tristesse qu'il provoque en moi. Je ne sais pas ce qu'il me fait, et je ne sais pas si tout ce qu'il provoque en moi est une bonne chose.
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